Débat sur les collectivités locales et la culture
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur les collectivités locales et la culture, à la demande du groupe CRC.
M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC . - Ce débat est de la plus haute importance pour nous : culture et collectivités locales, voilà un des couples les plus prometteurs, mais aussi les plus menacés, de la République. Notre vigilance doit être sans faille, alors que l'on pourrait juger, face au chômage de masse, que la culture ne doit pas être une priorité.
La crise actuelle est avant tout une crise de sens, une crise de civilisation, une crise de la cité et du bien commun, qui fait le lit des obscurantismes, réprime les imaginaires au lieu de leur laisser libre cours. Alors que la crise bouche l'avenir et rétrécit l'horizon du plus grand nombre, on répète comme une prétendue évidence que la culture devrait « prendre sa part des sacrifices ». Paul Krugman compare ce discours à celui des « prêtres d'un culte antique, exigeant que nous nous livrions à des sacrifices humains pour apaiser la colère de dieux invisibles ». Invisibles, les dieux Marché et Rentabilité sont aussi aveugles : ils ne voient pas que c'est au coeur de la crise que les créations et les pensées nouvelles révèlent ce qui peut faire émerger un nouveau modèle de société.
Hélas, la culture n'est pas devenue la priorité tant attendue. Le budget du ministère, loin d'être préservé, est programmé en baisse d'année en année. Et voici que l'action contre le prétendu mille-feuille territorial menace les budgets locaux.
Je saisis cette occasion pour dire notre soutien et notre solidarité aux intermittents, à leurs justes propositions qui se heurtent à l'obstination acharnée du Medef et, ce qui est nouveau et particulièrement déplorable, à la propension du Gouvernement à céder aux exigences de celui-ci. Il faut refuser l'agrément à la convention de l'Unedic renégociée. Le Gouvernement doit rouvrir la discussion. Nous restons aux côtés des artistes, des techniciens, des acteurs du monde culturel.
Les progrès de la décentralisation sont tels que la politique culturelle publique ne peut se concevoir sans les collectivités locales. Celles-ci ont favorisé l'aménagement du territoire et la coopération culturelle. Certes, beaucoup d'inégalités subsistent, la démocratisation de la culture est inachevée. Mais il serait fou de remettre en cause les progrès réalisés. Création et action culturelle ne survivent que grâce à un équilibre précaire, assuré par une multitude de financements publics.
Qu'adviendra-t-il si l'action des collectivités territoriales est réduite en peau de chagrin ? Tel est le sens de ce débat : affirmer le rôle et la place de l'ambition culturelle des collectivités territoriales, comme un ferment de démocratie, un levier du développement local, un outil d'émancipation et d'éducation.
La politique culturelle des collectivités locales doit reposer sur le maintien de la clause de compétence générale, des financements croisés et de l'engagement de l'État pour garantir l'intervention des collectivités. Ces compétences partagées assurent la stabilité de bon nombre d'activités culturelles.
La culture illustre l'aveuglement technocratique nourri par le discours sur le prétendu mille-feuille. Ce doit être une compétence naturellement partagée car elle est comme l'air que l'on respire. La loi du 16 décembre 2010 prévoyait déjà la suppression de la clause de compétence générale. Il avait fallu une longue bataille pour la maintenir en matière culturelle et sportive. Après des tentatives de suppression de même nature, la loi du 27 janvier 2014 l'a heureusement rétablie. Mais le Premier ministre propose de nouveau sa suppression.
L'existence des conseils départementaux est remise en cause. On nous dit que la culture pourrait faire exception. L'heure n'est plus aux bricolages. L'action et la décentralisation culturelles doivent rester des coconstructions entre l'État et les collectivités. C'est vers l'établissement d'une compétence partagée entre État et collectivités qu'il faudrait légiférer.
Les métropoles sont regardées avec méfiance par beaucoup d'acteurs culturels. Quid de la culture dans ces regroupements voués à la mise en concurrence des territoires ? Les inquiétudes sont avivées par l'austérité budgétaire. La réforme territoriale est adossée à un plan d'économies de 50 milliards d'euros qui sanctionnera aussi les collectivités locales. Des compétences sans moyens n'ont pas de sens. Or la montée en puissance des collectivités dans la culture n'a pas cessé depuis 1978. Une récente étude du Département des études de la prospective et des statistiques du ministère le démontre à nouveau. Les dépenses culturelles des collectivités territoriales ont augmenté de 10 % entre 2006 et 2010. Elles atteignaient en 2010 7,6 milliards contre 2,9 pour le ministère. Les financements accordés par les collectivités au spectacle vivant sont par exemple dix fois supérieurs à ceux de l'État. Les communes et leurs groupements en assument les trois quarts, les départements 10 % et les régions 9 %. Départements et régions se sont investis fortement dans le patrimoine. Les communes gèrent des équipements culturels de proximité. La moitié des dépenses de fonctionnement sont des dépenses de personnel. Une diminution de la participation financière des collectivités à la culture se traduirait par une grave remise en cause de l'emploi, alors que l'État se désengage dans la durée.
Notre assemblée a souvent mis à son ordre du jour la défense de l'exception culturelle. C'est l'exceptionnel engagement culturel de nos collectivités qui doit être désormais protégé, face à une vision concurrentielle de l'aménagement du territoire, lourde de dangers pour la culture dans notre pays. La baisse des moyens des collectivités territoriales, la suppression de la clause de compétence générale, les regroupements autoritaires de communes, la formation des métropoles et des très grandes régions la menacent. Nous sommes à la veille d'une déculturation de nos territoires et de la population. La mise en cause de la culture affaiblit la démocratie, et réciproquement. Nous refusons ce chemin, pour construire celui de l'émancipation par l'art et la culture. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)
Mme Marie-Christine Blandin . - C'est une excellente initiative que ce débat, à la veille d'arbitrages budgétaires et structurels déterminants. L'élan de Malraux et de Lang n'a pas trouvé sa suite logique, en dépit des beaux discours et des conventions internationales riches de sens. À quoi servent les subventions sans artistes ni techniciens ?
Les écologistes réaffirment, contre ceux qui n'ont d'yeux que pour la rue de Valois, l'importance d'une démocratie culturelle vivante, laquelle n'exclut nullement l'existence d'un grand ministère de la culture. Les autres ministères ne doivent pas pour autant se dispenser de penser culturellement leur action.
Ce qui fait culture, c'est ce qui fait rencontre, création. C'est donc à la déclaration de l'Unesco sur la diversité culturelle que nous devons nous référer, avant de nous emballer pour la clause générale de compétence.
On ne peut se prévaloir de l'exception culturelle à l'international et jouer au plan interne la compétition des territoires. Les rencontres qui se sont tenues à Roubaix, ont mis en évidence la force, la liberté, des acteurs locaux, face aux procédures et aux institutions.
Les risques sont réels, que la culture soit la variable d'ajustement, que l'on fasse dépendre la valeur de l'art et de l'artiste de son efficacité immédiate. Le pouvoir des appels d'offres l'emporterait sur l'intérêt général.
Privés de loi sur la création, les parlementaires travaillent, proposent, agissent. Pour les écologistes, la culture doit être une compétence partagée, afin qu'elle ne soit l'otage de personne. Cela n'empêche pas de confier l'exercice de certaines compétences spécifiques : la tutelle des établissements d'enseignement artistique aux régions, par exemple. L'équité territoriale doit être assumée : la décentralisation doit aller de pair avec la justice. Nous n'acceptons pas que les musiques actuelles, qui intéressent tout le monde, ne reçoivent que moins de 0,5 % du budget, alors que la philharmonie va engloutir 380 millions d'euros.
La lisibilité ne se construira pas en coupant la culture en rondelles, elle se construira dans la transparence des arbitrages, et la qualité des outils de dialogue, comme la requalification des EPCC ou les conférences régionales. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)
M. Pierre Bordier . - Les collectivités locales sont les premiers financeurs de la culture en France. Elles prennent en charge 70 % des dépenses et leur apport a progressé de plus de 12 % depuis 2006, selon un rapport commun de l'Igaac et de l'IGF, pour atteindre 7,6 milliards d'euros. Les communes sont les principales contributrices de la dépense culturelle publique. La culture représente 8 % du budget des communes de plus de 10 000 habitants. La part des régions est toutefois celle qui a crû le plus rapidement. Les collectivités locales financent les grandes politiques culturelles définies par l'État, en palliant ses carences dans bien des domaines.
La Cour des comptes a relevé l'empilement des dispositifs contractuels complexes et le manque de cohérence des interventions. Un rapport de la commission des finances du Sénat a dressé le même constat. Les doublons font perdre du temps et des moyens. La commission des finances a proposé de mieux coordonner les actions au niveau régional, de simplifier les financements et de définir des objectifs partagés. Madame la ministre, quelle sont les intentions de l'État en la matière ?
Les EPCC ont été créés par une loi d'initiative sénatoriale il y a un peu plus de dix ans, pour donner plus d'ambition et d'efficacité aux projets locaux. On en compte plus de 90. Les territoires se sont emparés de cette forme juridique. Le Centre Pompidou de Metz, le Louvre de Lens, l'école d'art et de design de Saint-Etienne sont des EPCC. Des dysfonctionnements existent. La place de l'État n'est pas toujours facile à trouver face aux collectivités. Les EPCC ont pâti d'un statut fiscal défavorable. Je l'ai constaté dans mon département, où au bout de deux ans et demi de fonctionnement, les services fiscaux ont réclamé à un EPCC l'acquittement de la taxe sur les salaires à laquelle les collectivités fondatrices, département de l'Yonne et ville d'Auxerre, n'étaient auparavant pas assujetties pour l'exercice des mêmes tâches. Résultat, chacun a repris ses compétences de son côté. Piètre résultat !
Quelles sont, madame la ministre, vos intentions pour les EPCC ?
Des établissements d'enseignement artistique ont été obligés de se transformer en EPCC, ce qui a posé de nombreux problèmes. Sans doute faudra-t-il procéder à des ajustements législatifs.
Quelle place pour l'État, au moment où se profile une réforme des collectivités territoriales ? La culture doit demeurer un champ d'intervention commun. Selon le projet, l'État peut déléguer certaines compétences à des collectivités territoriales qui en font la demande. Le fonctionnement des directions générales des affaires culturelles (Drac) pourrait en être affecté. L'État doit s'engager à n'en supprimer aucune ; son rôle doit être clairement réaffirmé.
La culture représente 3,2 % du PIB et 670 000 emplois, soit autant que l'agriculture et l'agroalimentaire, deux fois plus que les télécoms, sept fois plus que le secteur automobile ! L'État doit jouer pleinement son rôle de facilitateur des actions locales. J'espère que ce débat clarifiera ses intentions. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Catherine Morin-Desailly . - Il ne suffit plus de proclamer une exception culturelle, mais il faut faire le bilan, plus de 50 ans après la création du ministère, de la politique de décentralisation culturelle, au bout desquels l'action publique s'essouffle, faute de projets mobilisateurs, de perspective nouvelle. D'où le malaise des professionnels, accru par le bouleversement numérique.
Il serait injuste de faire porter au ministère de la culture et de la communication et à l'actuel gouvernement le poids de toutes les difficultés. Mais son inaction, face aux défis de notre temps, doit être dénoncée. On attendait des résultats en matière d'éducation artistique, en lien avec la réforme des rythmes scolaires ; la juxtaposition d'initiatives locales ne fait pas une politique. On attendait la mise en oeuvre des propositions du rapport Lescure, d'autres rapports lui ont succédé : les projets de loi annoncés sur la création et le patrimoine se font toujours attendre. Le budget de la mission culture baisse. Ce n'est pas ce qu'avait promis le candidat François Hollande. (M. Roland Courteau s'étonne)
Quelles perspectives sont aujourd'hui données aux acteurs culturels ? Le ministère de la culture devrait être une administration de mission ; au lieu de quoi il gère la pénurie, le statu quo.
La loi du 19 décembre 2013 prévoit que l'État peut déléguer des compétences à des collectivités locales ou des EPCI. En quoi cette disposition ouvre-t-elle des perspectives nouvelles ? La décentralisation culturelle n'est-elle pas fondée sur la contractualisation ? Faut-il pour autant laisser chaque collectivité faire ce qu'elle souhaite ?
Les professionnels sont perdus. Notre groupe fera des propositions, afin de sortir de l'impasse actuelle et d'organiser les compétences, de mieux les coordonner, pour la culture comme pour le sport ou le tourisme. Il ne s'agit pas de les saucissonner mais de prévoir une loi-cadre pour chaque secteur, qui transfère les moyens correspondants aux compétences fléchées.
Nous entendons le discours sur l'ambition de l'État d'imposer une politique culturelle nationale. Or une étude récente de l'Arcade, qui s'appuie sur la dépense moyenne par habitant en Lorraine, Paca, Rhône-Alpes et Poitou-Charentes, montre sa faible propension à opérer une réelle distribution entre collectivités. Pourquoi la moitié du budget du ministère de la culture et de la communication est-elle dépensée à Paris intra-muros, alors que l'État impose aux institutions culturelles de suivre le rythme capricieux des annonces de gel et de dégel ?
Les collectivités locales sont dotées de services compétents. Même dans le secteur sensible de la création, seule une véritable décentralisation dépassera une approche à courte vue, pour assurer par exemple, le financement de l'intermittence...
L'évolution numérique fragilise le financement de la création. Il faut mettre en place de nouveaux modèles, comparables à celui du CNC. Comment opérer le transfert des archives, si les départements disparaissent ? Quid des missions des architectes des bâtiments de France ? Comment articuler les décisions de l'État et celles des collectivités locales ? Françoise Férat propose la création d'un Haut Conseil du patrimoine.
La mise en oeuvre de la loi de 2004 est au point mort. Les crédits prévus par le précédent gouvernement disparaissent. (Marques d'impatience sur les bancs socialistes) Au moment où le Gouvernement semble s'engager dans une nouvelle réforme territoriale, nous réaffirmons notre vision profondément décentralisatrice. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Bosino . - Ce débat pose la question de la démocratisation culturelle, en plus de celle de la décentralisation culturelle. L'accès à la culture est en effet une exigence démocratique. Les collectivités territoriales contribuent puissamment au dynamisme de la culture. Elles sont les principaux financeurs de l'action culturelle en France. La proximité concourt à l'objectif d'accès de tous aux oeuvres. La lutte contre les inégalités est en jeu.
Malraux, en 1966, parlait de la « culture pour chacun », pour situer la responsabilité de l'État : garantir l'accès de tous à la culture, développer une offre culturelle sur tout le territoire, en particulier pour la jeunesse. Il la concevait comme un déploiement partout des services déconcentrés, des maisons des jeunes et de la culture. Cela trouvera une suite avec les lois de décentralisation de 1982.
La culture pour tous, c'est aussi, selon l'ambition de Jean Vilar et du théâtre élitaire pour tous d'Antoine Vitez, de réduire la distance symbolique entre les milieux populaires et la culture, encore assimilée au monde bourgeois.
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Jean-Pierre Bosino. - Les collectivités territoriales jouent un rôle fondamental dans la réduction des inégalités, mais l'État doit conserver un rôle d'accompagnement et de soutien. Le mot-clé, en la matière, est la coopération à tous les niveaux. Cette compétence est partagée et doit le rester, chacun peut à l'heure actuelle s'en saisir. La possible suppression de la clause de compétence générale remettrait en cause un équilibre précaire. Rien ne garantit la pérennité de l'engagement des collectivités territoriales. La clause de compétence générale, via les financements croisés, permet aux acteurs de la culture de vivre - je dirai plutôt de survivre. Il faut impérativement la préserver. Si à la ponction de 11 milliards sur leurs budgets et à la réforme des rythmes scolaires s'ajoute la perte de la clause de compétence générale, comment les collectivités territoriales pourront-elles continuer à mener des actions culturelles ? Les dotations aux collectivités territoriales n'ont jamais été évaluées à la juste hauteur des missions qui leur ont été confiées - et elles n'ont cessé de baisser.
Le gouvernement précédent n'a cessé de fustiger la « folie fiscale » des collectivités territoriales, mais les discours actuels, s'ils sont moins provocateurs, ne sont guère différents. La vérité c'est que la culture est toujours la première sacrifiée. Jacques Ralite le dit dans sa lettre au président de la République. La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable ; la culture n'est pas un luxe dont il faudrait se débarrasser en période de disette, c'est l'avenir et l'instrument de l'émancipation. C'est aussi le meilleur antidote contre le racisme, le communautarisme et autres pensées régressives.
J'ai souhaité, malgré les difficultés, maintenir le budget de la culture de ma ville et celui de sa salle de spectacle. Je regrette que ces choix soient trop rares. Et on voit des décisions absurdes, comme la réduction du budget de production d'une compagnie en résidence, tandis que son budget de diffusion est épargné... L'annonce des baisses des dotations de l'État ne me rend guère optimiste pour le financement du service public de la culture. Abandonnée par l'action publique, la culture risque d'être accaparée par les acteurs privés.
Nous nous opposerons dans la réforme à venir à tout ce qui pourrait conduire à une nouvelle déstabilisation de l'action culturelle et combattrons toute baisse du budget de la culture de l'État comme des moyens des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Maryvonne Blondin . - La culture n'est peut-être pas la préoccupation première de nos concitoyens mais nous sommes à la veille d'une grande réforme et vivons une baisse majeure des financements publics. Ce débat est donc le bienvenu.
Après 30 ans de démocratie culturelle, la tentation est grande de relâcher les efforts devant la baisse des moyens des collectivités territoriales. Imaginez : plus de spectacles dans nos rues, plus de musique dans nos quartiers... Nos territoires n'y perdraient-ils pas leur saveur, leurs couleurs, leur identité, au risque de l'uniformisation du pays tout entier ? La culture est un vecteur de partage, de vitalité, de vivre-ensemble.
Les collectivités territoriales l'ont bien compris ; leurs dépenses culturelles en 2010 ont atteint 7,6 milliards d'euros, trois fois le budget de la culture. Celle-ci est certes une dépense, mais c'est aussi une richesse : 3,2 % du PIB, autant que l'agriculture et l'agroalimentaire, et près de 670 000 emplois, dont 200 000 intermittents. Un artiste, me disait récemment une jeune circassienne de 19 ans, la passion chevillée au corps, est un acteur et un poète, prêt à émerveiller son public, à oublier sa précarité pour produire un rêve commun le temps d'un spectacle.
Faut-il rappeler la convention de l'Unesco que la France a ratifiée ? La diffusion de la culture est un devoir sacré, l'accès de tous à la culture est partie intégrante de la dignité humaine, un droit aussi essentiel pour le genre humain que la biodiversité. Les collectivités territoriales s'en sont saisies, bien au-delà de leurs compétences, elles en ont compris l'enjeu social et territorial. Une petite commune du Finistère plutôt tournée vers le football et autres activités traditionnelles, a mis en place un partenariat avec une petite compagnie pour proposer des activités culturelles de proximité - à la grande satisfaction de ses habitants.
Structures labellisées, plan de développement de lecture publique, soutien aux pratiques amateurs : le département du Finistère agit. Il compte 38 bagadou, 4 000 sonneurs, 1 200 écoles de musique. On sait l'importance de la langue bretonne sur ces territoires. Sans les collectivités territoriales, ce patrimoine immatériel unique qu'est la langue bretonne aurait disparu de la surface de la terre.
Le conseil général a aussi inclus la culture dans sa politique d'insertion, c'est un moyen de redynamisation des parcours personnels des plus fragiles ou des personnes en situation de handicap. La plate-forme Piaf, qui bénéficie aux artistes bénéficiaires du RSA, a pour objectif de les accompagner vers l'autonomie.
Les EPCC, entre 90 et 100 en France, ont pour la plupart pris une forme d'Epic. Leur substitution aux anciens services ou régies a permis une meilleure coordination, une plus grande offre de services ; c'est un succès, même si des améliorations restent possibles.
Déléguer les compétences de l'État dans le domaine culturel est donc pleinement justifié. Nous défendrons ce modèle dans les discussions des prochains textes à l'ordre du jour.
La culture est un élément central du développement de la région au travers de la convention spécifique signée dans le cadre du pacte d'avenir pour la Bretagne, dans une logique de coconstruction entre l'État, le conseil régional et les autres collectivités territoriales, dont les grandes villes. Pour reprendre les mots de Pierre Curzi, coprésident de la coalition canadienne pour la diversité culturelle, l'art et la culture sont les ferments essentiels de l'identité et de la cohésion d'une société. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Anne-Marie Escoffier . - Ce débat eût mérité un temps plus long. Mais ne gâchons pas notre plaisir d'évoquer un sujet aussi essentiel. En France, c'est une tradition, la culture a engendré de vrais progrès, a bouleversé nos façons de vivre, nos comportements sociaux, nos modes de vie. Toutes les formes de culture y ont contribué.
La culture est garante de cohésion sociale, dynamise les territoires, vivifie l'économie, qu'on pense aux Chorégies d'Orange, à la Cinéscénie du Puy-du-Fou ou, dans mon village de l'Aveyron, Flagnac, le spectacle Hier un village auquel tous les habitants participent. Partout, le même engouement, la même fièvre pour des spectacles de quelques centaines de spectateurs ou quelques milliers, et qui soudent dans un même élan populations locales et de passage. Toutes les collectivités territoriales participent, ont vocation à le faire. Leur articulation est un enjeu majeur de la réforme à venir - ce qui n'est pas de tout repos...
Un peu d'histoire : les lois de 1982-1983 n'avaient pas fait de la culture une compétence exclusive de l'une ou l'autre des collectivités. Il s'en est suivi une certaine forme de désordre, les trop fameux financements croisés, des lenteurs administratives, la dilution des responsabilités. La loi de 2010 avait inscrit le principe de la suppression de la clause de compétence générale, hors tourisme, sport et culture. Le 27 janvier 2014, son rétablissement, et la création des conférences territoriales de l'action publique posaient les bases d'une concertation judicieuse des acteurs publics. Sa mise en oeuvre permettra, je le souhaite, de sortir du désordre actuel, et d'éviter que les collectivités territoriales, au prétexte de maîtrise des dépenses, réduisent drastiquement leur soutien aux actions culturelles.
Des questions demeurent pour le futur dispositif. La région deviendra-t-elle chef de file en la matière, dans une vision souple et différenciée du rôle de chacun ? Privilégiera-t-on une formule plus autoritaire ? Je fais confiance à l'intelligence des élus locaux pour continuer à offrir à leurs concitoyens la richesse infinie des ressources culturelles. Ils n'ont pas besoin d'un carcan normatif pour cela. Les régions, départements et communes sont pleinement responsables de secteurs entiers - archéologie préventive, patrimoine, enseignement... Il restera des points à clarifier et simplifier, y compris dans les domaines qui relèvent encore de l'État, pour une meilleure efficacité de l'action publique.
Je vous sais, madame la ministre, attachée aux partenariats avec les collectivités territoriales. Le Louvre-Lens est le fruit d'un de ces partenariats exemplaires, comme le Centre Pompidou à Metz. Le président de la République a inauguré le 30 mai dernier, le musée Soulages à Rodez, fruit de la rencontre entre le génie de l'artiste ruthénois et de la détermination des élus locaux, exemple splendide de ce que la confiance en la culture peut apporter.
Vous pouvez compter sur mon soutien et celui de mon groupe chaque fois que vous défendrez la place de la culture dans le cadre de vrais partenariats avec les collectivités territoriales ; je sais que vous défendrez avec vigueur le budget de votre ministère. Je forme le voeu qu'État et collectivités territoriales gardent à l'esprit que la culture, du latin cultura, le sillon, porte en germe un héritage qui fera l'harmonie de demain. Nous vous faisons pleine confiance pour le tracer. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Françoise Cartron . - Trop souvent, les budgets consacrés à l'action culturelle apparaissent superflus à certains. Les élus locaux et nationaux doivent souvent ferrailler pour avoir un budget à la hauteur de leurs ambitions.
Le poids économique de la culture est conséquent, cela a été rappelé. L'industrie culturelle n'est définitivement pas comme les autres.
Mme Maryvonne Blondin. - Elle est non délocalisable !
Mme Françoise Cartron. - Souvenons-nous des mots de Malraux : la culture est ce qui fait de l'homme autre chose qu'un accident de l'Univers. Ce qui permet de lier les individus ensemble, de ne pas les désunir. La culture est facteur de cohésion sociale dans une société en proie à des inquiétudes grandissantes. Et parler de cohésion sociale, c'est vouloir rétablir un lien distendu sinon cassé ; c'est rechercher une certaine communauté de valeurs et de projets, c'est la solidarité, l'interdépendance, sans que soit pour autant remise en cause la diversité sociale et culturelle. Notre démocratie a besoin de deux piliers : la culture et l'éducation, qu'il faut développer et pratiquer dès le plus jeune âge.
Le 16 septembre dernier, vous présentiez, madame la ministre, votre grand projet pour l'éducation artistique et culturelle. Cette priorité politique exige un accompagnement adapté par les acteurs de la vie de nos territoires, les collectivités locales. Celles-ci sont directement concernées par les parcours d'éducation artistique inscrits dans la loi de refondation de l'école. Il n'est pas question d'imposer un modèle d'en-haut, mais de favoriser la complémentarité des initiatives. C'est aussi le sens d'un récent avis du Cese. Lors de votre tour de France de l'éducation artistique et culturelle, vous avez mesuré les besoins spécifiques des territoires les plus éloignés de l'offre culturelle, la nécessité d'une bonne articulation des politiques publiques.
La France est riche de sa diversité culturelle. Cette réalité dont nous pouvons être fiers doit beaucoup au développement d'instruments de politique culturelle répondant à deux exigences, la préservation d'un environnement favorable à la création et la lutte contre les inégalités culturelles. Mais celles-ci subsistent, ce qui pose la question des financements et de l'avenir de notre système de régulation. La politique culturelle doit s'adapter aux profondes mutations de notre société.
Approfondir la décentralisation culturelle est nécessaire, sans marginaliser les responsabilités des collectivités territoriales. Celles-ci assurent quelque 75 % des financements publics, mais les annonces récentes suscitent l'inquiétude. La suppression des départements, le regroupement des régions, la suppression de la clause de compétence générale sont perçus comme des menaces pesant sur la politique culturelle locale.
Madame la ministre, quelle réponse faites-vous à ceux qui craignent que la culture devienne une variable d'ajustement ? Quel nouveau cadre pour l'action publique ? Quelle régulation de l'État pour préserver égalité territoriale et excellence culturelle ? (Applaudissements à gauche)
Mme Frédérique Espagnac . - Pour nous, élus, la culture est une richesse, consistant à « faire entrer dans le monde le trésor humain de la conscience vigilante » : approprions-nous ce propos.
Sans les collectivités territoriales, pas de création ni de diffusion artistique, dit souvent Claudy Lebreton. Les faits lui donnent raison. Les collectivités locales ont pris toute leur place dans la politique culturelle, la culture emploie des centaines de milliers de personnes, c'est un élément d'attractivité, de rayonnement, de lien social, de développement économique. Les trois niveaux de collectivités interviennent, la commune au premier chef. Mais la culture est un domaine financièrement instable ; la clause de compétence générale prend alors tout son sens, notamment dans les territoires ruraux comme mon département des Pyrénées-Atlantiques. Pouvoir diversifier les financements est crucial pour lancer un projet et le pérenniser, d'autant plus que le cadre budgétaire est plus contraint.
Une clarification, une simplification des compétences n'en paraît pas moins nécessaire. Les acteurs du monde de la culture déplorent le manque de lisibilité des financements comme des procédures, la complexité des compétences et procédures - pourquoi pas un guichet unique, la mutualisation des fonds ?
Parlementaires de gauche, nous devons reconnaître que l'accès à la culture doit encore être amélioré. Schématiquement, le public de la culture est encore majoritairement urbain et diplômé. Comme l'avait montré le rapport de M. Yves Krattinger et de Mme Jacqueline Gourault, « la culture est un levier de cohésion sociale, d'expression d'une identité locale, d'attractivité, de rayonnement, de développement économique et touristique des territoires ». Il importe de l'utiliser. La culture est bien souvent un élément de fierté et d'identification - je pense au festival de jazz de Marciac ou encore au musée Guggenheim de Bilbao.
La valorisation des langues régionales me tient à coeur, on le sait. François Hollande s'est engagé à ratifier la Charte européenne de 1992. Le projet de réforme à venir peut être l'occasion d'avancer. Je connais les réticences légales, mais les États ne sont pas tenus d'appliquer tous les articles, même si certains d'entre eux exigent une mise en oeuvre minimale. L'alinéa 2 de l'article 10 pourrait fonder la définition d'une liste officielle des langues minoritaires de la République française. Comme le précisait Guy Carcassonne, l'article 2 de la Constitution « n'était pas vraiment nocif jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel l'invoque de manière excessivement rigide pour faire échec à la ratification de la Charte ».
M. le président. - Veuillez conclure !
Mme Frédérique Espagnac. - Dans les Pyrénées-Atlantiques, on parle le basque, le gascon et l'occitan. Les collectivités territoriales jouent un rôle majeur pour leur défense.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication . - Merci au groupe CRC d'avoir pris l'initiative de ce débat. L'État et les collectivités territoriales sont des acteurs majeurs de la culture dans notre pays depuis plus de 50 ans.
Dans le contexte actuel, la question prend un tour nouveau. Le financement de la culture est le fait de multiples acteurs. C'est ce qui fait de la France un pays unique au monde. Si le financement de la culture vient d'abord du public, l'ambition historique de notre pays en matière patrimoniale et culturelle impose une intervention complémentaire des pouvoirs publics : État et collectivités territoriales.
Vous avez rappelé les chiffres : 7,4 milliards de dépenses des collectivités territoriales, en hausse de 2,3 % par an. Les communes sont en première ligne avec 4,6 millions, devant les départements et les régions. La part de l'État demeure importante, plus de 13 milliards, dépenses fiscales comprises ; il veille à garantir équité territoriale, liberté de création et accès de tous à la culture.
La culture ne se résume certes pas à des chiffres. Pour les maires, c'est une bibliothèque, un conservatoire, un théâtre ou un musée... C'est une réalité palpable, sensible, partout, même si les inégalités territoriales qui demeurent interpellent l'État.
Pour la plupart des projets structurants en matière culturelle, l'État est au côté des collectivités territoriales. J'ai veillé à rééquilibrer, non au détriment de Paris mais au bénéfice des territoires, à maintenir les crédits déconcentrés pour irriguer les politiques locales. Vous avez rappelé l'historique, depuis la loi de 1983. Nous devons poursuivre ces efforts, en menant des expérimentations, à l'instar de celle menée dans le Lot avec le transfert de crédits d'État pour la gestion des monuments historiques.
Les lois de décentralisation ont aménagé des domaines conjoints d'action. La culture est une compétence partagée et le restera dans les textes à venir. L'État oriente, soutient, accompagne, règlemente, fait preuve d'expertise. Corollaire de cette compétence partagée : les financements croisés, clé de voûte de la politique culturelle.
La loi de 2010 a suscité de nombreuses inquiétudes. L'attribution d'une compétence exclusive eût été arbitraire et dépourvue de sens en matière culturelle. La loi de 2014 repose sur une autre logique : plutôt que de définir des blocs de compétences, sont déterminés des chefs de file, avec des moyens nouveaux pour les expérimentations. Ce texte a suscité des craintes. Je le redis : il n'y a pas de nouveaux transferts de compétences. Ce texte repose sur la capacité des collectivités à mener des politiques structurantes.
La loi reconnaîtra la notion de compétence partagée pour la culture - comme pour le sport et le tourisme - répondant à une revendication très forte. C'est une satisfaction de voir cette compétence partagée reconnue par la loi sur l'organisation territoriale de la République. Pourrait-elle entrouvrir une fragilité, dans le contexte budgétaire ? Il convient de repenser nos méthodes d'intervention. La « coconstruction » est-elle toujours une réalité ? Celle-ci est moins enchantée qu'on ne voudrait. Il y a des quiproquos, des malentendus. Toutes les attentes ne sont pas compatibles, ni coordonnées. Je veux bien que l'État ait tous les torts qu'on voudra mais le monde des collectivités territoriales n'est pas seulement pavé de roses.
Réfléchissons ensemble, afin de maintenir le tissu culturel de nos territoires, alors que chacun est appelé à faire des économies, afin d'éviter un effet boule de neige au détriment de la culture. Conservons et développons les territoires d'émergence artistique. La culture ne peut être inspirée par la seule recherche de la rentabilité économique. État et collectivités locales ont à ce titre une responsabilité commune.
Le projet de décentralisation ouvrira un débat sur le rôle des intercommunalités, des départements. Quelle sera la place du service public de la culture dans les territoires ? Le rôle de l'État doit-il rester le même dans toutes les régions ? L'exemple du pacte pour la Bretagne, qu'a rappelé Maryvonne Blondin, suscite l'intérêt mais il ne s'agit pas pour autant d'y créer un régime d'exception. Le pragmatisme doit s'imposer.
L'État doit garder une administration de proximité. J'encourage une déconcentration encore plus forte des crédits des ministères de la culture et de la communication à destination des Drac.
Nous avons des atouts pour inventer de nouveaux modes de compétence partagée.
Je me félicite de l'existence d'associations d'élus. Le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) est une instance complémentaire des instances techniques ou paritaires comme le Conseil national des professions du spectacle (CNPS), ou d'autres organismes nationaux. Une parole commune des collectivités locales et de l'État, dans une période d'incertitudes, peut contribuer à apaiser certaines inquiétudes. Je vous propose de faire du CCTDC l'unique point d'entrée de la concertation.
Quand il était question de créer un Haut Conseil des territoires, j'avais suggéré que le CCTDC en forme en quelque sorte la commission culture. Puisque ce haut Conseil ne sera pas créé, je souhaite formaliser l'existence du CCDTC en lui donnant plus de force normative.
Nous ne découperons pas le ministère de la culture à la carte. Il conservera tout son rôle, au plus proche de chaque territoire. Je veux être la ministre qui territorialisera ce ministère. J'ai évoqué l'expérimentation dans le Lot, le pacte Bretagne, je pense aussi à ce qui se fait dans le Nord. Nous sommes tous attachés à l'égalité, mais la diversité des territoires doit aussi être reconnue, avec la différence des besoins. Une vision renouvelée du partage des responsabilités en matière culturelle sera le pendant des compétences partagées. Nous ne voulons pas d'une politique culturelle réduite à du folklore local. Elle doit être exigeante, sur tous les territoires. Ce doit être le meilleur de la création pour tous les Français.
Il convient d'améliorer la coordination des actions des collectivités ou de celles de l'État par une instance ad hoc. S'agissant des EPCC, la question de la taxe sur les salaires devrait être clarifiée par une instruction fiscale. J'en réitérerai la demande.
Pour l'enseignement artistique, j'ai été au bout de la logique de la clarification des compétences.
La liste est longue, des sujets à aborder mais le chantier est passionnant. J'ai confiance en la capacité du ministère pour le mener à bien. Nous avons la responsabilité de travailler encore mieux pour maintenir haute l'exigence de notre politique culturelle. Merci encore pour ce débat. (Applaudissements à gauche)
Prochaine séance demain, mercredi 11 juin 2014, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 50.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques