Éloge funèbre de Christian Bourquin
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le Premier ministre et les membres du Gouvernement se lèvent) C'est avec une profonde tristesse et émotion que nous avons appris, le 26 août dernier, la disparition de notre collègue Christian Bourquin. Il représentait, aux côtés de François Calvet, le département des Pyrénées-Orientales dans notre assemblée. Ensemble et avec leurs différences, ils regardaient les Pyrénées.
Il s'est éteint à l'hôpital Saint-Éloi de Montpellier, où il avait été admis deux jours auparavant. Il n'avait pas 60 ans. La maladie à laquelle il faisait face avec courage n'a jamais réussi à altérer son enthousiasme et son dynamisme, qui ont jusqu'au bout suscité l'admiration et marqué son action tout au long de sa vie. Je conserve le souvenir de son intervention le 2 juillet dernier dans notre hémicycle.
Les obsèques de Christian Bourquin ont été célébrées le 29 août dans sa commune de Millas, dont il avait été le premier magistrat, en présence de vous-même, monsieur le Premier ministre, du président Jean-Pierre Bel et de plusieurs de nos collègues.
Cet adieu, en cette terre catalane à laquelle il était viscéralement attaché, devait trouver aujourd'hui son écho dans notre hémicycle, en présence de sa famille rassemblée dans nos tribunes.
Au nom de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs, je souhaite à mon tour rendre solennellement hommage au parlementaire, à l'élu local passionné, à l'homme chaleureux et à l'homme de convictions qui nous a quittés et qui a consacré toute sa vie à l'intérêt général, au service des autres.
Quatrième enfant d'une famille d'agriculteurs catalans, Christian Bourquin était né le 7 octobre 1954 dans la maison familiale de Saint-Féliu-d'Amont. Après des études au collège d'llle-sur-Têt puis au lycée de Prades, il avait été admis en 1973 à l'École nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg de laquelle il sortit quatre ans plus tard ingénieur en topographie.
C'est à ce titre qu'il entra, dès 23 ans, à la mairie de Montpellier en qualité d'ingénieur territorial. Rapidement remarqué par le nouveau maire de la ville, il participa, durant près de treize ans, à la spectaculaire transformation de la ville au côté de Georges Frêche.
Adepte des randonnées pédestres qui le menaient souvent au sommet du Canigou, il décida, en décembre 1989, de revenir dans son cher département des Pyrénées-Orientales pour diriger le bureau local de I'Office public de l'habitat, d'aménagement et de construction, en lien avec la ville de Montpellier.
Il manifesta dans ces nouvelles fonctions son enthousiasme et son efficacité afin de revaloriser le logement social et d'en transformer l'image. En moins de quatre années, il accompagna la construction de centaines de logements en pays catalan.
Professionnel chevronné, Christian Bourquin était aussi un militant passionné, aux fortes convictions. Après avoir adhéré en 1975 au parti socialiste, il prit, en juin 1992, la direction de la fédération socialiste des Pyrénées-Orientales. Dès l'année suivante, il parvint au second tour des élections législatives dans la troisième circonscription des Pyrénées-Orientales.
Christian Bourquin entama alors un riche parcours politique, qui le conduisit à occuper successivement presque tous les mandats, municipaux, départementaux, régionaux et nationaux.
Élu en 1994 conseiller général du canton de Millas, il devint l'année suivante maire de la ville. Deux ans plus tard, il fut élu député des Pyrénées-Orientales. En moins de cinq ans, Christian Bourquin est ainsi devenu conseiller général, maire et député.
En mars 1998, il accéda à la présidence du Conseil général qu'il dirigea jusqu'en novembre 2010, après avoir été réélu en 2001, en 2004, puis en 2008.
Il se bat inlassablement pour l'emploi, pour le développement durable, pour la défense de l'agriculture, mais aussi pour permettre au Pyrénées-Orientales de progresser dans des domaines aussi variés que les nouvelles technologies, la solidarité ou la culture.
Malgré son attachement aux Pyrénées-Orientales, il élargit son horizon à la régionLanguedoc-Roussillon. Devenu en 2004 premier vice-président du conseil régional en charge des finances, il fut ainsi en mesure de donner une nouvelle dimension au pays catalan, si cher à son coeur.
Le 10 novembre 2010, après le décès de Georges Frêche, Christian Bourquin lui succéda à la présidence de la région Languedoc-Roussillon. Il s'y consacra durant quatre années avec la passion et l'engagement total qui le caractérisaient.
En tant que président de région, Christian Bourquin a porté de nombreux projets : le TER à 1 euro, la gratuité des ordinateurs pour les lycéens, la création d'un Parlement de la mer, le vaste projet de développement du port de Port-la-Nouvelle ou encore la ligne à grande vitesse Montpellier-Perpignan.
Il a aussi défendu avec détermination la création du Mémorial de Rivesaltes, pour rendre hommage aux réfugiés républicains espagnols, aux juifs puis aux harkis qui y furent internés ou regroupés dans les conditions que l'on sait. Ce Mémorial verra le jour : il sera inauguré l'an prochain.
Notre collègue aimait profondément ses concitoyens, il aimait parcourir inlassablement sa région pour y rencontrer des professionnels et des habitants dans leur simplicité. Il déclarait il y a encore quelques mois : « c'est dans le contact avec les gens que je me régale et que j'apprends », « être élu, être au service du peuple, c'est ma seule activité. Je donne ma vie à la politique, j'y passe quinze heures par jour et je m'y sens à l'aise ».
En 2011, notre collègue a été élu, dès le premier tour, sénateur des Pyrénées-Orientales. Durant trois ans, il a été un sénateur dynamique et respecté. Membre du groupe du RDSE, il participa activement aux travaux de la commission des finances et de la délégation aux droits des femmes, tout en assurant la présidence du groupe interparlementaire d'amitié France-Portugal. Il apporta une contribution majeure à l'élaboration du rapport d'information sur l'agro-alimentaire français face au défi de l'exportation, rédigé en 2013 avec Yannick Botrel, Joël Bourdin et André Ferrand. Après de nombreuses rencontres, Christian Bourquin et nos collègues formulèrent de nombreuses recommandations pour tourner davantage l'agriculture française et l'agro-alimentaire vers l'exportation afin qu'elle retrouve la première place en Europe.
Bien sûr, Christian Bourquin prit une part active à nos débats sur l'organisation territoriale, il fit valoir ses convictions, qu'il s'agisse du cumul des mandats, du mode de scrutin pour les élections départementales et de la nouvelle carte des régions.
En cette journée où M. le Premier ministre va remettre devant le Sénat en perspective la réforme territoriale, je ne peux que citer Christian Bourquin dont la voix va résonner ici par la mienne. Le 2 juillet, il disait : « Nous devons prendre le temps de la réflexion si nous voulons engager une réforme qui vienne en aide à nos territoires. N'avez-vous donc aucune crainte que cette réforme des territoires imposée d'en haut ne vienne renforcer le sentiment d'incompréhension et d'abandon de nombre de nos concitoyens ? »
La personnalité exceptionnelle de Christian Bourquin et son action durant sa vie publique justifient que lui soit rendu un hommage rassemblé. Il a, tout au long de son parcours de militant, d'élu local et régional et de parlementaire, consacré son énergie et l'essentiel de son existence au service de ses concitoyens. Christian Bourquin était une personnalité attachante, une figure locale hors du commun et un collègue chaleureux.
À ses collègues du groupe du RDSE, et en particulier à Mme Hermeline Malherbe qui a la lourde charge de lui succéder, j'adresse les très sincères condoléances de notre Assemblée. Aux membres de la commission des finances, qui perdent l'un des leurs, j'exprime notre sympathie attristée. À tous les membres de la famille de Christian Bourquin, à ses enfants, Jordi et Sophie, et à tous ses proches, je renouvelle les condoléances de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs et j'exprime la part personnelle que je prends à leur peine.
Nous nous recueillons en sa mémoire.
M. Manuel Valls, Premier ministre . - Le 26 août dernier, Christian Bourquin nous quittait -trop tôt, beaucoup trop tôt-, après avoir mené, en toute discrétion, un dernier combat. Malgré l'affaiblissement, il a assumé, avec un courage qui force l'admiration -tel était l'homme !- ses fonctions de sénateur des Pyrénées-Orientales et de président du Conseil régional de Languedoc-Roussillon.
Depuis, Christian Bourquin manque terriblement. À sa famille, à ses proches, vers lesquels vont nos pensées. Il manque à cette Haute assemblée. Il manque à la République.
C'est avec infiniment d'émotion que je prends la parole devant vous, ses collègues. Nous nous connaissions depuis de très longues années. Il avait ce que l'on appelle l'amitié sincère, celle qui fait que l'on se dit les choses franchement, sans fioritures, parfois même sans mâcher ses mots. C'est le tempérament du rugbyman qui parlait : énergique, parfois emporté, mais toujours respectueux de l'autre.
Dans cet hémicycle me reviennent avec force les images du dernier hommage que nous lui avons rendu, au tournant de l'été, dans sa charmante petite ville de Millas. Une ville aux allures si catalanes et pour laquelle il avait l'affection sans limite que peut avoir un maire pour sa commune. Là, sous les platanes, nous étions plusieurs milliers, une foule immense rassemblée au-delà des appartenances politiques. Dans ce matin baigné de soleil, nous nous étions tous donné rendez-vous pour des retrouvailles tristes et solidaires. Ensemble, nous avons pu dire tout le respect, toute la sympathie, toute la considération que nous avions pour l'élu, pour l'homme.
Christian Bourquin avait l'engagement chevillé au corps. Son entrée en politique -jeune-, sa détermination -infaillible-, son parcours -exemplaire- en attestent. Dès l'âge de 23 ans, à la mairie de Montpellier, il travaille au côté de Georges Frêche, ami et mentor des premières heures. L'ingénieur se met au service de la collectivité, sans jamais ménager son énergie. Puis, au fil des années, l'envie de servir plus encore la collectivité se fait sentir. Il décide alors de se consacrer entièrement à la vie publique. Sa carrière fut à son image : talentueuse, brillante, passionnée, avec toujours un attachement inné au terrain, à cette prise directe avec ses administrés.
Christian Bourquin aimait profondément aller à la rencontre des habitants. Et ils le lui rendaient bien. Il aimait intensément parcourir son département des Pyrénées-Orientales. Cet attachement charnel à la terre lui venait de ses origines paysannes. Malgré les honneurs, il est toujours resté ce fils d'agriculteur de Saint Féliu-d'Amont.
De son département, il connaissait les moindres routes, les moindres paysages. En randonneur averti, il avait beaucoup de joie à gravir les pentes du Canigou, à se sentir au coeur des éléments, face à l'immensité apaisante de la Nature.
Grand marcheur, tenace, opiniâtre même, Christian Bourquin était un homme de convictions, et donc un homme de batailles.
D'abord de batailles verbales. J'en ai eues quelques-unes avec lui. Nous n'étions pas toujours d'accord sur tout et je garde le souvenir d'un contradicteur redoutable, car animé de convictions sincères.
Ses batailles furent aussi électorales. Comme d'autres, il connut les soirs de défaites. Les soirs, aussi, de victoires. D'abord conseiller général du canton de Millas, il en devient le maire en 1995. Trois ans plus tard, il prend la présidence du conseil général des Pyrénées-Orientales. Élu conseiller régional de Languedoc-Roussillon en 2004, il accède alors à la première vice-présidence. En 2010, il assume les responsabilités de président.
Son engagement local, Christian Bourquin le complète d'un engagement national, comme député en 1997, puis sénateur en 2011. Les contraintes parlementaires ne l'ont jamais éloigné de cette terre du Sud où il se sentait si bien. Il considérait qu'appartenir à la représentation nationale, c'était aussi prendre soin des territoires, notamment ceux qui se sentent oubliés. Il s'acquittait de cette responsabilité avec intransigeance et panache. Avec une constance qui l'honorait.
Dans sa vie politique comme dans sa vie personnelle, si tant est qu'il y ait une différence, Christian Bourquin portait en lui la République et la Catalogne.
La République, d'abord. Humaniste, il cultivait les vertus cardinales de lucidité, de sensibilité, de mérite, de détermination au service de ses concitoyens. La Catalogne, toujours. Il fut un fervent défenseur de sa terre catalane, de son identité, mais toujours dans le respect des principes républicains.
À la tête de la région Languedoc-Roussillon, il fit vivre les valeurs de laïcité et de solidarité qui étaient les siennes. Homme de progrès et de projets, il avait bien compris ce que le développement économique et social de sa région pouvait retenir de son ouverture vers la Méditerranée.
Catalan de coeur, républicain dans l'âme, tel était Christian Bourquin. Entier, attachant.
Au nom du Gouvernement et en mon nom personnel, j'adresse à sa compagne, à sa famille, à ses amis, à ses proches, à ses collaborateurs et à ses collègues sénateurs, et notamment à ceux du groupe RDSE et aussi du groupe socialiste, tout mon soutien.
L'écho de la voix de Christian Bourquin, de ce bel accent de la République, a quitté ses murs. Mais le souvenir, l'affection, ne nous quitteront jamais. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement observent un moment de recueillement)
M. le président. - Conformément à notre tradition, nous suspendons la séance quelques instants.
La séance, suspendue à 16 h 35, reprend à 17 heures.