Questions cribles sur la médecine libérale
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la situation de la médecine libérale à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Michelle Meunier . - Je connais l'engagement du gouvernement et le vôtre de construire des solutions concrètes face à la désertification médicale dans notre pays. Vous avez lancé le pacte Territoire Santé en 2012 pour apporter des réponses de fond à court et moyen terme.
Les maisons de santé sont des centres multidisciplinaires dont le développement est vivement recommandé par la Fédération d'établissements hospitaliers et d'aide aux personnes. Où en est-on ?
En outre, quelle est votre orientation en matière de liberté d'installation pour les médecins et, donc, de choix pour les patients ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Vous avez raison de souligner l'engagement du gouvernement dans la lutte contre les déserts médicaux. D'autres professions de santé que les médecins sont d'ailleurs touchées. Je soulignerai les principes fondamentaux de la médecine libérale : la liberté d'installation n'a pas été et ne sera pas remise en cause. Pour preuve, le pacte Territoire Santé, lancé il y a plus de deux ans, a fait le pari de l'incitation. Liberté donc pour les médecins et les patients.
Concernant les maisons de santé, notre pays en comptait 170 environ en 2012, plus de 600 aujourd'hui, et 200 ouvriront en 2015. Voici une évolution concrète.
Mme Michelle Meunier. - Merci d'avoir dissipé toute ambiguïté sur la liberté d'installation.
M. Gérard Roche . - La médecine générale, spécialité à part entière, doit être mieux reconnue. À mon sens, la question de la rémunération n'est pas centrale. Ce qui pèse est la solitude des médecins face à la surcharge de travail et à la fatigue. Que comptez-vous faire, madame la ministre ? J'y insiste à titre personnel pour bien connaître le métier, la passion, la vocation de médecin généraliste. (Applaudissements au centre)
Mme Marisol Touraine, ministre. - Vous avez raison, parlons des médecins généralistes, plutôt que de la médecine générale. Ces hommes et ces femmes, souvent nos médecins traitants, doivent être mieux connus et reconnus. Renforçons leur formation avec des stages. Les deux tiers des étudiants en ont effectué un en 2014 alors qu'en 2011 c'était seulement 40 %. J'ai demandé à Pierre-Louis Druais, président du collège de médecine générale, de faire d'autres propositions.
Nous avons revalorisé le forfait de médecin traitant, les consultations pour personnes âgées. Nous voulons, comme vous, réaffirmer le rôle central du médecin généraliste dans notre système de soins.
M. Gérard Roche. - Ce sont les mots que nous voulions entendre ! (Applaudissements au centre)
Mme Isabelle Debré . - La liberté d'installation est fondamentale. Les médecins ont eu le sentiment que votre projet de loi étatisait la médecine libérale.
Les protestations des professionnels de santé vous ont contrainte à en reporter l'examen. La concertation avec la profession avait été insuffisante. Pour renouer le dialogue, vous avez mis en place quatre groupes de travail mais cette concertation vient une nouvelle fois de prendre fin avec le départ des principaux syndicats de médecins libéraux. Ce, parce que le service public hospitalier que vous proposez est profondément inégalitaire, au détriment de la médecine libérale.
Allez-vous revenir sur les sujets qui inquiètent les professionnels libéraux ? Quels seront l'esprit et le contenu du texte sur lequel le Parlement sera amené à travailler ? Quel sera le calendrier ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Marisol Touraine, ministre. - Je réaffirme mon attachement à la liberté d'installation pour les médecins, mais aussi pour les infirmiers, ou les masseurs-kinésithérapeutes, et à la liberté de choix pour les patients.
De graves inégalités nous imposent de moderniser notre système de santé avec le renforcement de la prévention et de la médecine de proximité. Loin des caméras, la négociation se poursuit pour améliorer le projet de loi. Rassurez-vous, madame la sénatrice.
Mme Isabelle Debré. - Je ne suis pas certaine d'être rassurée. Comptez sur nous pour veiller à préserver une médecine libérale d'excellence en France ; la liberté d'installation pour les médecins et la liberté de choix pour les patients. (Applaudissements à droite)
M. Gilbert Barbier . - Depuis Hippocrate, la médecine est un art. Est-elle devenue une science ? Avec la spécialisation, les médecins qui prenaient le temps d'écouter les patients se sont transformés en techniciens prescripteurs face à des clients. Le dialogue singulier s'est réduit à sa plus simple expression. Faut-il basculer, avec le tiers payant généralisé, vers une médecine étatisée où le mot liberté n'a pas plus de sens ? Le débat est philosophique.
