Situation de l'emploi (Questions cribles)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la situation de l'emploi posées à M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.
M. Dominique Watrin . - L'année 2014 a été noire pour l'emploi : 300 000 chômeurs supplémentaires, explosion des emplois de courte durée. Les plus de 50 ans et les jeunes sont les plus durement touchés en raison des effets limités des contrats d'avenir et de génération. Face à cela, le gouvernement continue imperturbablement de distribuer des milliards d'euros aux entreprises avec le CICE et le pacte de responsabilité. C'est une impasse.
Il y a pourtant tant d'emplois à sauver. Dans le Pas-de-Calais par exemple, Arc International, malgré sa reprise par un fonds d'investissement américain, supprimera 200 emplois. MyFerryLink, interdite d'accès au port de Douvres, est menacée de la suppression de 600 emplois. J'aurais pu aussi citer Mecaplast, Stora Enso, la Française de Mécanique ou Bridgestone.
Lorsque Pierre Laurent cite le cas du plan social de Sanofi, annulé par la justice, on lui répond qu'il a été négocié... Vous avez rendu les salariés impuissants à coups d'assouplissements du code du travail Qu'allez-vous faire, monsieur le ministre, pour renverser la vapeur ? Quand redonnerez-vous aux salariés le pouvoir de contrer les logiques financières destructrices ?
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . - L'année 2014 est effectivement une année noire, inutile d'en rajouter : 188 000 demandeurs d'emplois de plus en catégorie A. Je ne nie pas la chute de l'emploi industriel, elle ne date pas d'hier ; elle a commencé il y a deux décennies. Elle s'est accélérée de 2000 à aujourd'hui. La part de l'emploi industriel est passée de 17,5 % à 11 % des emplois depuis 2002. Pour y remédier, le gouvernement a choisi de redonner, par le pacte de responsabilité et de solidarité, des marges de manoeuvre aux entreprises pour qu'elles investissent et embauchent.
M. Dominique Watrin. - Je comprends que votre réponse soit contrainte par le temps mais dans la section VI du projet de loi sur la croissance et l'activité, le gouvernement propose de réduire encore les pouvoirs d'intervention des salariés et de contrôle de l'administration en cas de licenciement collectif...
Cela dit, je suis prêt à participer à toute action de sauvegarde de l'emploi, par exemple sur le dossier de MyFerryLink - il est temps de défendre le pavillon français face une décision unilatérale qui bafoue nos intérêts - ou sur le projet innovant de Stora d'éco-emballages à base de chanvre. Cela suppose de s'opposer aux intérêts égoïstes des actionnaires et des multinationales. En avez-vous le courage et la volonté politique, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Claude Bérit-Débat . - Le chômage continue de progresser, même moins fortement. Vous avez impulsé dans ce contexte une politique volontariste fondée sur l'emploi aidé destiné aux jeunes. C'est un effort remarquable - 445 000 sont budgétés en 2015. Mais quel est son impact réel sur le chômage ? Quel type de contrats faut-il privilégier ? Les contrats aidés dans le secteur marchand semblent permettre une meilleure insertion, pour un coût moins élevé, tandis que ceux du secteur non marchand s'adressent à un public jeune souvent très éloigné de l'emploi, auxquels ils offrent une première chance. Ce recours à l'emploi aidé doit être adapté aux publics ciblés. Comment renforcer l'efficacité de ces contrats, monsieur le ministre ?
M. François Rebsamen, ministre. - En effet, les contrats aidés forment une politique visant à préparer différents publics à l'insertion dans l'emploi. Il est normal que l'État y ait recours. Oui, il y a 445 000 emplois aidés dans la loi de finances initiale pour 2015. À la fin des années 1990, nous en étions à 800 000 emplois aidés... Beaucoup de contrats très courts, en 2012, ont été attribués à des fins purement électorales. (Exclamations sur les bancs UMP) Je vous rappelle que M. Sarkozy à Dijon avait dit qu'il fallait allonger leur durée. Nous en sommes à onze mois aujourd'hui.
Dans le secteur non marchand, les emplois aidés ont, selon l'administration, un meilleur impact pour l'insertion. Je suis, comme vous, convaincu qu'il faut développer les emplois aidés dans le secteur marchand : 80 000 seront destinés en 2015 aux seniors et aux chômeurs de longue durée.
Mme Catherine Procaccia. - On l'avait demandé dès le vote de la loi !
M. Claude Bérit-Débat. - Un peu d'humilité, s'il vous plaît... Je suis un ardent défenseur des contrats aidés. Dans le secteur marchand, il peut y avoir en effet une meilleure insertion. (M. François Rebsamen, ministre, en convient) Mais il faut marcher sur ses deux pieds... Je vous encourage, monsieur le ministre à poursuivre dans cette voie !
M. Francis Delattre. - Nous voilà rassurés !
Mme Françoise Gatel . - Le secteur du BTP se trouve dans une situation catastrophique. Aux effets négatifs de la loi Alur s'ajoutent des contraintes administratives très lourdes, le compte pénibilité, que M. Sapin reconnaît lui-même comme impraticable, et les dispositions restrictives sur le travail des mineurs, qui rend impossible l'apprentissage dans certains métiers. En Bretagne, depuis cinq ans, le secteur du BTP a perdu 800 postes d'apprentis.
Un mot des salariés détachés d'entreprises de l'Union européenne, dont beaucoup ne respectent pas la réglementation en vigueur en matière de conditions de travail ou de salaire. Ces travailleurs sont plus de 200 000 en 2013 contre 26 000 en 2008. En Ille-et-Vilaine, cela se solde par la disparition de 2 000 emplois dans le BTP.
Nous savons que beaucoup travaillent le soir, les week-ends ou les jours fériés. Certes la loi Savary de 2014 a prévu des dispositifs assez coercitifs en cas de fraude. Il faut néanmoins mieux cibler les contrôles...
Comment le gouvernement favorisera-t-il le développement de l'apprentissage ? La règlementation en vigueur est un frein à l'embauche.
M. François Rebsamen, ministre. - Je partage vos attendus. L'emploi dans le secteur du BTP se dégrade indéniablement, le nombre de travailleurs détachés augmente sensiblement - ce qui n'est pas un problème quand ils sont déclarés.
Pour lutter contre le travail détaché, illégal, non déclaré, le Parlement a adopté la loi Savary, qui augmente très fortement l'amende administrative et permet la suspension des prestations de services en cas de manquement grave. À la demande de la Fédération du bâtiment, nous avons mis en place une carte d'identité professionnelle. (Mme Catherine Procaccia s'exclame)
Pour lever les freins à l'apprentissage, je vais prendre un décret sur les travaux dits dangereux pour les jeunes, afin de passer d'une demande d'autorisation à une déclaration. Les contrôles seront renforcés. Je prendrai dans les semaines qui viennent une initiative très forte, avec le Premier ministre, pour lutter contre le travail illégal.
Mme Françoise Gatel. - Dans ma commune, je me suis approchée d'un chantier, un dimanche après-midi, les peintres se sont envolés comme des moineaux...
Mme Catherine Procaccia . - D'après une étude de la Dares, un peu plus d'un tiers des CDI sont rompus avant la fin de la première année : c'est curieux, paradoxal, d'autant plus que la cause la plus importante est la démission du salarié. Le taux de rupture prématurée est particulièrement élevé chez les 16-25 ans, tandis que la part des licenciements et des ruptures conventionnelles est marginale. La moitié des démissions est le fait des personnes les moins qualifiées. Les jeunes sont-ils instables, mal préparés au travail salarié ? Le CDI n'est plus synonyme de stabilité et de fidélité pour l'entreprise, presque 50 % des contrats sont rompus la deuxième année et 60 % la troisième.
Monsieur le ministre, comme le Premier ministre l'avait envisagé un temps, allez-vous rapprocher les obligations des différents contrats ? Cela faciliterait la vie des entreprises, en particulier, des plus petites. Allez-vous suivre la préconisation d'économistes tels que Jean Tirole, prix Nobel d'économie, tendant à créer un contrat unique ? Ou aligner les dispositions relatives aux contrats courts ?
M. François Rebsamen, ministre. - Il est vrai que les ruptures conventionnelles, depuis leur création en 2008-2009, ont connu un franc succès : elles ont augmenté en 2014 de 6 %, pour atteindre le nombre record de 333 000. La moyenne mensuelle tourne depuis 2009 entre 25 000 et 30 000. Vous savez que les partenaires sociaux sont très attachés à ce dispositif. La rupture n'est pas toujours liée à la conjoncture, surtout aux démissions, plus qu'aux licenciements. Je vous laisse tirer des conclusions qui risqueraient de m'attirer les foudres des partenaires sociaux. (M. Philippe Dallier s'exclame)
Le CDI est-il dépassé ? 87 % des salariés sont en CDI, un pourcentage qui a peu varié depuis quinze ans. Faut-il passer à un contrat unique ? Nous avons en France, j'en suis persuadé, tous les types de contrats utiles. Cette question mériterait toutefois une plus longue analyse.
Mme Catherine Procaccia. - Je vous interrogeais uniquement sur les démissions des jeunes en CDI, de l'ordre de 40 % la première année. Le problème de fond n'est-il pas lié à toutes les charges qui pèsent sur les CDD et qui ont été augmentées récemment par la loi de sécurisation de l'emploi ?
M. Pierre-Yves Collombat . - Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le nombre de chômeurs en catégorie A a progressé de 780 000. Sur la première moitié de celui de François Hollande, déjà 610 000 de plus. Je vous fais grâce des autres chiffres. Avant comme après le changement, le diagnostic, les remèdes, les résultats sont les mêmes... Pourtant, comme le dit lui-même Michel Sapin, la conjoncture n'a jamais été aussi favorable ; ni le taux de l'euro, ni le cours du pétrole ne freinent aujourd'hui l'activité. Et si, au lieu de s'acharner à libérer des entraves imaginaires à une mystérieuse croissance, toute prête à bondir, on pratiquait enfin la relance par l'investissement public, tout particulièrement celui des collectivités territoriales ? Qu'en pense le maire de Dijon, monsieur le ministre ?
M. François Rebsamen, ministre. - Les chiffres sont mauvais, je le reconnais. Raison de plus pour ne pas en rajouter, monsieur Collombat ! Entre 2008 et 2012, le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A a augmenté de 740 000, de 550 000 depuis le début du présent quinquennat.
Notre pays a fait collectivement le choix du chômage de masse, c'est-à-dire de la sécurisation générale contre la compétition. D'autres ont choisi le travail à temps très partiel : la Grande-Bretagne a des contrats « zéro heure » qui ne sont, pas plus que les 7,5 millions de mini-jobs en Allemagne, comptabilisés dans les chiffres du chômage... Nous avons des chômeurs qui travaillent plus de 78 heures et sont comptabilisés comme demandeurs d'emploi. Comparaison n'est pas raison.
M. Pierre-Yves Collombat. - Merci pour cette réponse de stricte observance libérale. (Sourires) Pour vous, il n'y aurait pas d'autre choix qu'entre précarité et chômage de masse... Et l'alternative entre politique de l'offre, que l'on nous sert depuis vingt ans, et de la demande, y avez-vous pensé ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean Desessard . - À reprendre les chiffres de l'Insee, un travailleur d'aujourd'hui produit la même valeur en trois fois moins d'heures que le travailleur des années 1960 : le nombre d'emplois a augmenté de 28 %, celui d'heures travaillées a baissé de 8 %, le temps de travail a diminué de 28 % et dans le même temps le PIB par habitant a été multiplié par trois... Avec deux conséquences : le chômage de masse et la précarisation des travailleurs.
La mécanisation du travail hier, la robotisation aujourd'hui, l'intelligence artificielle demain... La productivité a fortement augmenté, dont les fruits ont été accaparés par le capital. Seule solution : le partage du travail. Monsieur le ministre, quand il y a globalement moins de travail, comment faire pour y donner accès à tous ?
M. François Rebsamen, ministre. - Question vaste à laquelle je ne peux pas répondre en deux minutes...Dans tous les pays d'Europe, on a observé une baisse de la durée collective de travail et un développement du temps partiel, choisi ou subi.
Face à cela, les pays ont fait des choix différents. Par exemple, le taux d'employabilité des femmes est beaucoup plus bas en Allemagne, faute de structures d'accueil pour les jeunes enfants.
La baisse du temps de travail est-elle inéluctable ? Si la croissance ne revenait jamais à ses niveaux antérieurs, la question se poserait à tout le monde ...
M. Jean Desessard. - Ne court-on pas après une croissance qui ne reviendra pas ? Ne faut-il pas faire travailler tout le monde plutôt que distribuer l'argent au capital ? On en rediscutera, bien sûr. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Alain Richard . - Une question sur les chiffres de l'emploi : depuis 2010, l'écart se creuse entre les chiffres de Pôle emploi et ceux du BIT - 3,4 millions demandeurs d'emploi comptabilisés par le premier, 2,8 millions par le second, dont les critères servent à établir les comparaisons européennes. Il faudrait mieux comprendre cet écart pour dresser des comparaisons utiles avec nos voisins.
M. François Rebsamen, ministre. - L'écart est en effet de plus de 600 000 unités entre les deux échelles statistiques en 2014. Intéressant car cet écart n'existait pas en 2009. D'où vient-il ? D'abord, de la dispense de recherche d'emplois pour les seniors - 180 000 de 2008 à 2012 se sont trouvés ainsi inscrits à Pôle emploi, auxquels il faut ajouter 200 000 de plus depuis 2012. Autre explication, la possibilité de s'inscrire à Pôle emploi à partir de quatre mois au lieu de six.
M. Alain Richard. - Réfléchissons au cas de ces dispensés de recherche d'emploi. Ils sont employables et même si l'on peut comprendre les motifs sociaux ou liés à la surcharge de nos services de l'emploi qui sont invoqués, pourquoi ne seraient-ils pas comptabilisés dans les chiffres du chômage ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Les chiffres sont cruels, monsieur le ministre : 3,5 millions de chômeurs au 31 décembre 2014. Dans nos départements, nous rencontrons tous des entrepreneurs qui souffrent de devoir supprimer des emplois. Au troisième trimestre, l'emploi salarié marchand recule deux fois plus en Bourgogne, notre région commune, monsieur le ministre, qu'ailleurs en moyenne en France.
Alors, « que faire ? », pour reprendre une célèbre formule. Les emplois aidés ? 60 % de ceux qui ont en occupé un dans le secteur non marchand sont inactifs six mois après la fin de leur contrat. Le CICE ? Son impact est ralenti par sa qualité de crédit d'impôt et il ne s'applique pas directement sur la feuille de paie. Il faut continuer à alléger les contraintes qui pèsent sur le travail, à relancer l'apprentissage et la voie professionnelle. Monsieur le ministre, quel est votre plan de route ?
M. François Rebsamen, ministre. - Dans notre belle région, le taux de chômage est heureusement moins élevé que la moyenne française. Il varie beaucoup de région à région : 8,5 % en Bretagne, 13 % dans des territoires anciennement industrialisés.
Nous avons entrepris des réformes structurelles : droits rechargeables, réforme de la formation professionnelle avec le compte personnel de formation, y compris pour les chômeurs, relance de l'apprentissage qui a donné des fruits dès septembre et octobre derniers, loi de sécurisation de l'emploi, réforme des prud'hommes.
L'engagement que vous me demandez, je le prends : il n'est pas question d'alourdir les contraintes qui pèsent sur les PME et TPE ; il faut au contraire, tout en garantissant les droits des salariés, donner plus de souplesse et d'agilité aux entreprises.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Le président de la République a parlé, ce matin, dans sa conférence de presse, du renforcement de l'éducation prioritaire et la Bourgogne, pendant ce temps, perd des ZEP... Sur le terrain, l'apprentissage régresse, comme à Migennes. Il faut passer des pétitions de principe aux actes. Et travailler à une micro-échelle, c'est pas à pas qu'on gagnera la bataille de l'emploi...
La séance est suspendue à 15 h 45.
présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président
La séance reprend à 16 heures.