Délimitation des régions (Deuxième lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Discussion générale

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Ayant participé au débat de cet après-midi qui témoigne tant de la spontanéité que du talent des sénateurs, j'irai à l'essentiel et tenterai de répondre à quelques interrogations.

Une réforme territoriale est toujours difficile : c'est toucher à des singularités, à la diversité de la France, à des habitudes ancrées et des fonctionnements établis ; il y faut toujours de l'audace. On en a beaucoup parlé, on l'a peu faite. Le Gouvernement, lui, veut agir.

Oui, notre réforme est cohérente. Elle se constitue d'un ensemble de loi qui, articulées les unes aux autres, lui donne sa force. Nous avons voulu doter la France de métropoles puissantes, portant des politiques ambitieuses, capables de rayonner en Europe, de soutenir leur développement économique. À Lyon, l'imagination des élus, sous l'impulsion de MM. Collomb et Mercier, a été un facteur de modernisation pour un territoire qui compte : pôles de compétitivité et universitaires, transports urbains, énergies de demain.

Nous voulons à présent créer de grandes régions aux compétences clarifiées, des intercommunalités puissantes, et faire en sorte aussi que l'administration territoriale de l'État gagne en proximité et en efficacité, pour offrir aux citoyens et aux élus les services dont ils ont besoin. Le président Retailleau nous a demandé des éclaircissements ; je vais y revenir.

Je veux d'abord évoquer le regroupement des régions : elles doivent atteindre une taille critique pour peser davantage en Europe et investir. En moyenne, les régions françaises comptent 2 millions d'habitants contre un peu plus de 4 millions en Italie et un peu plus de 5 millions en Allemagne. Après la réforme, nos régions auront une taille similaire à celles de nos voisins.

Cependant, la taille n'est pas tout. (« Ah ! » à droite) J'en ai quelque expérience. Les régions doivent avoir les moyens d'investir, de se développer. Quand on regarde la carte, on voit que toutes les régions compteront une métropole, toutes quatre pôles de compétitivité. Je crois avoir compris que la carte votée par les députés n'a pas reçu votre complet agrément... J'ai entendu qu'il existait une carte parfaite, qui n'était pas celle que le Gouvernement, pour quelque obscure raison, avait choisie. Et j'ai constaté à l'Assemblée nationale qu'il y avait autant de cartes que de parlementaires... Une carte pertinente est au croisement de préoccupations souvent nobles mais très différentes selon les territoires où elles s'expriment, qui tiennent aux équilibres politiques, à l'histoire, à l'identité et à la richesse des territoires.

En première lecture, le Sénat a jugé préférable de ne pas tenter de dessiner une carte. En deuxième lecture, votre commission spéciale a finalement accouché d'une carte, qui laisse l'Alsace seule et disjoint les Midi-Pyrénées du Languedoc-Roussillon. Avec les amendements qui viendront, nous en serons bientôt revenus à 22 régions...

Le Gouvernement ne serait sincère dans sa volonté de dialogue que s'il se rangeait à la position du Sénat, ai-je entendu. Mais le débat doit conduire chacun à défendre ses convictions tout en recherchant un compromis. Nous verrons bien si cela est possible.

Je comprends l'attachement des Alsaciens à leur histoire et à leur identité. 

M. André Reichardt.  - Pas seulement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Jean-Marie Meyer définit l'Alsace comme une « région mémoire ». En 1701, le contrôleur général des finances du roi a dû avertir l'intendant en lui écrivant : « Il ne faut point toucher au visage de l'Alsace ». Je peux comprendre que l'Alsace ait peur de perdre une partie de son identité.

Mme Catherine Troendlé.  - Cela n'a rien à voir !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - J'ai entendu à l'Assemblée nationale comme ici l'expression d'une identité alsacienne forte.

