Lutte contre le terrorisme (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.
Discussion générale
M. Alain Richard, co-rapporteur pour le Sénat de la CMP . - Ce projet de loi a fait l'objet d'un compromis unanime en CMP, bel exemple de convergence républicaine. Il instaure notamment une interdiction de sortie du territoire, assortie d'une interdiction de transport ; elle a été complétée par une interdiction administrative de territoire qui vise à éloigner ou à maintenir éloignée une personne contre laquelle il existe des raisons sérieuses de penser qu'elle est engagée dans une entreprise terroriste, décision qui pourra faire l'objet d'un recours devant la juridiction administrative. Nous avons modifié la procédure de saisie d'avoirs financiers pour motif de terrorisme, à laquelle le ministère de l'intérieur sera désormais associé.
L'article 9 traite de la procédure administrative de suppression des contenus liés au terrorisme sur internet. L'Assemblée nationale avait introduit la participation d'un représentant de la Cnil ; nous avons dialogué et opté pour que cette mission soit assurée par un membre de la Cnil pour la durée de son mandat.
Sur l'article 15, relatif à la durée de conservation des enregistrements issus des interceptions de sécurité, le Gouvernement, observant le désaccord entre nos deux assemblées, nous a recommandé de supprimer l'article en question. Nous l'avons suivi. Le dispositif en vigueur depuis 1991 demeure donc.
La CMP propose enfin -les deux assemblées ont fait preuve de bon vouloir- de ratifier explicitement le code de la sécurité intérieure, ce qui a supposé un long travail de « peignage ».
Le climat de la CMP fut extrêmement constructif. Nous avons tous eu conscience de la responsabilité devant laquelle nous plaçait le texte. Les députés ont accepté que le texte final reprenne très largement la rédaction du Sénat. Le Gouvernement proposera un amendement pour corriger une erreur de renvoi.
Je veux remercier M. Cazeneuve pour son écoute, rendre hommage à sa force de caractère dans les responsabilités qui sont les siennes et lui témoigner mon amitié. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mlle Sophie Joissains applaudit aussi)
M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur pour le Sénat de la CMP . - Il restait peu de désaccords entre nos deux assemblées sur la répression pénale des actes terroristes, dont j'étais plus particulièrement chargé.
L'article 3, qui inclut les infractions liées aux produits explosifs dans la liste des infractions pouvant recevoir la qualification de « terroriste », avait déjà été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées. La CMP a approuvé la création, à l'article 5, du nouveau délit d'entreprise individuelle terroriste. C'est la rédaction du Sénat qui a été retenue, à l'exception de la notion, trop imprécise et non nécessaire, de préparation logistique d'un acte terroriste. Les enquêteurs et la justice disposent désormais d'un fondement juridique efficace pour appréhender les phénomènes d'auto-radicalisation tout en évitant -ce qui aurait été incompatible avec les principes de notre droit- la pénalisation de la seule intention criminelle.
En revanche, à l'article 4, sur le délit d'apologie et de provocation au terrorisme, la CMP a préféré revenir, pour l'essentiel, au texte initial du Gouvernement, excluant les actes d'apologie et de provocation du champ de la loi de 1881. Il faudra toutefois y revenir pour trouver un traitement adapté pour la propagande sur internet.
La centralisation du traitement des actes terroristes auprès du TGI et de la cour d'appel de Paris était essentielle.
Enfin, M. Richard l'a dit, à défaut de trouver une rédaction qui concilie demandes récurrentes du ministère de l'intérieur et contrôle efficace de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CMP a décidé la suppression pure et simple de l'article 15, qui était relatif à la durée de conservation des enregistrements.
Ce texte, compte tenu de l'évolution du terrorisme, est extrêmement utile ; il donnera à nos services de renseignements, aux forces de sécurité et à la justice les moyens de combattre efficacement les nouvelles formes de terrorisme. N'en déplaise à ceux qui tremblent pour les libertés publiques, ce texte est parfaitement conforme à notre état de droit. Je me réjouis de cet aboutissement consensuel et du travail commun réalisé avec M. Richard. (Applaudissements sur divers bancs)
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville . - Je vous prie d'excuser M. Cazeneuve.
