Débat sur le crédit d'impôt compétitivité emploi
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur le bilan du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), à la demande du groupe CRC.
Mme Marie-France Beaufils, au nom du groupe CRC . - Le CICE, entré en vigueur le 1er janvier 2013, fait suite au rapport Gallois. Il visait à restaurer la compétitivité de nos entreprises compte tenu de la dégradation de notre balance commerciale. Ce dispositif est relativement simple : il représente 4 % à l'origine, 6 % aujourd'hui, de la masse salariale, jusqu'à 2,5 Smic. Ce n'est donc pas une exonération de cotisations sociales mais une super niche fiscale qui part du même postulat : le coût du travail serait trop élevé. À aucun moment, on ne s'est interrogé sur le coût du capital : la rémunération des actionnaires et le prix des services financiers et bancaires.
Pour la première fois, l'argent public est ouvertement utilisé pour augmenter les marges des entreprises, sans que l'on ait mesuré les emplois et investissements induits. France Investissements ne recense que les « intentions » d'embauche et d'investissements... En revanche, le Medef, en soutenant le crédit d'impôt, a atteint l'un de ses objectifs. Ce mois-ci, Alternatives économiques nous apprend que les entreprises françaises ont distribué 40,7 milliards d'euros de dividendes, soit 30 % de plus que l'an dernier. Si investissement il y a, c'est pour capter la clientèle des pays dits émergents, et les délocalisations se poursuivent...
Il y a beaucoup de non-dits sur le CICE. Les conclusions du comité de suivi sont éclairantes. Le CICE aurait coûté moins que prévu ? C'est arrêter la lecture à la seule créance d'impôt. N'oublions pas que, sur deux euros de CICE, un euro est financé par des ressources extrabudgétaires. Autrement dit, la moitié de la somme creuse le déficit budgétaire. Sur 17,4 milliards consacrés au financement du CICE, 8 milliards sont financés sur des ressources extrabudgétaires et 3,5 aggravent le déficit.
Un tel coût pour les finances publiques devrait être compensé par des effets avérés. Dans le Nord-Pas-de-Calais, 19 134 entreprises bénéficient de 242,2 millions de créances du CICE, ce qui représente en moyenne 12 320 euros de crédit d'impôt par entreprise. De l'argent de poche pour beaucoup, un pactole pour les autres. Les projets d'embauche, pourtant, n'augmentent guère. Le constat est le même en Lorraine ou en Bretagne. Les entreprises Gad et Doux ont dû toucher, elle aussi, du CICE...
L'entreprise Radiall, créée par Yvon Gattaz et reprise par son fils Pierre, va bénéficier de plus de 800 millions d'euros de CICE d'ici 2017. La créance pourra être reportée sur les exercices ultérieurs : merveilles de l'optimisation fiscale, qui s'ajoute à la délocalisation des profits !
Pierre Gattaz lui-même a reçu 247 000 euros de dividendes, soit plus que l'impôt payé par son groupe. Fait qui doit être porté à la connaissance du public et que Pierre Gattaz ne mentionne pas sur son site personnel, il a bénéficié d'un crédit d'impôt de 98 800 euros au titre des dividendes perçus.
Les plus grosses entreprises, soit 0,7 % d'entre elles, captent 42,6 % de la créance. Certains, apparemment, apprennent plus vite que d'autre !
Les entreprises touchent en moyenne 1 million d'euros, ce qui leur permet de se conformer aux rigueurs de leurs actionnaires.
Selon le rapport Carrez, le CICE n'a eu qu'un effet avéré : modérer la progression du coût du travail. Ce n'est pas nouveau, le gel du point d'indice dans la fonction publique inspirant les employeurs privés. Depuis plus de vingt ans, tous les efforts portent sur le coût du travail, qui ne constitue pas à lui seul le coût de production. Ce n'est pas ainsi que nous monterons en gamme et deviendrons plus compétitifs !
Le CICE n'est pas réservé aux entreprises exportatrices, loin s'en faut : dans le Centre, les services fiscaux l'ont confirmé à notre commission des finances, les principaux bénéficiaires sont la grande distribution et les entreprises de travail temporaire. Quant à la compétitivité allemande, elle repose sur un dumping social forcené : 20 % des salariés allemands sont embauchés à moins de 5 euros de l'heure. Est-ce cela le modèle qu'on veut nous vendre ? On reconnaît bien là la fameuse « concurrence libre et non faussée » !
Le Trésor prétend que la perte de recettes occasionnée par le CICE sera compensée par une hausse de 0,9 % du PIB et la création de 396 000 emplois d'ici 2017. Cela fait 176 000 euros par emploi ! À ce compte-là, ne vaudrait-il pas mieux créer des emplois publics ? (On approuve sur les bancs du CRC) Martine Aubry, dans Le Journal du Dimanche, semble faire le même diagnostic. (Mme Cécile Cukierman sourit, M. Jean-François Husson maugrée)
Les entreprises utilisent d'abord le CICE pour substituer du capital matériel au capital humain, la machine à l'emploi. Selon l'OFCE, le CICE créera 150 000 emplois en cinq ans et générera 0,1 point de croissance en 2018. Il ne sert en fait qu'à augmenter la rentabilité du capital. À tout le moins, il faudrait des données transparentes sur l'utilisation qui en est faite. Nous, élus, le réclamons bien aux associations auxquelles nous apportons des subventions.
Dans son rapport, M. Carrez ne dit rien d'autre que l'UMP : ici même, un amendement du groupe UMP visait à remplacer le CICE par une baisse des cotisations sociales, c'est-à-dire du salaire socialisé. Dans tous les cas, on cherche à augmenter les profits et à déséquilibrer encore le partage de la valeur ajourée.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Marie-France Beaufils. - J'ai dépassé mon temps de parole...
M. Jean-Claude Gaudin. - Plus qu'Hélène Luc en son temps !
Mme Marie-France Beaufils. - Pas quand même ! (Sourires)
Le CICE ne représente que 1 à 2,5 % de l'emploi privé. Il est temps de rompre avec cette logique d'allégement de fiscalité et de cotisations sociales. L'augmentation de salaires, la qualité de l'investissement productif, la RTT : voilà les objectifs qui devraient guider la politique de l'État vis-à-vis des entreprises. (Applaudissements sur les bancs CRC. M. Collombat applaudit également)
M. Stéphane Ravier . - Ce débat est pertinent, à condition de partir de bases saines et de regarder la réalité économique en face. Pourquoi l'État gaspille-t-il de la ressource fiscale au lieu de financer ses missions régaliennes, à commencer par la sécurité quand les écoles brûlent...
Mme Éliane Assassi. - C'est l'emploi qui brûle !
M. Stéphane Ravier. - ...ou la défense nationale quand la France est engagée aux quatre coins du monde ? (Protestations sur les bancs CRC) Avec le CICE, on paie les pots cassés du sans-frontiérisme bruxellois.
Mme Éliane Assassi. - On vous reconnaît bien là !
M. Stéphane Ravier. - Les entreprises sont confrontées au vent mauvais de la concurrence déloyale d'États qui ne respectent aucune norme fiscale, sociale, environnementale, même syndicale. (Mme Éliane Assassi s'exclame) Loin des 13 milliards d'euros promis, le CICE profite davantage à des emplois non délocalisables. Rien d'étonnant à ce qu'il n'atteigne pas ses objectifs. Le bâtiment continue à perdre des emplois.
Personne ici ne veut faire de la France la Corée du Nord de l'Europe.
Mme Éliane Assassi. - Si, vous !
M. Stéphane Ravier. - En revanche, il convient de protéger nos intérêts économiques, comme le font les grands pays ailleurs qu'en Europe.
M. Roland Courteau. - C'est tout ?
M. Stéphane Ravier. - Je n'avais que trois minutes !
M. Vincent Delahaye . - Depuis décembre 2012, nous n'avons guère eu l'occasion de débattre du CICE en séance publique ; merci au CRC de son initiative. La création de ce crédit d'impôt a été pour le moins confuse : un amendement à 20 milliards d'euros glissé dans une loi financière, c'est du jamais vu. C'est démocratiquement un peu léger.
Le Sénat, dans sa grande sagesse, avait refusé ce dispositif adopté dans la précipitation et sans étude d'impact après avoir écarté d'un revers de main la TVA sociale, pourtant moins coûteuse. Nos critiques d'alors ont été depuis confirmées.
S'il est un peu tôt pour dresser un bilan, le CICE s'est plutôt révélé un outil de conservation de l'emploi dans les grands groupes de service. Une start up, une petite entreprise qui rémunèrent des ingénieurs au-delà de 2,5 Smic sont d'emblée exclues du dispositif. Est-ce en aidant la Poste que la France résoudra son problème de compétitivité ?
D'après le rapport d'information de l'Assemblée nationale, 1,2 million d'entreprises ont perçu 10 milliards d'euros de CICE ; les PME, soit 95 % des entreprises, n'en ont perçu que la moitié. Dans le bâtiment, le crédit d'impôt a renforcé la position des grands groupes par rapport à leurs sous-traitants et aux artisans. Près de 35 % du CICE vont à des secteurs non exposés à la concurrence internationale, comme la restauration ou le spectacle. Dans tous les cas, la créance est sous-employée : 14,8 milliards d'euros de CICE n'auront pas été alloués sur quatre ans. Autant d'efforts demandés aux Français en vain : la hausse de la TVA a bien eu lieu. C'est moins vrai de la fiscalité écologique : on connaît les rebondissements de la taxe poids lourds. Subrepticement, le Gouvernement a donc fait passer une augmentation de TVA pour assainir les finances publiques -après avoir refusé la TVA compétitivité du gouvernement Fillon. Et je ne parle pas de la logique de préfinancement, peu respectueuse du principe de sincérité budgétaire.
Une TVA sociale serait plus efficace : elle serait financée par tous et toutes les entreprises en bénéficieraient ; elle serait moins complexe que le CICE et plus efficace sur l'emploi et la compétitivité puisqu'elle frapperait également les produits importés.
En décourageant les importations, elle enclencherait une logique vertueuse. N'aurait-il pas été plus simple d'étendre la TVA compétitivité plutôt que d'attendre un an pour élaborer le CICE et l'assortir un an plus tard du pacte de responsabilité sans faire le lien entre les deux ?
Tout ce qui va dans le sens du soutien à l'emploi marchand est bon. Malheureusement, le CICE a manqué une partie de sa cible. Louis Gallois plaidait pourtant pour un dispositif simple et efficace pour soutenir l'innovation, la compétitivité, l'emploi industriel. L'effet d'entraînement du CICE a été trop faible.
Le groupe UDI-UC a tenté de l'améliorer en proposant de l'étendre aux indépendants et artisans mais nous continuons de préconiser une TVA sociale. Que M. Valls applique donc cette réforme qu'il disait soutenir naguère ! (Applaudissements au centre et sur les bancs UMP)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Ce débat est bienvenu après les travaux du comité de suivi et des députés. Nos collègues communistes ont choisi de l'aborder sous l'angle des dividendes distribués et des profits détournés...
Certes, des entreprises comme La Poste, dont l'État est actionnaire, bénéficient du CICE et pratiquent une politique de distribution de dividendes généreuse mais, à y regarder de plus près, les trois-quarts du CICE bénéficient aux PME et aux ETI. Christian Eckert, alors rapporteur général de l'Assemblée nationale -nous sommes élus du même département-, parlait, il y a un an, « d'effets d'aubaine potentiels et d'effets pervers avérés ». Pour le bâtiment, il a vu juste ; le secteur souffre.
Pour autant, envisageons ce débat sous un angle plus large. Acceptons de concevoir le CICE au regard des objectifs que le Gouvernement lui a assignés : une politique de l'offre et de restauration des marges favorable à l'emploi.
Un petit rappel historique -je ne compte plus les bricolages et les improvisations du Gouvernement. Le gouvernement Ayrault, par pure idéologie et -j'oserai le dire- par dogme, avait supprimé la TVA compétitivité, dispositif simple et efficace, avant d'augmenter massivement les prélèvements obligatoires, qui atteignent désormais 56,5 % du PIB. À cause de ce qu'il avait qualifié de « ras-le-bol fiscal », M. Moscovici avait pris conscience des limites de cette politique et enfin lancé une politique de l'offre.
Nos entreprises souffrent en effet d'un déficit de compétitivité. Comme le dit Thomas Piketty lui-même, il n'est ni juste ni efficace de faire reposer à l'excès le financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé. Après avoir perdu un an, vous nous avez proposé avec le CICE un ersatz de la TVA compétitivité, non pas une baisse directe des charges sociales mais un crédit d'impôt... qui compense la hausse des prélèvements subie antérieurement par les entreprises. Quelle complexité, dit le président de la CGPME dans mon département... Une usine à gaz, tant et si bien que la créance est sous-consommée : à peine 5 milliards d'euros en septembre. Pourquoi une telle frilosité ? On me répond d'attendre, que le dispositif est mal connu. Je veux bien vous laisser le bénéfice du doute mais je n'y crois pas. Pour une raison simple : le CICE compense des mesures qui ont conduit à augmenter le coût du travail ; le coût du préfinancement est trop élevé, les entrepreneurs craignent une recrudescence des contrôles fiscaux et sociaux comme ceux auxquels a donné lieu le crédit impôt recherche (CIR).
Si le CICE est une bouffée d'oxygène pour la trésorerie de certains, les marges des entreprises se détériorent : 29,4 % en 2014 contre 29,6 % l'année précédente. L'investissement baisse trimestre après trimestre. Quant à l'emploi, l'inversion de la courbe du chômage, annoncée par le président de la République, ne fait même plus rire. C'est d'abord un carnet de commande garni qui conduit les entreprises à embaucher.
Enfin, le dispositif n'est pas financé à terme. Vous avez repoussé la hausse de la TVA. Cinq ministres ont travaillé sur la fiscalité environnementale, elle est toujours dans les limbes. Reste la maîtrise de la dépense publique... Les 50 milliards de réduction annoncés sur trois ans ne sont pas réalisables. Les chefs d'entreprise demandent d'abord à l'État de se réformer lui-même et de lancer un important programme d'économies.
La politique de l'offre est restée au milieu du gué. Priorité doit être donnée à la restauration des marges, à l'investissement productif, à la création d'emplois. Il ne suffit pas de dire aux entreprises qu'on les aime, il faut leur en donner des preuves.
M. Charles Revet. - Très bien !
M. Jean-François Husson. - Que n'avez-vous suivi les préconisations du rapport Gallois qui prônait une baisse directe et massive des charges ? En 2015, nous aurons trois dispositifs, l'exonération de charges, le CICE et le pacte de responsabilité. Est-ce lisible ? Non. Est-ce cohérent ? Non. Est-ce efficace ? J'en doute. Le CICE restera comme une verrue de ce quinquennat, le symbole de votre échec : c'est encore M. Piketty qui le dit.
M. Roland Courteau. - Tout ce qui est exclusif est insignifiant.
M. Jean-François Husson. - Le CICE ne crée pas un écosystème favorable aux entreprises sur le long terme. Il faut restaurer la confiance : simplifier la vie des entreprises, mettre fin aux normes inutiles et aux contrôles intempestifs, passer des accords pour l'emploi au niveau des branches et des entreprises, relancer l'actionnariat salarié, lancer une politique fiscale favorable à l'investissement, prendre des mesures de flexisécurité sur le marché du travail, engager une véritable réforme de l'État, voilà quels devraient être nos objectifs. Le Lorrain que je suis le sait bien : nos entreprises paient 60 % de plus de prélèvements que leurs homologues allemandes ! Il est temps de redonner confiance à nos entreprises si nous voulons relancer l'investissement et l'emploi. (« Bravo » et applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean Germain . - J'apporterai une tonalité plus favorable. Le rapport Gallois, largement accepté par les entrepreneurs, pointait le manque de compétitivité de nos entreprises et préconisait un allégement du coût du travail. Peu après sa présentation, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault annonçait, avec le CICE, un allégement à hauteur de 20 milliards d'euros. L'idée n'était pas de faire un cadeau aux patrons, non ; simplement, il n'est ni juste ni efficace de faire reposer le financement de notre modèle social sur la masse salariale du privé. La particularité de la France par rapport aux autres pays à État social, c'est le poids des cotisations patronales.
La mission de l'Assemblée nationale dresse un bilan globalement positif du dispositif -appropriation rapide par les entreprises, montant des créances conforme aux prévisions, préfinancement en place, utilisation conforme aux objectifs. Je vous renvoie aux pages 95 et suivantes du rapport : les entrepreneurs sont dans l'ensemble satisfaits, même si tout dispositif est perfectible.
Le rapport du comité de suivi éclaire davantage sur le coût du CICE pour nos finances publiques et l'utilisation qui en est faite. La sous-consommation s'explique, entre autres, par l'effet de nouveauté ou le non-recours au dispositif quand le montant attendu est considéré comme trop faible. Cependant, les entreprises ont trois ans pour remplir les papiers. Si le CICE a surtout servi à préserver des emplois plutôt qu'à recruter, l'investissement a un effet indirect sur l'emploi ; le CICE a aussi été utilisé pour l'amélioration des conditions de travail, des dépenses de formation ou de prospection commerciale. Les PME et TPE en ont largement bénéficié car la part de salariés à moins de 2,5 Smic y est plus importante. Ainsi, 39 % de la créance totale va à des entreprises de moins de 50 salariés. Le commerce et l'industrie manufacturière sont les plus grands bénéficiaires du crédit d'impôt relativement à leur poids dans notre PIB ; c'est tant mieux car ils sont les plus exposés à la concurrence internationale. Pour les deux tiers des entreprises concernées, le préfinancement a trouvé sa cible.
Les députés proposent des pistes d'amélioration : plus de pédagogie, plus de suivi avec des comités régionaux -ils seront mis en place rapidement- et des évolutions, dont la création d'un dispositif similaire pour le secteur non lucratif ; à terme, le transfert sur des allégements de charges sociales.
Le CICE est l'un des piliers de la stratégie économique du Gouvernement. Les patrons de PME y tiennent : 66 % d'entre eux redoutent une éventuelle remise en cause. Ils ont besoin de stabilité, rassurons-les. Toute évolution devra être compatible avec notre engagement à réduire le déficit public. Vous l'aurez compris, je suis de ceux qui pensent du bien du CICE, améliorons-le ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. André Gattolin . - (M. Jean-Vincent Placé applaudit) Les écologistes s'étaient montrés critiques lors de la création du CICE, sur la forme comme sur le fond. Deux ans plus tard, nos réticences d'alors ne sont pas tout à fait infondées. Nous ne rejetons pas le principe du crédit d'impôt mais des erreurs ont été commises qui doivent être corrigées. La mesure n'a pas été prise des effets éventuellement contreproductifs des politiques appliquées auparavant comme de la complexité du CICE. La hausse de la TVA a eu un effet récessif, ce qui explique en partie que la consommation du CICE n'ait pas atteint les 13 milliards d'euros escomptés. Et cette hausse, non répercutée sur les prix finaux dans bien des secteurs, s'est traduite pour les fournisseurs par une rétractation des marges.
Deuxième erreur, qui découle de la première, le flou sur les finalités du CICE en termes de créations d'emplois. Alors qu'on évoquait 300 000 emplois, puis 150 000, le ministre des finances récuse aujourd'hui le lien direct entre le crédit d'impôt et l'emploi... En outre, le dispositif ne favorise pas l'embauche dans les secteurs les plus qualifiés, qui auraient pourtant bien besoin d'être dynamisés.
De manière générale, nous manquons de visibilité sur la manière dont les entreprises utilisent le CICE. Les écologistes sont, eux, pour des mesures sectorielles. L'État retrouverait son rôle de stratège en engageant la transition écologique que nous appelons tous de nos voeux. Un crédit d'impôt peut y aider mais le CICE est trop complexe. Qu'on ne nous oppose pas l'Europe : elle nous laisse de véritables marges de manoeuvre, d'autant plus qu'il nous revient d'infléchir sa politique à l'heure du renouvellement de la Commission. À nous d'en tirer les conséquences. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Cécile Cukierman. - Très bien !
M. Jean-Vincent Placé. - Bravo !
Mme Laurence Cohen . - Le CICE fait partie du pacte de responsabilité, très largement inspiré du rapport Gallois. Le Sénat l'avait rejeté, il a été réintroduit par l'Assemblée nationale au cours de la navette parlementaire.
Quand 17,5 milliards d'euros sont en jeu en 2015, nous estimons, au groupe CRC, qu'un bilan est nécessaire. Vingt-et-un mois après sa création, le CICE apparaît comme un chèque en blanc accordé aux entreprises, sans contrepartie, alors que la rigueur et l'austérité sont imposées au plus grand nombre. Pourquoi vouloir muscler l'offre alors que la demande est insuffisante ? Après les exonérations Fillon, la niche Copé et j'en passe, voilà la cerise sur un gâteau déjà bien garni -avant la baisse programmée du taux de l'impôt sur les sociétés.
Les entreprises ne seraient pas compétitives à cause de ce qu'on appelle volontiers le coût du travail ? La mission d'information présidée par Mme Demessine l'a montré, les allégements de charges n'ont pas suffi à enrayer la montée du chômage. Et à cause des exonérations successives, non ciblées qui plus est sur les entreprises qui ont les besoins les plus manifestes, notre protection sociale n'est plus financée qu'à hauteur de 60 % par les cotisations. Plus la sécurité sociale est fiscalisée, plus elle est en déficit. Devons-nous poursuivre dans cette voie ?