Mme Catherine Troendlé.  - Un projet !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Ma préoccupation centrale est celle de Strasbourg, capitale européenne. N'est-elle donc pas digne d'être la capitale d'une grande région ? (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes) Mme Keller, M. Ries, M. Bigot savent combien la place de Strasbourg comme siège du Parlement européen est contestée. Je crois que Strasbourg, capitale d'une grande région, pivot d'un axe européen avec les Länder allemands, serait plus forte. Le débat aura lieu.

Quant aux régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, elles compteraient ensemble plus de 4,5 millions d'habitants et deux métropoles. Les pôles de compétitivité coopèrent déjà dans cette vaste zone tournée vers la Méditerranée. Des considérations économiques et de développement nous amènent à défendre la fusion des deux régions.

Que le Gouvernement ait une carte et y tienne ne signifie pas que le débat n'aura pas lieu dans le respect des positions de chacun.

La deuxième modification apportée par le Sénat a trait au poids des petits départements dans les grandes régions, sujet cher au président Mézard. Votre commission a porté à cinq le nombre minimal des représentants de chaque département dans les conseils régionaux. Si nous comprenons parfaitement votre préoccupation, qui est légitime, la Constitution n'a pas changé depuis cet été... Et notre analyse non plus.

Enfin, le droit d'option. Votre commission a prévu une majorité qualifiée des trois cinquièmes de la région de départ pour refuser le départ d'un département. Trouvons un équilibre entre souplesse et stabilité : le Gouvernement regarde avec intérêt l'amendement du groupe socialiste, qui prévoit une majorité simple. Le droit d'option ne doit pas conduire à l'instabilité territoriale.

J'en viens à l'administration territoriale de l'État. Il y aurait là une aporie, selon le président Retailleau : toute réforme conduirait à délaisser les territoires. Il est vrai qu'au cours du précédent quinquennat, on a compté 600 suppressions d'emplois par an. Le projet de budget pour 2015 n'en prévoit que 180, grâce à la mutualisation via les plate-formes interdépartementales des services publics, sans affecter ces derniers.

La RGPP et la RéATE n'ont donné lieu à aucune révision des missions de l'État, ni à aucun acte de déconcentration. La révision, nous la faisons ; et la déconcentration sera approfondie.

Nous travaillons avec le secrétariat général du Gouvernement et les secrétariats généraux des ministères à identifier ce qui doit relever de l'administration centrale, de l'administration déconcentrée de l'État ou d'autres structures, et les doublons avec les missions des collectivités territoriales. D'ici la fin de l'année, une charte de la déconcentration donnera aux préfets des pouvoirs nouveaux, non pour recentraliser, monsieur le président Retailleau : vous ne trouverez aucun alinéa dans ce projet de loi transférant des compétences, même partiellement, des collectivités locales vers l'État. (M. Gérard Longuet le conteste)

En revanche, comme le souhaitait la précédente majorité, nous donnerons aux préfets plus de pouvoirs interministériels, à périmètre inchangé des compétences de l'État et dans le strict respect de la Lolf.

La réforme de l'État et la réforme territoriale doivent, à coup sûr, être mises en cohérence et être ambitieuses l'une et l'autre. Nous confierons un mandat de gestion aux préfets de région en étroite concertation avec les élus et les organisations syndicales pour dessiner la cartographie des services publics dont le pays a besoin.

Puisse ce débat aller au fond des choses. Vous pouvez compter sur mon écoute et ma volonté de trouver autant que faire se peut des compromis utiles. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission spéciale .  - Ma présence ici est singulière puisque je n'étais pas rapporteur du projet de loi en première lecture. À la suite du renouvellement sénatorial, M. Delebarre a souhaité passer la main. Singulière aussi puisque, en deuxième lecture, nous sommes contraints par la règle de l'entonnoir qui nous interdit de remettre en cause l'intégralité du texte amendé par l'Assemblée nationale.