Nous assistons, avec la guerre en Syrie et en Irak, à une mutation rapide du terrorisme. Il est désormais en libre accès : on peut de chez soi consulter des sites faisant l'apologie du meurtre de masse et s'auto-radicaliser avant de prendre un aller simple pour les terres du djihad. Chacun peut en outre, avec une facilité déconcertante, acquérir le savoir-faire minimal pour commettre des actes terroristes de proximité.
Grâce aux nouvelles technologies, le virus du terrorisme est inoculé dans l'esprit de jeunes Français vulnérables, leur laissant croire que l'ennemi est leur propre pays. Nous devons éviter qu'ils succombent à la tentation du martyr ou à la fascination du meurtre, tout faire aussi pour combattre la menace potentielle que représente le retour en France de ceux qui, déshumanisés, ayant appris le maniement des armes, cherchent à reproduire sur notre territoire, au nom du djihad, la violence barbare qu'ils ont connue en Syrie ou en Irak.
Le Gouvernement a agi vite en mettant en place dès avril le centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation, chargé de traiter les signalements effectués via les plates-formes téléphoniques ou internet ou par les états-majors de sécurité. On en dénombre 600 depuis fin avril, dont 25 % de mineurs. La circulaire du 15 mai 2014 demande aux préfets et procureurs d'organiser le suivi de ces mineurs et de s'opposer, si besoin est, à leur sortie du territoire. Parallèlement, la transmission de renseignements entre les administrations au sein de l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (Uclat) a été améliorée ; un département de lutte contre la radicalisation a été créé en son sein.
Un débat riche et digne à l'Assemblée nationale et au Sénat nous a rassemblés et a abouti à ce texte efficace. Le Gouvernement remercie les rapporteurs du texte et tous ceux qui ont contribué à l'améliorer. Quand il s'agit de la sécurité des Français, le consensus républicain s'impose. Le Gouvernement souhaitait retenir la version la plus ambitieuse possible du texte ; c'est ce à quoi est parvenue la commission mixte paritaire, avec quatre innovations majeures -toutes respectant l'état de droit et soumise au contrôle des juges. La première est l'interdiction de sortie du territoire, à l'article premier ; rigoureusement encadrée dans ses motifs et sa durée, elle sera rendue effective grâce au retrait de la carte nationale d'identité et la remise des documents contre récépissé, qui ne devront pas être stigmatisants. L'interdiction d'entrée et de séjour pour les personnes ne résidant pas en France a été adoptée à l'article premier bis.
Deuxième innovation, la création d'un délit d'entreprise individuelle terroriste permettra d'appréhender un individu isolé et résolu, s'il est détecté, avant le passage à l'acte. C'est une adaptation de notre législation à de nouvelles formes de terrorisme sans que soit remis en cause le principe de légalité des délits et des peines.
L'article 9 rendra possible le blocage administratif de sites appelant au terrorisme ou en faisant l'apologie. Ce blocage, demandé par l'autorité administrative aux éditeurs, hébergeurs et, à défaut, aux fournisseurs d'accès, sera contrôlé par un membre de la Cnil. Le déréférencement des sites illicites sur les moteurs de recherche améliorera encore le dispositif. Le texte est équilibré, écartant les risques de surblocage.
Enfin, l'apologie et la provocation au terrorisme ne relèveront plus de la loi de 1881 mais du droit ordinaire.
L'agence de gestion des recouvrements des avoirs criminels -à l'article 15 ter- financera le dispositif des repentis et l'intéressement des forces de sécurité aux saisies opérées.
Un plan Vigipirate en milieu aérien pourra être créé le cas échéant. Si le texte pérennise certaines mesures d'accès aux fichiers et de contrôle, l'article 15 a été supprimé.
Ce texte est nécessaire à la sécurité des Français. L'entreprise criminelle des terroristes et de ceux qui veulent les rejoindre sera freinée. La calme résolution qui anime ce texte fait sa force et l'honneur de la République. (Applaudissements sur divers bancs)
M. Michel Mercier . - La CMP s'est mise d'accord pour mieux armer l'État dans sa lutte contre le terrorisme. Il est heureux que tous les républicains se rassemblent ainsi. Les esprits évoluent -souvenons-nous de ce que nous vivions en mars 2012, après l'affaire Merah... Sans doute faudra-t-il un jour un autre texte, car le terrorisme évolue sans cesse. Pour l'heure, celui-ci nous satisfait. Il réalise un bon équilibre entre protection des libertés publiques et sécurité. L'idée même de les mettre en balance est bizarre, pour ne pas dire plus : le terrorisme est la négation des libertés publiques.
Je salue les mesures prévues à l'article premier et l'interdiction de sortie du territoire ; ainsi que les nouvelles incriminations, plus dissuasives. Le délit d'entreprise terroriste individuelle manquait à notre arsenal, alors que les phénomènes de radicalisation sont souvent individuels, notamment dans les prisons. Je me félicite que l'on sorte du cadre de la loi de 1881 ce qui a trait au terrorisme. Il fallait une procédure claire, la procédure antiterroriste pour toutes les poursuites en la matière.
Oui, cette loi assure les libertés publiques tout en permettant de combattre plus efficacement le terrorisme. C'est pourquoi notre groupe la votera à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC, UMP, RDSE ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit aussi)
Mme Esther Benbassa . - La lutte contre le terrorisme est une impérieuse nécessité. Les progrès de l'implantation de l'État islamique dans une région à feu et à sang depuis des années, l'insupportable assassinat de notre compatriote Hervé Gourdel, les décapitations d'occidentaux sont venus nous rappeler notre vulnérabilité face à la barbarie. Le groupe écologiste a pleine conscience de la légitimité d'un combat résolu contre toutes les formes de terrorisme et de violence ; il est également convaincu que vouloir rendre la lutte plus efficace ne justifie pas que l'on brade les libertés individuelles.
Je réaffirme qu'il est urgent de s'attaquer aux causes profondes de l'émergence d'un terrorisme endogène. Pourquoi certains jeunes, souvent récemment convertis à l'islam, se découvrent-ils une vocation de djihadiste ? Comment endiguer un phénomène qu'on ne comprend pas ?
Pas plus que le projet de loi initial, le texte de la CMP n'atteint un juste équilibre entre efficacité de la lutte anti-terrorisme et protection des libertés individuelles. Trop d'atteintes à la liberté d'aller et venir, à la liberté de circulation dans l'espace Schengen, aux principes du contradictoire, de non-répression des actes préparatoires, de proportionnalité...
La lutte antiterroriste ne doit pas être instrumentalisée à d'autres fins. Or l'article premier bis, introduit au Sénat par un amendement du Gouvernement, crée rien de moins qu'une interdiction administrative du terrorisme français pour un ressortissant de l'Union européenne s'il représente une « menace » pour la sécurité publique -sans qu'aucun lien ne soit fait avec une entreprise terroriste. Comprenez notre inquiétude, partagée par de nombreuses associations de défense des droits des étrangers. La définition, très large, permet d'interdire l'entrée du territoire à quasiment tout le monde. Certains y ont vu un amendement anti-rom...
Mme Éliane Assassi. - C'est vrai !
Mme Esther Benbassa. - Peut-être cette disposition ne sera-t-elle pas appliquée en ce sens sous votre administration, madame la secrétaire d'État, mais il faut rappeler que le Conseil d'État a considéré que la mendicité agressive d'une femme rom, qui n'avait été ni condamnée ni même poursuivie, constituait une menace pour les intérêts fondamentaux de la société... Notre groupe votera contre ce projet de loi.
Mme Éliane Assassi . - Je ferai entendre, moi aussi, une voix dissonante. Cela fait des mois que des juristes, des associations de protection des droits de l'homme, des associations de citoyens -et nous avec eux- dénoncent ce projet de loi qui contient des mesures attentatoires aux libertés individuelles et dérogatoires au droit commun.
Le texte issu de la CMP valide en particulier des mesures introduites par le Gouvernement par voie d'amendement, à commencer par l'article premier bis. Comme l'a dit Mme Benbassa, les motifs invoqués ne sont nullement limités au terrorisme. Cet article permet d'interdire l'entrée sur le territoire à peu près à n'importe qui -des manifestants contestataires ou des populations roms. Le ministère de l'intérieur nous oppose qu'il se contente d'appliquer la résolution des Nations unies du 25 septembre. Nous pensons, nous, qu'il s'agit d'une très sérieuse entorse à la liberté de circulation des personnes, disproportionnée et subjective. Pouvoir discrétionnaire du ministre de l'intérieur et sanction absolue, contrôle tardif du juge, administratif qui plus est : nous ne sommes pas loin de l'arbitraire.
Jamais je n'aurais imaginé qu'un gouvernement comme le vôtre ait recours à de telles méthodes. Je n'ose imaginer les réactions à gauche si un gouvernement de droite en avait usé... Mais ça, c'était hier.
M. Christophe Béchu. - C'est vrai !
Mme Éliane Assassi. - Après le blocage des sites internet, le déréférencement des moteurs de recherche. Ce mécanisme existe pour les jeux en ligne, dit le ministre ; certes, mais seulement après intervention du juge en référé. Ici, c'est l'administration qui détient le pouvoir de censure. Ce projet de loi liberticide ressort d'une législation sécuritaire saupoudrée çà et là de prétendues garanties procédurales.
Nous sommes des républicains et de farouches adversaires du terrorisme sous toutes ses formes. Nous ne nions ni ne minimisons le phénomène. Mais nous voulons comprendre, prévenir, dissuader et, si nécessaire, réprimer. Mais pas question d'approuver des mesures qui vont bien au-delà de la seule lutte anti-terroriste. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jacques Mézard . - Le groupe RDSE votera très majoritairement ce texte. La lutte contre le terrorisme a toujours été un exercice difficile, dans la recherche d'un équilibre entre pragmatisme et principes.
Ce texte n'empêchera pas complètement la propagande terroriste sur internet et les réseaux sociaux. Le plan d'action contre le terrorisme contient d'indispensables mesures préventives. Pour le RDSE, le Parlement devrait se pencher sur une réforme en profondeur des moyens d'investigation et de l'organisation des services de police et renseignement. Le rapport du procureur Robert trace des pistes intéressantes -voir l'article 10 bis, issu d'un de nos amendements. Ce texte constitue un début de réponse au nouveau terrorisme qui fleurit dans nos quartiers, dans les esprits les plus vulnérables.
Nous avons rappelé, en première lecture, les difficultés posées par l'interdiction de sortie du territoire ; attentatoire à la liberté d'aller et venir, elle devra être motivée et étayée par des faits circonstanciés. Nous regrettons que l'on n'ait pas rappelé ici les principes des droits de la défense et du contradictoire dans les procédures administratives -une dérogation aurait pu être introduite en cas d'urgence. Les attentats commis il y a deux semaines au Canada montrent que le retrait du passeport n'est pas toujours suffisant...
L'interdiction administrative du territoire comble une lacune du système Schengen. J'espère que les négociations en cours au niveau européen aboutiront ; le contrôle de ses frontières extérieures est une question fondamentale pour l'Union.
Quant au blocage des sites, il n'est pas sûr qu'il soit efficace. En outre, les outils numériques ne sont que la partie émergée d'un iceberg dont la partie immergée est constitué par des réseaux de financement illégaux. Le groupe terroriste Daech détient à lui seul une richesse évaluée à plus de 2,3 milliards de dollars. Tracfin nous alerte sur la difficulté à traquer le blanchiment, même de faibles sommes. Il faudrait s'interroger sur le rôle joué par certains États, comme le Qatar ou l'Arabie saoudite. Comment admettre que leurs investissements massifs en Occident financent le terrorisme sur notre territoire ? Cela dit, nous voterons ce projet de loi.