Débat : « La France dispose-t-elle encore du meilleur système de santé au monde ? »
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « La France dispose-t-elle encore du meilleur système de santé au monde ? » à la demande du groupe RDSE.
M. Gilbert Barbier, pour le groupe RDSE . - Le système de santé est-il le meilleur du monde ? Question provocatrice, voire indécente ? Comment remettre en cause cette assertion qui prit naissance avec les Lumières, dans le tablier de Bichat, et s'inscrit dans la longue suite des grands noms - Laennec, Trousseau, Bernard, Pasteur (même s'il n'était pas médecin) - qui ont fait l'histoire de la médecine, désormais mondiale.
Être champion flatte l'orgueil national. Mais les parlementaires ont un rôle à jouer dans l'évaluation, plus que jamais nécessaire aujourd'hui, de notre système de santé qui se dégrade lentement, insidieusement, inexorablement. Didier Sicard distinguait en 1998 médecine et santé publique. Selon lui notre médecine de soins est une médecine chère, mais efficace tandis que notre santé publique jacobine s'adresse directement aux préfets - aujourd'hui aux ARS -, toute information remontant du bas étant jugée comme dénonciatrice et policière.
L'épidémiologie fait défaut. La multiplication des réformes qui se contredisent ont suscité la perte de confiance et le doute de nos concitoyens. De nombreuses études aboutissent au même constat, celui d'un système à bout de souffle. Les économistes regrettent l'absence de données épidémiologiques globales.
On peut s'enorgueillir de pépites, de la présence dans notre pays de centres de recherche de notoriété mondiale, de pôles d'excellence dans des domaines sophistiqués mais là aussi des problèmes se posent, que je n'aborderai pas aujourd'hui. Je m'en tiendrai à la dispense de soins.
Le premier problème concerne le financement. Notre pays consacre pourtant une part importante de son PIB à la santé. Y aurait-il mésusage, alors qu'on ne cesse de tenter d'endiguer un déficit sans cesse croissant ? Il faut dépenser moins, surtout mieux et différemment, quitte à revoir le mode de financement de notre protection sociale. Se fonder sur la seule activité n'est pas satisfaisant. La gestion paritaire est-elle encore adaptée ? Les difficultés ont commencé dans les années 80 avec la montée du chômage. Les ordonnances Juppé de 1995 ont créé la régulation étatique, avec l'Ondam. Depuis, la méthode des coups de rabot annuels a atteint ses limites. Il faut reprendre l'ensemble.
La dépense de soins se partage entre l'hôpital et la médecine de ville. Le premier est tabou. Il y a trop d'établissements. Certains grands CHU sont performants, d'autres ne disposent pas de toutes les spécialités et, pour subsister, traitent des patients atteints d'affections banales, avec un prix de journée excessif. Je sais que les CHU doivent fournir tous les enseignements mais des stages mieux organisés dans des établissements périphériques ou en cabinets pourraient régler le problème. Il faut repenser le rôle des CHU, comme établissements d'excellence pour les spécialités pointues, à ne pas confondre avec des établissements de proximité.
Les hôpitaux généraux souffrent de la pénurie de spécialistes de qualité. Coute que coute, il faut pourvoir les postes, et donc faire appel à des médecins aux compétences non vérifiées ou recourir à des vacataires qui assurent des remplacements à un tarif ruineux. Il faut instaurer des commissions de recrutement pour stopper la dégradation du niveau médical. En raison de la perte de confiance de la patientèle et de la crédibilité des généralistes, le recours à l'hôpital devient un pis-aller. Admettons que l'on ne peut faire tout, partout et bien. La notion de proximité est un faux argument.
Le professeur Guy Vallancien avait évalué en 2006 la qualité des plateaux techniques : 130 d'entre eux avaient été jugés insuffisants, médiocres, voire dangereux. Aucune suite n'a été donnée à son enquête. Quelle sera celle de la Cour des comptes sur la sécurité dans les maternités ? Il conviendrait de repenser la cartographie hospitalière en associant le réseau public et le réseau privé. L'ensemble des données détenues par l'assurance-maladie ne sont pas connues.
Il faut améliorer la qualité de la prise en charge, ce doit être l'objet d'une réforme hospitalière d'envergure. Il y a quelques années, Gérard Larcher estimait à 60 000 le nombre de lits excédentaires. Il est urgent de mieux prendre en charge les différentes pathologies, de façon plus efficace, à l'image du plan cancer.
Le recours aux services d'urgence est excessif, pour un coût estimé à deux milliards d'euros par l'assurance-maladie, pour 650 000 patients en 2012.
La question de la permanence des soins est posée avec celle de la démographie médicale : il faut s'interroger sur le numerus clausus, la féminisation, les modes de vie, la rémunération, le statut, la responsabilité pénale, le principe de précaution. Il y a là un problème global. Il s'agit d'un choix de société. Le dialogue singulier médecin-malade va-t-il disparaitre ?
La formation pose problème : l'art est-il devenu une science ? Alors que se multiplient les spécialités - elles sont 32, dont 16 chirurgicales - et que peu de place est laissée dans le cursus initial à la clinique, mal aimée par les étudiants, jugée archaïque, « qui oblige à se confronter au corps humain », comme l'écrivait encore le professeur Sicard.
Introduire dans l'enseignement une initiation à la psychologie n'est pas un luxe. Certaines disciplines sont sinistrées, d'autres menacées. Obtenir un rendez-vous avec un gynécologue obstétricien, un ophtalmologue, un pédiatre ou d'autres spécialistes exige de s'armer de patience et est parfois cause de renoncement aux soins. Il est urgent de se saisir de ce problème, dont le Conseil de l'ordre devrait assurer le contrôle et l'évaluation. Le retard en équipements lourds d'imagerie nuit à la prise en charge des malades graves. La commission des affaires sociales m'a chargé avec Yves Daudigny d'étudier la surconsommation de médicaments, notamment psychotropes. La prévention est un sujet d'avenir. Qui doit la prendre en main ? La sécurité sociale ? Les associations ? Les professionnels de santé ? Comment la financer, comment la pratiquer ?
Des campagnes sont bien menées, mais il y a encore matière à réfléchir à une plus grande efficacité.
La médecine du travail et la médecine scolaire souffrent d'une certaine marginalité alors qu'elles ont toute leur utilité pour la prévention et le dépistage.
Notre système de santé qui a longtemps été un modèle peut retrouver, à l'aube du XXIème siècle, sa grandeur. Mais rien ne se fera sans les professionnels, les patients, les financeurs et les pouvoirs publics.
Mme Laurence Cohen . - Le Préambule de la Constitution, la Charte européenne des droits de l'homme, le programme du CNR se sont fixé pour grande ambition sociale d'ériger en droit quotidien ce qui fut longtemps le privilège d'une minorité. Cette construction sociale rencontre des difficultés et nous proposons de maintenir une protection solidaire. Pour nous, la santé n'est pas une marchandise. Notre sécurité sociale, qui repose sur le financement de chacun selon ses moyens et une distribution selon ses besoins, ne relève pas d'une utopie révolue. La grande majorité des Français souhaitent que ce système perdure et demeure public.
Hélas, nous dénonçons la fracture sociale grandissante de l'accès aux soins. Nous devons apporter une réponse globale, face à la dynamique de privatisation de notre système de santé.
La question n'est pas de savoir si notre système est le meilleur du monde, mais de dénoncer les effets négatifs des politiques d'austérité, auxquels il résiste difficilement : la loi HPST, la TAA, la diminution de l'Ondam ont des effets mortifères.
Le nombre de passage aux urgences a progressé de 75 % de 1996 à 2011. Les fermetures de maternité sont allées de pair avec celles de centres d'IVG. Les conditions de travail des professionnels se sont dégradées. Nous assistons à une véritable stratégie de transfert des pathologies et populations solvables vers le secteur privé. Or notre système de sécurité sociale pâtit d'un déséquilibre financier qui s'aggrave en raison du chômage, de la chute de la masse salariale, de la financiarisation de notre économie, sans oublier les exonérations et la fraude aux cotisations patronales. Il faut améliorer la santé financière de notre système par un financement plus juste. Soumettre les revenus financiers des entreprises à cotisations, supprimer les exonérations dont elles bénéficient, lutter contre la fraude patronale dégagerait d'importantes recettes.
Ainsi, l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, ce serait 52 milliards d'euros de ressources en plus pour notre sécurité sociale. Il faudrait remplacer les ARS par des conseils cantonaux qui assureraient un contrôle démocratique, relayé à l'échelon régional et national.
La relance de l'hôpital public est une priorité, tant en terme de financement qu'en terme de personnels. L'offre de santé doit y articuler la médecine de ville. Les centres de santé doivent disposer de moyens à la hauteur de leurs missions. Pour supprimer les obstacles dans l'accès aux soins, il faut une meilleure prise en charge par la sécurité sociale.
Le temps me manque pour traiter de la prévention et du dépistage. Les dépassements d'honoraires doivent être supprimés, la formation médicale revue. Le financement des études devrait s'accompagner d'un engagement de travailler cinq ans dans le système public. La France ne doit pas viser une médaille d'or sur un podium, mais renforcer son système et le partager avec les autres pays. Partisans d'un internationalisme progressiste, nous souhaitons une nouvelle politique mondiale de santé fondée sur les besoins des populations, la coopération et non la concurrence, la satisfaction des patients et non l'augmentation des profits d'une minorité d'actionnaires. (M. Dominique Watrin applaudit)
M. François Fortassin . - Notre excellent collègue Gilbert Barbier a bien posé le problème. J'interviens comme élu, bien sûr, mais aussi comme malade potentiel.
Notre système de santé est au coeur de notre pacte républicain. Pour 92 % des personnes interrogées pour le compte de la fédération hospitalière de France, les patients qui ont plus d'argent ont plus de possibilité de se faire soigner. Notre système de santé n'est plus égalitaire. Des millions de personnes en sont exclues, pour des raisons financières. Cela n'est pas tolérable. La mise en place d'un observatoire des dépassements d'honoraires est un progrès.
De plus en plus de nos concitoyens, dans les zones rurales, notamment, sont touchés par des difficultés d'accès aux soins : c'est la désertification médicale. Pour y remédier, il est judicieux de construire des maisons de santé à condition que les projets immobiliers soient portés par les collectivités territoriales et les projets de santé par les médecins et professions paramédicales. Ainsi peut aussi se développer une politique de prévention. On ne trouve plus guère d'installation individuelle dans nos communes.
La mutualisation des ressources médicales assure un meilleur suivi des patients. C'est le cas dans la maison de santé que j'ai eu l'honneur d'inaugurer récemment. La féminisation des métiers de médecin ne nuit pas à la qualité...
Mme Patricia Schillinger. - Attention à ce que vous allez dire !
Mme Laurence Cohen. - Nous veillons ! (Sourires)
M. François Fortassin. - ...bien sûr, mais réduit le temps que les médecins consacrent à leur pratique...
M. Alain Bertrand. - Très bien !
M. François Fortassin. - C'est un fait ! Les patients doivent participer eux-mêmes à l'évaluation. J'en viens à la question de la formation insuffisante des généralistes en matière de prise en charge des addictions. Il est urgent, madame la ministre, de prévoir la création de modules adaptés, dans le cadre du prochain projet de loi de santé.
Mme la présidente. - Concluez, je vous prie.
M. François Fortassin. - La médecine, libérale dans son exercice, doit être soumise à la puissance publique dans son organisation. Soyons optimistes : notre système de santé, s'il n'est plus le meilleur du monde, reste extrêmement performant. (Applaudissements sur les bancs RDSE)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - La semaine dernière, la Cour des comptes a rendu son rapport sur les maternités, commandé par notre commission des affaires sociales. Ses conclusions ne sont pas des plus optimistes : la France est passé en dix ans du 6e au 17e rang européen au regard de la mortalité néonatale.
Ce que l'on observe au niveau des maternités vaut-il pour l'ensemble de notre système de santé ? La question révèle une inquiétude, mais aussi l'image positive que les Français se font de leur système de santé. Ainsi Jean de Kervasdoué se félicitait-il dans son Carnet de route de 2012, d'être français, après chaque séjour à l'étranger.
Notre système est-il donc menacé ? Il s'améliore mais progresse moins vite que celui d'autres pays. Le problème viendrait donc moins de la dégradation de notre système que de l'amélioration des performances des autres. Nous n'avons que la 9e espérance de vie des pays occidentaux, et sommes 3e dans le classement de la mortalité par crise cardiaque.
Certaines des contre-performances françaises n'ont rien à voir avec la qualité du système de santé car elles sont directement liées au mode de vie : la France demeure numéro 1 pour la consommation d'alcool et le tabagisme progresse chez les femmes.
Un système de santé peut être jugé à l'aune de deux critères : le service rendu au patient et son efficience. Même si les données chiffrées font défaut, tout incite à penser que notre système a de substantielles marges d'amélioration. Notre pays est 14e de l'Union européenne pour la mortalité prématurée - avant 65 ans - des hommes. La France est aussi mal classée pour les accidents du travail.
Elle est le pays européen où la part des dépenses de santé dans le PIB est la plus élevée : 11,2 %, près du double de l'Estonie, certes tout en bas du classement. En nombre de lits d'hôpitaux rapportés à la population, la France se situe au 8e rang européen ; elle est 17e en taux d'équipement en IRM et 20e pour les scanners. Elle demeure bien le premier consommateur européen de médicaments. Le poids du médicament dans le PIB y est le plus élevé d'Europe.
Le niveau de santé en France n'est pas en corrélation avec les dépenses engagées dans le système de soins. Les moyens sont en décalage sur les résultats, en raison de dysfonctionnements, soulignés par Gilbert Barbier, bien identifiés désormais. La création des ARS a constitué une avancée notable dans la coordination des moyens.
Beaucoup reste à faire, c'est l'objet de la prochaine loi de santé. Celle-ci aura-t-elle les moyens de nos ambitions ? La relance du dossier médical personnalisé est de nature à réduire les actes redondants et inutiles. Je l'avais proposé en tant que rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale. On n'a pas encore réussi à faire reculer la désertification médicale, malgré les mesures déjà prises.
Cela fait plus de dix ans que la France est supposée s'être dotée d'une politique de prévention, laquelle tarde à faire ressentir ses effets. En a-t-on les moyens ou n'est-ce qu'un voeu pieux ? La France bat des records d'infections iatrogènes à cause de la culture française du médicament. Il faudrait éduquer les patients, rationaliser les prescriptions et peut-être pourrons-nous un jour dire de nouveau que nous avons le meilleur système de santé au monde. (Applaudissements sur les bancs RDSE, au centre et à droite)
M. Alain Milon . - La question posée ce matin est simple et directe ; la réponse ne saurait l?être autant. La France a eu le meilleur système de santé au monde, mais aujourd'hui ? Selon Roger Salomon, président du Haut Conseil de santé publique, la France est désormais en la matière « un pays moyen, parfois meilleur, parfois moins bon que ses voisins selon les domaines ». La pérennité du système pourrait être menacée par un insuffisant renouvellement de la population médicale.
La recherche de la qualité fait partie de notre quotidien dans tous les domaines. Toutes les études concordent pour montrer que celle de notre système de santé laisse à désirer. La notion de soin a changé considérablement ces dernières années. Les progrès techniques et organisationnels récents l'ont rendu efficace. Initialement d'essence religieuse, il ne se réfère plus à aucune transcendance. La personne qui en bénéficie était définie par sa passivité, elle l'est désormais par ses droits et est considérée comme l'acteur principal du processus.
Les établissements de soins ont pendant les Trente Glorieuses bénéficié d'un développement continu, sans forcément prendre en considération le ressenti d'une déshumanisation, d'un cloisonnement entre services, du morcellement des tâches dû à une extrême spécialisation.
Depuis quelques années, les pays européens sont confrontés aux mêmes défis : produire une offre de qualité accessible à tous. La politique de santé demeure aux mains des gouvernements nationaux qui souhaitent que cela reste ainsi. Ce n'est pas surprenant dès lors que plus de 10 % du PIB sont en jeu. Les ministères des finances ont sans doute une prise trop forte sur le système de soins. Reste qu'il faut une régulation du marché, à plus forte raison lorsque les déséquilibres internationaux conduisent les professionnels de santé à migrer là où les salaires sont plus élevés.
Les dépenses de santé ne se réduisent pas en proportion des investissements dans la prévention ; c'est un paradoxe.
En France, le marché est imparfait : efficient pour les soins de ville, moins pour le traitement des pathologies de longue durée.
Le coût du médicament est un autre problème. Encourager les prescripteurs à se tourner vers les génériques n'a pas suffi.
Il faudra se montrer plus persuasif en matière de santé publique. Pour rester performant, le monde du soin devra ainsi s'adapter à la nouvelle donne technique, spirituelle, anthropologique. La qualité ne se décrète pas.
Mme Nicole Bricq. - Elle s'évalue tout de même.
M. Alain Milon. - Oui, elle se mesure : elle est liée à l'évaluation de la performance des individus et des structures. L'évaluation des pratiques professionnelles mise en oeuvre par la Haute Autorité de Santé va dans le bon sens.
La France dépense beaucoup pour sa santé, pour des résultats qui ne sont pas à la hauteur des sommes engagées. La France est le sixième pays le plus dépensier après le Luxembourg, mais le troisième en parité de pouvoir d'achat, derrière les États-Unis et les Pays-Bas. Méfions-nous toutefois des chiffres : si les indicateurs sont définis au niveau de l'Union européenne, les systèmes d'information pour les renseigner ne sont pas harmonisés. La plus grande fréquence de telle ou telle pathologie peut révéler non une situation défavorable mais un meilleur dépistage.
Reste que les tendances lourdes sont incontestables : espérance de vie, natalité, sécurité routière, hospitalisation courte, taux de mortalité par maladie cardio-vasculaire, sont nos atouts. Parmi nos faiblesses, comptons une mortalité périnatale et une mortalité prématurée avant 65 ans trop élevées, fréquence élevée des cancers, problème constant du tabac, de l'alcool, des drogues, du suicide.
Nous examinerons bientôt le projet de loi santé. Sans entrer dès à présent dans le débat, je crains que ses objectifs ne soient trop généraux. Le financement du système reste assuré pour les trois quarts par la sphère publique. Réfléchissons au moyen de redonner aux praticiens leur place dans un système que l'on a tendance à recentraliser.
Un modèle de santé est le fruit de l'histoire. Chacun est libre de se soigner ou non. Sous réserve qu'il n'altère pas la liberté des autres. Ainsi chaque citoyen est libre du choix de son médecin, à lui de s'assurer qu'il soit de qualité. Aucun autre pays n'offre une telle liberté au service de l'égalité. Préservons-la. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Patricia Schillinger . - Notre système de santé est à la croisée des chemins. C'est l'un des plus performants au monde : le meilleur, selon l'OMS. Les femmes vivent 85 ans ; les hommes, 78 ans...
Mme Nicole Bricq. - Ils nous rattrapent.
Mme Patricia Schillinger. - ...malgré une alimentation riche et une forte consommation d'alcool et de tabac. Pour l'OCDE aussi, notre système continue à assurer l'une des meilleures prises en charge. Mais sa pérennité est menacée par un renouvellement insuffisant des médecins.
Les inégalités professionnelles, territoriales et sociales sont grandes et jouent très tôt, se manifestant par une prévalence précoce des caries dentaires ou de l'obésité par exemple. C'est ainsi que 39 % des Français ont déjà renoncé à des soins en raison de leur coût.
L'offre de soins est répartie de façon inégalitaire. Les délais s'allongent dans les zones rurales et les déserts médicaux se multiplient à la campagne et en banlieue. Les dépassements d'honoraires freinent l'accès aux soins. Et nos inégalités, records en Europe, s'accroissent. Les plus favorisés sont en meilleure santé, et ont 1,5 à 2 fois plus de chances de guérir que les autres. Les moins favorisées ont jusqu'à trois fois plus de risques de donner naissance à un prématuré. À 35 ans, un ouvrier a une espérance de vie de sept ans inférieure à celle d'un cadre.
En cause, une politique axée sur la performance médicale. De fait, les résultats sont bons, en matière de maladies cardiaques par exemple : mais le dépistage et la prévention sont insuffisants. Il faut en faire une priorité. La crise renforce la nécessité d'y remédier, en promouvant l'éducation à la santé. Une telle initiative serait de plus source d'économies, alors que l'on annonce une augmentation de 55 % du nombre de diabétiques d'ici 2025. Les facteurs de risques sont bien identifiés : tabac, alcool, environnement, produits illicites. Nous pouvons donc agir. Des politiques ciblées doivent être menées à cette fin et coordonnées aux autres politiques publiques. Je me réjouis que le projet de loi santé mette l'accent sur la prévention.
Dans les maternités, la sécurité des naissances demeure imparfaite. Les décrets de 1998 ne sont pas pleinement respectés.
Mme Nicole Bricq. - C'est vrai.
Mme Patricia Schillinger. - La Cour des comptes relève une planification insuffisante, des carences dans les effectifs, des inégalités territoriales. La sécurité de la prise en charge est insuffisante. Faire respecter les décrets de 1998 est un enjeu de santé publique fondamental.
Un mot sur les médicaments. Les génériques sont 30 % plus chers que chez nos voisins, voire 100 % pour les anti-hypertenseurs. La France a signé un document avec quinze de nos partenaires pour demander une action commune au niveau européen. Les laboratoires arguent des coûts associés à la recherche alors qu'ils n'y consacrent que 15 % de leurs investissements contre 20 à 25 % pour le marketing et la publicité. Il faut encourager la transparence, et prévenir les ruptures de stocks. Entre septembre 1992 et octobre 2013, plus de 200 ruptures ont été enregistrées. Les monopoles d'exploitation scellent notre dépendance à l'égard de l'industrie pharmaceutique. Comment, dans ce cadre, assurer la maîtrise de notre chaîne du médicament ?
Mme Nicole Bricq. - Bonne question !
Mme Patricia Schillinger. - Le projet de loi du gouvernement est très attendu pour préparer au mieux notre avenir. (Applaudissements à gauche)
Mme Aline Archimbaud . - Je remercie le groupe RDSE pour ce débat qui nous aide à préparer le débat relatif au projet de loi Santé.
Le groupe écologiste salue la compétence de nombreuses équipes de professionnelles de santé, qui font vivre notre système, de grande qualité. L'OMS l'a qualifié de meilleur au monde il y a bientôt quinze ans. Depuis, la situation a évolué, en France et à l'étranger.
Les inégalités d'accès aux soins restent très fortes. Jean-Marc Ayrault m'avait confié une mission à ce sujet et j'avais proposé entre autres le tiers-payant intégral. Je salue la détermination de la ministre sur ce point et j'espère que les médecins de bonne foi qui en craignent la lourdeur administrative seront rassurés.
Je souhaite aussi que l'on endigue les dépassements d'honoraires et renforce l'offre de soins à destination des plus fragiles. Comment accepter que 30 % - et même 40 % en Île-de-France - des bénéficiaires potentiels ne parviennent pas à faire aboutir leur dossier de CMU-C ?
La moitié des cancers sont évitables ; les maladies chroniques, d'une manière générale, sont un fléau. Nous devons renforcer la prévention. Le constat est là, partagé. Mais les actes tardent. Le bisphénol A est interdit depuis 2015. Mais quid des autres perturbateurs endocriniens, des pesticides, des nano-matériaux ? Le projet de loi est à rééquilibrer sur ces points, en renforçant les observatoires régionaux de santé, qui doivent pouvoir suivre les populations. Nous regrettons qu'ait été adoptée ici une proposition de loi constitutionnelle prévoyant la suppression du principe de précaution.
Renforcer la prévention, réguler le prix des médicaments, séparer les décisions publiques des pressions exercées par des groupes d'intérêt sont des impératifs et des pistes d'économies. Concilions pédagogie et prévention. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Deroche . - La France dispose encore d'un bon système de santé. Le meilleur ? C'est moins sûr. Comment garantir à chacun un meilleur accès aux soins ? Ce débat est utile ; j'en remercie Gilbert Barbier.
L'Opecst s'est penché sur les progrès de la génétique et de la médecine personnalisée en général. Celle-ci aura un impact majeur en termes économiques et bouleversera notre système. Notre pays ne doit pas décrocher. Il faut pour cela mieux former nos professionnels. Le président Mézard l'a montré dans son rapport sur les dérives thérapeutiques.
La collaboration entre professionnels de soins n'est pas naturelle ; elle se développe néanmoins. La prise en charge de la maladie chronique doit s'appuyer sur l'éducation thérapeutique des patients. C'est un processus permanent. Des expérimentations sont en cours pour des pathologies cardiaques. L'impact est positif, à plus long terme, pour les comptes sociaux. La loi HPST a rendu possibles de telles expérimentations.
Nous attendons avec importance la future loi Santé. Pour relever les défis sans creuser les déficits, il faudra faire des choix politiques. Madame la ministre, vous pouvez compter sur l'implication totale du groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Philippe Mouiller . - La France dispose d'un bon système de santé ; encore faudrait-il que tout le monde puisse y accéder. L'article 11 du Préambule de la Constitution de 1946 proclame en effet ce droit fondamental.
Le nombre de médecins a augmenté de 1,6 % en 2013. Le taux de médecins par habitant est bon. C'est le nombre de généralistes qui fait problème : il a baissé de 6,5 % depuis 2007 et ceux-ci vieillissent : un quart d'entre eux ont plus de 60 ans. La profession a beaucoup évolué. Elle s'est féminisée. Le temps partiel a progressé.
La médecine générale, l'installation à la campagne, l'exercice seul, séduisent moins. Résultat : les déserts médicaux progressent. La situation est plus complexe qu'il y parait, qui ne se résume pas à la division zones rurales-zones urbaines.
Nous restons attachés à la liberté d'installation. Au reste, la contrainte n'a jamais fonctionné. Il faut revoir notre organisation. La présence de médecins est un élément fondamental d'attractivité. Seule la concertation avec les élus locaux peut faire avancer les choses. Maisons de santé, télémédecine font partie des pistes à étudier.Les maisons de santé bénéficient à tous et la coordination des soins est un gage de qualité.
L'article 88 du code de déontologie médicale autorise les médecins à s'adjoindre le concours d'étudiants lorsque la situation l'exige. J'inaugurerai une maison de santé prochainement - vous êtes la bienvenue, madame la ministre. Six ans ont été nécessaires pour mener le projet à bien, car les démarches administratives sont complexes et les délais excessifs, surtout quand des fonds européens sont associés à son financement.
Aux pouvoirs publics d'encourager les projets novateurs en simplifiant les démarches et en renforçant les procédures de coordination. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion . - Je remercie le groupe RDSE pour son initiative, et l'ensemble des intervenants, qui témoignent de leur attachement à notre système de santé.
Ce système repose avant tout sur des professionnels qualifiés, en ville comme à l'hôpital ; des médicaments performants, distribués par un réseau dense de pharmacies ; des établissements de santé et des hôpitaux publics répartis sur tout le territoire. Je tiens à saluer le dévouement des professionnels de santé mobilisés sur le front de la lutte contre le virus Ebola, en France et en Afrique, comme de ceux qui sont intervenus lors des récents attentats.
Notre système reste excellent et le restera parce qu'il est capable d'évoluer. Ce constat est partagé par les professionnels comme par les associations de patients. C'est sur cette base que reposent la stratégie nationale de santé et le projet de loi à venir. Notre système de santé est notre fierté, une force pour notre pays. Bon nombre de ressortissants des pays voisins viennent se faire soigner en France. Nos concitoyens savent qu'ils peuvent compter sur des professionnels qualifiés, dévoués et disponibles, sur des soins de qualité.
L'excellence de notre système repose d'abord sur la qualité de nos formations. Les études de médecine, uniques en leur genre, sont parmi les plus longues et les plus complètes - même si elles ont sans doute des défauts. Monsieur Fortassin, s'il est vrai que les jeunes médecins, notamment les femmes, ont une autre vision que leurs aînés, ne laissons pas entendre que les femmes n'auraient pas la même force de travail que les hommes...
M. Jacques Mézard. - Nous n'avons pas dit cela !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. - ...ce qui emporterait la conclusion qu'elles pourraient se contenter d'un salaire moindre. La réalité, c'est qu'en tenant compte du travail domestique, elles travaillent plus que les hommes et ont moins de loisirs... (Applaudissements de Mmes Patricia Schillinger et Laurence Cohen)
Ce qui fait aussi la particularité, l'excellence de notre système, c'est l'universalité de l'accès aux soins ; c'est un des principes fondamentaux de notre République qui doit être sans cesse réaffirmé et défendu. C'est l'objet de la CMU.
L'excellence repose sur l'accès aux meilleurs traitements, aux essais cliniques, aux nouvelles techniques de diagnostic. Nous avons des plateaux techniques de pointe. La recherche est au coeur de nos centres de formation et de nos CHU.
Préserver cette excellence, c'est lutter contre les inégalités de santé, vous avez raison. C'est pourquoi la lutte contre les déserts médicaux est une priorité de ce gouvernement. Dès 2012, Mme Touraine a lancé le pacte territoire santé, dont les premiers résultats sont là : installation de plusieurs centaines de praticiens territoriaux, création de centaines de maisons de santé, succès du système des bourses publiques.
Les inégalités sont aussi le fruit des inégalités de revenus, ce qui explique l'engorgement des urgences hospitalières. On n'y débourse pas d'argent pour se faire soigner, contrairement à la médecine de ville. La généralisation du tiers payant est par conséquent indispensable. Ceux qui craignent l'inflation des consultations se trompent, les exemples étrangers le prouvent et l'explication en est simple : si sympathique soit-il, on ne consulte pas son médecin pour le plaisir, mais parce que l'on est malade...
Nous avons voulu également remettre le patient au coeur de l'organisation du système de soins, en facilitant les parcours entre médecine de ville et médecine hospitalière, en assurant une meilleure information. C'est en ce sens que nous avons diversifié les modes de rémunération des médecins libéraux, en instaurant par exemple un forfait - la rémunération à l'acte ne permet pas au praticien de prendre le temps de l'explication ou de la prévention.
Renforcer la coopération entre professionnels, améliorer la tarification des établissements de soin s'imposaient aussi. La convergence tarifaire était injuste. Une concertation est en cours pour voir comment, dans certains cas, il est possible de sortir de la T2A.
Mieux informer les patients est un autre impératif. L'article 47 du projet de loi Santé prévoit l'ouverture des données de santé, de l'assurance maladie, des hôpitaux...
M. Gilbert Barbier. - Enfin !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. - ...évidemment dans des conditions de sécurité et d'anonymat.
Il faut être prudent avec les statistiques. Si vous classez les services en fonction du taux de mortalité, vous prenez le risque d'une sélection préalable des patients. Il est évident que les services qui prennent en charge des patients atteints de pathologies multiples sont a priori plus soumis au risque d'infections nosocomiales que ceux qui accueillent des personnes en meilleure santé...
La lutte contre les inégalités passe aussi par une amélioration des connaissances épidémiologiques. La prévention, oui, est une priorité. Empêcher les jeunes de tomber dans l'addiction du tabagisme, promouvoir une bonne alimentation, prévenir le surpoids sont des objectifs du projet de loi Santé. Son article 42 autorise en outre la création d'un nouvel institut qui en remplacera trois, l'INVS, l'INPES et l'EPRUS, dans un objectif de simplification et d'efficacité de la veille épidémiologique comme de la prévention.
Notre système est et demeure notre fierté.
M. Gilbert Barbier. - Pourquoi faire une loi de santé ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. - Conforter son excellence, c'est lui permettre de continuer à protéger des millions de Français, tout en corrigeant ses imperfections. Le gouvernement compte sur le Parlement, sur le Sénat, sur vous...
M. Jacques Mézard. - Oh ! Est-ce encore d'actualité ? Ne veut-il pas le supprimer !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. - ...sur votre expérience et votre sagesse pour enrichir le projet de loi Santé que Mme Touraine viendra défendre devant vous. C'est l'essentiel de mon message aujourd'hui. (Applaudissements)
M. Jacques Mézard. - Dites-le à M. Bartolone !
La séance est suspendue à 12 h 20.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 15 heures.
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Exceptionnellement, après en avoir discuté avec les présidents de groupes, nous commencerons par une série de rappels au règlement.