La philosophie de ce texte consistait au départ à regrouper les régions -pourquoi pas ?- mais aussi à supprimer à terme les départements, ce dont témoignait le report des élections départementales à la même date que les élections régionales. En première lecture, le Sénat n'a disposé que de quatorze jours entre le dépôt du texte et son examen en séance publique. Impossible, ainsi, d'avoir un débat approfondi et serein. Malgré tout, la commission spéciale a travaillé. Nous penchions pour le rapport Raffarin-Krattinger, qui proposait de grandes régions, certes, mais s'appuyant sur les départements.

L'Assemblée nationale a redessiné la carte : elle a regroupé Poitou-Charentes, Limousin et Aquitaine ; Picardie et Nord-Pas-de-Calais ; Champagne-Ardenne, Lorraine et Alsace. Elle a également imposé des limites au regroupement volontaire des collectivités territoriales, restreint le droit d'option des départements, prévu que toute modification du redécoupage régional devait être fixée par la loi, et non par décret, ou encore limité toute modification de périmètre des régions au 1er mars 2019.

En deuxième lecture, notre commission spéciale a voulu rappeler, à l'article premier A, le rôle des différents échelons des collectivités, y compris les départements. Nous avons aussi modifié la carte des régions, annulant le regroupement de l'Alsace avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne, afin de permettre aux élus alsaciens d'achever leur projet de collectivité unique. Nous avons aussi souhaité que les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon restent seules.

À l'article 3, nous avons assoupli les modalités de fusion des collectivités territoriales. Un référendum ne sera plus requis -même si les élus en conservent le droit. Si un département veut changer de région, il devrait, comme la région d'accueil, le décider à la majorité des trois cinquièmes. La région d'origine pourrait s'y opposer à la même majorité. Il convenait de sécuriser juridiquement le choix des élus.

Quant au nombre de conseillers régionaux au sein des nouvelles régions, des désaccords demeurent entre les deux chambres. L'Assemblée nationale a supprimé tout plafonnement à 150 ; la commission spéciale vient d'adopter un amendement qui le réintroduit, tout en maintenant un nombre suffisant en Ile-de-France, soit 209.

Nous avons aussi relevé de 2 à 5 le nombre minimal de sièges garantis à chaque département au sein des conseils régionaux. Le Sénat doit défendre le critère de représentation des territoires, faute de quoi on considérera un jour que le monde rural n'a pas besoin d'élus.

La commission spéciale a pris acte de la volonté du Gouvernement de maintenir les élections départementales en mars 2015, ce qui est d'autant plus justifié que la disparition des départements ne semble plus pour demain. Je proposerai un amendement pour en tirer les conséquences sur les comptes de campagne.

Enfin, la commission spéciale a supprimé des articles dont le lien avec le texte était pour le moins ténu. (Applaudissements au centre et à droite ; Mme Catherine Génisson applaudit aussi)

M. Robert Navarro .  - Ce débat est un faux débat. Le Gouvernement est hors sujet, il a pris le problème à l'envers. Le véritable handicap des régions françaises n'est pas leur taille : Midi-Roussillon serait aussi grand que l'Autriche, plus grand que treize États européens. En revanche, nos régions n'investissent que 500 millions d'euros par an dans l'innovation quand les Länder en investissent 10 milliards. Voilà la question centrale, le reste n'est que du cinéma. Il faut mettre les ressources des régions en cohérence avec leurs compétences, en leur affectant dès 2015 70 % de la CVAE.

La réforme territoriale, avec des régions obèses et la menace qui pèse sur les départements, éloigne dramatiquement les citoyens de leurs élus.

Mme Catherine Tasca.  - Il faut suivre !

M. Robert Navarro.  - Un département comme la Lozère mérite non seulement de subsister mais d'être renforcé.

Vous pointez du doigt, comme vos prédécesseurs, le coût des élus. Ce qui coûte cher, ce sont les doublons entre l'État et les régions ! Qui peut croire que la disparition de dix collectivités sur 40 000 portera un coup au millefeuille ?

