Délimitation des régions (Deuxième lecture - Suite)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Discussion générale (Suite)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral . - Pour la clarté de nos débats, la commission spéciale demande une disjonction de l'amendement n°98 de M. Dantec des vingt-neuf amendements en discussion commune sur la carte régionale.
Il en est ainsi décidé.
M. Jean-Pierre Masseret . - Ce débat est politique, non pas technique. Il porte sur le redressement de la France, à la suite des difficultés que nous avons éprouvées à considérer le réel. Je pourrais évoquer la période 2002-2012...
M. Alain Néri. - Par exemple !
M. Jean-Pierre Masseret. - ....marquée par la désindustrialisation, l'envolée des déficits...
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Elles ont commencé dans les années soixante-dix.
M. Jean-Pierre Masseret. - Il s'agit de faire comprendre la réforme, de faire accepter des changements, pour faire bouger les lignes. Trois défis doivent être relevés : redressement productif, mise à jour de notre champ social en respectant l'humain, réforme territoriale pour refonder la République sur les territoires, et promouvoir la croissance et l'emploi.
M. Alain Néri. - Voilà !
M. Jean-Pierre Masseret. - C'est pourquoi le Gouvernement a proposé la régionalisation, la métropolisation, l'intercommunalisation et le maintien des communes. Il fallait fractionner les projets de loi sinon les débats auraient duré des mois. C'est un prétexte à des critiques politiciennes.
M. Jean-François Husson. - Merci.
M. Jean-Pierre Masseret. - La question des missions départementales était posée. Le maintien d'une telle mission consacrée aux solidarités de proximité découle de la déclaration d'hier par le Premier ministre.
M. Didier Guillaume. - Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret. - Ce débat sur les régions est concomitant à celui sur les compétences transférées. Là aussi, la posture politicienne ne doit pas devenir une imposture démocratique. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes)
M. Jean-Jacques Filleul et M. Alain Néri. - Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret. - L'efficacité est au rendez-vous de la réforme.
M. François Grosdidier. - Non !
M. Jean-Pierre Masseret. - Il s'agit de tenir un cap, partagé : comment inscrire nos régions dans la compétition économique du XXIe siècle ? Une doctrine : comment favoriser la croissance et l'emploi ? Les objectifs seront déclinés sur les territoires : transition écologique, société numérique, innovation.
La méthode, c'est la coconstruction. Les moyens seront mutualisés, avec les outils mis à disposition par le Gouvernement...
Mme Catherine Troendlé. - Ah bon !
M. Jean-Pierre Masseret. - ... correspondant aux réalités économiques. La taille ne fait pas la puissance, certes, mais la dimension démographique doit être prise en compte car elle crée un rapport de forces. (On le conteste sur les bancs UMP) Les grandes régions ont un rôle majeur à jouer à cet égard pour rééquilibrer l'efficacité et les moyens. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-François Husson. - La toise !
M. Jean-Pierre Masseret. - Quoi que certains réclament, à contre-courant, ce n'est pas l'institution qui fait la proximité, mais son organisation opérationnelle. C'est une question de physique, c'est mécanique. (Exclamations à droite) L'extension conduira à la territorialisation des politiques, en association avec les citoyens, les associations, les organisations professionnelles. Ce n'est pas de la technique administrative, car cela dépend avant tout de la volonté politique et de l'organisation et l'on verra alors où est le progrès, où sont les conservatismes. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs socialistes ; exclamations sur les bancs UMP)
Restez calmes ! Patience... Le Gouvernement nous invite à être au rendez-vous de la refondation de notre République sur notre territoire. Ce projet de loi correspond aux exigences du temps, à l'ouverture sur le monde, aux enjeux que nous devons relever. Oui, c'est la refondation de notre République sur le territoire. Nous croyons, nous socialistes, que c'est la bonne voie pour répondre aux préoccupations essentielles de la croissance, de l'emploi, de l'humain sur notre territoire. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat . - Franchement, monsieur le ministre, comment peut-on se moquer autant du monde, avec ce bonneteau régional et les palinodies sur le calendrier électoral ?
M. Jacques Mézard. - Excellent !
M. Pierre-Yves Collombat. - Les élections reculées à décembre 2015, avant qu'on revienne à mars 2015 pour les cantonales et à décembre 2015 pour les régionales. Les conseillers départementaux et régionaux élus pour des durées différentes, prenant fin au même moment en 2020. On fait de la durée des mandats la variable d'ajustement ! Du grand n'importe quoi auquel notre commission spéciale a prêté la main (Exclamations sur les bancs UMP) car la droite préfère voir deux défaites de la gauche qu'une seule.
Voilà qu'on paralyse les administrations régionales, focalisées sur leur réorganisation interne au lieu de se mobiliser contre la crise.
M. André Reichardt. - Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. - Réforme structurelle pour plus d'efficacité, prétend l'étude d'impact, mais nos brillants réformateurs sont bien en peine de nous expliquer le lien entre le redressement national et l'augmentation de la taille des régions.
M. Bruno Sido. - Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. - Le rôle de l'Ile-de-France ne dépend pas de sa taille, non plus que l'Alsace, qui a le même PIB que la région Provence-Alpes-Côte d'azur pour une population cinq fois moindre. Il est clair qu'il n'y a pas de lien entre la taille des régions et leur dynamique économique.
M. René-Paul Savary et M. André Reichardt. - Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. - La bureaucratie libérale de l'OCDE a des doutes sur cette chirurgie régionale. On est bien incapable d'évaluer l'impact économique d'une telle réforme. Mais l'étude d'impact a été validée par le Conseil constitutionnel.
Mettre en place une dizaine de régions aux compétences « strictement stratégiques » comme le proposait le rapport Krattinger-Raffarin, cela n'a rien à voir avec ces treize ou quatorze régions qui s'occuperont des collèges, des routes et des offices de tourisme.
On annonce une réforme spectaculaire et après, on voit. La notion même de taille critique est contestable. Ce sont des réseaux économiques, de rayonnement divers, qui font la différence. Même en Allemagne, les Länder sont très disparates : la Bavière représente vingt-et-une fois le Land de Brême. Le succès économique allemand - plus douteux qu'il n'est convenu de dire - n'a rien à voir avec leur taille.
Nulle amélioration de l'administration territoriale à attendre de cette réforme, il ne s'agit que de complaire à Bruxelles, à Berlin, aux libéraux. Rendez-vous en mars 2015 ! (Applaudissements sur les bancs RDSE, ainsi que sur quelques bancs UDI-UC et UMP)
M. Claude Kern . - La réforme territoriale est indispensable. Notre pays est en crise, les réformes sont urgentes.
M. Bruno Sido. - Pas celle-là !
M. Claude Kern. - Oui, il fallait réformer l'État territorial, ce que ne fait pas ce projet de loi, qui suscite de vives crispations, voire la révolte des collectivités territoriales. La situation du pays exige que nous soyons solidaires. Le travail de la commission spéciale témoigne de cette volonté, à la hauteur des enjeux de cette réforme. Il y va de la France. L'objectif du Gouvernement est de réduire le nombre de régions. La sagesse du Sénat et son esprit réformateur ont abouti à un équilibre pragmatique. Ce nouveau visage de la France des régions est le premier maillon de la réforme. Je souhaite que les propositions de notre commission spéciale soient suivies en séance publique.
M. Bruno Sido. - On verra.
M. Claude Kern. - En Alsace, nous ne rejetons pas les autres régions (M. Georges Labazée se montre dubitatif), mais nous portons une identité forte, historique, culturelle, économique. Il faut préserver son périmètre actuel.
Ce premier projet de loi est le début d'un processus qui conduira à une nouvelle organisation territoriale de la République. Nos territoires doivent rivaliser avec les grandes régions européennes, afin de redevenir une puissance économique de premier plan. Il y va de la prospérité et de la croissance, de l'emploi, des filières d'avenir, du développement des entreprises de taille intermédiaire. La force de l'Allemagne tient à son Mittelstand, ses moyennes entreprises. S'il ne s'agit pas de reproduire le modèle allemand, il est utile de l'étudier et de s'en inspirer. Faisons confiance à nos entreprises. La réforme territoriale est indispensable pour redonner à la France une réactivité et une dimension économique à la hauteur des ambitions et des exigences de nos concitoyens.
J'insiste sur le bloc communal. Les communes, lieu de la démocratie de proximité et les intercommunalités, forces de développement, doivent prendre toute leur place dans cette réforme.
C'est une intercommunalité cohérente, assise sur les besoins de croissance et non sur un seul critère de population, qui sera l'interlocutrice pertinente des régions. Nous y reviendrons lors de la discussion du second volet de la réforme. Nous avons trouvé les ressources nécessaires pour poser les premiers jalons. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et plusieurs bancs UMP)
M. René-Paul Savary . - Oui, monsieur le ministre, au cours de ces débats, nous évoluons : notre groupe en première lecture avait espéré une approche différente ; nous avons fait preuve d'esprit de réforme. Nous sommes des réformateurs (On renchérit à droite). Nous recherchons une efficacité économique aussi et je ne suis pas sûr que le Premier ministre ait répondu à toutes nos interrogations.
M. Roland Courteau. - Quand même !
M. René-Paul Savary. - Fini le big bang, voici les petits pas constructifs. De grandes régions stratégiques, soit, mais confondre la taille et la puissance relève d'une conception très masculine. (Sourires) Ne mélangeons pas les genres, soyons pragmatiques : les routes et les collèges sont des équipements de proximité, laissons-les aux collectivités de proximité (Applaudissements à droite et sur quelques bancs UDI-UC).
Les budgets des métropoles sont plus importants que ceux des régions, ne l'oublions pas.
Le seuil de 20 000 habitants n'est plus définitif. C'est bien. Mais pourquoi donc avoir créé ces binômes ? Quelles disparités, quelles incohérences que ces intercommunalités aux conseils plus nombreux que des conseils régionaux ! Que devient le sentiment d'appartenance ? Il faut progresser encore pour mieux respecter les territoires ruraux.
N'organisez pas une France à deux vitesses. Il y aura des régions génétiquement modifiées. On passera du temps à les mettre sur pied, par rapport à des régions déjà structurées, efficaces.
Autre préoccupation : le département du chef-lieu de région risque de connaître des difficultés. Châlons-en-Champagne vient de perdre un régiment et 1 200 emplois, si elle perd aussi sa fonction de chef-lieu, elle va encore perdre des milliers d'emplois.
La sous-représentation rurale pose problème. Il faut trouver des solutions, ensemble, je l'espère.
Ma région, Champagne-Ardenne, a été ballottée, d'est en ouest, au gré des vents politiques. On veut la mettre sous la coupe d'une métropole, alors qu'elle est à trois quarts d'heure de Paris, qui est sa véritable capitale métropolitaine, ni Lille, ni Strasbourg. Il est tout à fait légitime que les grandes métropoles aillent avec de petites régions. Le raisonnement s'applique à l'Alsace et au Nord-Pas-de-Calais. (M. Michel Delebarre approuve) La réalité administrative doit se caler sur la réalité économique. En revanche, il y a des territoires qui, comme la Picardie, la Lorraine ou Champagne-Ardenne, ne comptent aucune métropole, qui connaissent les mêmes difficultés. Le fait d'avoir une métropole ne transformera pas tout. Quand on a 200 habitants par kilomètre carré, on a une rentabilité que l'on ne peut obtenir lorsqu'on a 50 habitants par kilomètre carré.
Mme la présidente. - Veuillez conclure !
M. René-Paul Savary. - Il faut que cette carte évolue. Des départements doivent pouvoir être détachés. Acceptez des mandats de six ans pour les conseils généraux ou départementaux. Nous avons fait un pas pour notre territoire. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - L'intervention du Premier ministre a resitué cette réforme par rapport à ses objectifs : clarté, efficacité et exemplarité de la dépense publique. Des régions plus grandes, dotées d'une force de frappe économique leur permettant de faire entendre leur voix dans le concert européen et mondial, tout cela a du sens, dès lors que la gestion de proximité demeure pour les collèges par exemple.
L'émergence de ces grandes régions à laquelle je souscris a pour corollaire le maintien d'un échelon de proximité, conseils généraux, départementaux demain.
M. Bruno Sido. - Très bien !
Voix socialistes. - Très bien !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Pas de seuil démographique dogmatique ! M. le Premier ministre a fait hier à cette tribune des avancées intéressantes, attestant des capacités d'écoute de ce gouvernement.
Le regroupement de Poitou-Charentes, d'Aquitaine-Limousin, est frappé au coin du bon sens, pourvu qu'on ne veuille pas faire gérer tous les collèges depuis Bordeaux. La métropole bordelaise est de taille européenne, mais Limoges et Poitiers devront conserver leur rôle de métropoles d'équilibre, ce qui passe par le maintien d'une vraie représentation régionale. Rassurons les agents. La prise de décisions politiques au niveau des grandes régions ne signifie pas la fin de leur implication à l'échelon national, sinon on ferait le jeu des idées les plus détestables.
On ne peut qu'adhérer au report des élections régionales, mais je regrette que les élections départementales aient été avancées en mars 2015.
M. Jean-Jacques Hyest. - Non : maintenues.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Peu importe le chemin, l'essentiel est d'arriver. Il eût été préférable de commencer par les compétences...
M. Bruno Sido. - Eh oui !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - ... mais on ne pleure pas sur le lait renversé.
Je voterai le texte proposé, car il acte une nouvelle carte des régions, des régions plus fortes. J'interviendrai de façon positive, mais offensive, pour que ce nouvel acte soit bien de décentralisation. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Bonnecarrère . - Je me fais le porte-voix de M. Luche. Il eût mieux valu commencer par les compétences, avant de modifier les périmètres. Nous avions préparé des amendements à l'article premier. J'y reviendrai.
Notre point de vue part de la réalité des régions : Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon. Chacune de ces régions a une superficie supérieure ou équivalente à celle de la Belgique et dispose d'une métropole ; il y a donc une cohérence, par rapport à la loi Mapam, à ce que chacune puisse persister dans son être.
Ouverture sur l'Espagne et la Catalogne ? Certes, mais elle est commune à nos trois régions, et n'oublions pas l'Aragon et le Pays basque. Les pôles de compétitivité principaux sont communs à l'Aquitaine et à Midi-Pyrénées. La démographie ? La seule région Languedoc-Roussillon a une démographie supérieure à la région Centre. Notre propos vise à ce que les régions actuelles soient respectées. Hier nous avons rendu hommage à Christian Bourquin qui se battait en ce sens.
Le Sénat n'est pas passéiste. Nous avons ainsi prévu un amendement de repli : si l'on veut de grandes régions de taille européenne, que cette région s'appelle, alors, le Sud-Ouest. Il existe bel et bien, avec notre géographie, notre histoire millénaire, notre culture commune, celle du rugby, de la tauromachie, de l'occitan. Nous sommes les enfants d'un même territoire. Si, demain, vous deviez envisager un choix différent, ce serait une faute historique que de casser notre Sud-Ouest, qui est notre vie, notre culture. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
Mme Catherine Troendlé . - Une réforme territoriale est nécessaire, chacun en convient. Mais la méthode du Gouvernement - le découpage avant les compétences - est incohérente.
Le projet de collectivité unique d'Alsace aurait été mieux compris si on avait procédé inversement. Des réactions violentes eussent été évitées.
Loin de nous toute idée de rejet ou de repli. Les Alsaciens ont pour ambition de créer chez eux une collectivité territoriale unique, au nom de la modernité. Bruno Retailleau nous appelait à penser la diversité dans l'unité française pour une meilleure efficacité. Notre projet simplifierait l'architecture territoriale et ferait faire des économies dans une région dont la taille, l'identité, l'ouverture sur le monde le justifient. L'Alsace ne refuse pas de mutualiser ses moyens avec ses voisins, elle est tournée vers les autres, y compris les Länder allemands voisins, mais aussi la Suisse, la Chine, la Corée du Sud.
L'expérience a montré que le conseil régional d'Alsace pouvait expérimenter des compétences nouvelles dans le ferroviaire ou la gestion des fonds européens.
Lors du référendum du printemps 2013, 58 % des Alsaciens se sont prononcés pour une collectivité unique.
M. Jacques Bigot. - Les Haut-Rhinois n'en veulent pas !
Mme Catherine Troendlé. - Hélas, la participation n'a pas été suffisante. Mais tout le monde convient de la pertinence de ce projet : voyez la récente manifestation à Strasbourg, où les Haut-Rhinois étaient en nombre ! Plus de 60 000 personnes ont signé la pétition du maire de Mulhouse, les élus se sont mobilisés, les trois assemblées se sont prononcées à une écrasante majorité pour la fusion.
En commission spéciale, vingt commissaires sur trente-trois ont voté le détachement de l'Alsace. Les présidents de la région et des deux départements ont plaidé la cause de l'Alsace auprès du Premier ministre, qui a déclaré le projet de collectivité unique « intelligent », souhaité un compromis entre les deux chambres et promis de s'en remettre au débat parlementaire. (Mouvements divers)
L'Alsace n'a jamais déçu la France. Elle lui a toujours prouvé son attachement et elle a su relever tous les défis d'une histoire tourmentée. Son destin est entre nos mains. (Applaudissements à droite et au centre)