Mme Marisol Touraine, ministre. - Je vous rejoins sur la valorisation de la médecine humaniste, clinique. En revanche, ne l'opposons pas à la médecine technique, dont nous avons besoin aussi. Que ferait-on sans radiologie ? Je tiens néanmoins pour primordial le colloque singulier entre médecin et patient.
Vous avez établi un lien avec un sujet tout différent : ce que vous expliquez comme une étatisation de la médecine libérale. Je le dis et le répète, les médecins ne sont pas soumis aux prescriptions des réseaux de soins.
M. Gilbert Barbier. - La rémunération à la performance s'oppose à une médecine clinique qui demeure un art du soin et de l'accompagnement, de même que votre acharnement à revenir sur la liberté d'installation.
Mme Aline Archimbaud . - La médiation sanitaire résoudrait le dilemme actuel : d'un côté des médecins dont la liberté est essentielle ; de l'autre, des patients dont certains peinent à accéder aux soins. Comptez-vous reconnaître cette nouvelle pratique, y compris dans les nouveaux modes de rémunération ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Marisol Touraine, ministre. - Je salue votre opiniâtreté à lutter contre les inégalités de santé, enjeu de votre excellent rapport à Jean-Marc Ayrault, qui inspire certaines dispositions du projet de loi de santé.
Ce matin, j'étais avec le Premier ministre Manuel Valls pour recevoir les associations de lutte contre la pauvreté, pour favoriser, selon votre voeu, la médiation sanitaire. Des mesures en ce sens figureront dans le projet de loi de santé, qui prendra en compte les expérimentations en la matière.
Je confierai à la Haute Autorité de santé (HAS) la mission d'élaborer un cadre de formation des professionnels, un cadre de référence des compétences, un cadre déontologique aussi.
Mme Aline Archimbaud. - Merci de votre réponse et surtout de ces mesures concrètes, bientôt opérationnelles, qui recouvriront une pratique qui existe depuis dix ans mais qui doit toujours trouver des appuis et financements pour se développer. Une seule université propose actuellement une formation à la médiation sanitaire.
Pour nous, l'accès à la santé n'est pas une dépense, mais un investissement. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Laurence Cohen . - La situation de la médecine libérale ne peut être déconnectée de la concurrence qui prévaut dans le système de santé. Elle est, en effet, créatrice de déserts médicaux et d'inégalités dans les départements ruraux comme urbains, pour les généralistes et les spécialistes, dans toutes les professions de santé.
Les centres de santé ne sont pas soutenus, contrairement aux maisons de santé, alors qu'ils apportent une réponse complémentaire au système actuel. Madame la ministre, envisagez-vous de changer le mode de calcul du numerus clausus absent de votre projet de loi de santé ? Quelles incitations pour desservir les zones désertifiées ? Quels moyens pour les centres de santé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC)
Mme Marisol Touraine, ministre. - Il s'agit de mettre en place des structures alternatives pour les médecins libéraux et d'installer des centres de santé. Je ne pense pas que le numerus clausus soit le coeur du problème. J'ai souhaité que les centres de santé soient pris en compte. La loi de santé facilitera leur financement par l'assurance-maladie dans quelques semaines. Ils pourront pratiquer des IVG instrumentales, dès lors que les conditions de sécurité sont respectées. Il y a plus de 300 centres de santé en Île-de-France.
M. Alain Gournac. - Alors, tout va bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. - Leur développement va se poursuivre.
Mme Laurence Cohen. - Je suis ravie que vous souteniez les centres de santé. J'ai signé le pacte en leur faveur. Il faut que les moyens financiers et humains suivent et que les recommandations de l'Igas soient mises en oeuvre. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)
Mme Anne Emery-Dumas . - La création du contrat de praticien territorial de médecine générale dans le pacte Territoire Santé contribue à encourager leur exercice en zones sous-dotées. L'offre médicale dans ces zones a été améliorée.
Cependant, si la densité des généralistes varie de un à deux sur le territoire national, celle des spécialistes varie de un à sept. Quelles améliorations attendez-vous de la création, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, du contrat de praticien territorial de médecine ambulatoire ? Quel sera le budget dédié à cette action ?
Mme Marisol Touraine, ministre. - Le pacte Territoire Santé comporte douze mesures pour faciliter l'installation des professionnels de santé dans les territoires qui en manquent. Le dispositif des praticiens territoriaux de médecine générale a rencontré un grand succès : il y en aura bientôt 400, dont 17 dans votre région de Bourgogne. Un succès tel que nous avons créé un contrat de praticien territorial de médecine ambulatoire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Notre objectif est d'atteindre 200 installations cette année. Nous faisons en sorte que les jeunes médecins aillent dans ces territoires où les patients les attendent.
Mme Anne Emery-Dumas. - Merci. Pour que le patient puisse choisir librement son médecin, il faut que ce choix existe.
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Votre projet de loi provoque colère et inquiétude des professionnels de santé. Après avoir été reporté, il est finalement inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale fin mars.
Les syndicats de médecins ont dénoncé, unanimes, la complexité et la surcharge de travail que représente la généralisation du tiers payant. Les médecins seront désormais payés par plus de 600 organismes qu'ils devront contacter en cas de défaut de paiement. Souvent, les médecins n'ont pas de secrétariat. Ce sera, pour eux, du temps perdu, pris sur les consultations.
M. Alain Gournac. - Ça va mal.
Mme Catherine Deroche. - La médecine libérale, avec nos hôpitaux publics, fait la réputation d'excellence de notre pays.
Mme Marisol Touraine, ministre. - L'ambition du projet de loi santé est de réduire les inégalités de santé. Cela passe entre autres par la prévention et la facilitation de l'accès aux soins. Le tiers payant existe déjà. Quelque 30 % des actes des médecins et professionnels de santé - je ne parle pas des pharmaciens - sont déjà concernés. Il y a eu des étapes. Les cabinets de radiologie l'appliquent déjà.
Je me suis engagée : si nous devons y travailler, c'est pour garantir un système qui ne coûte ni temps ni argent aux professionnels de santé.
M. Alain Gournac. - C'est tout le problème !
Mme Catherine Deroche. - Certes, le tiers payant existe déjà. Mais sa généralisation pèsera lourdement sur les cabinets. Laboratoires et centres de radiologie, d'accord, mais les médecins libéraux n'ont pas de secrétariat. Imaginez-vous qu'ils se consacrent le soir, après leur longue journée de travail à leur comptabilité au tiers payant ? Comment allez-vous faire, concrètement, pour que cela ne coûte ni temps ni argent aux médecins ?
M. Daniel Chasseing . - Les médecins sont de moins en moins nombreux à vouloir s'installer en zone rurale ou hyper-rurale, pour toutes sortes de raisons, qui alimentent l'expansion des déserts médicaux. Pourquoi ne pas élargir le numerus clausus ? Pourquoi ne pas attribuer aux étudiants en médecine une dotation de 2 000 à 5 000 euros de la deuxième à la cinquième année à condition qu'ils s'engagent à s'installer en milieu rural ? Comment ferons-nous face aux besoins sanitaires de demain ? Tant de médecins étrangers s'installent dans notre pays, au détriment de nos étudiants en médecine français. Résultat : on manque de médecins en France.
La Cour des comptes demande la fermeture des maternités qui pratiquent moins de 300 accouchements par an, comme celle d'Ussel dans mon département. Si elles disparaissent, cela mettrait en danger les parturientes qui sont domiciliées à plus d'une heure de voiture.
Mme Marisol Touraine, ministre. - Il y a pour mille habitants plus de médecins en France qu'il y a vingt ans. Le problème n'est pas le nombre de médecins mais leur répartition. Oui, des bourses sont mises en place, de 800 à 1 500 euros pour les étudiants en médecine et en odontologie, en échange de quoi ils s'engagent à s'installer là où il n'y a pas assez de professionnels de santé. Nous avons signé 881 contrats en 2014. 76 contrats ont été signés avec des étudiants en odontologie, et 22 au total dans votre région.
Quant à la maternité, comme celle d'Ussel, qui font moins de 300 accouchements par an, la Cour des comptes a seulement demandé à veiller à leur sécurité, qui est assurée en ce cas, grâce à la coopération avec les équipes médicales.
M. le président. - Par bonté, monsieur Chasseing, bien que vous ayez largement excédé votre temps de parole, je vous la redonne pour une seconde.
M. Daniel Chasseing. - La restriction du numerus clausus est une faute, qui nous prive de praticiens motivés pour s'installer en milieu rural. (Applaudissements sur les bancs UMP)
La séance est suspendue à 15 h 45.
présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente
La séance reprend à 16 heures.