La seule utilité de ce texte serait d'aligner les circonscriptions pour les élections européennes sur les nouvelles régions ; je le proposerai par un amendement.

Un élu n'est pas un coût mais un investissement. Nos concitoyens doivent avoir une porte à laquelle frapper. Ne livrons pas notre pays au désespoir et à l'extrême droite ! (Applaudissements sur quelques bancs au centre et à droite)

M. Henri Tandonnet .  - Je salue le travail de notre commission spéciale, qui a adopté un texte à une large majorité. C'est un bon signal. Le Sénat doit faire entendre sa voix.

Certes, cette réforme est menée à l'envers. Nous parlons taille des régions et date des élections, alors que le problème réside dans la répartition des compétences.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Très bien !

M. Henri Tandonnet.  - Le Gouvernement navigue à vue et son texte a un défaut majeur : il veut imposer une nouvelle délimitation des territoires sans les avoir consultés au préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite)

M. Jean-François Husson.  - C'est une habitude !

M. Henri Tandonnet.  - Malgré cela, la commission spéciale a travaillé et abouti à un consensus sur la date des élections départementales, fixé aussi à 5 le nombre minimum de représentants de chaque département dans les conseils régionaux. À défaut, comment la Dordogne ou le Lot-et-Garonne pourraient-ils se faire entendre dans une région regroupant l'Aquitaine, le Limousin et Poitou-Charentes ?

La commission a aussi élargi le droit d'option des départements, qui s'exercera jusqu'à la fin 2016, car il ne faudrait pas entretenir plus longtemps l'incertitude.

La commission a enfin adopté une nouvelle carte. Je suis convaincu qu'il eût mieux valu accepter de raisonner à l'échelle du département et non des blocs régionaux. À défaut de mener jusqu'au bout la logique des bassins de vie, notre groupe fera des propositions, notamment pour la création d'une région Grand sud-ouest regroupant Aquitaine et Midi-Pyrénées, autour des bassins de l'aérospatiale et de l'agro-alimentaire. Nous n'avons pas été entendus. Notre groupe se veut contractif, espérant aboutir à un redécoupage équilibré.

Après bien des hésitations, le Premier ministre nous a rassurés sur l'avenir des départements en en préservant trois catégories -un système à trois vitesses ? Si seuls les départements ruraux sont maintenus après 2020, se posera la question de leur définition. (Applaudissements au centre) 90 % des départements sont considérés comme non urbains par l'association des petites villes de France ; M. Alain Bertrand a identifié, lui, huit départements hyper-ruraux. Le monde rural n'est pas un ensemble secondaire, il a une identité, il nourrit nos métropoles. Il n'a pas besoin d'être classifié mais soutenu. La question essentielle est celle de la solidarité entre les territoires. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

M. René Vandierendonck .  - Commençons par un constat : contrairement à une rumeur tenace, le Gouvernement a tenu parole.

Voix à droite.  - Laquelle ?

M. René Vandierendonck.  - Celle de soumettre ce projet de loi en deuxième lecture au Sénat. Et de présenter la loi NOTRe avant la fin de l'année.

L'article premier A relève plutôt de l'exorcisme quand, à mon sens, il n'y a pas de doute sur l'avenir des départements.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Et l'étude d'impact ?

M. René Vandierendonck.  - La carte ? Le rapport Raffarin-Krattinger fixait à 10 le nombre de régions. Je me souviens de M. Mauroy présentant à Lille le projet du comité Balladur : « il est temps de décider » !

En deuxième lecture, on ne peut pas espérer des miracles, mais quelques adaptations tout de même... À partir du moment où l'avenir des départements paraît plus clair, le débat, à notre sens, doit porter sur leur droit d'option. L'Assemblée nationale l'a verrouillé avec une majorité des trois cinquièmes dans la région d'accueil, la région de départ et, bien sûr, le département concerné. Le président Hyest et le rapporteur Buffet ont assoupli les choses ; je reste persuadé qu'on peut aller plus loin pour favoriser le libre choix des assemblées départementales.

