Débat sur les colonies de vacances
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat : « Quel avenir pour les colonies de vacances ? » à la demande du groupe CRC.
Mme Isabelle Pasquet, pour le groupe CRC . - Les séjours de vacances, ou colonies de vacances, ont marqué la mémoire collective et celle de chacune et chacun d'entre nous. Pierre Perret en a témoigné à sa manière. Les colonies sont aussi des éléments centraux de la vie de nos territoires. Leur vocation sociale originelle est indéniable. Elles sont pour beaucoup dans l'amélioration des conditions de vie des familles ouvrières. Dans l'entre-deux-guerres, les acteurs associatifs, mutualistes, syndicaux et politiques avaient pour but commun de construire un environnement sain et éducatif en faveur des jeunes qui bénéficiaient de ces séjours. Les jeunes ont vocation à y apprendre des savoir-faire et des savoir-vivre, dans la mixité sociale.
La création du premier secrétariat d'État aux loisirs et aux sports, celui de Léo Lagrange, a joué un rôle central dans leur développement. Les acteurs privés n'ont pas été en reste : les comités d'entreprise se sont largement engagés dans le financement de ces séjours depuis les années cinquante. Or leur situation financière actuelle est inquiétante.
À mi-chemin entre vacances et éducation pour tous, les colonies de vacances constituent un enjeu démocratique car elles favorisent l'émancipation des individus et promeuvent solidarité et humanité.
Ces expérimentations innovantes sont nombreuses. À mi-chemin entre vacances et éducation pour tous, les colonies se distinguent de l'école par le fait que l'on y apprend par l'expérience, par le jeu et le sport, par la rencontre avec les autres. Comme le disent les Francas, les colonies favorisent « l'émancipation de tous, par tous et pour tous, en citoyens-acteurs qui peuvent, dès lors, contribuer, à la transformation de notre société républicaine vers plus d'équité et d'humanité ». J'en veux pour exemple l'ambitieuse expérience de la colonie des Mathes, en Charente-Maritime, cette République des enfants élisant leurs représentants chargés de consolider le vivre-ensemble et de déminer les conflits.
La pérennisation des colonies de vacances pose un véritable problème. Les aides allouées par les pouvoirs publics diminuent ainsi que le nombre de colonies. Le rapport de l'Assemblée nationale sur l'accès des jeunes aux loisirs révèle que les jeunes sont moins nombreux à partir et que leurs séjours sont plus courts.
Ce déclin est d'abord économique : il a partie liée avec la baisse du pouvoir d'achat des ménages ainsi qu'avec l'évolution élitiste des colonies de vacances et une offre marchande qui se développe.
Une colonie de vacances coûte entre 400 et 600 euros par enfant, avec un coût moyen quotidien de 63 euros par jour. Un séjour moyen de douze jours agréé par les caisses d'allocations familiales revient en moyenne à 574 euros, ce qui est trop élevé pour les familles modestes. De plus, la participation des caisses d'allocations familiales à leur financement n'a cessé de diminuer.
Outre que moins d'enfants partent, la durée de leurs séjours raccourcit. En 1995, on a compté 28 millions de nuitées ; en 2011-2012, moitié moins. La durée moyenne était de 17 jours en 1994, moins de 10 jours aujourd'hui. Les séjours de 3 ou 4 semaines, courants durant l'âge d'or des colonies de vacances, sont en voie de disparition, supplantés par les séjours de 5 à 8 jours.
La hausse des coûts de l'hébergement, de l'énergie, de l'alimentation l'explique en partie, mais aussi celle des exigences de qualité des séjours. C'est également une conséquence de l'accroissement du nombre et de la qualité des équipes encadrantes. Le 14 octobre 2010, la Cour de justice de l'Union européenne a estimé que la règle française pour les dérogations au repos quotidien de 11 heures ne comportait pas les compensations exigées par la directive sur le temps de travail. Pour surmonter cet obstacle juridique, la proposition de loi Warsmann a créé, avec son article 124 issu d'un amendement de Pierre-Christophe Baguet, un régime dérogatoire aux règles du repos quotidien. Ce régime est contesté par les associations d'employeurs ; d'où la proposition de transformer les animateurs salariés en volontaires indemnisés. Cette solution nous semble simpliste. Le rétablissement d'un droit aux vacances pour tous dépasse ces questions d'encadrement.
Le succès des colonies de vacances s'explique d'abord par le gain des enfants en maturité, grâce à leur encadrement par de jeunes adultes compétents, et par de strictes garanties de sécurité. Ne revoyons pas à la baisse ces exigences. Cela va au-delà des questions de coût.
Le rapport de l'Assemblée nationale révèle que la diminution des aides publiques à limité le recours des familles aux colonies de vacances. Selon l'Observatoire des vacances en plein air des jeunes, la disparition des bons de vacances des caisses d'allocations familiales est directement à l'origine de la diminution des journées-enfants. Ce désengagement remonte au début des années quatre-vingt. En tant que rapporteure de la branche famille, je ne peux que déplorer cette évolution. Toute suppression de ressources ne peut qu'avoir de graves conséquences, surtout sur les familles modestes. Cette politique a un prix : le renoncement à un droit, celui des vacances pour tous, et à un modèle éprouvé depuis l'après-guerre. Et il y a l'impact de la réforme des rythmes scolaires ! (Exclamations sur les bancs UMP) Le Haut Conseil de la famille invite le Gouvernement à renforcer le financement de la Cnaf. Il est urgent de bâtir un nouveau pacte social, sous peine d'assister à son délitement.
Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous nous opposerons à une baisse des cotisations sociales patronales et promouvrons un financement solidaire de cette politique.
Autre source d'inquiétude, le mauvais sort réservé aux communes. Avec le Front populaire et plus encore à la Libération, les communes ont investi le champ des loisirs et acquis des terrains et des structures pour leurs colonies de vacances. Celle de Gennevilliers fut pionnière en modulant les prix en fonction de la situation financière des familles. Elles sont de moins en moins nombreuses à assurer le droit aux vacances pour tous et la question du maintien des lieux d'accueil ne manquera pas de se poser.
Nous nous opposons à la réduction des droits des moniteurs ou à la baisse des exigences d'encadrement des jeunes colons - je pense aux propositions faites par les députés.
Le récent accident grave survenu à l'étranger doit nous conduire à nous interroger sur les conditions d'accueil en colonies de vacances hors de France. Madame la ministre, qu'en pensez-vous ? La création d'une taxe sur l'hôtellerie de luxe nous semble une bonne mesure pour garantir la pérennité financière des colonies de vacances. Quelle est votre opinion ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. François Fortassin . - Le temps béni des colonies de vacances chères à Pierre Perret, qui illuminaient notre enfance, est terminé, hélas ! Les chiffres de l'Observatoire des colonies de vacances et loisirs des jeunes l'attestent : les séjours se fragmentent depuis les années 1990, les nuitées sont passées de 28 à 14 millions. De nombreuses communes ont revendu ou reconverti les équipements qu'elles avaient acquis. Les Hautes-Pyrénées sont particulièrement touchées par ce phénomène. Bref, l'âge d'or des colonies de vacances est derrière nous. Songez qu'en 1951, il y avait plus de 13 000 centres en France ! Nombreux sont ceux qui sont à vendre aujourd'hui.
Les colonies de vacances ont procédé de préoccupations hygiénistes et éducatives, puis confessionnelles, avant de se laïciser. La perte d'attractivité des colonies de vacances résulte de divers facteurs. Le rapport de l'Assemblée nationale les analyse. Elles exigent certes de se lever tôt, plus qu'au sein de la famille ! (Sourires) Plus fondamentalement, leur coût est élevé. Les enfants ont aussi changé : essayez donc d'attirer les jeunes d'aujourd'hui en leur faisant miroiter la perspective de randonnées en chantant « un kilomètre à pied, ça use les souliers » !
Quatre à six cents euros par semaine : nous sommes loin des 10 euros par jour de jadis, sans parler du coût des centres aérés. Sans compter que le soutien aux familles des CAF a diminué. Les comités d'entreprise ont également modifié leur soutien en donnant de l'argent sous forme de chèques-vacances plutôt qu'en entretenant de grands centres en dur. La SNCF n'en a plus que 45 et La Poste a cédé tout son patrimoine. Se développe un système à deux vitesses : une offre associative ou caritative, et une offre commerciale réservée aux enfants les plus favorisés ; les classes moyennes sont exclues des deux. Ces inégalités persistantes dans l'accès aux vacances ouvrent une brèche dans le pacte républicain.
Sylvia Pinel entendait lutter contre la fracture touristique. Je ne doute pas, madame la ministre, que vous reprendrez cette idée à votre compte. Il faut d'autres leviers que financiers. Faisons preuve d'imagination ! Vous avez un atout pour vous, madame la ministre : la jeunesse ! (Applaudissements à gauche)
Mme Corinne Bouchoux . - Je remercie le groupe CRC d'avoir demandé ce débat. Les colonies de vacances sont, de fait, un enjeu de société pour notre jeunesse. Le terme même fait sans doute peu rêver, ajouterai-je seulement aux propos de Mme Pasquet.
Comment renforcer l'accès des jeunes aux loisirs et aux vacances ? L'expérience du départ ouvre à l'altérité et forme à la vie collective. Les classes de découverte ont, elles aussi, diminué depuis 1999. Découvrir d'autres espaces, d'autres lieux, d'autres projets, la mer, la montagne, l'étranger, la ferme, la flore, est une expérience formatrice.
La baisse des séjours en colonies de vacances frappe principalement les familles des milieux populaires. La modification du régime social applicable aux moniteurs n'est pas pour rien dans cette crise. Nous sommes pour une refonte du paysage des loisirs pour jeunes, autour de l'engagement dans des projets construits en commun, de la prise en compte du handicap, des aspirations des jeunes en difficulté. Repensons le statut des animateurs : les directeurs de séjours souhaitent qu'ils restent plus longtemps.
Nous défendons la coconstruction des séjours. L'État n'ayant plus les moyens de les subventionner, il faut associer à leur financement les fondations, les comités d'entreprise - à ce propos, attention aux effets de seuil. Il convient enfin de développer les réseaux territoriaux et les partenariats internationaux. On va ainsi privilégier, de fait, les enfants de milieux aisés ? La question centrale demeure certes celle des inégalités. Quoi qu'il en soit, merci pour ce débat. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Dufaut . - Les colonies de vacances ont connu un grand succès, c'est vrai. Créées au XIXe siècle pour des raisons hygiénistes, elles ont ensuite été promues par des organisations confessionnelles, puis laïques. Nous sommes nombreux à en avoir bénéficié. L'État s'est ensuite désengagé à partir des années 1970. Leur rôle a décliné dans la société, et le nombre de séjours fondu brutalement. Une deuxième jeunesse des colonies de vacances a toutefois été observée à la fin du XXe siècle.
Pourquoi cette récente désaffection, dès lors ? Le rapport de l'Assemblée nationale identifie des causes financières : coûts en hausse, baisse des soutiens publics et désengagement des comités d'entreprise. Les parents, de plus, craignent davantage pour la sécurité de leurs enfants, qui se tournent vers les mini-camps de vacances locaux. Enfin, le durcissement de la réglementation et l'insécurité juridique, notamment celle des moniteurs. Les colonies de vacances offrent désormais un paysage éclaté : offre privée destinée aux plus aisés, offre publique pour les plus modestes ; les classes moyennes n'y trouvent guère leur compte.
Cette évolution est à regretter. Les colonies de vacances avaient un rôle social, économique et de cohésion nationale, que l'on perd aussi avec la suppression du service militaire.
Que proposez-vous, madame la ministre ? Travaillons à rendre ces séjours plus attractifs. Le succès des camps de scoutisme doit nous donner des idées.
L'épisode juridique du repos journalier des animateurs nous incite à veiller davantage au respect de la législation. De nombreux centres sont aujourd'hui réticents à se mettre aux normes. Créons un statut spécifique pour les animateurs.
Les colonies de vacances sont un modèle. Comment les accompagner dans la crise qu'elles traversent ? C'est un enjeu important pour nos jeunes et notre collectivité. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs de gauche)
M. Joël Guerriau . - Dans le contexte actuel, ce débat peut surprendre. Pour beaucoup, la question est moins « comment partir en vacances ? » que « comment boucler les fins de mois ? ». Le législateur doit-il vraiment intervenir sur ce sujet ?
Mme Éliane Assassi. - Ben oui !
M. Joël Guerriau. - Je le pense aussi. (Sourires) Ce sujet est essentiel puisque 25 % des enfants, mais 34 % des enfants d'ouvrier, ne partent pas en vacances.
Les colonies de vacances offrent ouverture, repos, création, apprentissage de l'autre et de la diversité. Elles ont toutefois changé ; se sont spécialisées. Elles sont aussi moins fréquentées. Les comités d'entreprise s'en sont désintéressés. Les subventions ont fondu. Bref, la mixité sociale y a reculé. Les offres sont de plus en plus variées et de plus en plus chères.
Les séjours linguistiques sont hors de portée des familles modestes tandis que les plus aisées se détournent des colonies de vacances. Se crée ainsi un entre-soi social, au détriment des enfants des classes moyennes.
Le statut de l'animateur s'est professionnalisé, entraînant une hausse des tarifs des coûts pour les organisateurs, des prix pour les familles et in fine la baisse de la fréquentation. Comme le souligne le député Ménard dans son rapport, les colonies de vacances n'ont pas vocation à accueillir uniquement un public segmenté. Et d'ajouter à raison qu'il est primordial de favoriser l'accès des séjours collectifs au plus grand nombre, notamment aux classes moyennes. Le député Ménard propose ainsi la création d'un Fonds national d'aide aux vacances collectives, abondé par une taxe nouvelle sur l'hôtellerie de luxe.
Il est méconnu que les chèques-vacances sont accessibles à tous les salariés. La création d'un chèque spécifique pour les séjours collectifs des mineurs est une bonne idée ; inciter la SNCF à proposer des tarifs collectifs aussi. Je le dis en tant que fils de cheminot, ancien colon et animateur...
Le rapport Ménard propose en outre de rationaliser le paysage des organisateurs de colonies de vacances, dans lequel trop d'acteurs interviennent. Les associations, comités d'entreprise et municipalités peinent à maintenir leur patrimoine immobilier. Les colonies de vacances, à la mer ou à la montagne, vieillissent et deviennent des friches de loisirs. C'est tout le problème de la législation et des normes...
Le coût du séjour des enfants dont les parents ne bénéficient pas d'un comité d'entreprise peut être pris en partie en charge par la CAF et les centres d'action sociale, selon une modulation dépendant du quotient familial ; c'est le cas en Loire-Atlantique.
Réintroduisons l'éducation active au coeur du projet des colonies de vacances, complémentaire de l'offre commerciale qui s'adresse parallèlement à d'autres publics. Soutenons les colonies de vacances qui répondent à l'objectif supérieur de l'apprentissage du vivre-ensemble, de l'initiation au développement durable...
Faut-il instaurer un volontariat d'animation, comme le préconise le rapport Ménard ? Je suis attaché à l'encadrement par des jeunes qui s'engagent, titulaires du Bafa ou du BAFD. Or le coût de l'obtention de ces deux diplômes est relativement élevé - 1 060 euros - pour une durée d'utilisation courte. Ce n'est pas un diplôme professionnel. Les conditions d'emplois sont problématiques et complexes. Le volontariat proposé doit valoriser l'expérience et les compétences acquises. Il est dommage que le projet de loi sur l'économie sociale et solidaire n'ait pas abordé ce sujet.
La situation des colonies de vacances est préoccupante. Les associations organisatrices auront intérêt à adopter le statut de groupe d'intérêt économique solidaire et à se recentrer sur leur activité pédagogique. Merci au groupe CRC de son initiative. (Applaudissements sur les bancs CRC et quelques bancs ; Mme Corinne Bouchoux applaudit aussi)