Le comité de suivi a rendu un rapport bien flou. L'entreprise Mulliez, bien connue dans le Nord, a perçu 127 millions de CICE, ce qui ne l'a pas empêchée de supprimer 300 postes en trois ans. Idem pour PSA, La Poste ou Total, qui vient de perdre brutalement son PDG. Ricoh, dans le Val-de-Marne, annonce la suppression de 328 emplois ; l'entreprise a pourtant touché 1 million d'euros d'argent public. Ces exemples, je le crains, ne sont pas isolés. Comment éviter que le CICE ne finance licenciements et délocalisations ? Air France ou Sanofi ne brillent guère par leur politique de l'emploi. Quelle collectivité s'engagerait aujourd'hui dans une politique de soutien à l'emploi sans contrepartie ?
Le groupe CRC, critique, veut être constructif. Aussi proposons-nous de créer un indice du coût du capital pour inciter au réinvestissement et un observatoire chargé du suivi objectif de l'utilisation du CICE. À quelques jours de l'examen du projet de loi de finances et du PLFSS, ce débat est essentiel : le montant du CICE correspond, peu ou prou, au déficit de la sécurité sociale. Tirons-en ensemble les conclusions qui s'imposent. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Pierre-Yves Collombat . - Le CICE devait être le couteau suisse de la relance économique par une amélioration de l'offre, en quelque sorte un outil multifonctions. La publicité était alléchante : compétitivité, investissement, emploi, tout cela grâce à une baisse du coût du travail. Que demander de plus ?
Le rapport du comité de suivi -dont le contenu informatif est sans rapport avec sa longueur- se contente d'une estimation à partir des seules intentions exprimées par les entreprises : investir et recruter. Il constate tout de même que l'impact du CICE sur les prix est rarement avéré. Or en 2013, les entreprises du CAC 40 ont augmenté de 40 milliards d'euros leurs dividendes -plaçant la France dans le peloton de tête européen tandis qu'elles réduisent leurs investissements. En clair, la moitié des bénéfices dégagés revient aux actionnaires. On est loin du fameux théorème selon lequel les bénéfices d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain. Le président Hollande a d'ailleurs dû rappeler aux employeurs leur devoir d'embaucher : nul doute qu'ils seront sensibles à ce conseil paternel ...
En l'absence de demande, une politique de l'offre est vouée à l'échec, disent les experts des Échos, le journal de M. Arnault, première fortune de France. Le comité de suivi dresse le même constat, dans son langage amphigourique : « Ces résultats, bien que ponctuels, confirment que l'affectation du CICE en 2014 dépend fortement de la situation conjoncturelle de l'entreprise ». En clair, la réussite de la politique de l'offre est suspendue à l'apparition de la demande. Comment la faire apparaître ? Voilà la question... L'exemple de La Poste qui aura reçu 300 millions de CICE en 2013 et 357 millions en 2014, fait douter. Certes, ses bénéfices ont augmenté de 30 %, mais elle n'est guère exposée à la concurrence -et continue de supprimer des emplois... Je ne critique pas l'aide publique à La Poste, qui assure des missions de service public et est présente sur tout le territoire, mais quelle cohérence dans la politique menée à son égard ? Elle est ponctionnée de 173 millions sur ses dividendes ! Le CICE se contente d'ajouter une couche de complexité comme l'indique Thomas Piketty. Je conclurai en le citant: « Le rouge est mis. Si le Gouvernement ne fait rien, le CICE restera comme le symbole de l'échec de ce quinquennat. » À moins que ce ne soit la réforme territoriale... Ça, c'est moi qui l'ajoute ! (Rires et applaudissements sur les bancs CRC)
M. Martial Bourquin . - Pour juger de la pertinence d'un dispositif, il faut plus de quatorze mois.
M. Roland Courteau. - En effet !
M. Martial Bourquin. - Nous sommes en pleine montée en charge du dispositif. Premier objectif du CICE : accompagner le tissu économique vers une montée en gamme nécessaire. Deuxième stratégie : priorité aux PME et TPE et à l'industrie.
Dans une économie ouverte, la compétitivité des entreprises ne peut être ignorée. 704 000 entreprises bénéficient de cet allègement dont 400 dans ma commune qui l'ont apprécié. La créance fiscale de septembre 2014 est de 8,7 milliards, on approche des 10,8 milliards prévus. L'an prochain ce seront 18 milliards. En vitesse de croisière, le CICE peut réduire l'écart de compétitivité entre la France et l'Allemagne de 50 % : 20 milliards d'euros, soit un point de PIB.
Les grands groupes pourvoyeurs d'emploi en bénéficient, mais aussi de nombreuses PME. Nous aurons à terme des évaluations sur la création et la conservation d'emplois ; pour l'heure, il est un peu tôt.
Il faut drainer le CICE vers l'investissement. Je suis satisfait des intentions affichées par les entreprises en la matière. 19 % des entreprises de l'industrie ont bénéficié du crédit d'impôt ; notre devoir est d'accroître ce taux. Notre appareil productif a quatre fois moins de robots qu'en Allemagne, deux fois moins qu'en Italie. Il faut combler cet écart. Un meilleur ciblage est possible, Bercy n'y est pas fermé. Les partenaires sociaux, les élus doivent se saisir de la question de la montée en gamme. La loi doit aussi prévoir des garde-fous effectifs : des entreprises profitent du crédit d'impôt pour délocaliser et supprimer des emplois....
Le CICE n'est pas le seul levier économique. Le rapport Gallois recommandait trente-cinq mesures pour la compétitivité, comme la réduction des délais de paiement -13 milliards d'euros de retard par an !- l'innovation, les écosystèmes productifs, la simplification administrative.
Depuis trente ans, la France se désindustrialise. Il faut redresser la barre. Nous ne pouvons plus rester les bras ballants. Posons les vrais problèmes et apportons-y les vraies solutions !
Faut-il continuer à mener des politiques déflationnistes quand nous sommes proches de la déflation ? Et pourquoi les revenus des actionnaires sont-ils supérieurs à la croissance ? Voilà deux questions posées par Thomas Piketty qui mériteraient un débat dans notre Assemblée ! (On approuve et applaudit à gauche)
M. Pierre-Yves Collombat. - La gauche s'en occupera quand elle sera au pouvoir !
M. Yannick Vaugrenard . - Selon le comité de suivi du CICE, 8,7 milliards d'euros ont été déclarés, 713 000 entreprises ont demandé à en bénéficier ; 30 % sont des PME, 19 % des micro-entreprises. Il est toutefois beaucoup trop tôt pour tirer un bilan définitif : au moment de l'enquête, un quart des entreprises concernées n'avaient pas arrêté leurs comptes. La créance ultime au titre de 2013 ne sera connue qu'en 2017. En outre, il faut attendre les fruits de la baisse des cotisations, soit deux ou trois ans au moins.
L'enquête de l'Insee nous apprend toutefois que 34 % des entreprises du secteur de l'industrie estiment que le CICE leur permettra d'embaucher ; elles sont 48 % dans les services. De même, 58 % des premières et 52 % des secondes comptent investir.
Cette année ne peut être considérée comme véritablement représentative ; des adaptations devront sans doute être envisagées à l'avenir.
Le CICE ne doit pas être détourné de son objectif initial. Les entreprises devraient rembourser les aides versées dès lors que celles-ci visent à augmenter la rémunération des actionnaires ou à délocaliser !
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Yannick Vaugrenard. - J'ai un tel cas dans mon département : la Seita a fermé un site et délocalisé en Pologne. Mais le principe même du CICE n'est pas à mettre en cause du fait du comportant répréhensible de certains. Le CICE a servi aux PME plus qu'aux grands groupes, rappelons-le.
Reste que la conditionnalité des aides aux entreprises est un impératif si nous voulons nous inscrire dans un rapport gagnant-gagnant. La transparence envers les salariés-citoyens sur l'utilisation faite du CICE serait bienvenue.
M. Roland Courteau. - Bonne idée !
M. Yannick Vaugrenard. - Bref, le CICE ne doit pas se faire sans transparence, sans contrôle et sans information des salariés, gages d'une efficacité renforcée. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Carole Delga, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - On ne change pas la société par décret, selon la célèbre formule de Michel Crozier, mais nous devons être attentifs aux évolutions à impulser. En 2012, nous avons hérité d'une industrie abîmée, d'une compétitivité perdue pour beaucoup de nos entreprises. Il fallait aider les entreprises à retrouver des marges et à recréer de l'emploi -car vous savez que notre pays souffre d'un taux élevé de chômage.
M. Jean-François Husson. - Cela ne s'arrange pas !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Certes, mais n'oubliez pas l'état dans lequel vous avez laissé l'éducation nationale ou la justice ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Premier pilier de notre politique : réduire le déficit et assainir les comptes publics. Sous Nicolas Sarkozy, la dette progressait de 5 % par an ; depuis 2012, cette progression n'est plus que de 3 %. La dépense publique a ralenti, tout en restant compatible avec le soutien à l'économie. Nous faisons un effort de 50 milliards d'euros d'économies -impossible de faire plus, 100 milliards réclament certains !, sans casser le modèle républicain. Quant aux collectivités territoriales, l'opposition nous reproche de leur demander une contribution après qu'elle les a privées d'une ressource dynamique en supprimant la taxe professionnelle... Nous avons aussi demandé un effort au réseau consulaire.
Pour restaurer la compétitivité de l'économie, le CICE et le pacte de responsabilité permettent aux entreprises d'embaucher et d'exporter, grâce à une baisse de prélèvements de 40 milliards d'euros d'ici 2017. Parmi les simplifications, les dossiers de paye, les procédures pour répondre aux marchés publics, l'accès à la trésorerie pour les PME et TPI : la BPI leur servira de garant. La loi consommation réduit les délais de paiement, et les contrôles seront renforcés. Rappelons aussi notre politique de soutien au pouvoir d'achat : suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, pour aider les classes modestes et moyennes à consommer. Le déficit du commerce extérieur pénalise notre compétitivité.
Le CICE est dans un premier temps un ballon d'oxygène qui permet à des centaines de milliers d'entreprises de diminuer le coût du travail. Les deux rapports du comité de suivi et de la mission de l'Assemblée nationale vont dans le même sens. La stabilité est indispensable à la confiance. Ces deux rapports démontrent que l'utilisation du CICE est conforme à ses objectifs : soutenir l'investissement et l'emploi. Les entreprises de moins de 50 salariés bénéficient à 39 % du CICE ; c'était bien notre but. Le commerce et l'industrie manufacturière sont les deux secteurs les plus concernés. Dès 2014, le taux sera porté à 6 % de la masse salariale. Le préfinancement va augmenter auprès de la BPI, jusqu'à 7 000 euros. Les indépendants ne sont pas oubliés puisque le pacte de responsabilité prévoit pour eux un allègement de charges de 60 % des cotisations familiales. Il faut s'en féliciter.
Complexe, le CICE ? Vous n'êtes pas allés sur le site internet.
M. Jean-François Husson. - Nous allons sur le terrain !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Moi aussi. J'ai rencontré à la chambre de commerce et d'industrie de Montpellier les responsables de la CGPME ou encore des chefs d'entreprise à Reims qui ont trouvé le dispositif simple, lisible et réactif ! Le BTP bénéficie de dispositifs particuliers, avec l'extension du PTZ pour la réhabilitation de l'ancien et le crédit d'impôt pour les travaux d'économie énergétique. Les CPER ont été revalorisés en ce qui concerne les infrastructures car nous voulons soutenir les investissements. Il s'agit de rassurer les entreprises pour leur redonner confiance et envie d'investir.
Il aurait fallu d'autres solutions, ai-je entendu ? Qu'a fait la droite sous le précédent quinquennat ? La désindustrialisation de la France ne date pas d'il y a deux ans ! (On renchérit à gauche)
M. Jean-François Husson. - Cela vous ressoude ; manifestement !
M. Alain Chatillon. - La désindustrialisation de la France, elle date de 1980 ;70 000 emplois de moins par an depuis cette date !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Les contrôles fiscaux ? La comparaison avec le CIR est un faux procès : contrairement au CIR, le CICE ne repose pas sur une déclaration fiscale mais sur la masse salariale !
M. Jean-François Husson. - Sinon, c'est un contrôle Urssaf !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. - Réserver le CICE aux entreprises exportatrices ? Cela n'est pas une bonne idée : leurs sous-traitants doivent pouvoir en bénéficier. Il faut un système souple, lisible pour les entreprises, visible pour nos concitoyens. Le CICE est un levier qui met la compétitivité au service de tous. Nous souhaitons que nos entreprises innovent, investissent et embauchent. Toutes nos mesures visent à redresser le pays, ce sont des mesures pour l'emploi. « La fatalité triomphe dès que l'on croit en elle », disait Simone de Beauvoir. N'y croyons donc pas et mobilisons-nous pour la France ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Éliane Assassi. - Vous ne nous répondez pas !
La séance, suspendue à 17 h 10, reprend à 17 h 15.