Pour le reste -mais quand on parle au nom du groupe, on doit s'abstenir de tenir de commentaires trop géolocalisés-, la carte qu'avait présenté initialement le Gouvernement me convient parfaitement ! (Sourires et vifs applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Ronan Dantec .  - Comme le ministre nous y a invités, j'irai à l'essentiel, après le débat de cet après-midi. Nous aurons de grandes régions, des départements qui ont été sauvés par les élus intercommunaux qui ne voulaient pas des compétences sociales et des intercommunalités qui ne seront pas plus grandes... Attention, la montagne ne doit pas accoucher d'une souris ! (M. René-Paul Savary applaudit)

Concernant la carte, il y a encore débat sur trois ou quatre régions ; dans les autres cas, même si on n'avait pas imaginé être marié en octobre, il semble y avoir un relatif consensus. La grande bizarrerie de cette carte est que rien ne bouge dans l'ouest : nous y aurons encore trois régions. Pourquoi, si la taille critique est une question vitale ? Bretagne et Pays de Loire resteront distinctes, alors que ce sont les seules à avoir déjà fusionné leurs universités... Il ne faut pas pour autant stigmatiser l'État. C'est d'abord la responsabilité des élus qui n'ont pas réussi à se mettre d'accord ; il fallait un travail en commun, il n'a pas eu lieu. Résultat, l'axe Nantes-Rennes ne sera pas couvert par le même schéma... Je note que la région Pays de la Loire convoque une réunion en urgence pour débattre de la diminution de ses dotations. Quid, demain, de la région Centre ? Où sera l'égalité des chances lorsqu'il faudra faire du lobbying à Bruxelles ou discuter avec l'État ?

Laissons du temps au temps, on a ouvert la porte en rebaptisant la région Centre, Centre-Val de Loire.

M. Jean-Pierre Sueur.  - À juste titre !

M. Ronan Dantec.  - Pourquoi pas une région Bretagne-Atlantique et une autre région centrée sur l'axe ligérien ? Il faudra y revenir.

L'exemple alsacien est révélateur du refus français de la diversification. Certains Länder allemands sont réduits à une ville, Strasbourg n'a pas besoin d'une grande région pour être capitale européenne ! Si nous ne sommes pas capables d'entendre les élus alsaciens, de les aider à accomplir leur projet de collectivité unique -le référendum ayant été globalement favorable-, nous serons retombés dans une vision technocratique de la réforme. (Mme Catherine Troendlé applaudit) Les propos de M. Valls, et surtout de M. Cazeneuve, m'inquiètent. Nous ne sommes plus au temps de Serge Antoine !

Quelle boîte de Pandore ? Il n'y en a pas. L'important est de bâtir une organisation territoriale qui réponde aux besoins des habitants. Je tiens au droit d'option des départements, fortement réduit à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas le problème de la Loire-Atlantique, qui ne veut pas rejoindre la Bretagne sans son aire d'influence. Il faut faciliter la fusion des départements ; les Savoyards y réfléchissent. Le débat progresse et le Premier ministre a avancé sur cette question.

Le bicamérisme est maintenant, je le crois, au coeur de nos débats ; il faut une nouvelle chambre régionale, représentative de la diversité des territoires, à côté de celle élue au suffrage direct.

Enfin, refuser la consultation référendaire est franchement étrange. Finalement, monsieur Cazeneuve, comme je le disais cet après-midi, vous restez au milieu du gué, ce qui n'est pas bon dans un monde qui bouge ! (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Christian Favier .  - Une chose est sûre, le changement de majorité au Sénat ne change rien aux conditions d'examen de ce texte. La commission spéciale aurait dû avoir pour objectif d'examiner toutes les conséquences du redécoupage régional au vu de l'indigence de l'étude d'impact. Il n'en a rien été.

L'article L. 41-22 du code général des collectivités territoriales dispose « les limites territoriales des régions sont modifiées par la loi après consultation des régions et des départements concernés ».

En deuxième lecture, comme le Gouvernement, la commission spéciale a redessiné la carte sur un coin de table en refusant de prendre l'avis de la population -l'influence des baronnies régionales reste toujours aussi forte. Décidément, cela devient une manie de retirer tout pouvoir au citoyen dans le modelage de l'organisation territoriale.

Sur ce point, je suis obligé de le constater, le parti socialiste et l'UMP, oubliant qu'elle avait voté une motion en première lecture, ne diffèrent guère. En se passant des élus, des citoyens, nous risquons de mettre les territoires en concurrence et de les replier sur des identités communautaires -ce mouvement est déjà à l'oeuvre. Il aurait fallu parler des compétences avant toute chose, expliquer aux citoyens que de grandes régions préfigurent un État fédéral, la fin de la République décentralisée. D'ailleurs, M. Cazeneuve ne cesse de se référer au modèle allemand.

En fait, ce projet masque un recul sans précédent de la démocratie en réduisant le nombre d'assemblées et d'élus, en éloignant les citoyens de leurs représentants. Et l'oligarchie technocratique et financière prendra le pas dans nos enceintes, et les citoyens deviendront des clients. Voilà la France que vous nous promettez, exposée aux risques de destruction de notre pacte social et républicain. On voit ce qui se passe en Catalogne, en Italie du nord et en Écosse.

Cette réforme s'inscrit dans la lignée de celle de 2010, conduite par Nicolas Sarkozy. La création du conseiller territorial visait, selon le bon mot de M. Balladur, « l'évaporation à venir des départements ». Que la droite s'en souvienne, que les socialistes se rappellent qu'ils avaient combattu cette réforme avec nous -mais cela, c'était avant ; aujourd'hui, les désaccords ne sont plus évidents...

Idem pour les communes. Une proposition de loi de Jacques Pélissard, qui viendra bientôt à l'Assemblée nationale, accélèrera leur fusion -10 000 d'entre elles seraient touchées et, avec elles, leurs élus. Un amendement au projet de loi de finances en tirerait déjà les conséquences.

Les économies attendues de ces fusions, on le sait, ne seront pas au rendez-vous. La réorganisation des services, les transferts de compétences, l'harmonisation des régimes indemnitaires et la refonte de la signalétique auront un coût. Fallait-il s'engager dans cette voie quand notre pays est au bord de la faillite?

Pour notre part, nous militons pour un changement radical, une VIe République mettant l'humain au centre. Le soi-disant parti du changement ne nous offre qu'un replâtrage de notre monarchie républicaine, une Ve République bis, pire que la précédente, non pas une réforme mais une contre-réforme passéiste et centralisatrice, loin du projet décentralisateur qui était celui de la gauche il y a trente ans et reste le nôtre.

Aussi le groupe CRC ne pourra que repousser ce texte qui n'est pas à la hauteur d'une République moderne, démocratique et solidaire ! (Applaudissements sur les bancs CRC et sur quelques bancs RDSE)

Mme Hermeline Malherbe .  - Élue locale, je plaide depuis longtemps pour une vraie réforme de la décentralisation. Celle-ci a libéré l'intelligence territoriale, les énergies.

Cela étant précisé, autorisez-moi quelques réserves. Pourquoi avoir fait du nombre de régions l'alpha et l'oméga de la réforme ? Il aurait fallu définir les compétences, le découpage serait ensuite venu naturellement.

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Deuxième réserve, la consultation des populations. Les oppositions sont vives. Je suis bien placée pour le savoir : Christian Bourquin, que je remplace et auquel le Sénat a rendu hommage, s'est toujours battu pour l'intégrité du Languedoc-Roussillon. 65 conseillers régionaux l'ont suivi contre 1 ! Merci à la commission spéciale de l'avoir entendu, ce qui n'empêchera pas les coopérations avec la région Midi-Pyrénées de se poursuivre.

Troisième réserve : où sont les économies attendues ? Puisque le Conseil constitutionnel, saisi par mon groupe RDSE, a jugé l'étude d'impact satisfaisante, il nous faudra obtenir des éclaircissements par d'autres moyens.

Néanmoins, des avancées ont été obtenues. Je pense à la représentation des territoires ruraux au sein des futures régions. (M. Jacques Mézard approuve) Je pense aussi à l'avenir des départements. Le Gouvernement a donné des garanties à ce sujet, cela était sage. L'article premier A empêche le transfert de leurs compétences sociales aux intercommunalités demain.

Bien des questions restent pendantes. Elles seraient résolues lors de la discussion du projet de loi NOTRe. Quand celle-ci sera-t-elle organisée ? Il nous est bien inconfortable de voter ce texte et d'aborder les élections de mars quand tant d'incertitudes règnent. Le groupe RDSE attend des réponses. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. Bruno Sido .  - La France est une République une et indivisible, son organisation est décentralisée. L'article premier de notre Constitution le pose clairement. Les collectivités territoriales ne sont pas des entités sui generis, comme les Länder allemands. La France a été bâtie par la main de l'État, siècle après siècle. L'affirmation du pouvoir central sur la périphérie a permis le rayonnement de notre pays. Qu'est-ce qu'une nation ? En 1882, Ernest Renan disait qu'elle est une âme et un principe spirituel ; l'une est dans le passé, l'autre dans le présent, qui marque le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire vivre l'héritage reçu indivis. Cet héritage, c'est celui de la révolution, qui a émancipé les individus de leurs origines régionales et leur a donné ce moyen d'ascension sociale qu'est la langue française.

La région, héritage des provinces du royaume, a longtemps inspiré la méfiance. La décentralisation a été repoussée tout au long du XIXe siècle malgré les appels de Charles Maurras qui voulait libérer les régions de leur cage départementale et se proclamait autonomiste et fédéraliste.

Monsieur le ministre, pour fixer un cap, il faut savoir d'où l'on vient. Le département, complaisamment présenté comme le mouton noir de la République, fait partie de son ADN et de son avenir. Qu'au pays des Lumières on nous prouve par un raisonnement objectif que leur suppression fera réaliser des économies.

Le Gouvernement nous propose des régions grandes à en donner le vertige. Montesquieu, dans De l'esprit des lois, écrivait : « Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Plus les régions auront du poids, plus les départements seront nécessaires. À eux la proximité, les collèges, le transport scolaire, les routes mais aussi les lycées. D'ailleurs, l'État ne s'y trompe pas : il maintient le maillage des préfets et sous-préfets et renforce même leur pouvoir.

L'État, n'en déplaise aux régions, conserve une compétence économique. C'est lui qui intervient en cas de grande catastrophe, lorsqu'un grand contrat est signé. Qu'il conserve ce pouvoir.

Les départements, eux, ne sont pas les grenouilles de La Fontaine qui se veulent aussi grosses que le boeuf. Ils ne se piquent pas d'incarner une pseudo-identité régionale. Ils sont, tout simplement, efficaces : c'est grâce à eux que les enfants arrivent à l'heure à l'école, que les collèges et les routes sont entretenus et que les personnes fragiles sont aidées. Nous ne sommes pas des frondeurs mais des partenaires. Nous attendons une clarification des compétences dans la ligne du rapport Krattinger-Raffarin. Faites confiance aux départements et à la libre administration des collectivités territoriales ! (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)

M. Jean-Marie Bockel .  - Cette réforme, qui paraît bien mal engagée, ne s'attaque pas aux problèmes de fond. La fusion des régions devrait apporter des économies, tout le monde s'accorde à dire qu'elle aura d'abord un coût, dans un État encore très centralisé. La fusion devrait donner aux régions la taille critique -laquelle ? Et puis, comparaison n'est pas raison. Enfin, la méthode : le contenant a été présenté avant le contenu, c'est-à-dire la répartition des compétences.

On peut regretter que le Sénat ait rejeté toute carte en première lecture.

Mme Catherine Tasca.  - À qui la faute ?

M. Jean-Marie Bockel.  - Tirons-en des leçons pour la deuxième lecture.

La région Alsace ? Le président Richert avait accepté de négocier avec son homologue lorrain. En revanche, face à la provocation des députés, créant une trop grande région avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne, les citoyens se sont mobilisés, le 11 octobre, à Strasbourg.

J'espère que le débat est vraiment ouvert. L'Alsace, fière de son identité, est dans une démarche ouverte avec les régions voisines. La fusion des collectivités alsaciennes avait suscité beaucoup d'espoir. Elle n'a pas été refusée par le peuple : les conditions étaient impossibles à remplir. Je me réjouis donc de la position de la commission spéciale et je souhaite que l'on revienne à la perspective du Conseil unique d'Alsace, ici ou ailleurs.

Tout retour à la carte de l'Assemblée nationale serait vécu comme une provocation. Au Sénat de jouer son rôle d'assemblée des territoires. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Éric Doligé .  - Depuis le début de l'année, il y a eu une déferlante d'annonces contradictoires sur l'avenir des départements ! Pensez-vous ce que vous dites, savez-vous ce que vous faites et où vous allez ? Derrière ces cafouillages, c'est l'avenir des citoyens et des fonctionnaires qui est en question. Un soir de printemps, le président de la République a lancé : « les départements ont vécu », après les avoir encensés trois mois auparavant. Comment supprimer la moitié des régions sans maintenir les départements ? Comment définir les départements ruraux ? Pourquoi ne pas parler des compétences avant tout découpage hasardeux ?

Quand j'ai défendu un amendement qui fixait à des dates différentes les élections régionales et départementales, j'ai eu l'impression de me faire gronder par mon maître d'école. Vous l'avez balayé, monsieur le ministre, d'un revers de main avec force, et même avec agacement, en vous référant au Conseil constitutionnel selon lequel la concomitance des élections régionales et départementales est d'intérêt général parce qu'elle favorise la participation des électeurs au scrutin.

Aujourd'hui, vous soutenez la position inverse et la même décision du Conseil constitutionnel vous servira encore d'alibi. Avons-nous en face de nous des amateurs ? Ce n'est pas la première fois qu'il y a du flou. Est-ce un gouvernement de dissimulateurs ou d'amateurs ?

Le maintien des élections départementales en mars 2015, disiez-vous il y a trois mois, est contraire aux principes de clarté et de sincérité du scrutin. Comment résoudrez-vous aujourd'hui la question des comptes de campagne ? Celle de la distinction entre propagande électorale et campagne de communication des conseils généraux ? De la démission obligatoire des fonctionnaires territoriaux candidats six mois avant l'élection ?

En un an, la date des élections n'a cessé de changer, de même que les compétences des départements. Si l'on y ajoute l'annonce de départements à trois vitesses, tout cela s'apparente à du harcèlement moral pour le personnel.

L'inquiétude gagne aussi les élus. Nous apporterez-vous des réponses, monsieur le ministre ? Accepterez-vous nos amendements ?

Tout le temps que nous passons à redessiner la carte des régions, nous ne nous occupons pas de l'économie, de l'emploi. Au lieu de nous poser la question de l'organisation territoriale pertinente pour notre pays, vous vous êtes demandé comment utiliser l'organisation territoriale pour faire croire que vous réformez et allez faire des économies. Cette réforme aurait pu être une chance. Hélas, comme l'a dit Alain Juppé, avec de l'or, vous avez fait du plomb. (Applaudissements à droite)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 29 octobre 2014, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit et demi.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques