Loi de règlement 2013 (Nouvelle lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2013, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Discussion générale
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget . - Ce projet de loi de règlement constate les résultats de l'exécution 2013 tels qu'ils ressortent de la comptabilité budgétaire et de la comptabilité générale de l'État.
Premier enseignement : la dépense est maîtrisée. Sous norme en valeur, elle a été inférieure de 144 millions d'euros à l'autorisation parlementaire. Nos priorités n'en ont pas moins été financées. Les dépenses d'assurance maladie ont été inférieures de 1,4 milliard d'euros aux prévisions de l'Ondam. La dépense publique dans son ensemble n'a augmenté, en valeur, que de 2 %, soit son plus bas niveau depuis 1998.
Entre 2007 et 2012, elle avait augmenté en moyenne chaque année de 3,1 %... C'est dire qu'en 2013, le rythme de croissance de la dépense a baissé d'un tiers. L'année 2013, année précédant les élections municipales, a connu un pic traditionnel de la dépense d'investissement local ; la dépense locale a augmenté de 3,4 %.
Ces résultats sans précédent depuis quinze ans n'ont pourtant pas fait reculer ni la qualité des services publics, ni les droits des assurés sociaux, ni l'investissement public.
L'écart entre prévision de recettes et exécution atteint 14,6 milliards d'euros. Première explication, la moindre croissance économique, 0,3 %, alors que la loi de finances initiale tablait sur 0,8%. Aussi et surtout, l'élasticité des recettes a été largement inférieure à l'unité ; en d'autres termes, les prélèvements obligatoires ont progressé moins vite que l'activité économique. Deux impôts sont particulièrement concernés, l'impôt sur les sociétés, en raison de la chute des bénéfices des sociétés financières, et la TVA, à cause de la faiblesse de l'investissement des ménages -essentiellement la construction immobilière. Ces deux secteurs étant particulièrement cycliques, on peut considérer ces moins-values comme ponctuelles.
Selon l'article 32 de la Lolf, la sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles. Le Conseil constitutionnel a jugé la loi de finances initiale pour 2014 conforme à ce principe ; le Gouvernement a régulièrement actualisé ses prévisions : en avril, en septembre puis en novembre. La sincérité ne s'apprécie pas au regard de l'écart entre prévision et exécution mais de ce que l'on peut conjecturer à un instant T et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler.
Je vous invite à adopter ce projet de loi de règlement. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances . - Ce projet de loi de règlement est identique à celui que le Sénat a rejeté le 15 juillet ; l'Assemblée nationale, elle, a confirmé son vote de première lecture. La divergence entre les assemblées ne porte pas sur le contenu du texte mais traduit des appréciations politiques. Ce texte constate les résultats de la gestion d'un exercice et contient quelques mesures techniques qui ne souffrent guère de débat. On aurait pu s'attendre à ce que les comptes fussent entérinés à l'unanimité...
Nous sommes ainsi réunis pour une sorte de remake de la première lecture. Dans ces conditions, je serai bref : la commission des finances vous propose d'adopter sans modification ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. Éric Bocquet . - Intégré au débat d'orientation sur les finances publiques, ce projet de loi de règlement n'avait pas nourri la discussion outre mesure en première lecture.
Les éléments fondamentaux sont connus. Le déficit recule encore, ce dont nous pourrions nous féliciter si cela ne traduisait les limites préoccupantes de la situation. La difficulté essentielle réside dans l'insuffisance des recettes fiscales, qui dépendent de l'activité économique -insuffisance qui empêche une réduction plus forte du déficit. Ce qui montre sans équivoque que l'action publique est trop contrainte, réduite à la correction des désordres de marché... Nous en sommes, par exemple, réduits à subventionner, à hauteur de 20 milliards d'euros, 800 000 emplois privés, sous-payés et sous qualifiés... Autant dire des emplois aidés...
Que demeure-t-il de la grande réforme fiscale annoncée ? Une nouvelle version de l'écotaxe qui a les mêmes défauts que la première, insuffisante, collectée par un acteur privé qui ne manquera pas de prélever son écot...
La solution aux problèmes du pays ne passe pas par des mesures fiscales, la fiscalité n'est pas la panacée. Pourquoi ne pas mobiliser d'abord les ressources existantes ? La mise à contribution des sociétés autoroutières pourrait financer l'Afitf. La recentralisation des dépôts -livrets défiscalisés ou fonds d'épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations- pourrait financer les grands projets alternatifs à la route ou la mise aux normes des logements. Il y faudrait plus de détermination et d'audace...
Notre approche de la fiscalité doit être plus systémique. On ne peut guère s'étonner de la faible progression des recettes fiscales quand on décide de priver un salarié sur cinq d'une juste rémunération de son travail ou de ponctionner les ressources des collectivités locales de plusieurs milliards d'euros -alors que l'investissement de celles-ci est décisif. Nous ne sortirons pas du marasme économique avec les mesures envisagées, trop coûteuses -220 à 230 milliards de produits fiscaux, bientôt davantage, sont consacrés à d'autres missions que l'équilibre des comptes publics. Et 156 milliards de recettes fiscales sont mobilisés pour remplacer les cotisations sociales. Sans compter les 80 milliards de dépenses fiscales et les 70 milliards issus des modalités de calcul de l'impôt. L'essentiel concerne les entreprises, sans ciblage, au profit des plus grandes. Or, le PDG d'une PME préférera toujours un prêt bancaire à faible taux à un taux d'impôt réduit. Nous préférons de même le relèvement du taux du versement transport à la taxe de séjour en Ile-de-France. Une réforme de la fiscalité est urgente, qui allie justice sociale, efficacité économique et mise en question des allégements.
Nous ne voterons donc pas ce texte et choisissons l'abstention. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Anne-Marie Escoffier . - Il y a une semaine, nous discutions de la loi de règlement et des orientations de nos finances publiques ; nous revenons aujourd'hui sur la première. Il faut saluer de réels efforts de maîtrise des dépenses. La baisse est surtout significative dans le périmètre « zéro volume », qui intègre la charge de la dette et les pensions : elle s'explique essentiellement par des taux d'intérêt bas et une inflation moindre que prévue. La baisse des taux masque la charge croissante de l'encours de la dette. Seules des mesures structurelles permettront de l'alléger.
La Cour des comptes relève encore peu de progrès dans la régularité de l'exécution. La mission Défense pâtit d'ouverture de crédits chroniquement faibles en loi de finances initiale. Résultat, des transferts de crédits en cours ou en fin d'exercice pour faire face à des dépenses incompressibles, ce qu'a excellemment noté la rapporteure générale de l'Assemblée nationale.
L'exécution 2013 suscite des inquiétudes. Les recettes fiscales sont en effet inférieures aux prévisions, même si elles ont augmenté de 15,6 milliards par rapport à 2012. Le principe de sincérité n'est pas en cause mais l'augmentation des rentrées d'impôts est deux fois moindre qu'attendu en raison de la faible croissance. L'impôt sur les sociétés est le premier concerné pour 6,4 milliards, suivi par l'impôt sur le revenu pour 4,2 milliards.
Il reste 460 niches fiscales. L'obligation d'évaluer l'efficience de ces dispositifs est bien loin d'être respectée... On se réfère encore au rapport Guillaume qui date de 2011 et avait montré l'inefficacité de nombreux mécanismes qui n'ont pourtant jamais été remis en cause. Il faudra faire preuve de courage politique pour affronter les conservatismes ; nous savons que vous n'en manquez pas, monsieur le ministre.
Le groupe RDSE approuvera à la quasi-unanimité ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Francis Delattre . - Faisons cesser le suspense : notre groupe ne votera pas ce texte. Les résultats sont mauvais et les chiffres incontestables. La pression fiscale excessive a entraîné une moindre consommation, une baisse du pouvoir d'achat, une hausse du travail au noir, une baisse des embauches et, in fine, de moindres recettes de TVA de 5 milliards et d'impôt sur le revenu du même montant. La pression fiscale sur les entreprises a conduit au recul de l'investissement, des marges et des créations d'emplois -et 6,3 milliards de recettes en moins. Les effets récessifs de cette politique affectent l'ensemble de notre économie. La croissance n'aura été que de 0,3 % en 2013. Avec pour conséquence une l'incapacité du Gouvernement à respecter les engagements internationaux de la France.
Le déficit public atteint 4,3 % au lieu de 3 % ; hors aléas conjoncturels, le déficit structurel est supérieur de 1,5 point à la prévision. Le dérapage est patent. Le Gouvernement a le plus grand mal à respecter ses objectifs et la dette continue de croître, pour atteindre 1 925 milliards d'euros. Mais nous sommes toujours anesthésiés par des taux historiquement bas...
Certes, les dépenses ont été maîtrisées puisque le budget général est dégonflé de 900 millions d'euros, grâce surtout à la faiblesse de l'inflation et à la baisse de la charge de la dette de 1,4 milliard. Les résultats sont mauvais -dixit la Cour des comptes. Celle-ci a certes certifié les comptes de l'État mais aussi souligné l'écart entre les engagements et la réalité ; le Haut conseil des finances publiques, de son côté, a déclenché le mécanisme de correction prévu par le TSCG.
M. Sapin nous avait appelés collectivement à la modestie, compte tenu de la gravité de la crise. Les prévisions n'ont été respectées nulle part sur le continent européen, disait-il, et la France respecte ses engagements. Propos désarmants... Est-ce à dire que l'action politique, que les réformes ne servent à rien ? Que la parole donnée ne peut être tenue ?
Vous nous reprochez volontiers notre action passée. Ne vous en déplaise, sous le précédent quinquennat, nous avons respecté l'essentiel de nos engagements. Frappés de plein fouet par la crise, nous sommes parvenus à réduire le déficit selon la trajectoire transmise à Bruxelles, contrairement à ce qu'a affirmé M. Sapin. En 2013, le déficit a été réduit de 12,3 milliards -il l'avait été de 57,8 milliards en 2010 et 2011. Il faut dire que la pression fiscale appliquée aux ménages et aux entreprises en 2013 a été forte... La Cour des comptes estime que la gestion précédente est responsable de 10 % du déficit d'aujourd'hui et la crise de 40 %.
Vous promettiez que 90 % des Français seraient épargnés par les hausses d'impôts. Nous en sommes loin ! Lui président, c'est le nombre de faillites d'entreprises qui explose... Lui président, c'est un taux de marge des entreprises à son plus bas niveau depuis 1985... Lui président, c'est une perte de pouvoir d'achat de 1,8 % sur deux ans, un record depuis trente ans... Lui président, c'est le record absolu du chômage. Lui président, c'est la dette qui approche les 2 000 milliards...
Que dire de la baisse des dotations aux collectivités territoriales ? N'en déplaise au Gouvernement, les recettes peu dynamiques ne la compenseront pas, quand il faut encore une fois faire face à l'inflation normative et à la réforme des rythmes scolaires.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte.
M. Vincent Delahaye . - Parler à nouveau des comptes 2013 ne peut faire de mal, même si le Gouvernement s'en dispenserait volontiers. Heureusement qu'il y a la Cour des comptes ; sans elle, nous en parlerions encore moins !
M. François Marc, rapporteur général. - Mais les comptes sont justes !
M. Vincent Delahaye. - L'optimisme est une qualité mais, en matière de comptes, certainement pas une vertu. Les comptes exigent prudence et rigueur, vertus tristement absentes...
Les raisons invoquées pour justifier la baisse des recettes -moindre croissance, faible élasticité- sont de simples constatations, non des explications, Mme Escoffier l'a dit -mais sa conclusion détonne avec son argumentaire...
M. François Marc, rapporteur général. - Vous avez mal écouté !
M. Vincent Delahaye. - Le niveau de notre déficit et celui de notre dette nous placent désormais parmi les mauvais élèves de l'Union et de la zone euro.
Mme Nicole Bricq. - Vous y avez largement contribué !
M. Vincent Delahaye. - Je ne faisais pas partie du précédent gouvernement, je n'étais pas sénateur et ai toujours dénoncé ces dérives. Mon discours n'a pas varié. (Mme Nicole Bricq en convient)
Prélever sans cesse davantage ? Ce n'est pas la bonne stratégie. Et on demande toujours les efforts aux mêmes, les collectivités territoriales, le ministère de la défense -bonne poire-, l'investissement. On arrive à une baisse des dépenses de 140 millions... grâce à une réserve de précaution de 6 milliards ! Il faut s'attaquer plus fortement à la baisse des dépenses.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Vous n'avez pas écouté le débat d'orientation sure les finances publiques ? Seriez-vous sourd ? C'est incroyable !
M. Vincent Delahaye. - Lisez l'étude de France Stratégie : retraites, enseignement secondaire, santé, autant de domaines dans lesquels nous dépensons plus que nos voisins, sans que nos résultats soient meilleurs ; et cela ne suscite pas l'intérêt du Gouvernement... Vous avez remplacé la RGPP par la MAP : pour quels résultats ? La réduction de la dépense publique est la seule solution ! J'espère que nous verrons enfin des propositions concrètes dans la loi de finances initiale 2015.
Le groupe UDI-UC n'approuvera pas ces comptes, en cohérence avec ses votes passés. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)
Mme Nathalie Goulet. - Sans notes ! Quel talent !
Mme Michèle André . - L'année 2013 a été celle du redressement des comptes publics. L'écart par rapport aux prévisions est essentiellement dû à la moindre croissance économique. La baisse du déficit tient au respect de deux règles : le financement de toute nouvelle dépense par des économies sur une autre ; et l'auto-assurance au sein des ministères. Les mesures prises ont renforcé la progressivité de l'impôt.
Le Conseil constitutionnel a rejeté le grief d'insincérité du budget, le Gouvernement ayant régulièrement révisé ses prévisions. En 2008 et 2009, la Cour des comptes avait souligné que les prévisions de croissance avaient été irréalistes...
La situation économique explique largement un déficit plus important que prévu. Le groupe socialiste votera avec fierté ce projet de loi de règlement. (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE et écologistes)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
L'article liminaire est adopté.
L'article premier est adopté, ainsi que les articles 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8.
L'ensemble du projet de loi est mis aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°238 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l'adoption | 155 |
Contre | 167 |
Le Sénat n'a pas adopté.