Rappels au Règlement (Mise en cause du bicamérisme par le président de l'Assemblée nationale)
M. Bruno Retailleau . - En déclarant ce matin : « Je suis pour la suppression du Sénat en tant que Sénat sous la forme qu'on connait aujourd'hui », le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a commis une faute grave. Il laisse entendre que le travail du Sénat ne vaut rien. Faut-il lui rappeler que 73 % des amendements votés par le Sénat sont repris par l'Assemblée nationale, que le Sénat remet les textes de l'Assemblée nationale sur l'ouvrage pour les rendre juridiquement acceptables, que notre travail sur la réforme territoriale a été salué par les élus de droite comme de gauche ? Visiblement, le président Bartolone a dû mal à supporter la qualité de nos travaux. Pis encore, il se contredit puisqu'en avril, il se déclarait, lors d'un colloque, favorable au bicamérisme. Le Sénat de gauche lui convenait visiblement. Repassé à droite, il serait une anomalie démocratique ? Conception toute personnelle de la démocratie... Enfin, en attaquant violemment, frontalement le Sénat dans son existence, le président Bartolone rompt l'unité démocratique voulue par le président de la République. (Applaudissements des bancs RDSE aux bancs UMP) Ce Sénat utile et exigeant, c'est le Sénat que nous aimons et que nous voulons pour la République française. (Mêmes mouvements)
M. Jacques Mézard . - Comme tant d'autres ici, j'ai été choqué par les propos du président Bartolone. Toutes les expressions sont acceptables en démocratie, mais quand c'est le président de l'Assemblée nationale qui s'exprime, ce n'est pas neutre. Depuis des mois, je pense qu'il y a une volonté, au sein de l'exécutif, peut-être pas majoritaire, de supprimer la Haute Assemblée. Si c'est le cas, dîtes-le, madame et messieurs les ministres ! D'autres ont essayé à d'autres époques. Je parle au nom d'un groupe peu nombreux mais dont l'histoire se confond avec celle du Sénat, qu'il a longtemps présidé et qui a résisté à d'autres époques.
Le Sénat est l'expression de la liberté. Nous avons souvent manifesté - ensemble, chers collègues socialistes - notre attachement au Sénat.
M. Jean-Louis Carrère. - Et on le refera !
M. Jacques Mézard. - Je ne sais pas, car ce qui est en cause est fondamental. Nous sommes foncièrement attachés au bicamérisme. (Applaudissements au centre et à droite)
Quelques heures après une émission qui n'honore pas le service public...
M. Philippe Dallier. - C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Jacques Mézard. - ...ces propos du président de l'Assemblée nationale ne peuvent que traduire une volonté. Cette volonté, nous allons la combattre avec force, avec conviction. On ne peut pas constamment remettre en cause les institutions !
Chers collègues socialistes, vous avez été nombreux à faire campagne en septembre ; vous n'êtes pas allés dire : supprimons le Sénat ! (Applaudissements au centre et à droite) Lorsque le président Bel a été élu, vous avez magnifié le Sénat. Relisez son discours d'investiture où il décrivait le Sénat comme « défenseur des libertés publiques, des libertés individuelles et des libertés territoriales » ! En avril 2014, le président Bartolone lui-même louait le bicamérisme, alliance de la puissance du suffrage universel et de la réalité des territoires. Toutes les assemblées ont besoin de se moderniser : il en est qui feraient mieux de balayer devant leur porte avant de donner des leçons aux autres ! (Applaudissements sur les bancs UMP, UDI-UC, RDSE ; plusieurs sénateurs socialistes et CRC applaudissent aussi)
M. Vincent Capo-Canellas . - Le groupe UDI-UC a été étonné des déclarations du président de l'Assemblée nationale. Je réaffirme notre conception d'un Sénat, défenseur des libertés au service des territoires, qui apporte sa valeur ajoutée à l'écriture de la loi, qui éclaire l'avenir.
Notre assemblée a toujours montré qu'elle a été à même de dépasser les clivages pour mener les réformes utiles au pays. Nous ne comprenons pas qu'un président d'une assemblée puisse ainsi critiquer l'autre assemblée, cela va contre tous les usages. Cet esprit de réforme, le Sénat se l'applique à lui-même.
Monsieur le président, vous poursuivez les réformes engagées sous votre premier mandat, en ayant constitué des groupes de travail pour moderniser notre institution. Au lendemain d'une émission de télévision caricaturale, tendancieuse, dénigrant notre maison (Applaudissements au centre et à droite), le groupe UDI-UC sera à vos côtés pour défendre notre institution et la démocratie. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC, UMP et RDSE)
Mme Éliane Assassi . - Les déclarations de M. Bartolone sont pour le moins maladroites, voire regrettables. On ne jette pas ainsi en pâture à l'opinion, sur un plateau de télévision, un sujet aussi essentiel pour le devenir de nos institutions et de la démocratie. M. Bartolone a mis en place au Palais Bourbon un groupe de réflexion sur l'avenir de nos institutions ; qu'il le laisse travailler sans faire d'annonces. Ses propos peuvent contribuer à nourrir la défiance populaire, envers le personnel politique, avec de possibles dérives populistes. (Applaudissements sur les bancs CRC, des bancs RDSE jusqu'aux bancs UMP).
Mon groupe demande depuis longtemps un débat sur une VIe République, rénovée, dans la plus grande responsabilité, sérénité et transparence possibles, pour l'ensemble de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes, écologistes, au centre et à droite).
M. Jean-Pierre Sueur . - En ce lieu où Victor Schoelcher s'est levé pour combattre l'esclavage, où Victor Hugo a défendu le progrès, les libertés et la République, nous défendons le Sénat, non de manière corporatiste, mais parce que nous sommes profondément attachés au travail que nous y faisons tous. Le grand tort de l'émission d'hier, c'est de n'avoir pas parlé du travail législatif que nous faisons ici. (Applaudissements) Nous sommes pour le bicamérisme, car s'il y a une chambre unique, plus de débat, plus de navette, plus de construction patiente de la loi, afin qu'elle soit la meilleure possible. Défendons le Sénat, la loi, l'esprit de la loi, indissociable de la République. (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Jean-Vincent Placé . - À peine trois semaines après les évènements dramatiques qui ont meurtri le pays, et la mobilisation exemplaire des Français attachés aux valeurs de la République, le moins que l'on puisse dire, c'est que tout ce qui fait en sorte que surgissent des failles dans cette unité est malvenu. Les propos du président de l'Assemblée nationale sont inadaptés et inopportuns. Cela dit, nous ne pouvons pas être seulement sur la défensive. Les parlementaires écologistes de l'Assemblée nationale et du Sénat ont toujours été pour le bicamérisme. (Applaudissements sur les bancs écologistes) La navette est essentielle à la loi. Il faut prendre le temps de l'écrire. Quand il s'agit par exemple de la sécurité du pays, on ne peut faire rapidement la loi dans la seule Assemblée nationale.
Avec franchise et sincérité je le dis aussi, l'émission d'hier était catastrophique pour l'image du Sénat. Nous devons nous renforcer. Répondons au président Bartolone, que nous sommes utiles, que nous travaillons. Soyons exemplaires, transparents, sur les comptes de la maison Sénat et des groupes politiques, sur l'IRFM. Oui au Sénat, au bicamérisme, à la modernité, à la rénovation, engagée par le président Larcher. C'est la meilleure réponse à apporter au président Bartolone. (Applaudissements sur les bancs écologistes, RDSE, au centre et à droite)
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - J'ai été élu président du Sénat pour tous et toutes, que vous ayez ou non voté pour moi. Le bicamérisme, c'est plus de démocratie, plus de liberté, plus de représentation des territoires, pour la République. Cette responsabilité, je l'assumerai pleinement et sans faiblesse. On me dit rond, je suis aussi un homme de décision. Assemblons-nous autour de la République, y compris lorsqu'on pense VIe ! Moi, je suis profondément attaché à la Ve République, sur laquelle le président de la République a pu s'appuyer dans ces jours difficiles.
Nos deux groupes de travail fonctionnent. Il faudra du courage, le moment venu, pour adopter les méthodes de travail de nos assemblées et pas seulement du Sénat. Les commissions mixtes paritaires ne doivent pas être caricaturales. Nos trois rapporteurs nous feront le moment venu des propositions : vous ne serez pas déçus ! Dans ces temps de crise et de désarroi, on ne peut jouer ainsi avec les institutions de la République. J'ai dit au président de la République que je lui remettrai directement le fruit de mes réflexions sur l'engagement républicain et le sentiment d'appartenance nationale à la fin du mois de mars. Nous avons besoin de nous sentir de la même République, quel qu'en soit le numéro, attachés aux valeurs fondamentales de notre pays et à la modernité, en puisant dans nos traditions la force du devenir ! (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP et de l'UDI-UC se lèvent et applaudissent ; Mmes et MM. les sénateurs socialistes, RDSE, écologistes et CRC applaudissent également)