Débat sur l'hyper-ruralité
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat, à la demande du groupe RDSE, sur le thème « Ruralité et hyper-ruralité : restaurer l'égalité républicaine ».
M. Alain Bertrand, pour le groupe RDSE . - Le 13 décembre 2013, lors du débat sur la politique d'égalité des territoires, nous vous disions notre rêve d'une grande loi sur l'égalité des territoires. Avec mon groupe, j'en rêve encore... Mais je reconnais que les choses progressent. Les Assises de la ruralité voulues par M. Valls en sont une preuve ; l'appel à manifestation pour les centres-bourgs, l'adaptation de la loi de transition énergétique à la ruralité vont dans le bon sens.
Madame la ministre, je vous ai remis dernièrement mon rapport sur l'hyper-ruralité. Merci de l'avoir bien accueilli. Il démontrait que la prise en compte des territoires ruraux fragiles n'est pas la lubie d'un vieux sénateur lozérien, mais bien une nécessité. Il existe en France des territoires ruraux qui ont disparu de l'écran radar de la République ; ils sont aujourd'hui au seuil de l'effondrement alors qu'ils forment l'hinterland indispensable aux métropoles.
Notre système souffre de trois défauts : il est organisé autour de métropoles, de grandes villes et de capitales régionales ; deuxième défaut, la sacro-sainte loi du chiffre ; troisième défaut, il traite la ruralité comme un seul et même territoire, nécessitant les mêmes remèdes.
L'urbain serait notre planche de salut, seule capable de faire réussir la France dans la mondialisation, parce que la ville est le lieu des grandes masses, des grands chiffres d'affaires... Tout ce qui est hors zone d'influence des grandes agglomérations serait insignifiant.
Les politiques publiques calibrées depuis et pour les zones urbaines passent à côté des zones rurales, victimes d'une double peine. Sacralisation du chiffre, disais-je. 200 usagers à la Poste ? On ferme. Combien d'euros au guichet, de clients, de voyageurs quotidiens sur votre ligne ? Trop peu ? On ferme. Pas d'autoroutes, pas d'aéroport, mais quatre téléphones en poche, pour espérer avoir un peu de réseau... (Sourires) Combien de passages sur vos routes ? Trop peu pour faire des travaux...Circulez, il n'y a rien à voir !
Attention, il ne s'agit pas d'opposer la France urbaine et la France rurale. Nous, ruraux, sommes solidaires des thématiques métropolitaines. Nous ne nions pas le fait métropolitain. Mais le premier facteur d'attractivité d'une métropole est la qualité de son hinterland, dit le rapport Davezies.
Je ne place pas la ruralité et l'hyper-ruralité en position de mendiants ; elles ont des droits qui doivent être respectés.
La métropole et les territoires ruraux font système, ils sont interdépendants. Prenez un ingénieur toulousain, qui travaille pour un fleuron de l'industrie aéronautique ; sa fréquentation régulière des espaces naturels, de la montagne contribuent à sa productivité. Les territoires hyper-ruraux, par leur potentiel de ressourcement, participent au potentiel économique, chiffré, des zones urbaines.
Écoutez les ruraux : leur mode de vie, leurs préoccupations sont voisines de celles des urbains. Ils demandent des transports, une connectivité, un accès aux soins, à une éducation de qualité. Ils paient la même TVA, les mêmes impôts que les urbains, mais ont moins de droits !
La ruralité est diverse, celle de la proche banlieue lyonnaise ou lilloise n'est pas celle des villages creusois. Une étude de l'Inra commandée par la Datar en distingue trois types : les zones périurbaines, les montagnes et littoraux riches d'abord ; la ruralité agricole ou post-industrielle, ensuite ; enfin, les zones à faible densité et faibles revenus, avec peu de services. Toutes ont un riche patrimoine naturel et culturel, toutes connaissent des difficultés. Seule une politique différenciée, ciblée, y répondra.
L'hyper-ruralité fait partie de la troisième catégorie. Elle souffre en outre de l'éloignement, des services, des bassins d'emploi, des centres de décision. Cette ruralité de l'éloignement se caractérise par l'absence de centralité forte. Elle représente 26 % du territoire national, 250 bassins de vie, 3,5 millions de Français, 59 départements, dont certains entièrement en montagne ou en plaine. Cette cartographie objective révèle bien des surprises. L'hyper-ruralité, vous savez tout de suite quand vous y êtes : les enfants à peine arrivés vous disent que l'iPad, le portable ne passent pas !
On n'y trouve pas de distributeur de billets, pas de station-service à moins de 25 km - quand ce n'est pas 40 km, comme en Lozère. Y aller en train ? Cela mettrait dix fois plus de temps qu'en voiture. Il y a vingt ans, il fallait deux heures pour se rendre en train à la capitale régionale. Aujourd'hui, il faut six heures. Çà c'est l'hyper-ruralité. Impossible de suivre des études supérieures, de travailler au pays. Sur quatre hôtels, trois sont fermés, il n'y a plus que deux commerces là où il y en avait huit autrefois...
L'AVC - moi, qui suis mince et abstinent, cela ne me concerne pas, bien sûr ! (Sourires) - est beaucoup plus mortel dans l'hyper-ruralité qu'ailleurs. L'élu de l'hyper-ruralité est souvent courbé, il a la culture de la reculade alors qu'il est là pour bâtir et offrir un avenir à ses concitoyens. Que demande-t-il ? L'accès à un socle de services minimum.
Il est urgent d'agir. L'inaction amènerait ces territoires à entrer en récession complète. Nombre des mesures proposées dans mon rapport ne coûtent rien ; ce sont des mesures de bon sens. L'État est le seul garant de l'équilibre républicain. Il faut du volontarisme, une prise de conscience. Unissons-nous pour peser sur l'avenir. Pas de sous-territoires, pas de sous-citoyens, tel doit être notre principe. Cela peut passer par un pacte national pour l'hyper-ruralité ou par une loi sur l'égalité des territoires. L'uniformité de traitement entre tous les territoires ruraux ne serait pas productive. Mon rapport propose de traiter de l'hyper-ruralité dans toutes les lois - sur l'école, les infrastructures ou la défense. Ce serait un acte fort. Les schémas régionaux d'aménagement du territoire, de même, devraient systématiquement traiter de l'hyper-ruralité ainsi que les contrats de plan État-région. (M. Jean-Louis Carrère applaudit) Cette mesure ne coûterait pas un franc de plus ! Par exemple, on aurait ainsi évité l'application dans les territoires ruraux de la T2A et l'adoption d'un plan national de très haut débit, qui les pénalise puisque les opérateurs ne sont pas obligés de les desservir.
Mme la présidente. - Il faut conclure.
M. Alain Bertrand. - Il y a beaucoup de mesures faciles à mettre en place. L'État doit s'engager à maintenir les services publics, quitte à mutualiser, c'est le travail déporté.
Je prône la démétropolisation. Cessons de tout entasser dans les grandes villes. Pourquoi, quand on crée une école d'ingénieurs, n'est-ce jamais dans l'hyper-ruralité ? Il faut un guichet unique, une troisième décentralisation intelligente. Les élus ruraux sont prêts, eux, à s'engager.
Mme la présidente. - C'est la conclusion ?
M. Alain Bertrand. - Pas possible, vous m'avez volé du temps, madame la présidente ! (Rires)
Voilà des mesures simples, qui ne coûtent rien. L'hyper-ruralité est une terre de merveilles, qui est en train de crever. N'oublions pas notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. C'est une belle aventure républicaine que je vous propose, madame la ministre, au bénéfice de millions de Français ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien !
M. Robert Navarro . - Je salue le travail d'Alain Bertrand, et sa combativité. Les territoires ruraux sont sur la crête : ils peuvent devenir un véritable désert, ou au contraire être le moteur d'une nouvelle croissance. Faute d'action de l'État, ils vieillissent et se vident. Leur mise à l'écart est une faute morale et politique - car plus ils se désertifient, plus leur coût augmente pour la collectivité ! Pourtant, de nombreuses opportunités de développement existent. L'hyper-ruralité recèle des trésors et peut aider à diminuer la congestion des villes confrontées aux problèmes de logement et de transport. Or le manque criant de services publics, de santé, les zones blanches, la faiblesse des infrastructures de transport sont des freins à la relance de ces territoires.
La loi NOTRe est la première occasion pour faire cesser la discrimination territoriale. Ne rien faire reviendrait à transformer en désert un tiers de notre pays, tout en aggravant les difficultés des métropoles ! Il est temps d'agir. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Jean-François Longeot . - Merci au groupe RDSE pour cette initiative. Nous qui sommes la chambre des territoires nous devons nous saisir régulièrement de cette thématique. Sans misérabilisme, nous recherchons des solutions. Les territoires ruraux sont une richesse pour notre pays, y compris en termes de développement économique et de vie sociale. Le Sénat doit retrouver toute sa place dans les territoires, a fortiori ruraux et hyper-ruraux. Après le rapport Bertrand, après la campagne sénatoriale, alors que les Assises de la ruralité sont en cours, le Sénat doit être le garant de l'égalité territoriale, proposer des solutions au sentiment d'abandon de ces territoires et de leurs habitants. Suppression des services publics, apparition de la délinquance, rythmes scolaires, suppression de l'instruction des permis de construire par les services de l'État... les problèmes s'accumulent.
L'État ne fait pas confiance aux élus ruraux ; il faut au contraire leur accorder plus de souplesse. La France est multiforme. Vouloir imposer le même cadre structurel à tous est un non-sens. Au contraire, favorisons les accords locaux !
Le développement du numérique est un enjeu essentiel. L'accès à Internet devient une condition essentielle à la vie de nos communes. C'est indispensable au maintien des populations. Dans le Doubs, le département va investir 185 millions d'euros sur quinze ans pour la fibre optique. Les communes vont devoir participer. Mais comment ?
J'espère que, lors du congrès des maires, le Gouvernement saura entendre ceux qui se dévouent au service des Français.
Cessons le délitement des services publics. Ils ont un coût, qu'il faut assumer. L'État doit en être le garant. Nos 30 000 communes rurales et hyper-rurales sont l'avenir de la France. Mettons-les au coeur de la relance sociale et économique de notre pays. (Applaudissements sur les bancs au centre et à droite)
M. Jean-Pierre Leleux . - Jamais autant que ces derniers temps je n'avais entendu évoquer l'hyper-ruralité. Jamais je n'avais entendu autant d'élus ruraux lancer un cri d'alarme face au risque de la dissolution de leur territoire dans une nouvelle organisation. Vous avez entendu comme moi la révolte de ces élus, si nombreux mais si fragiles, qu'ils nous demandent de relayer ici, au Sénat, leur préoccupation.
La voix, la représentation des petites communes s'affaiblit, disparaît au fil des réformes territoriales. Une application de plus en plus stricte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel fondée sur le critère démographique ne permettra plus, bientôt, la représentation des territoires ruraux dans les conseils départementaux. Même le Sénat représente de moins en moins les petites communes...
Deuxième élément, le découragement des élus des petites communes, souvent bénévoles, qui peinent à boucler leur budget. La baisse des dotations s'accompagne de charges nouvelles - je pense aux rythmes scolaires et à des normes parfois exorbitantes.
Monde rural et monde urbain ne doivent pas s'opposer mais organiser leur complémentarité. Celle-ci fait partie de la culture française ; attention à ne pas rompre cet équilibre. En 1981, la superbe affiche de Jacques Séguéla pour François Mitterrand représentait un village, au coeur de la France. Le 11 octobre 2011, dans la Creuse, Nicolas Sarkozy disait : « La ruralité est l'avenir de la France. Le développement de la France passe autant par le développement des campagnes que par le développement des villes ».
Il est temps de passer aux actes. La représentation des territoires ne doit pas reposer sur la seule démographie. La communauté nationale doit accompagner le redéveloppement du pastoralisme et de l'agriculture de proximité ; une péréquation pour assurer la couverture en haut et très haut débit ; enfin, la mise en valeur du patrimoine historique et culturel. C'est ainsi que l'on redynamisera ces territoires fragilisés et que l'on redonnera confiance aux élus ruraux. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Très bien !
Mme Nelly Tocqueville . - Merci au RDSE de son initiative. La France traverse une crise qui n'épargne pas les territoires ruraux ; elle impacte la capacité des pouvoirs publics à répondre aux défis qui se posent au monde rural. La cohésion appelle la connexion des territoires entre eux ; elle passe par l'accès aux réseaux de communication. Si l'accès aux services publics est indispensable à la qualité de vie des ruraux, il est tout aussi nécessaire au développement économique de ces territoires. Il n'y a pas de réponse unique et standardisée. Mais le retrait de l'État et de ses services, lui, s'observe partout... Nombre de Centres d'informations et d'orientation (CIO) ont ainsi été fermés : dans l'académie de Rouen, ils sont dix sur dix-sept à avoir disparu. Les inégalités s'aggravent entre les territoires.
Première action à mener : renforcer l'intercommunalité, favoriser la mutualisation de proximité - crèches, centres périscolaires, etc. Mais cette intercommunalité doit être choisie, non subie.
Deuxième action : redynamiser les communes, avec un renouveau de l'activité économique, la réintroduction de commerces, de services par exemple en lien avec l'économie sociale et solidaire (ESS), encourager les initiatives locales, avec le milieu associatif.
La plus cruelle carence est celle de la couverture numérique. Celle-ci est pourtant indispensable au développement du télétravail. Le tourisme, facteur d'activité non délocalisable, souffre aussi de cette mauvaise couverture numérique. Les services publics doivent être redéployés sous des formes nouvelles - stations-services, points postes... De même, l'accès aux administrations implantées en ville doit être garanti, par exemple grâce aux transports à la demande. Il est fondamental que les territoires ne soient pas déconnectés les uns des autres. La République est une et indivisible : il ne peut y avoir de territoires laissés pour compte. L'État doit donner les mêmes chances à tous les Français, pratiquer une politique d'équilibre entre les territoires, veiller à une efficace complémentarité entre eux. Je sais que vous y veillez, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Joël Labbé . - C'est clair : pas de sous-territoire, pas de sous-citoyens. Merci à M. Bertrand de dire les choses telles qu'elles sont ; son rapport est excellent. Il connaît bien le sujet !
Je déplore, une fois encore, la sectorisation des politiques : politique urbaine d'un côté, assises de la ruralité de l'autre... Hier, quatre ministres s'étaient déplacés, dont notre ministre bretonne, Marylise Lebranchu, à Plélan-le-Petit au coeur de la Bretagne profonde pour montrer que le Gouvernement prend en compte la ruralité. Mais maintenant, nous avons l'hyper-ruralité.
À courir sans cesse après un développement débridé, sans perspectives, résultat d'un grand marché libéral non régulé, complémentarité et solidarité ont cédé le pas à la concurrence.
La ruralité, c'est 26 % du territoire, M. Bertrand l'a rappelé. La notion de diagonale du vide négligeait les espaces hyper-ruraux des Alpes, de la Corse - ou encore de la Bretagne profonde.
Mme Nathalie Goulet. - L'Orne !
M. Joël Labbé. - L'aide à la rénovation du foncier bâti dans les bourgs, la revalorisation des postes de fonctionnaires dans la ruralité sont des idées de bon sens. Les primes sont moindres en milieu rural qu'en métropole : c'est anormal, je serais tenté de dire que ce devrait être le contraire.
Refonte de la péréquation, de la fiscalité la plus rurale, guichet unique : autant de propositions intéressantes.
Attention, en revanche, au seuil de 20 000 habitants pour les EPCI ; il ne faut pas hésiter à y déroger s'ils ne correspondent sur le terrain à aucune réalité. Merci à la ministre d'avoir tenu compte des spécificités insulaires.
De nouveaux modes de gouvernance sont envisagés pour les EPCI comprenant de nombreuses communes. Les écologistes ont proposé une seconde assemblée où toutes les communes seraient représentées - il en est question désormais...
Qu'on parle du retour des services publics dans les territoires, de leur restauration ou de leur renforcement, il faut passer à l'action. Certaines lignes de chemin de fer ne sont plus exploitées, nous devons nous poser la question de les rouvrir. 5 millions pour un pôle multimodal, c'est exagéré par rapport aux besoins de certains territoires.
On ne peut que souscrire à l'idée d'un pacte national pour l'hyper-ruralité, pour une mise en commun des intelligences dans le cadre de relations empreintes de maturité. Je me régale à l'avance de notre débat. (Applaudissements à gauche)
Mme Évelyne Didier . - Le RDSE s'est fait une spécialité d'organiser tous les six mois un débat sur l'égalité des territoires. Il faut l'en remercier.
La notion d'hyper-ruralité émerge. Le rapport Bertrand doit servir de base de réflexion aux assises territoriales, afin de formuler à terme des propositions législatives. L'ADF a de son côté fait un travail intéressant. La loi annoncée sur la ruralité se fait attendre...
Les territoires très ruraux sont une richesse pour la France ; dotés de nombreux atouts, ils sont pourtant abandonnés. Une réponse politique est urgente et attendue. Les solutions préconisées par M. Bertrand sont-elles suffisantes ? C'est avec la logique de compétition entre territoires qui sous-tend la réforme territoriale qu'il faut rompre. Étonnant que le rapport ne mentionne pas la suppression, un temps envisagée, des départements... Quel sort leur sera finalement réservé ?
Le rapport appelle à la « non-décroissance du signal républicain » : autrement dit, au maintien des services publics dans les territoires ruraux, ce qui implique des moyens. La perte de ressources des collectivités territoriales a d'autant plus de conséquences que les territoires sont isolés et enclavés.
On dit parfois que la décentralisation aurait conduit à la désertification de certains territoires. C'est que, depuis un certain temps, décentralisation ne rime pas avec déconcentration mais avec désengagement de l'État.
M. Jean-François Husson. - Eh oui !
Mme Évelyne Didier. - J'ai dit : depuis un certain temps... La réforme de La Poste a conduit à la fermeture d'un grand nombre de bureaux. Si France Télécom n'avait pas été privatisé, la fibre aurait pu être déployée sur l'ensemble du territoire national. Les territoires ruraux veulent être sur la toile, pas dans ses creux...
En privant parallèlement les collectivités de ressources et d'assistance, on leur a ôté les moyens de répondre aux attentes des citoyens. Il n'y aura pas d'avenir pour ces territoires sans remise en cause de la politique d'austérité et de libéralisation. Mutualiser, pourquoi pas ; priver de moyens, non.
Une remarque de vocabulaire : il n'est plus question de service public, mais de service au public ou de services essentiels, plus question d'intérêt général, mais d'intérêt national - d'ailleurs à définir. Autant de glissements sémantiques, autant de glissements politiques...
En matière de logement, une politique offensive de réhabilitation des centres-bourgs est indispensable, mais les communes ne pourront l'assumer seules ; les 6,5 millions prévus au budget, au lieu des 40 évoqués, n'y suffiront pas.
La péréquation... M. Eckert dit lui-même que l'on ne comprend plus rien à la répartition des dotations. Hélas, notre proposition de loi a été rejetée...
L'ingénierie territoriale ? L'importance des départements n'est plus à démontrer, ils savent faire ; il faut leur permettre de continuer.
Pour nous, le guichet de la ruralité, c'est le réseau des préfectures et des sous-préfectures. Il ne nous semble pas pertinent de rompre l'unicité de la fonction publique territoriale en créant un corps de fonctionnaires spécifique.
Ruralité ? Je parlerai plutôt de province. Attention au langage, et à ne pas nous regarder comme des animaux de zoo !
Comment croire enfin à la pertinence du seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités ? Pour penser l'avenir de nos territoires, il faut avant tout écouter élus et populations. La critique systématique des élus locaux, auxquels on veut substituer des experts efficients au détriment de la démocratie, doit cesser. Nous avons besoin d'accompagnement, pas de dénigrement ! (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jacques Mézard . - M. Alain Bertrand a exposé avec compétence et passion sa vision de l'hyper-ruralité ; 5 % de la population vivent sur 20 % du territoire : voilà l'hyper-ruralité, où le sentiment d'abandon est prégnant, où la révolte pointe et augure de lendemains douloureux si l'État ne réagit pas. Nous comptons sur vous pour convaincre vos collègues, madame la ministre. Il faut faire vite.
Déterminer les causes de la fracture territoriale avant les remèdes, voilà la démarche rationnelle. Quand la IIIe République avait ouvert une école dans chaque village pour donner à chacun sa chance, la Ve République a opéré un déménagement des territoires, faute de planification.
Sortons du débat binaire entre l'urbain et le rural : il est des territoires urbains pauvres, des territoires ruraux riches. Les territoires dont nous parlons sont ceux où l'agriculture eut un poids prépondérant et qui ont été vidés de leurs habitants par l'exode rural. Souvent, ce sont les plus enclavés. Les métropoles régionales, et cela s'accentuera avec la réforme territoriale, ont aspiré une grande partie du sang administratif, économique et humain de ces zones rurales. Il faut créer des métropoles fortes, certes, mais aussi trouver un équilibre. Les préfectures de région se renforcent au détriment des autres, elles concentrent aussi les sièges des banques, des assurances, des structures administratives. L'émergence des métropoles accentuera encore le phénomène. Et c'est grave. Parce que la matière grise quitte nos territoires - fonctionnaires, enseignants, professions libérales - avec des conséquences en chaîne ; même en Corrèze, malgré l'action de deux présidents de la République... Attention d'ailleurs à la réforme des professions réglementées, portée par M. Macron. Les décentralisateurs pourfendaient les jacobins ; la décentralisation a créé des hiérarques dont la soif de pouvoir, lorsqu'ils revendiquent le transfert du pouvoir réglementaire, met en péril la République une et indivisible.
Comment inverser la tendance ? Il ne sert à rien de multiplier les colloques pour remplir les colonnes des journaux. Le diagnostic est connu, il est temps d'apporter des remèdes. Cela suppose une vraie volonté politique. Comment promouvoir le développement économique quand, comme à Aurillac, on est à onze heures de la capitale par le train ? Qu'il n'y a qu'un seul avion par jour, et pas le samedi ni les jours fériés ? Nous serons demain la préfecture la plus éloignée d'une métropole régionale... Le Gouvernement a annoncé le renforcement des services des préfectures, mais il continue à fermer des brigades de gendarmerie ou des trésoreries... Le désert médical s'installe, téléphonie mobile et Internet dysfonctionnent.
À capital égal, les habitants du Cantal paient quatre à cinq fois plus d'impôts locaux qu'à Paris. Voilà la réalité ! Édith Cresson a été brocardée quand elle a lancé une politique de délocalisation. Elle avait pourtant raison ! L'État doit assurer à chaque citoyen, où qu'il réside, l'accès le plus proche à l'éducation, à la santé, au logement, à l'emploi. Ce n'est pas le cas.
Nous n'attendons pas la charité mais la justice territoriale. Nous avons confiance en vous, madame la ministre. Puissiez-vous améliorer la situation car il y a urgence. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Jean-Jacques Lasserre . - À mon tour, je remercie le RDSE d'avoir demandé l'organisation de ce débat indispensable. Merci aussi à M. Alain Bertrand pour son rapport, bien que je déplore l'impasse sur les conséquences de la réforme territoriale. L'évolution dramatique de certains territoires, la désertification, la déprise, l'abandon des services publics découragent les jeunes de s'y installer. Attention au point de non-retour.
L'hyper-ruralité n'est pas ringarde. Elle joue un rôle dans notre société. Il ne s'agit pas de reproduire un passé révolu, mais de faire entrer l'hyper-ruralité dans le monde contemporain, de façon pragmatique, réaliste, imaginative.
La première des contributions de l'hyper-ruralité à notre société est environnementale : des équilibres subtils ont été façonnés par les siècles entre l'homme et la nature - et qui ne doivent pas être éclipsés par certains épisodes récents. La deuxième est économique : l'hyper-ruralité, c'est aussi le lieu des productions agricoles de qualité et d'un tourisme vert en plein développement. La troisième enfin est sociétale ; le maintien d'un mode de vie, de relations citoyennes peut se traduire par une offre originale dans une société sans modèle.
L'idée d'un pacte national est intéressante, qui doit mettre en avant la question des services publics. Les conséquences de la RGPP se font sentir. M. Bertrand a raison d'appeler au maintien de services publics, de l'ingénierie territoriale, mais aussi des écoles et collèges. La politique de l'habitat doit être adaptée aux problèmes des centres-bourgs. Sur le très haut débit, il y a urgence. Le coût de l'investissement par abonné varie du simple au décuple... les équipements programmés privilégient les zones de retour sur investissement ; si on n'agit pas vite, on verra disparaître solidarité et péréquation. Les évolutions actuelles accélèreront la concentration urbaine.
La responsabilité de l'État doit être évoquée : le redécoupage cantonal a réduit le poids des territoires ruraux dans les conseils départementaux. Heureusement, il n'est plus question de supprimer ces derniers. M. Valls a donné des assurances sur leur rôle dans les solidarités humaines et territoriales ainsi que l'aménagement du territoire. Nous serons vigilants sur les compétences qui leur seront attribuées par la loi NOTRe.
Nous sommes nombreux à être sceptiques sur le seuil intercommunal de 20 000 habitants. J'appelle de mes voeux une approche plus pragmatique. (Applaudissements au centre, sur les bancs du RDSE et sur plusieurs bancs à droite)
M. Jean-Claude Carle . - Les campagnes françaises ont connu de profondes mutations ces dernières années, à commencer par un renversement des tendances démographiques : depuis 1975, 2,5 millions de Français ont quitté la ville pour la campagne. Malgré les disparités que ce chiffre recouvre, les politiques publiques doivent tenir compte de ce regain d'intérêt pour le monde rural, qu'il s'agisse de services publics, d'aménagement du territoire ou d'agriculture.
Une politique de reconquête des territoires ruraux serait plébiscitée par les Français, et apporterait des réponses à de nombreux problèmes économiques et sociaux - sans être contradictoire avec des actions en faveur des zones urbaines ou périurbaines.
À la montagne, infrastructures et services publics coûtent plus cher. Le relief et l'enneigement changent tout, allongent les distances. Mais les montagnes sont une chance pour la République, des territoires vivants et de projets, il faut leur donner les moyens de leur ambition.
Nous revendiquons l'accès au très haut débit. Nous ne voulons pas être les spectateurs passifs de son déploiement dans les zones urbaines rentables. Nous refusons d'être condamnés à un Internet au rabais, sauf à cautionner la fracture territoriale.
De même, il importe de préserver le maillage des écoles et collèges, le taux d'encadrement des élèves, le remplacement des professeurs et les moyens destinés à l'accueil des élèves handicapés. Une école vivante, c'est une perspective d'avenir. La santé des enfants impose que le temps de transport scolaire ne dépasse pas certaines limites. Les seuils d'ouverture ou de réouverture de classes doivent être adaptés.
Enfin, un accès équitable aux services publics doit être garanti. Faute de quoi c'est l'identité de la France qui est remise en cause. Notre pays compte deux atouts majeurs : le renouvellement de sa population et son espace. Sachons les valoriser grâce à une politique qui conjugue populations, territoires et État pour relever les défis qui sont devant nous. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)
M. Jean-Yves Roux . - La ruralité est indispensable au développement métropolitain : tel est l'apport majeur du rapport Bertrand. La France doit s'appuyer sur sa diversité et la beauté de ses espaces, l'aspiration de ses habitants à une vie meilleure ; et combler le fossé territorial qui se creuse. Le monde rural est une force pour demain.
L'égalité 2.0 : voilà le premier impératif. Sans elle, nous continuerons d'avoir des territoires maintenus en respiration artificielle. Qu'il s'agisse d'accès à la santé, à la culture, à l'information, au service public, à l'emploi, rien ne sera possible sans le très haut débit pour tous. Or les opérateurs privés concentrent leurs investissements dans les zones peuplées, soit sur 25 % du territoire seulement. Or la qualité des réseaux est le troisième critère d'implantation des entreprises. Sans intervention publique, la fracture numérique s'élargira. À Digne-les-Bains, l'hôpital emploie de plus en plus d'outils numériques. Les urgentistes envoient des images au CHU de Marseille pour recevoir l'avis du neurochirurgien de garde. Or les fichiers sont trop lourds pour pouvoir être transmis avec la célérité que requiert l'urgence.
Autre défi, l'accès aux soins. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, il faut attendre six à douze mois pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste ; à Digne on ne compte aucun praticien de cette spécialité. Mme Touraine a pris des mesures pour favoriser l'installation de médecins en zone rurale, mais il faut être plus volontariste. Il est question aussi de mutualiser les services mobiles d'urgence des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes ; il y a là un risque pour la sécurité sanitaire. L'attractivité d'un territoire dépend de l'accès aux soins, de la présence des services publics et du très haut débit.
Les collectivités rurales ont la légitimité démocratique pour agir mais elles manquent de moyens financiers et techniques. La péréquation de demain reste à inventer. Dans mon département, la dotation de fonctionnement des communes rurales est deux fois moins élevée que celle des grandes villes, malgré l'écart de richesses.
Je me félicite que le Premier ministre ait pris conscience de l'importance des départements, et qu'il se soit engagé à renforcer leur ingénierie au service des communes. Un pacte territorial garant de « l'identité de la France » pour reprendre la formule de Fernand Braudel, respectueux des deux forces urbaine et rurale, c'est la condition pour que la France fracturée ne prenne pas le pas sur la France solidaire à laquelle nous sommes tous attachés. (Applaudissements)
M. Rémy Pointereau . - Élu du Cher, maire d'une commune rurale et rapporteur de la politique des territoires, je suis profondément attaché à la ruralité qui a façonné la France. En 1830, 80 % de la population française vivait à la campagne, 20 % en ville ; cette proportion s'est inversée. Il y a en France presque autant de ruralités que de fromages. Les ruraux ne veulent plus de bla-bla, ils veulent des actes. Jamais la ruralité ne s'est si mal portée malgré la création d'un ministère de l'égalité des territoires... Le vote extrême progresse, non pas à cause de l'immigration ou de l'insécurité mais parce que les ruraux se sentent abandonnés, déclassés, exclus.
Comment y remédier, avec des politiques qui creusent les inégalités ? Avec la constitution des métropoles, la réforme des rythmes scolaires qui crée une école à deux vitesses, la réforme territoriale qui enlève de la proximité et du lien social ? Avec la suppression de postes dans les préfectures plutôt que dans les directions des ministères, la baisse accélérée des dotations ? L'inégalité des dotations entre EPCI est flagrante : 20 euros par habitant pour les communautés de communes, qui sont pour la plupart rurales, 40 euros dans les communautés d'agglomération, 60 euros dans les futures métropoles... Où est l'égalité des territoires ? Désertification médicale, carences du haut débit et de la téléphonie mobile, disparition de lignes de chemin de fer : toutes les campagnes sont concernées.
L'égalité des territoires est de la compétence de l'État, il faut un plan Marshall pour la ruralité. Dans les années 1960, la Datar lançait des politiques sur dix ans, qui portaient leurs fruits. Dommage que les gouvernements successifs l'ait vidée de sa substance.
Des actions utiles ont été menées de 2002 à 2012. Pourquoi abandonner les pôles d'excellence rurale ? Les ZRR doivent être pérennisées, le Fisac joue un rôle essentiel, comme les maisons de santé pluri-professionnelles. La boîte à outils, chère à François Hollande, existe déjà. De grâce, conservez ce qui marche ! J'approuve votre projet de revitalisation des centres-bourgs, à condition que les élus y soient associés.
Il faut une égalité financière des territoires, soit l'égalité des dotations par habitant, avec une péréquation juste, verticale et horizontale. La ruralité ne doit pas être synonyme de déclin et de désertification, elle est une chance pour l'avenir de nos territoires ! (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs du RDSE)
Mme Delphine Bataille . - C'est la question de l'hyper-ruralité que notre très cher Alain Bertrand a voulu soulever, encore que tous les territoires ruraux rencontrent des difficultés similaires se rencontrent - ainsi dans l'Avesnois et le Cambrésis dans le Nord. Vieillissement, enclavement, faibles ressources financières, disparition des services publics, l'état des lieux est accablant qui nourrit le sentiment d'abandon. Cette France des plans sociaux, de l'abstention et des comportements antirépublicains est aussi celle des initiatives politiques et des projets de relocalisation. L'attachement des habitants aux valeurs traditionnelles populaires est lié à leur angoisse devant la mondialisation et à certains projets sociétaux, à leur demande d'autorité. Les ruraux subissent l'hypercentralisation des services essentiels et des richesses. Les classes populaires sont chassées des métropoles, le sentiment de relégation se renforce. Pourtant, la complémentarité entre villes et campagnes est indéniable. La France reste profondément marquée par ses terroirs et la transition vers une civilisation urbaine doit se faire avec précaution.
Dans ces territoires l'État doit répondre à des défis spécifiques, renforcer sa présence. Chez moi, la base aérienne 103, fermée par un gouvernement de droite, a été reconvertie et le canal Seine-Nord favorisera le développement local.
L'intervention de l'État régulateur est fondamentale pour assurer la redistribution entre territoires riches et pauvres, et pour soutenir ces derniers, qui ont plus que jamais besoin d'être accompagnés. Je salue la décision de maintenir les conseils généraux ; le projet initial était perçu comme une menace pour le monde rural.
Il faut entendre les populations et les élus de ces territoires. La République doit être partout et pour tous. Souvenons-nous de la description que Fernand Braudel donnait de l'identité de la France, redonnons du souffle à nos territoires et de l'espoir à ses habitants. (Applaudissements à gauche)
M. Gérard Bailly . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je vais prononcer le quatorzième credo pour l'hyper-ruralité, vous me pardonnerez quelques répétitions. Merci à M. Bertrand de son rapport.
Les territoires ruraux recouvrent 80 % de la France. Ses 3,5 millions d'habitants peinent à accéder aux services publics, cela a été dit, mais les territoires ruraux ne sont-ils pas aussi des lieux de repos, de sport, de vacances, de détente, de gastronomie pour les citadins, des lieux de production du bois et de l'énergie ? Alors, a-t-on assez de considération et de reconnaissance pour ceux qui aménagent ces zones ? Ces territoires préservent les réserves en eau des gens des villes, servent de déversoir aux stations d'épuration, de dépôt aux déchets.
Avec Mme Renée Nicoux, nous avions signé un rapport sur l'avenir des campagnes. En audition, nous entendions les élus parler des zones oubliées, voire sacrifiées. Leurs habitants veulent, eux aussi, des piscines, des crèches, des médiathèques... Alors, pourquoi une DGF réduite de moitié par rapport aux villes ? À l'heure du numérique et des transports collectifs, rien pour nos campagnes.
Les populations s'inquiètent de leur accès aux soins, voire à une pharmacie. L'espérance de vie est moindre à la campagne, quand le délai de transport est plus long pour rejoindre un hôpital en cas d'infarctus ou d'AVC. Améliorons au moins la desserte aux hôpitaux urbains.
Que faire ? Une DGF plus juste, des ZRR, des crédits européens, des plans d'excellence rurale, un plan d'aménagement routier... À la campagne, le seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités est beaucoup trop élevé, il les ferait bien trop étendues.
Les élus ruraux, qui entretiennent un rapport affectif avec leur territoire, sont innovants et combatifs, surmontant leurs handicaps. En proie à une métropolisation galopante, la France aura besoin de ces territoires et les citadins viendront s'y réfugier. Encore faut-il qu'ils restent vivants. Ces territoires ruraux sont le creuset de la mutation de la France. À vous d'en décider, et aussi à nous tous ! (Applaudissements à droite)
Mme Frédérique Espagnac . - La promesse républicaine est faite à tous les territoires. Ce n'est pas un hasard si ce rapport sur l'hyper-ruralité a été confié à notre cher collègue Alain Bertrand. Son plan en six points est très complet. La contribution de cet hinterland que représente l'hyper-ruralité serait mieux évaluée si l'on utilisait les nouveaux indicateurs de prospérité.
L'hyper-ruralité devra tirer parti des possibilités offertes par la révolution numérique. Sa planche de salut est le développement du très haut débit.
Le Gouvernement ne s'y est pas trompé puisqu'il a lancé un plan « France très haut débit » pour une couverture intégrale du territoire en février 2022, avec une enveloppe de 3 millions d'euros pour les territoires ruraux.
Accompagnons ces particuliers et ces entreprises qui partent avec un handicap, non de matière grise et de talents, mais d'équipement. Seules 35 % des entreprises sont équipées en « site vitrine » selon une étude récente. Certains proposent une fédération nationale de la médiation numérique, je soutiens cette idée. Il s'agit de faciliter l'inclusion des publics les plus éloignés, sur tous les territoires.
En tout cas, le Gouvernement a acté la nécessité de déployer le très haut débit dans les zones rurales ; les territoires ruraux devront faire l'objet d'une attention particulière dans la loi numérique à venir. C'est à saluer. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les bancs UMP) En janvier dernier, nous demandions quel était l'objectif du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire. À ce Gouvernement qui déclarait son amour à la ruralité, je demandais des preuves. Depuis, a-t-il fait sa révolution copernicienne ?
Le Commissariat général à l'égalité des territoires a été créé, soit ; j'aurais aimé qu'il rende un avis. Votre titulature s'est enrichie d'un mot : vous êtes, accessoirement, ministre « de la ruralité ». Des mots, encore des mots, toujours des mots ; comme dans la chanson. À mi-mandat, c'est bien peu... La fracture territoriale ne cesse de se creuser. Néanmoins, je ne céderai jamais au fatalisme, à l'approche résignée d'une ruralité condamnée au vide et au vert, à vivre sous perfusion ou à l'approche bobo d'une ruralité réduite à un simple folklore. Cessons la caricature : la France urbaine ne résoudra pas tous les problèmes d'un coup de baguette magique. La vraie fracture n'est pas tant entre villes et campagne que selon le dynamisme.
Quand il s'agit d'égalité des chances, je ne crois pas à l'action de la main invisible. Dans La France périphérique, il est bien dit que la mondialisation profite d'abord aux métropoles. La décentralisation n'a pas contredit ce mouvement. Les ruralités doivent pourtant s'inscrire dans une logique de développement partagé avec les villes et les bourgs. Je crois à la coopération, à la fédération des énergies et des territoires. J'appelle à une nouvelle forme de décentralisation, pour se donner ensemble un destin commun, tisser un lien fort et complice entre ces deux France qui tendent à s'éloigner. Il existe des outils : les Scot sont le bon instrument pour traduire une vision bottom-up, à condition que leur périmètre soit suffisamment large. Il faudra en créer d'autres car, après le rabot démographique, l'impitoyable loi du chiffre a abouti à un redécoupage cantonal fondé sur le seuil magique de 20 000 habitants. À cela s'est ajoutée la baisse des dotations.
Je crois en la France qui a envie d'agir, à celles et ceux qui continuent de s'investir pour le sursaut de notre pays. Enfant d'une toute petite commune de cette belle Meurthe-et-Moselle qui compte la plus petite commune de France avec 3 habitants, j'ai une passion pour la ruralité. Madame la ministre, entendez-nous ! Il y va de l'égalité républicaine. (« Bravo ! » et applaudissements à droite ; M. Alain Bertrand applaudit aussi)
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité . - À mon tour de saluer l'inscription de ce débat à l'ordre du jour du Sénat. Le rapport de M. Alain Bertrand sur la ruralité, que je connais bien comme élue locale, nous offre un éclairage précieux sur ce phénomène et des propositions intéressantes. Le constat est partagé.
Le sujet est d'actualité. J'ai lancé les Assises de la ruralité, articulées autour de sept sujets, qui associent les élus, les acteurs socioprofessionnels et les associations, en vue d'aboutir à une nouvelle feuille de route partagée, à des propositions concrètes, à une politique novatrice et volontaire.
Les attentes des ruraux sont de plus en plus analogues à celles des citadins, en effet, monsieur Bertrand. Sortir d'une vision caricaturale de la campagne, de l'opposition entre ville et campagne, tel est l'enjeu pour donner corps à notre ambition pour les territoires ruraux. Je le dis avec force, notre pays a autant besoin de ces territoires que de métropoles puissantes.
Oui, il faut sortir de l'opposition entre ville et campagne, car il y a des porosités entre ces zones, pour engager une logique de coopération. Celle de réparation a fait long feu. Égalité ne signifie pas uniformité. Il faut traduire dans les faits la promesse d'égalité républicaine. Nos territoires ruraux n'ont pas besoin de commisération, ils aspirent simplement à trouver leur juste place dans notre projet national. Pour le Gouvernement, ruralité rime avec modernité, attractivité et compétitivité. Élue d'un territoire rural, j'en connais la capacité à se saisir de son destin. Les assises des ruralités portent donc une ambition forte. Je suis attentive aux propositions du Sénat. Les sujets abordés cet après-midi ont été beaucoup discutés aux Assises.
Les services publics ? Les territoires ruraux ne nous ont pas attendus. Il existe déjà des maisons des services publics dans de petites communes. Le Gouvernement soutient cette démarche et souhaite atteindre l'objectif de 1 000 implantations à l'horizon 2017.
L'accès aux soins est une priorité forte, que vous avez été nombreux à évoquer. Le Gouvernement a développé la télémédecine, favorisé l'implantation des médecins en zones sous-denses. J'y ajoute une hausse de 65 % des bourses pour favoriser l'installation dans des déserts médicaux, 180 praticiens territoriaux, 300 maisons pluridisciplinaires dans plus de 55 départements.
Le Commissariat général à l'égalité des territoires, né cette année, s'affirme. Je souhaite qu'il devienne un laboratoire d'innovation et pèse pour que la ruralité soit prise en compte dans toutes les politiques. La proposition de M. Bertrand que les services publics déconcentrés puissent travailler pour le compte d'autres secteurs géographiques me paraît intéressante ; il faudra creuser l'idée, en lien avec les maisons de l'État.
L'aménagement numérique du territoire est la préoccupation numéro un des élus locaux, c'est vrai pour Internet comme pour la téléphonie mobile. Le très haut débit est devenu un bien essentiel, comme l'eau ou l'électricité. Le programme « France très haut débit » fixe un objectif de couverture intégrale pour 2022, quelque 20 milliards d'euros de financements publics sont mobilisés avec 3,3 milliards pour les zones les moins dotées. Moins le territoire est peuplé, plus il sera aidé ; c'est une forme de péréquation. Une technologie satellitaire sera développée en montagne : fin septembre 2014, 60 projets dans 71 départements ont été déposés. L'objectif de 2022 peut paraître lointain, mais il est déjà très ambitieux ; les délais dépendront beaucoup des capacités des collectivités à se mobiliser. C'est pourquoi j'ai souhaité que les crédits du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire financent le développement de nouveaux usages du numérique dans les contrats de plan État-région. C'est ainsi que 7 millions d'euros leur sont consacrés.
Il faut supprimer les zones blanches et grises de la téléphonie mobile. Les contrats de plan représentent 12 milliards d'euros, dont 960 millions pour le volet territorial. C'est un gros effort de l'État dans la situation financière difficile que nous connaissons. J'ai assoupli les critères, les préfets disposeront de plus de marges de manoeuvre pour faire converger les priorités de l'État et des régions. Je leur ai demandé de se montrer particulièrement attentifs aux besoins des territoires ruraux.
Au-delà des contrats de plan État-région, je souhaite travailler à une nouvelle forme de contractualisation fondée sur la coopération entre l'urbain et le rural, par exemple pour la collecte des déchets ou encore les soins aux personnes âgées.
Ce débat sur la ruralité trouvera toute sa place lorsque le Sénat examinera bientôt le projet de loi NOTRe.
Le Premier ministre a réaffirmé sa volonté de construire des intercommunalités à l'échelle des bassins de vie. Le seuil de 20 000 habitants devra être adapté en zone rurale ; ce qui importe pour moi n'est pas le nombre d'habitants, mais la qualité du projet porté par les élus. Concernant la représentation des territoires ruraux, la proposition de loi Sueur-Richard sera bientôt examinée à l'Assemblée nationale.
Les départements sont confortés dans leurs compétences de solidarités humaine et territoriale. Le Premier ministre l'a rappelé à Pau, ils sont un échelon intermédiaire nécessaire. Les départements sont le pilier de la politique de solidarité entre les âges, comme en témoigne le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement. Aussi le Premier ministre a-t-il voulu augmenter leurs moyens en prolongeant, entre autres, la possibilité de varier le taux des DMTO ; il est ouvert à l'idée d'adapter le potentiel fiscal corrigé.
Le Gouvernement envisage en outre une recentralisation du RSA-socle. Monsieur Labbé, 300 communes ont été candidates à l'expérimentation sur la rénovation des centres-bourgs. Quelque 50 seront retenues, ce n'est pas assez mais il ne s'agit que d'une expérimentation qui pourra être élargie lors de la clause de revoyure des contrats de plan en 2016. Une somme de 14 millions d'euros a été dégagée pour l'ingénierie, 15 millions pour le logement, qui viendront en complément des crédits de droit commun et des crédits européens. Le projet de revitalisation fera l'objet de deux conventions : une avec le préfet de région, l'autre avec le préfet de département.
Monsieur Mézard, je partage votre point de vue. (Sourires à droite) Effectivement, certains territoires urbains sont en crise, certains territoires ruraux se portent bien - heureusement. Néanmoins, je ne vois pas toujours la même chose que vous lors de mes déplacements dans la ruralité et même l'hyper-ruralité : à quelques kilomètres du Cantal, dans le nord du Lot ou de l'Aveyron, j'ai visité des entreprises innovantes dynamiques, travaillant notamment dans l'aéronautique de pointe. Je pense aussi à l'économie de proximité, au tourisme vert, au télétravail, aux coopérations entre écoles d'architecture et communes rurales... J'attends vos propositions dans le cadre des Assises des ruralités...
M. Jacques Mézard. - Ah non !
Mme Sylvia Pinel, ministre. - ... ou dans un autre cadre.
Monsieur Lasserre, je vous lance la même invitation : la péréquation a atteint ses limites...
M. Pierre-Yves Collombat. - Elle est devenue injuste !
Mme Sylvia Pinel, ministre. - Depuis 2002, et non depuis 2012 comme certains voudraient le faire croire, (M. Rémy Pointereau s'insurge) les réformes se sont ajoutées aux réformes sans vue d'ensemble. Rien ne justifie des écarts de 1 à 3 dans la répartition de la DGF. S'il existe des charges de centralité, les communes rurales doivent entretenir les paysages et pèsent sur elles des charges de ruralité. Le Gouvernement travaille à une refonte globale de la DGF.
M. Jean-Claude Lenoir. - On verra !
Mme Sylvia Pinel, ministre. - J'ai préféré concentrer les crédits de mon ministère sur les zones qui en ont le plus besoin dans une logique de contractualisation plutôt que sur les ZRR où l'appel à projets conduit à sélectionner toujours les meilleurs.
Le Fisac ? Nous l'avons trouvé en déficit en 2012 avec une avalanche de promesses non financées...
M. Rémy Pointereau. - Ne soyez pas sectaire ! Un peu d'objectivité !
Mme Sylvia Pinel, ministre. - Je suis objective : c'est moi qui ai été chargée durant deux ans et demi de gérer le Fisac. Je parle d?expérience !
Nous mènerons une concertation approfondie avec les élus ; en attendant, j'ai reconduit les exonérations fiscales liées aux ZRR dans le projet de loi de finances pour 2015. Continuons à tenir ensemble la belle promesse de l'égalité républicaine ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Rémy Pointereau. - La ruralité est sauvée !