Application de l'article 68 de la Constitution
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 68 de la Constitution.
Discussion générale
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Le projet de loi organique, qui porte application de l'article 68 de notre Constitution, a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en janvier 2012. La loi constitutionnelle de janvier 2007 faisait suite à de longs débats sur la responsabilité pénale du chef de l'État. Le constituant a voulu rappeler que le président de la République jouissait d'une irresponsabilité générale pour les actes commis en tant que président et d'une inviolabilité temporaire jusqu'au terme de son mandat. Une exception étant prévue pour le cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».
L'article 68 répond donc à une situation aussi grave que rare. Il va très loin dans la précision : c'est le président de l'Assemblée nationale qui préside la Haute cour de justice ; l'article fixe aussi les délais du vote. La marge de manoeuvre du législateur organique est donc limitée. Le Sénat avait toutefois déposé dès 2009 une proposition de loi organique qui diffère de ce projet de loi, à l'initiative de François Patriat et Robert Badinter, auxquels je rends hommage. Je ne doute pas qu'il soit partagé sur tous les bancs du Sénat.
Dans son rapport, M. Portelli rappelle brillamment les circonstances ayant conduit à l'adoption de l'article 68. Le comité Avril est revenu sur la notion de « haute trahison », trop floue et incomplète. La loi organique prévoyait une commission d'instruction composée de magistrats chargés d'éclairer la Haute cour de justice, chargée de juger le président de la République et de prononcer une sanction pénale. Cette situation était source de confusion. D'où le choix d'une procédure purement parlementaire. Le rapport Hyest sur la révision constitutionnelle éclaire les différents cas de figure. Il n'y a pas de précision sur les « manquements », qui peuvent être de nature privée. Le caractère exceptionnel d'une telle procédure ne fait guère de doute -cela suppose une crise grave qui menacerait la continuité de l'État et la stabilité des institutions, pour citer Philippe Houillon, rapporteur de l'Assemblée nationale.
Le texte précise le déroulé de la constitution de la Haute cour. Il faut une majorité des deux tiers de chaque assemblée pour adopter la résolution constituant la Haute cour, qui se prononce sur la destitution, à la suite d'un rapport d'une commission ad hoc. Nous sommes face à une procédure équilibrée qui concilie la protection du mandat présidentiel et une nécessaire procédure d'exception. La lettre comme l'esprit de l'article 68 sont respectés.
L'Assemblée nationale avait toutefois soulevé la question de la clôture de la session parlementaire qui pouvait faire obstacle à la réunion de la deuxième Assemblée. Le Conseil constitutionnel devra trancher, il faudra sans doute préciser ce point.
Votre commission des lois a adopté la proposition de loi organique sans modification. Si aucun amendement n'était adopté, le texte serait immédiatement soumis au Conseil constitutionnel avant d'être promulgué. Cela serait certes source de satisfaction, sept ans après la loi de 2007. Je regrette toutefois que d'autres dispositions de la proposition de loi Patriat-Badinter n'aient pas été retenues... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois . - S'il est adopté, ce texte mettra fin à un vide juridique qui date de 2001. À cette date, la Cour de cassation avait adopté une interprétation de l'article 68 de la Constitution différente de celle formulée par le Conseil constitutionnel deux ans plus tôt. En 1999, ce dernier avait répondu qu'en vertu d'un privilège de juridiction, le président de la République ne pouvait être jugé, même pour des actes commis en dehors de ses fonctions, que par la Haute cour de justice. Deux ans plus tard, dans l'arrêt Breisacher portant sur l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la Cour de cassation estimait que ces actes relevaient des tribunaux ordinaires mais que le président de la République était inviolable pendant toute la durée de son mandat, point de vue diamétralement opposé à celui du Conseil constitutionnel...
Le président Chirac a alors confié à un comité présidé par Pierre Avril le soin de lui proposer une nouvelle mouture des articles 67 et 68. Il rendit ses conclusions en décembre 2002 ; un projet de loi constitutionnelle fut adopté en conseil des ministres, suivant les analyses de la Cour de cassation : inviolabilité temporaire du président de la République, qui serait jugé par une juridiction différente de la Haute cour de justice d'alors. Celle-ci était une instance mi-politique mi-juridictionnelle. Ce type de juridiction contrevenait à l'article 6 de la Commission européenne des droits de l'homme, c'est-à-dire le droit à un procès équitable.
Le projet de loi constitutionnelle ne sera voté que quatre ans plus tard. D'où la proposition de loi organique déposée au Sénat en 2009 et votée en 2011. De son côté, l'Assemblée nationale a adopté en 2012 un projet de loi organique intégrant plusieurs amendements issus du texte du Sénat. Cette loi organique, qui fait la synthèse de toutes les dispositions évoquées, est très restreinte, tant l'article 68 est précis dans sa rédaction. La Haute cour devra fonctionner non pas comme une assemblée législative mais comme une assemblée politique, prenant une décision politique : celle de destituer le président de la République qui n'est plus en état d'exercer son mandat. La Commission européenne des droits de l'homme a été saisie en 2011 d'une telle procédure d'impeachment envers le président de la République lituanien ; elle s'est déclarée incompétente, la procédure n'étant pas judiciaire mais politique.
Le texte de la loi organique, très bref, organise la procédure. La commission des lois, saisie, ne peut donner qu'un avis sur le texte et ne peut en aucun cas bloquer son examen par l'Assemblée. Le texte précise les délais et prévoit que la Haute cour fonctionnera comme une Haute cour et non comme une Haute cour de justice. C'est pourquoi la commission des lois l'a adopté à l'unanimité. (Applaudissements au centre et à droite, Mme Esther Benbassa applaudit aussi)
M. Alain Anziani . - Je salue le travail de M. Portelli. Enfin ! Enfin, nous sommes saisis de ce projet de loi organique mettant en oeuvre l'article 68 de la Constitution. Depuis 2001, ce fut le silence. L'origine, c'est un scandale, celui des emplois fictifs de la ville de Paris. On a donc créé une commission. On pouvait craindre, pour reprendre la formule de Clemenceau, que cela fut un moyen d'enterrer l'affaire. Il a fallu patienter sept ans pour voir enfin les prémices de la procédure de destitution. Longue période pendant laquelle nous avons eu un chef de l'État protégé par l'article 67 mais qui n'était pas soumis à la contrepartie de l'article 68. Il pouvait donc faire ce qu'il souhaitait. Drôle de situation : la seule femme française qui ne pouvait divorcer sans le consentement de son mari, rappelait Robert Badinter, c'était la femme du président de la République... « Le roi ne peut mal faire », dit l'adage. De fait, la responsabilité du président de la République ne pourrait être engagée.
Saluons le coup d'accélérateur, dans cette course de lenteur, qu'a été la proposition de loi organique déposée par MM. Patriat et Badinter.
Une majorité ancienne l'avait renvoyée en commission, sans doute pour donner du temps au temps...
M. Jean-Jacques Hyest. - Il y avait le projet de loi !
M. Alain Anziani. - Une autre l'a adoptée, en 2011, avant que l'Assemblée nationale n'adopte, à son tour, le projet de loi enfin déposé par le gouvernement Fillon.
La procédure prévue est strictement encadrée et longue : proposition de résolution signée par un dixième des membres d'une Assemblée, saisine du Bureau qui se prononce sur sa recevabilité, avis de la commission des lois, vote de l'Assemblée, avis de la commission des lois puis vote de l'autre Assemblée, constitution d'une commission ad hoc, avant que la Haute cour ne se prononce...N'est-ce pas trop ?
Regardez la procédure de l'impeachment aux États-Unis : la chambre des représentants met en oeuvre la procédure, le Sénat examine s'il faut y donner suite. L'engagement de la procédure ne nécessite qu'un vote simple, à la majorité ordinaire. La procédure est simple, éminemment protectrice. De fait, aucune des deux n'a abouti, ni contre Andrew Johnson ni contre Bill Clinton.
Est-il vraiment utile que le Bureau de chaque Assemblée renvoie la proposition de résolution devant la commission des lois ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Indispensable !
M. Alain Anziani. - On aurait pu imaginer que l'Assemblée soit directement saisie.
La possibilité pour le président de la République de se faire représenter est surprenante : la Haute cour ne pourra donc pas l'interroger ! Il pourra être le grand absent des débats... On aurait pu être plus audacieux.
Le président destitué pourra se représenter devant le peuple, dans un délai de 35 jours. Il pourra être réélu. Sa réélection permettra-t-elle à la Haute cour de reposer le problème ? Espérons qu'il ne s'agisse que de discussions théoriques...
Ce texte, nous l'avons appelé de nos voeux. Étant d'accord sur son principe, et malgré nos divergences ponctuelles, nous le voterons ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, sur plusieurs bancs au centre et à droite)
Mme Esther Benbassa . - Le statut pénal du président de la République a été bouleversé par la révision constitutionnelle de 2007. L'article 67, d'applicabilité directe, traite de l'irresponsabilité et de l'inviolabilité provisoire du chef de l'État pour les actes étrangers à l'exercice de son mandat. L'article 68 exigeait, lui, une loi organique -qui n'a toujours pas été adoptée, sept ans plus tard. Le déséquilibre était patent.
Selon l'article 67, le président de la République ne peut plus, durant son mandat, être requis de témoigner devant une juridiction non plus que faire l'objet de poursuites. Les écologistes n'adhèrent pas à cette inviolabilité provisoire du chef de l'État ; nous avions d'ailleurs déposé, à l'Assemblée nationale, une proposition de loi constitutionnelle sur ce sujet. L'inviolabilité judiciaire ne protège en rien la dignité de la fonction. Elle risque au contraire de nourrir le soupçon et de conduire à des dénis de justice.
L'article 68 institue une responsabilité politique du président de la République, dissociée de sa responsabilité judiciaire. Son efficacité semble pour le moins douteuse et on peut craindre que la procédure ne soit détournée à des fins politiques.
Aux États-Unis, la procédure d'impeachment a toujours été précédée d'une procédure judiciaire : US versus Nixon ou Clinton versus Jones. La Cour suprême a d'ailleurs démontré l'inanité d'une injusticiabilité présidentielle pour les actes détachables de la fonction.
La procédure de destitution prévue ici est-elle entourée des garanties suffisantes ? Oui : la règle de la majorité des deux tiers de chaque Assemblée, puis du Parlement, suppose un quasi consensus politique. Ce projet de loi organique constitue une avancée notable, nous lui apporterons notre soutien.
Mme Éliane Assassi . - Sept ans et demi après la réunion du Parlement en congrès, le chemin tortueux de la loi organique reprend son cours. Sept ans de réflexion, c'est long. Le citoyen pourra légitimement s'interroger sur les raisons de ce délai. Nicolas Sarkozy a permis, en 2011, l'adoption d'un projet de loi à l'Assemblée nationale -sous la pression du Sénat de gauche. Aujourd'hui, c'est la majorité de droite qui donne le sentiment de forcer la main au président Hollande. Ce texte est très proche de celui de 2011. Il conserve le statut juridictionnel du chef de l'État tel que défini par l'article 68.
Cette procédure de destitution est bien timide, comparée à la procédure d'impeachment des États-Unis où la Chambre des représentants vote à la majorité simple. On peut s'interroger sur le pouvoir accordé au Sénat, élu au suffrage indirect, mis ici sur le même plan que l'Assemblée nationale. Pourquoi la commission des lois intervient-elle ?
Enfin, la constitution de la commission ad hoc pose problème : composée de six membres, elle exclut de fait certains groupes, atteinte grave au pluralisme. Nous déposerons un amendement pour rectifier ce qui s'apparente à une faute démocratique.
Plus généralement, nous regrettons la faible portée de cette procédure face à la gravité de la crise à laquelle elle doit répondre. En voulant souligner la faiblesse politique de l'actuel président de la République, l'UMP met en réalité en exergue l'excès de présidentialisme dans notre pays. La Constitution de 1958 et l'élection du président de la République au suffrage universel direct ont mis ce dernier au centre des institutions.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - C'est vrai.
Mme Éliane Assassi. - Les réformes intervenues depuis -extension du champ référendaire, quinquennat, inversion du calendrier- ont renforcé cette tendance. (M. Jacques Mézard le confirme) Exonéré de tout contrôle démocratique, le président de la République élu, véritable monarque, peut s'affranchir des promesses. Il ne peut être mis en cause devant le Parlement. Le pays se trouve en état de campagne électorale permanente. Il est temps de s'interroger sur l'existence même d'un président de la République élu du suffrage universel direct ! (M. Jacques Mézard applaudit)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Cela dépasse l'objet du texte.
Mme Éliane Assassi. - Le temps de son mandat, le président de la République jouit d'un statut semblable à celui des anciens monarques. « La personne du roi est inviolable et sacrée », écrivaient les constituants de 1791...
La destitution à la française est un garde-fou, une responsabilité politique se substitue à la responsabilité juridique. Le groupe CRC, pour sa part, est pour un traitement de droit commun du président de la République pour les actes non liés à sa fonction -nous avons d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens.
La Constitution de 1958 n'est plus à la hauteur des enjeux face au vrai pouvoir, celui des marchés financiers. La priorité, pour redonner un sens à notre démocratie, est de convoquer l'assemblée constituante pour une VIe République. Les sénateurs du groupe CRC n'approuveront pas ce projet de loi de fin de règne. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jacques Mézard . - Sous la Ve République, le président de la République est un monarque qui ne guérit pas les écrouelles. Avec ce projet de loi se termine la saga de la responsabilité pénale du président de la République. Promesse du président Chirac en mars 2002, elle n'avait toujours pas abouti. Le contexte n'était pas simple, il est vrai... La commission Avril a été créée en juillet 2002 pour proposer un nouveau statut du président de la République, adopté par le constituant en 2007. L'Assemblée nationale a adopté un projet de loi organique -en 2012, après la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2011. Enfin, nous y sommes et notre groupe souhaite qu'il soit mis un point final à cette réforme.
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
M. Jacques Mézard. - Nous clarifions à toutes fins utiles les règles procédurales. Le président de la République n'est et ne sera jamais, quoi qu'on en dise, un justiciable ordinaire.
M. Alain Joyandet. - Ça, c'est vrai !
M. Jacques Mézard. - L'élection au suffrage universel direct -que nous avons toujours combattue- et les institutions de 1958 le placent au-dessus des partis, dans un rôle d'arbitre ; la Constitution de 1958 confondait responsabilités politique et juridique en prévoyant une Haute cour de justice chargée de statuer en cas de « haute trahison », notion floue et non définie, assortie d'ailleurs d'aucune sanction. L'immunité juridictionnelle protégeait le mandat et non l'homme. La réforme de 2007 a mis fin à cette imprécision.
La surmédiatisation du politique, dans tous les aspects de sa vie, y compris privée, rendrait toute protection vaine si on laissait à des tiers la possibilité de s'acharner sur lui...
« On ne conduit le peuple qu'en lui montrant un avenir », disait Napoléon Bonaparte. « Un chef est un marchand d'espérance ». L'espérance n'est plus au rendez-vous, à chacun d'en tirer les conclusions...
La procédure a été décrite par les orateurs précédents. Il est toutefois curieux qu'un président destitué puisse continuer de siéger au Conseil constitutionnel... Le RDSE a d'ailleurs rédigé une proposition de loi constitutionnelle réformant la composition du Conseil, pour le rendre plus démocratique.
Nous voterons à l'unanimité ce projet de loi organique, pour mettre un point final à cette histoire. (Applaudissements sur les bancs RDSE et sur plusieurs autres bancs)
M. Michel Mercier . - Je crois rêver. On nous dit que l'histoire a été longue mais rien n'a été fait depuis 2012 ! Qu'est-ce qui empêchait le Gouvernement de faire voter par l'Assemblée nationale le texte voté par le Sénat il y a deux ans s'il était meilleur que ce texte-ci ? Il y a ceux qui parlent de cette réforme, et ceux qui la font...
Le législateur organique a peu de latitude en la matière car l'article 68 est strict. Il dote notre pays d'une procédure moderne de destitution d'un président de la République indigne de poursuivre son mandat. Cette procédure est encadrée, c'est bien normal, car elle ne saurait servir à un harcèlement politique. Elle ne met pas en jeu la responsabilité pénale du chef de l'État, qui pourra être poursuivi devant une juridiction de droit commun une fois destitué. Le Bureau des assemblées voit son rôle réaffirmé, ainsi que la commission des lois dont l'intervention me parait naturelle. La Haute Cour devra se prononcer rapidement : toute manoeuvre dilatoire est écartée. Cette procédure doit rester exceptionnelle pour être conforme à l'esprit de nos institutions. Le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs au centre et à droite)
M. Jean-Jacques Hyest . - Rapporteur du projet de loi constitutionnel de 2007, je me réjouis que nous examinions enfin ce projet de loi organique qui met en oeuvre le nouvel article 68. J'ai noté que le président Hollande voulait réformer les articles 67 et 68-1... mais non l'article 68. C'est une satisfaction rare pour moi ! Notre éminent rapporteur, le professeur Portelli, a dit que cette procédure visait le cas où le président de la République ne serait plus en état de poursuivre son mandat. Pas exactement : c'est alors le Conseil constitutionnel qui prononce l'empêchement.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Je parlais du cas où le président de la République n'était plus en état politique d'exercer ses fonctions.
M. Jean-Jacques Hyest. - La commission Avril puis le constituant ont donné raison à la Cour de cassation. Un coup fatal avait été porté à la Haute cour de justice, il fallait y remédier.
Nous avions anticipé ce débat en 2010, grâce à M. Patriat. Si nous avons un temps renvoyé en commission sa proposition de loi organique, c'est uniquement parce qu'un projet de loi avait été déposé.
Le projet de loi organique préserve la dignité de la fonction du chef de l'État. Les conditions de dépôt de la proposition de résolution sont judicieuses.
Que se passe-t-il si le Bureau s'oppose à l'unanimité à l'examen de la proposition ? Renvoyer le texte à la commission des lois est indispensable, même s'il ne s'agit pas de législation.
Il est fait en sorte que le Bureau de la Haute cour, sans être pléthorique, respecte le pluralisme. Pour la première fois, ce principe est élevé au rang organique.
L'ancienne Cour de justice de la République pouvait exceptionnellement siéger à huis-clos, ce n'est pas prévu ici et c'est peut-être dommage.
Bien que la procédure ne revête aucun caractère juridictionnel, le principe du contradictoire est respecté. Le président de la République pourra se faire représenter afin que ses fonctions ne soient pas suspendues.
D'autres propositions de loi auraient pu être inscrites dans cette niche mais il nous a paru important de mettre la dernière main à cette réforme. Nous voterons le texte sans modification. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Pierre Sueur . - L'article 68 a substitué à une procédure de mise en accusation une procédure de destitution fondée sur une appréciation politique, rompant ainsi avec un système ambigu qui laissait la Haute cour de justice libre de décider de la sanction de la « haute trahison ». La destitution rend le président de la République à la condition de citoyen ordinaire, passible de procédures de droit commun, comme l'écrivait M. Hyest dans son rapport de 2007.
M. Jean-Jacques Hyest. - Bonne lecture ! (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur. - Désormais, les parlementaires ne sont plus des juges politiques mais des représentants du peuple prenant une décision politique dans l'intérêt supérieur de la Nation.
L'UMP nous appelle à un vote conforme. Il est vrai que les choses ont beaucoup tardé malgré les efforts du Gouvernement et ceux du Sénat. Cependant, pourquoi le culte du vote conforme ?
Mme Éliane Assassi. - Vous y avez sacrifié aussi.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il y a des circonstances de toute nature... Il eût été possible d'améliorer ce texte en reprenant certaines dispositions de la proposition de loi organique Patriat-Badinter.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - C'est fait.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pour certaines, pas pour toutes. Ainsi, qu'apporte le passage de la proposition de résolution devant une commission permanente, fût-elle la commission des lois pour laquelle j'ai la plus haute estime ?
Quant à la commission ad hoc chargée d'éclairer la Haute cour, sa composition ne garantit pas la représentation de tous les groupes. Avec la proposition de loi Patriat-Badinter, cette garantie aurait été assurée.
M. Urvoas est souvent bien inspiré, mais pas toujours. Comment un juriste peut-il écrire que la composition de la commission « s'efforce » de reproduire celles des deux Assemblées ? Cette formulation est étrange, et bien peu normative. Il eût été plus simple de prévoir dix représentants de l'Assemblée nationale et dix représentants du Sénat.
Enfin, le président de la République pourra ne pas être entendu par la Cour même si la commission en fait la demande. En de telles circonstances, il serait judicieux qu'il vînt plutôt que de se faire représenter.
Il est dommage de se priver des apports de la proposition de loi Patriat-Badinter, même si nous nous féliciterions que ce dernier texte d'application de la révision constitutionnelle de 2007 fût enfin adopté.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État . - Il est temps d'assurer l'équilibre entre la protection accordée au président de la République et sa responsabilité. Le président Mézard l'a bien dit : dans le très long cheminement de ce texte, les responsabilités sont partagées. En la matière, il était normal que le Parlement reprît la main.
Mme Éliane Assassi. - C'est tout ?
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°10, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.
Alinéa 2, dernière phrase
Après le mot :
membres
insérer les mots :
ou par un groupe parlementaire
Mme Éliane Assassi. - La Constitution reconnaît le rôle et les compétences des groupes parlementaires minoritaires, même s'il leur a été refusé le droit de saisir le Conseil constitutionnel alors qu'un simple citoyen peut le faire via une question prioritaire de constitutionnalité. Il serait logique que les groupes puissent déposer une proposition de résolution dans le cadre de l'article 68.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. La commission Avril a repris la procédure prévue pour la Haute cour de justice.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Confier ce rôle aux groupes politiques pourrait donner une fausse idée de ce dont il s'agit : non pas des affaires politiques mais des cas où le fonctionnement des institutions est en jeu. Outre qu'il poserait des problèmes techniques, cet amendement serait un facteur de politisation. Avis défavorable.
L'amendement n°10 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté.
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
I. - Alinéas 2 et 3
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
Si le Bureau constate que ces conditions sont réunies, la proposition de résolution est inscrite de droit à l'ordre du jour de l'assemblée concernée dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter du dépôt de cette proposition.
II. - Alinéa 4
Remplacer les mots :
des deux dernières phrases de l'avant-dernier alinéa
par les mots :
de l'alinéa précédent
M. Alain Anziani. - Il ne s'agit pas ici de législation, le passage par la commission des lois ne s'impose donc pas.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Le texte initial donnait un droit de veto à la commission des lois, ce qui n'était pas prévu par l'article 68 de la Constitution. Il est normal en revanche que la commission compétente donne son avis.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse. L'amendement accélérerait la procédure mais priverait les Assemblées de l'expertise de leur commission des lois.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 1, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
M. Alain Anziani. - Même objet que le précédent.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Même avis défavorable.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Même avis de sagesse.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le vote des assemblées sur la proposition de résolution tendant la réunion de la Haute Cour fait l'objet d'un scrutin public.
M. Alain Anziani. - Le vote des Assemblées doit se faire par scrutin public afin que chacun assume sa responsabilité.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Le scrutin public est la règle pour les lois organiques. Avis défavorable.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse : il s'agit d'une affaire interne au Sénat.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
L'article 3 bis est adopté.
ARTICLE 4
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le Bureau organise les conditions du débat et du vote et prend toute décision qu'il juge utile à l'application de l'article 68 de la Constitution.
M. Alain Anziani. - Cet amendement élargit les attributions du Bureau de la Haute cour.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Il est satisfait par le quatrième alinéa de cet article.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Il paraît judicieux de conserver une certaine souplesse. Sagesse enthousiaste. (Rires)
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté.
ARTICLE 5
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
Une commission constituée de vingt membres est chargée de recueillir toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission par la Haute Cour. Ses membres sont élus, selon la représentation proportionnelle au plus fort reste, dans le respect du pluralisme des groupes, en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat. Elle élit parmi ses membres son président et désigne un rapporteur.
M. Alain Anziani. - Amendement d'affirmation du Sénat et de cohérence avec le principe de représentativité politique, ici invoqué. Le Bureau du Sénat n'est pas composé comme celui de l'Assemblée nationale. En outre, la rédaction actuelle ne garantit pas la représentation de tous les groupes.
M. le président. - Amendement n°11, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.
Alinéa 1, première phrase
Remplacer les mots :
six vice-présidents de l'Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat
par les mots :
dix membres du Bureau de l'Assemblée nationale et de dix membres du Bureau du Sénat
Mme Cécile Cukierman. - L'objet est le même. Le pluralisme ne doit pas être un voeu pieux.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. Veillons à l'efficacité et à la rapidité de la procédure. Cet organe n'est pas une commission ordinaire, il devra se prononcer dans des délais très restreints.
En outre, les représentants de l'Assemblée nationale, s'ils admettent le bicamérisme, veillent à ce que les instances paritaires ne soient pas trop pléthoriques.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - L'amendement n°5 répond mieux à l'objectif du pluralisme. Cependant, les arguments du rapporteur s'entendent. Sagesse, puisqu'il s'agit du fonctionnement des Assemblées.
Mme Cécile Cukierman. - Nous voterons l'amendement n°5. Le pluralisme fait-il perdre en efficacité, monsieur le rapporteur ? Nous ne le pensons pas, au contraire ! L'enjeu est ici de taille.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je reste, moi aussi, sur ma faim. Je comprends que vous souhaitiez un vote conforme, monsieur le Rapporteur, mais dire qu'une instance de douze membres est plus efficace qu'une de vingt membres est surprenant. Combien étions-nous cet après-midi à travailler sur les régions ? Une quarantaine.
M. Jean-Jacques Hyest. . - Au début ! (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur. - Si l'on est attaché au bicamérisme, qu'on nous laisse jouer un rôle dans l'élaboration de ce projet de loi organique !
L'Assemblée nationale a introduit dans la loi un verbe surprenant : on « s'efforcera » de représenter la composition des assemblées. C'est de la législation floue. Notre rédaction assure la représentation de tous les groupes.
M. Jean-Jacques Hyest. - Une CMP comprend sept plus sept membres, tous les groupes n'y sont pas toujours représentés. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait pas débat. Il ne s'agit d'ailleurs ici que d'un travail préalable.
Il existe déjà des textes disant qu'il faut « veiller à » une représentation équilibré du pluralisme.
L'amendement n°5 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°11.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 3, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Le Président de la République peut être entendu soit à sa demande, soit à la demande de la commission.
M. Alain Anziani. - J'en appelle au bon sens. Le président de la République serait mis en cause - on dirait « accusé », « mis en examen » s'il s'agissait d'une procédure juridictionnelle - pour des manquements graves et la commission pourrait être privée du droit de l'entendre ? Il faut un débat franc, pas avec un fantôme du président de la République.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. Le président de la République exerce ses fonctions pleinement lorsque la procédure démarre. C'est à lui d'apprécier s'il est utile ou non qu'il soit entendu par la commission. Il peut très bien avoir d'excellentes raisons de ne pas le faire et de préférer envoyer un représentant.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - J'entends votre demande, bien naturelle, monsieur Anziani. Cependant, il est justifié que le président de la République puisse se faire représenter à ce moment de la procédure. Je ne dis pas cela parce qu'il est président mais parce qu'il est en posture d'accusé. Or pourrait aussi craindre que de telles procédures se multiplient mais nous n'avons pas encore, heureusement, ces moeurs politiques. Sagesse.
M. Alain Néri. - Je comprends qu'on veuille conclure rapidement, avec un vote conforme. Mais repousser ces amendements ne participe pas d'une justice sereine et éclairée.
M. Jean-Jacques Hyest. - Il ne s'agit pas de justice !
M. Alain Néri. - Tous les groupes ne seront pas représentés, ce n'est pas un élément de sérénité. Pour être parfaitement éclairée, la justice doit pouvoir poser des questions. C'est abaisser l'institution que nous sommes en train de créer que de prévoir que le président de la République puisse se faire représenter. Mis en cause, il doit se présenter lui-même devant la commission si celle-ci le souhaite. Je voterai l'amendement.
M. Alain Anziani. - Une proposition de résolution a été jugée recevable par le Bureau de l'Assemblée concernée, votée par les deux tiers de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il y a donc déjà eu une majorité au-delà de la majorité partisane dans les deux chambres. Et on nous dit qu'il pourrait s'agir d'une procédure fantaisiste ? Non, nous sommes dans une procédure sérieuse. Je ne comprends pas qu'on ne puisse entendre celui qui est mis en cause.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Vous parlez de convoquer le président de la République, or le texte de l'amendement est plus ambigu : « le président de la République peut être entendu. » La Constitution interdit toute contrainte par corps sur un président de la République. Quel sens aurait donc votre exigence s'il refusait de se rendre devant la commission ?
M. Alain Anziani. - Entre la demande et la contrainte par corps, il y a une différence !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cet amendement pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Vouloir empêcher le président de la République d'être représenté, c'est le priver d'un moyen de se faire comprendre par la commission. Autant de raisons de rejeter cet amendement.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le rapporteur établit, dans les quinze jours suivant l'adoption de la résolution, un rapport écrit qu'il soumet à la commission. Après approbation de la commission, ce rapport est transmis à la Haute Cour, communiqué au Président de la République et au Premier ministre et rendu public.
M. Alain Anziani. - Cette rédaction tire les conséquences de la désignation d'un rapporteur au sein de la commission.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. C'est au Bureau de la Haute cour de prévoir ce type de dispositions.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
ARTICLE 6
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 3, première phrase
Supprimer cette phrase.
M. Alain Anziani. - Au Bureau de la Haute cour de fixer le temps des débats.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. La Haute cour n'a que 48 heures pour délibérer : cela suppose de limiter la durée des interventions.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse.
L'amendement n°8 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Alinéa 4
Supprimer les mots :
ou représenter
M. Alain Anziani. - J'insiste. Rien dans l'article 68 ne laisse place à l'idée que le président de la République puisse ne pas être interrogé personnellement par la Haute cour. C'est ce projet de loi organique qui introduit l'idée qu'il puisse être représenté, que le débat ait lieu entre la Haute cour et Mme ou M. Untel. Imaginons un instant qu'aux États-Unis, les présidents n'aient pas pu être entendus directement lors des procédures d'impeachment ! Une telle procédure n'est pas convenable.
M. Alain Joyandet. - Nous n'allons pas copier les Américains !
M. Hugues Portelli, rapporteur. - La procédure d'impeachment est une procédure judiciaire : le Sénat, constitué en Haute cour, est alors présidé par le président de la Cour suprême.
Si le président de la République juge qu'il a intérêt à s'exprimer, il le fera. À lui de décider s'il vient ou non en personne, durant tous les débats ou pas. Avis défavorable.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Sagesse.
M. Alain Néri. - Je suis un peu étonné par les propos tenus par le rapporteur. La représentation nationale est là pour défendre l'intérêt du peuple. Le président de la République serait-il au-dessus des autres citoyens ? Si à plus des deux tiers de ses membres la représentation nationale a décidé de saisir cette juridiction, c'est bien que le comportement du chef de l'État posait problème. A-t-on affaire à un monarque républicain ? Pour moi, il n'y a rien de plus haut que la représentation nationale et le suffrage universel.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je remercie M. Néri d'avoir suivi le débat de A à Z : il a tout compris ! On ne peut pas contraindre le président de la République : il y a inviolabilité. Interdire à un président de la République qui serait mis en cause - pas « accusé », nous ne parlons pas ici de procédure judiciaire - de se faire représenter contreviendrait aux droits de la défense.
Merci à M. Anziani d'avoir contribué à éclairer le débat !
L'amendement n°9 n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
L'article 7 est adopté.
L'ensemble du projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°3 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 324 |
Contre | 18 |
Le Sénat a définitivement adopté le projet de loi organique.
Prochaine séance demain, mercredi 22 octobre 2014, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 55.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques