Débat sur l'engagement des forces armées en République centrafricaine
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat et un vote sur la demande du Gouvernement d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en République centrafricaine en application du troisième alinéa de l'article 35 de la Constitution.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères . - Le 5 décembre, le président de la République décidait d'envoyer nos soldats en République centrafricaine, afin d'éviter à ce pays de sombrer dans le chaos. Le pays était en proie à des violences généralisées et à une dérive confessionnelle - et le mot est faible. Les Seleka, milices à dominante musulmane, qui avaient déposé l'ancien président Bozizé, multipliaient les exactions et les pillages. Les anti-Balaka, recrutés essentiellement dans la population chrétienne, commençaient à s'en prendre aux civils musulmans par esprit de vengeance et pour des motifs crapuleux.
L'opération Sangaris, sous mandat de l'ONU et en appui des forces de l'Union africaine, poursuivait deux objectifs : rétablir la sécurité et favoriser la montée en puissance de la Misca. Elle répondait à une urgence. Il n'y avait plus en RCA ni armée, ni police, ni justice. À la tête d'un État failli, l'équipe de transition avait perdu tout contrôle de la situation et la veille même de notre intervention, les massacres avaient fait 1 000 morts dans la capitale, Bangui.
La France avait mis en garde la communauté internationale dès septembre 2013, par la voix du président de la République à la tribune des Nations unies. En vain. Fallait-il que la France, seul pays en mesure d'intervenir sans tarder, laisse se perpétrer des atrocités que certains à l'ONU qualifiaient de pré-génocidaires ? Fallait-il qu'elle abandonne ce pays au coeur d'une région déjà fragilisée par les conflits ? Fallait-il laisser se créer une zone de non-droit à la merci de tous les trafics et de tous les terrorismes ? Fallait-il rester sourds à l'appel au secours désespéré des Centrafricains et à la demande unanime des Africains ?
À l'évidence, non. Ce n'aurait pas été conforme à l'idée que nous nous faisons du rôle de la France, comme votre vote l'a exprimé. Parce que nous avons agui, des massacres ont été évités. Chaque jour des vies sont sauvées. La RCA a une chance de reprendre en main son destin.
Nous avons su rallier nos partenaires. La Misca, passée de 2 500 à 6 000 hommes, agit en bonne coordination avec l'opération Sangaris. L'Union européenne apporte un soutien financier de 50 millions, et a décidé d'envoyer des troupes sur le terrain : les premières devraient arriver dans les prochains jours. Cette force européenne, aux dires de Mme Ashton, comptera jusqu'à 1 000 hommes. Encore faut-il qu'ils soient là... Ils auront pour mission de sécuriser l'aéroport et certains quartiers de Bangui et de permettre à la Misca de continuer à se déployer en province. Une dizaine d'États ont fait part de leur intention d'y contribuer ; l'Allemagne devrait participer par des moyens logistiques.
L'ONU doit faire davantage et plus vite ; c'est le souhait de son Secrétaire général : coordonner l'aide humanitaire, préparer le désarmement et la réinsertion des combattants, aider le gouvernement centrafricain à préparer les élections, lutter contre l'impunité grâce à une commission d'enquête internationale. La préparation de l'opération de maintien de la paix doit être accélérée. J'aurai le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon, ce soir au téléphone à ce sujet.
Grâce à notre intervention, les violences à Bangui sont désormais circonscrites à certains quartiers ; la plupart des combattants Seleka y ont été désarmés et sont cantonnés. Elles se poursuivent en revanche à l'ouest. Nos forces font le maximum pour protéger les populations, dans une impartialité totale. Nous veillons aussi à ce que l'est ne se coupe pas du reste du pays du fait du regroupement d'ex-Seleka. Le Tchad et le Cameroun, qui ont montré leur solidarité en accueillant de nombreux réfugiés, doivent pouvoir compter sur le soutien de la communauté internationale.
La situation humanitaire est critique : un habitant sur deux a besoin de soins médicaux, un sur cinq au moins d'une aide alimentaire. Les ONG sont actives sur le terrain.
La présidente de transition, Mme Samba-Panza est une femme remarquable, la première à diriger un pays d'Afrique francophone ; elle a su créer une dynamique. Je lui renouvelle le soutien de la France. Il faut maintenant que cette dynamique se concrétise pour la population ; les fonctionnaires doivent être payés afin que les institutions puissent recommencer à fonctionner.
J'ai décrit la situation sans fard, sans chercher à minimiser les difficultés, qui sont considérables ; la France ne les sous-estime pas. Pour autant, les progrès sont réels. Un calendrier a été établi en vue des prochaines élections. En janvier, à Bruxelles, une aide d'un demi-milliard de dollars a été promise par la communauté internationale pour faire face au défi humanitaire, la France y contribuera. L'assistance technique redémarre, l'État se remet en marche. Quant à la sécurité, seule une opération de maintien de la paix sous casque bleu nous paraît à même de répondre aux besoins. Le secrétaire général de l'ONU doit remettre dans les prochains jours un rapport en ce sens, nous souhaitons que le Conseil de sécurité l'examine début mars, pour un déploiement le plus rapide possible. D'ici là, Sangaris jouera un rôle de relais auprès de la Misca. À l'appel du Secrétaire général, le président de la République a décidé de porter nos effectifs à 2 000 hommes, en anticipation de notre participation à la force européenne. La France n'a pas vocation à se substituer aux forces internationales.
Nos soldats ont trouvé en Centrafrique un pays dévasté. Partout, ils ont agi avec un courage et un professionnalisme qui est l'honneur de la France. Je salue leur engagement, et rends hommage aux caporaux Nicolas Vokaer, Antoine Le Quinio et Damien Dolet, qui ont perdu la vie, ainsi qu'à leurs compagnons d'armes de la Misca tombés en opération.
Dans l'épreuve, la Nation a su se rassembler dès le début de l'opération. Soyez-en tous remerciés. Une délégation de députés conduite par la présidente de la commission des affaires étrangères est allée à Bangui la semaine dernière ; le Gouvernement continuera à informer le Parlement.
Notre action n'est pas terminée, raison pour laquelle le Gouvernement, sur le fondement de l'article 35 alinéa 3 de la Constitution, vous demande d'autoriser la prolongation de notre intervention. Les conditions sont aujourd'hui réunies pour un accompagnement international robuste, militaire et politique, qui permette à la Centrafrique de retrouver le chemin de la paix. D'ici là il nous faut assumer nos responsabilités. C'est un défi, c'est aussi l'honneur de la France. ((Applaudissements)
Mme Kalliopi Ango Ela . - Aux termes de notre Constitution, la prolongation d'une intervention armée française au-delà de quatre mois doit être autorisée par le Parlement. Le précédent débat date d'octobre 2012 ; avons-nous aujourd'hui le recul suffisant ? Les écologistes estiment qu'un vote est nécessaire et plaident même pour que les interventions soient d'emblée soumises à l'approbation de la représentation nationale. N'eût--il pas mieux valu qu'il ait lieu dans un mois et demi, afin d'être fondé sur quatre mois de bilan ?
Le Conseil de sécurité unanime a autorisé début décembre le déploiement d'une mission internationale de soutien à la Misca. C'est dans ce cadre que la France est intervenue. Les écologistes considèrent que l'objectif de la communauté internationale doit être d'aider les pays africains à assurer eux-mêmes leur sécurité. Ainsi s'éloignera le spectre de la Françafrique. Nous prenons acte de l'annonce du renforcement des effectifs européens, conformément à la demande de l'Union africaine, qui s'ajoutera au soutien financier et logistique déjà mis en oeuvre. Les troubles qui secouent cette zone alimentent les trafics. Une réaction multilatérale est nécessaire. Le 20 février, M. Ban Ki-Moon a présenté un rapport qui va en ce sens.
La présidente Samba-Panza a demandé à la France de prolonger son intervention jusqu'aux élections de début 2015. Le Secrétaire général de l'ONU estime nécessaire de déployer de nouvelles forces pour sécuriser le pays ; le Tchad y est favorable. Mais la mise en place d'une force internationale prendra des mois, alors que c'est maintenant qu'il faut agir.
Amnesty International nous a alertés, dans son rapport du 12 février, sur les exactions commises dans les villes de Bouali, Boyali, Bossembélé, Bossemptélé et Baoro, où les forces internationales n'ont pas été déployées. La France doit être attentive à la situation des musulmans de Centrafrique. La prolongation de son intervention est une solution nécessaire et transitoire jusqu'à l'opération de l'ONU.
Les écologistes estiment toutefois que notre doctrine d'intervention doit être réévaluée. Pouvez-vous nous apporter des précisions, monsieur le ministre ? Faisons preuve de modestie et de prudence et veillons à associer les acteurs régionaux au processus de paix en RCA.
La sécurisation est un enjeu immédiat. Le désarmement doit se poursuivre de manière impartiale, et une aide humanitaire rapide et efficace doit être apportée à la population. Le défi humanitaire est en effet considérable - plus d'un million de personnes ont fui leur domicile.
Le défi politique ne doit pas être sous-estimé. L'État centrafricain devra entièrement se reconstruire. Les pays africains voisins, comme la communauté internationale, auront leur rôle à jouer pour assurer la sécurité des élections de 2015.
L'ultime étape, chère aux écologistes, sera évidemment celle de l'aide au développement de la Centrafrique, seul facteur propre à maintenir durablement le pays en paix.
Nous demandons qu'un débat soit organisé au Parlement d'ici six mois, afin d'évaluer l'avancement du processus de désarmement et de sécurisation du pays. Je voterai avec la majorité du groupe écologiste pour la prolongation de la présence de nos forces armées en République centrafricaine, trois de nos collègues ayant choisi de s'abstenir. (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC, ainsi que sur quelques autres bancs)
M. Jacques Legendre . - (Vifs applaudissements à droite) En décembre, nous étions réunis ici même pour un débat d'information. Quatre mois plus tard, avant l'interruption de la session parlementaire et conformément au troisième alinéa de l'article 35 de la Constitution, tel qu'il résulte de la révision de 2008 que notre groupe a votée, nous sommes réunis à nouveau. Nous rendons hommage aux soldats morts en opérations. La mission dévolue à la force Sangaris n'apparaît pas toujours clairement.
Le régime Bozizé est tombé sous le coup d'une rébellion qui se baptisait Séléka, c'est-à-dire « l'alliance » mais dont la force militaire est constituée de combattants venus du Nord-Est du pays à dominante musulmane. Le président auto-proclamé Djotodja, incapable de rétablir l'ordre à Bangui a démissionné, laissant la place à une présidente par intérim, Mme Samba-Panza, jusqu'ici maire de Bangui,
Il est réducteur de faire des anti-balaka une milice chrétienne. Ils pensent qu'il faut se protéger des balles des AK47 des milices Seleka. D'où leur nom. Je rends hommage aux autorités religieuses de Bangui, l'archevêque Nzapalainga, l'iman Kobine Layama, le pasteur Guerekoyame Gbangou, qui ont agi avec courage pour essayer ensemble de rétablir le calme. Il n'y a pas là un conflit religieux.
Nos forces ne sont pas là pour soutenir un camp contre un autre mais pour désarmer tous les violents. Ceux-ci ont sans doute des inspirateurs. Ceux qui utilisent abusivement la religion, comme ils ont utilisé des enfants soldats pour poursuivre leurs buts politiques, doivent savoir qu'ils relèvent d'un tribunal pénal international. Les inspirateurs de ces violences ont-il été identifiés ?
Le groupe UMP se prononcera en faveur de la prolongation de l'opération Sangaris. Cela ne nous dispense pas de poser des questions. Ces violences généralisées étaient-elle insurmontables ? Les pillards venus du Nord, comme précédemment, ont mis à sac Bangui. Quelles sont nos capacités de prévision et d'analyse ? Quid de la fonction « anticipation stratégique » évoquée par le rapport del Picchia sur le Livre blanc ? Les avertissements n'ont pas manqué. En avril 2013, la conférence épiscopale centrafricaine appelait à l'aide.
Si la France et son gouvernement ont été bien plus courageux que d'autres pays, cette initiative n'en a pas moins été tardive et a minima ; elle ne suffit pas pour arrêter les violences en brousse, où nous ne savons pas ce qui se passe. Quel objectif, avec quels moyens, pour la France en Afrique ? Rien ne serait pire que d'exprimer une volonté politique sans les moyens de la rendre efficace.
L'avenir sera entre les mains du peuple centrafricain, qui doit, dans des délais raisonnables, pouvoir choisir ses dirigeants. Tenons une logique de vérité : la France et la communauté internationale n'accepteront pas longtemps de risquer la vie de leurs soldats pour un pays dont la classe politique serait déchirée par des querelles dérisoires. L'ensemble du pays doit retrouver le calme. Déchiré entre les seigneurs de la guerre, ne risque-t-il pas la partition ? L'Agence française de développement reprendra-t-elle son travail à Bangui ? Le Génie français ne peut-il se rendre visible, en montrant à la population, au moins à Bangui, que la France et d'autres pays la protègent, la sécurisent, car sécurité et communications vont de pair.
Il est à la mode de déclarer que l'Afrique est l'avenir de la francophonie. Le territoire de la République centrafricaine était maillé d'écoles, de collèges, de lycées. Ce système éducatif sera-t-il réhabilité ? Mme Benguigui a annoncé une grande opération de formation de professeurs pour l'Afrique ? Est-elle destinée en priorité à la République centrafricaine ? Ne pouvons-nous nous mobiliser après un tel effondrement ? Dix années seront nécessaires pour reconstruire ce pays.
Plutôt qu'une succession d'interventions partielles, nous devons être capables d'agir dans la durée, en profondeur. Nous y réfléchissons, au Sénat, où s'est tenu un colloque la semaine dernière, avec le groupe d'amitié France-Afrique de l'ouest et l'AFD, qui a connu un beau succès. Oui, l'Afrique est une part de notre avenir, à court terme. De nombreux pays d'Afrique connaissent une belle croissance. Nous devons vouloir que la République centrafricaine se relève. C'est notre intérêt et notre honneur. (Applaudissements)
M. Jean-Marie Bockel . - Face à la spirale de l'affrontement et de la violence, la communauté internationale devait réagir. C'est pourquoi la France a lancé l'opération Sangaris. Je salue l'engagement des soldats français qui oeuvrent sur le terrain avec courage et ténacité. Force est cependant de constater que la conduite de l'opération est malaisée : comment désarmer des rebelles dont les atrocités sont commises à la machette ? Alors que le président de la République avait initialement évoqué une intervention rapide, le ministre de la défense a annoncé qu'elle serait plus longue que prévu.
La très grande majorité du groupe UDI-UC soutient la prolongation de l'intervention. Oui, mais des interrogations subsistent. Sur les moyens d'abord. Il semble évident que les forces françaises et la Misca sont sous-dimensionnées par rapport à leurs objectifs.
On considère qu'un rapport d'un soldat pour 60 civils est nécessaire pour les missions de désarmement, démobilisation, réintégration. Cela signifie 20 000 pour Bangui... Le Secrétaire général de l'Onu réclame le déploiement rapide d'au moins 3 000 soldats supplémentaires. Le président de la République a décidé d'envoyer 400 soldats en renfort, portant notre contingent à 2 000 hommes, quel est votre sentiment sur ce rapport de force ? Les soldats français seront-ils en mesure de se déployer progressivement en province ?
Saluons l'envoi annoncé d'une force européenne de 10 000 hommes pour sécuriser Bangui. Quid du soutien européen au système judiciaire et pénitentiaire centrafricain ? Nous appelons les États membres à assumer leurs responsabilités lors de la conférence de génération des forces.
La République centrafricaine est au carrefour de l'Afrique, de sa stabilité dépend celle du coeur du continent. La Misca devrait atteindre 6 000 hommes sous la bannière de l'Union africaine. C'est surtout de moyens logistiques et de transports qu'elle a besoin. L'Union africaine a annoncé la création d'une Capacité africaine de réponse immédiate aux crises, soutenue par la France lors du dernier sommet de l'Élysée. Il s'agit d'améliorer la réactivité des forces africaines. Une dizaine de pays africains sont prêts à y participer.
Néanmoins, seule l'ONU peut proposer une réponse globale à ces conflits complexes. À l'instar du Mali, une opération de maintien de la paix s'impose. Le déplacement de casques bleus conduirait-il à une diminution des effectifs militaires français ?
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Bien sûr.
M. Jean-Marie Bockel. - Il appartient à la présidente Samba-Panza de créer les conditions de la réconciliation. Chacun doit prendre conscience des exactions commises de part et d'autre, comme l'a souligné l'archevêque de Bangui. La médiation de la Communauté de Sant'Egidio, sous l'égide de laquelle a été signé en novembre dernier un Pacte républicain, pourrait favoriser la mise en place des mécanismes concrets de réconciliation.
L'économie centrafricaine est en recul. Ce qui en reste doit être reconstruit, avec les ONG et les associations locales. Pourquoi ne pas renforcer progressivement la présence de l'AFD ? Plus de la moitié de la population requiert une assistance humanitaire. Le plan stratégique de l'ONU, de 550 millions de dollars, n'est financé qu'à 15 % Quelles initiatives pourrait prendre la France pour acheminer l'aide humanitaire jusqu'aux camps de réfugiés ? Sans le soutien des populations africaines, de la communauté internationale, la France ne pourra stabiliser seule ce pays.
Le groupe UDI-UC votera, dans sa très grande majorité, la prolongation de notre présence militaire en République centrafricaine. (Applaudissements, hormis sur les bancs CRC)
Mme Michelle Demessine . - Ce débat se fonde sur l'article 35-3 de notre Constitution. On peut regretter que la révision constitutionnelle se soit arrêtée au milieu du gué et n'ait pas prévu une autorisation parlementaire a priori, comme dans d'autres pays.
Je rends hommage à Daniel Bonnet, jeune caporal du 8e régiment de de chars de marine mort dans l'accomplissement de sa mission. Je salue le courage, le sang-froid et le professionnalisme dont font preuve nos soldats au nom de la France.
La décision qu'il nous est demandé de prendre ce soir est difficile. Notre groupe a beaucoup consulté et réfléchi. En décembre, lorsque nos forces sont intervenues, le basculement de la Centrafrique dans l'anarchie et la violence durait depuis de nombreuses années. Les raisons de cet effondrement sont connues : extrême pauvreté et instabilité politique chronique résultent d'une situation économique catastrophique. La France y a trop longtemps joué un rôle négatif, soutenant des gouvernements peu recommandables.
Grâce aux ONG, puis à l'action diplomatique de notre pays, une résolution de l'ONU a été prise en décembre 2013. Déjà, notre groupe avait émis des réserves. Pourquoi, comment, avec qui, avec quels moyens intervenir ? Nous soulignions l'absence de solidarité européenne. Où en est-on désormais ? La crise est entrée dans une nouvelle phase. Après avoir partiellement neutralisé et repoussé les miliciens de la Seleka hors de Bangui, les forces françaises et africaines ont beaucoup de mal à empêcher les représailles des anti-balaka, en particulier hors de Bangui. Les massacres ont été tels que le Secrétaire général de l'ONU et Amnesty International les ont qualifiés de nettoyage ethnique. Le programme alimentaire mondial (PAM) a dû établir un pont aérien. Sangaris a permis d'éviter une tuerie peut-être pire encore, mais n'a pu empêcher un nettoyage ethnique qui laissera des traces profondes et pourrait mener à la partition du pays.
La première urgence est sécuritaire, militaire et humanitaire. En intervenant militairement, la France n'entend peut-être pas seulement défendre de grands principes, comme l'écrit le colonel Goya, mais aussi ses intérêts propres : une quarantaine de votes africains automatiques aux Nations unies, la zone monétaire CFA, ses intérêts économiques.
Avec les évolutions récentes, nous entrons dans une phase de gestion de la crise sans connaître les objectifs d'une opération qui change de nature : mission d'accompagnement jusqu'aux prochaines élections, soit, mais pour quels objectifs précis et dans quels délais ?
Il faut accélérer la transformation de Sangaris en mission onusienne de maintien de la paix, beaucoup plus efficace et légitime. C'est la réponse indispensable pour offrir enfin à ce pays des perspectives de réconciliation nationale et de développement. Elle doit avoir une forte composante civile et des financements propres et pérennes.
Le tout militaire n'est pas la solution. Une approche globale doit agir sur plusieurs leviers. Il est heureux que vous l'ayez précisé, monsieur le ministre. Il faut rompre définitivement avec les mauvaises pratiques ayant cours depuis la décolonisation, qui ont plongé ce pays dans la misère. Redéfinissons la politique française d'aide au développement, fondée sur de véritables partenariats, débarrassés d'arrière-pensées. Rendons publics tous les contrats dans le secteur minier, dans l'extraction du pétrole et de l'uranium.
M. Roger Karoutchi. - Vous avez épuisé votre temps de parole.
Mme Michelle Demessine. - En conclusion, (« Enfin ! » à droite) il faut le dire haut et fort, (exclamations sur plusieurs bancs à droite) il faut changer de politique en Afrique.
M. le président. - Veuillez conclure !
Mme Michelle Demessine. - L'annonce d'un retrait serait un mauvais signe... Nous sommes convenus de laisser aux membres du groupe CRC la liberté de vote, lequel sera majoritairement positif. (Applaudissements sur les bancs CRC et quelques bancs socialistes)
M. André Vallini . - L'opération Sangaris, décidée par le président de la République, était urgente et nécessaire. Les pillages, les viols, les mutilations, les exécutions sommaires se multipliaient. Dès septembre dernier, le président Hollande avait lancé un cri d'alarme à l'assemblée générale de l'ONU « pour éviter le pire en République centrafricaine ». La France est le seul pays extérieur à l'Afrique à avoir des forces militaires stationnées aux frontières de la République centrafricaine. Combien de milliers de morts supplémentaires si nous n'avions pas agi ? Souvenons-nous de la tragédie du Rwanda !
À l'appel de Ban Ki-moon, le président de la République a décidé le 24 février, de porter nos effectifs à 2 000 soldats, afin de sécuriser les sites les plus sensibles, de désarmer les milices et de favoriser la réconciliation. Certes, il y a encore des exactions, mais le nombre de massacres a diminué et la population tout entière n'a pas basculé dans la guerre civile, comme cela eût été le cas, si nous n'étions pas intervenus.
Les ONG peuvent désormais couvrir les besoins les plus urgents d'une population dont le tiers demeure cependant sous-alimenté. Le nombre de personnes déplacées se montant quant à lui à 700 000. La République centrafricaine est entrée dans une nouvelle séquence politique. L'opération Sangaris a précipité la chute du président Djotodia. Mme Sanba-Panza a nommé un premier ministre ; ils sont l'un et l'autre pleinement investis dans leurs fonctions. Sangaris a commencé à réussir, mais rien n'est acquis. La communauté internationale s'apprête à venir en renfort. L'Europe d'abord : 360 millions d'euros d'aide humanitaire et de soutien à la Misca ont été mobilisés, avant même que le conseil des affaires étrangères décide de lancer le dispositif Eufor, qui sera opérationnel début mars et montera progressivement en puissance, venant de France, de Roumanie, du Portugal, mais aussi d'Estonie, de Lettonie et de Géorgie. La Finlande, l'Espagne pourraient annoncer prochainement leur participation. Londres et Berlin, en revanche, n'ont annoncé qu'un soutien... financier. Leurs réticences à s'engager au sol sont regrettables. Si le développement de l'Afrique est porteur d'avenir pour l'Europe, c'est à condition que celle-ci ne se désintéresse pas de sa situation présente. La porosité des frontières et les trafics favorisent la multiplication des conflits latents.
L'ONU s'engage, elle aussi. Il faut reconstruire l'État, protéger les populations, garantir les droits de l'homme, acheminer l'aide humanitaire. La France a le sens de ses responsabilités. Elle est membre du Conseil de sécurité. Elle a une histoire. Il y a un an, la charia régnait au nord du Mali, la population était prise en otage, on coupait les mains. Le Mali est sécurisé. Il a un président et une assemblée élus au suffrage universel, un gouvernement. Serval a réussi.
L'objectif est le même en République centrafricaine : qu'une population amie ne sombre point dans le chaos. Si la France aujourd'hui, l'Union européenne bientôt, l'ONU demain s'engagent en République centrafricaine, c'est au peuple lui-même de se prendre en main. Félicitons-nous de ce que le sommet de l'Élysée ait décidé la mise en place d'une force panafricaine de réaction rapide.
Sangaris doit-elle continuer ? Certes, il y a des difficultés. Devrait-on renoncer, abandonner la Centrafrique à la guerre civile ? J'entends les critiques, je vois les doutes. Quitter la Centrafrique ? Personne n'y songe sérieusement. Restons aux côtés des forces africaines pour renforcer notre armée : nos soldats doivent compter sur le soutien de la représentation nationale. C'est l'honneur de la France d'assumer son rôle en Afrique.
Le groupe socialiste, en toute lucidité, votera résolument pour la prolongation de l'opération Sangaris. (Applaudissements sur de nombreux bancs).
M. Jean-Pierre Chevènement . - L'intervention Sangaris a été tardive, mais le groupe RDSE comprend qu'elle ne pouvait avoir lieu en dehors d'un mandat des Nations unies. On pouvait espérer un effet de sidération. C'était compter sans la violence de la haine déchaînée. L'Afrique n'est plus ce qu'elle était ; les autorités traditionnelles se sont effondrées, aucun État digne de ce nom ne les a remplacées. L'usage des armes à feu s'est banalisé.
En 1962, Louis Brustier voyait la République Centrafricaine en Cendrillon africaine ; en 1964, Georges Conchon s'en inspirait dans L'État sauvage, roman qui lui valut le prix Goncourt. Les choses depuis lors ne se sont pas arrangées : ce pays a toujours été sous-administré et mal gouverné.
Pour faire cesser les massacres, la France a envoyé 1 600 hommes, puis 400 supplémentaires pour répondre à l'appel de M. Ban-Ki-Moon. À quoi, il faut bien sûr ajouter les contingents de la Micsa, 6 000 hommes provenant des États proches : Tchad, Cameroun, Congo-Brazzaville, République démocratique du Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Burundi, Rwanda. Le 20 janvier 2014, il a été décidé d'envoyer une force européenne de 500 hommes composée de soldats estoniens, lettons, géorgiens, polonais, portugais, roumains qui permettait au moins de relayer sur Bangui la force Sangaris. L'effectif total des forces engagées ne suffira pas à ramener la sécurité sur toute l'étendue d'un pays plus étendu que la France. La première priorité est de sécuriser la route qui rejoint Bangui à Douala, pour pouvoir acheminer des vivres.
Nos forces armées ont été conçues pour des missions d'intervention, limitées dans le temps, non d'interposition, forcément longues, voire très longues. Je me souviens d'avoir trouvé au Liban une force d'interposition française qui y était depuis 1978.
M. Alain Richard. - Elle y est toujours !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Qu'attendre de la défense européenne ? Ni la Grande-Bretagne, ni l'Allemagne, ni l'Espagne, ni l'Italie ne se sentent concernées. Il n'y aura pas de développement, pas d'essor économique, sans sécurité. Il est curieux que vos voisins européens ne prennent pas en compte les conséquences de l'absence de développement. C'est l'honneur de la France, au Mali, comme en Centrafrique, d'avoir anticipé. C'est pourquoi je vous apporte le soutien du groupe RDSE.
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L'Histoire a existé, elle nous a liés avec l'Oubangui-Chari. Nous n'oublions pas que les territoires de l'Afrique équatoriale française ont rallié la France Libre, dès le mois d'août 1940, sous l'impulsion du gouverneur Éboué et des colonels Leclerc et Larminat. L'histoire a existé et par-delà l'époque révolue de l'Union française et de la Communauté, elle nous crée encore des devoirs. Si la France n'avait pas envoyé ses soldats en avant-garde d'une mission d'interposition, quelle autre nation l'aurait fait ?
Nous voyons bien les risques de l'engrenage mais nous devons aussi sous-peser les inconvénients de l'inaction. Dès lors qu'existait un mandat de l'ONU, nous vous donnons raison d'avoir fait prévaloir les considérations d'humanité. Non que celles-ci ne soient pas quelquefois le paravent de desseins moins avouables. Mais, en l'occurrence, nous n'en voyons pas, madame Demessine. Certes la RCA occupe en Afrique une position stratégique à la frontière de pays instables comme le Nigéria et le Nord du Cameroun menacés par Boka-Haram, ou bien à la frontière du Sud-Soudan dont la sécession d'avec le Soudan n'a pas eu que des résultats heureux.
Les mécanismes de l'aide internationale doivent tenir compte de l'hétérogénéité du pays. Il reste à rétablir les fonctions régaliennes de l'État. Où en est le projet de former 20 000 soldats africains par an, annoncé par le président Hollande, dans le cadre de l'Union africaine, j'imagine ?
Que faire, une fois les brigands arrêtés et jugés, s'il n'y a pas de prisons pour les enfermer ? Seul un gouvernement d'union nationale peut assurer la coexistence des populations chrétiennes et musulmanes. Pourquoi ne pas envisager des commissions « vérité et réconciliation » ? Des regroupements régionaux peuvent également être envisagés, sous l'égide des Nations unies et avec l'aval des populations.
L'opération Sangaris a un coût. Veillons à ce que la loi de programmation militaire soit pleinement appliquée, et ne subisse pas de coupe budgétaire intempestive.
En dépit de quelques réserves que j'ai exprimées et qui relèvent du devoir de vigilance, le RDSE, qui approuvera la prolongation de l'intervention Sangaris, tient à assurer nos soldats de l'affectueuse sollicitude de la Nation envers ceux qui en ont la charge et de l'hommage dû aux soldats qui sont tombés. (Applaudissements)
M. Philippe Adnot . - Je rends moi aussi hommage à nos troupes. La France s'est honorée en intervenant en Centrafrique pour éviter un bain de sang. Doit-elle rester ? Peut-être, mais certainement pas seule. L'Europe doit jouer son rôle. Je me réjouis des décisions annoncées, sans quoi les deux camps auraient fini par se retourner contre nous. Si l'Europe ne s'était pas engagée, même modestement, je me serais abstenu pour ne pas cautionner un engagement solitaire. Le temps est à l'action concertée : avec mes collègues non-inscrits, je voterai la prolongation de l'intervention. (Applaudissements)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères . - Je commencerai par rendre un hommage appuyé à notre diplomatie et à son chef, Laurent Fabius. (Murmures à droite) Votre engagement personnel, monsieur le ministre, avec celui de vos homologues allemand et polonais, fut décisif pour accompagner le peuple ukrainien dans sa lutte pour la liberté. Bel exemple de ce que peut faire l'Europe, lorsqu'elle prend son destin en main ! C'est aussi l'espoir que la France a ramené en Centrafrique. On ne peut que regretter que l'appel lancé par notre pays devant les Nations unies en septembre 2013 n'ait pas été entendu plus tôt !
La République centrafricaine était un pays oublié par la communauté internationale. Pays charnière, pourtant. Qui pourrait dire les conséquences de son effondrement ?
Je rends hommage à nos soldats, dont trois sont décédés. Sang-froid, détermination, courage : autant de qualités dont nos armées ne manquent pas. J'irai, avec quelques collègues, sur place, leur manifester le soutien du Sénat tout entier.
Le Conseil de défense a décidé d'envoyer en République centrafricaine 400 soldats de plus, portant l'effectif à 2 000. La situation reste fragile, j'en conviens. Des succès ont cependant été enregistrés, à Bangui notamment. Partout où est Sangaris, le niveau de violence diminue.
Je voterai la prolongation de l'intervention. Certains disent craindre l'enlisement. Rappelons-nous qu'en décembre, la folie meurtrière avait provoqué la mort de 1 000 personnes en 48 heures. La violence, heureusement, a changé d'échelle depuis lors.
Il faut sécuriser la province et éviter la partition, désarmer les milices et les réintégrer à l'armée centrafricaine, faire cesser l'impunité pour condamner les pillards et les criminels et appuyer le faible État de Centreafrique dans sa marche vers la transition politique.
Nous pouvons compter sur l'aide de la communauté internationale. Nous pouvons nous appuyer sur les trois piliers de notre politique africaine redéfinie par le président de la République : l'Union africaine, l'Union européenne et l'Onu. Le sommet de l'Élysée avec les chefs d'États africains a convenu qu'à terme la sécurité de l'Afrique sera assumée par les Africains.
Sangaris ne vient qu'en appui de la Misca, dotée de 6 000 hommes. Mille huit cents soldats africains oeuvrent en dehors de Bangui.
Le Tchad et le Congo ont su gérer de manière exemplaire le volet politique de la crise. Oui, l'Afrique est au rendez-vous de la République centrafricaine. Nous entrons dans une ère nouvelle, de relations plus mûres avec le continent.
Que n'a-t-on-dit de l'impuissance de l'Europe, de l'égoïsme des États membres ? C'est parfois justifié. Mais la France, au lieu de se plaindre, doit se faire entendre. La génération de forces en cours n'est pas à la hauteur. Il faut aller au-delà des contingents polonais, estoniens, lettons, portugais, de la Géorgie - État associé -, voire, demain, de la participation espagnole, finlandaise, suédoise. Ici, il s'agit bien de troupes combattantes : mais elles ne s'élèvent qu'à 400 soldats, il en faudrait au moins 1 000 ! L'Union européenne ne peut se contenter du rôle facile de « super-ONG » ! Sur le modèle du Mali, elle participera à la formation de l'armée centrafricaine, de même qu'à la reconstruction du pays. C'est un premier pas vers une défense commune. Il vient d'être annoncé que la brigade franco-allemande serait déployée au Mali, beau symbole, cher Jean-Marie Bockel. Les États-Unis nous soutiennent eux aussi, comme on l'a constaté lors de la visite d'État du président de la République à Washington. Pour reconstruire ce pays en lambeaux, il faut lutter contre l'impunité, rétablir une chaîne de réponse pénale aux exactions : c'est le rôle de l'ONU. Un rapport doit être remis dans les prochains jours, nos discussions s'ouvriront le 5 mars. Une opération de maintien de la paix sous casques bleus pourrait s'accompagner d'un volet civil. Si les conditions sont remplies, la réussite de la transition d'ici 2015 est à portée de main.
Quelles leçons tirer de cette crise ? Elle confirme d'abord la pertinence des décisions prises au sommet de l'État, et l'efficacité de notre système institutionnel. Je salue la décision courageuse du président de la République. C'est la France qui a attiré l'attention de la communauté internationale sur le drame, qui a été la cheville ouvrière des résolutions de l'Onu. Il eût été facile de faire l'autruche mais quelles auraient été les conséquences ?
Le second enseignement, c'est la nécessité de rester vigilants face aux menaces, et de ne pas nourrir l'espoir sans pouvoir y répondre, comme l'a indiqué M. Legendre. Le président de la République a rappelé son arbitrage très ferme en faveur de la stabilité du budget de la défense. L'effort de redressement des comptes, que je soutiens car c'est aussi une question de souveraineté, pourrait susciter bien des tentations chez certains ministres. Il faudra compter sur notre vigilance.
M. Charles Revet. - Il en faudra !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Notre vote aujourd'hui ne donnera pas un quitus ad vitam aeternam. La loi de programmation militaire prévoit un débat annuel sur les opérations extérieures : de quoi lutter contre la tentation de la sédimentation. Je vous invite donc à voter cette autorisation, dont nous serons en mesure d'évaluer périodiquement tous les effets. (Applaudissements)
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères . - Je veux tous vous remercier de votre vote, qui s'annonce en faveur de la prolongation de l'intervention, et de l'élévation du débat. En cette période de crise économique et de tensions sociales, il est facile de se faire l'écho de certains discours : « Que va faire la France en Afrique ? » ; « Cela coûtera cher », etc. Vous l'avez tous souligné : la France doit assumer ses responsabilités vis-à-vis du continent africain, un continent d'avenir, auquel elle est unie par des liens anciens et étroits, historiques et géographiques.
Mme Ango-Ela, au nom des écologistes, a parlé à propos de cette prolongation d'une « décision nécessaire, et transitoire ». Elle a raison. La présidente Samba-Panza, à la tête de la République centrafricaine, et le Secrétaire général des Nations unies, la plus haute autorité internationale, nous le demandent. À juste titre, vous considérez que les Africains doivent à moyen terme se doter de la capacité d'assurer leur sécurité.
M. Legendre, au nom du groupe UMP, a retracé la complexité de la situation centrafricaine et rendu un hommage mérité aux autorités religieuses que j'ai rencontrées à plusieurs reprises. Non seulement elles refusent l'entraînement des passions, mais elles agissent ensemble et montrent l'exemple. Le chef des musulmans vit chez le chef des chrétiens et ils entreprennent ensemble leurs démarches. Quel symbole fort au moment où les affrontements religieux gagnent du terrain, hélas !, dans de nombreux pays comme le Cameroun et l'Angola. Avons-nous agi assez vite ? Le président de la République a été le premier, fin septembre, à saisir, au sens presque physique, l'Assemblée générale des Nations unies de la question de la République centrafricaine, comme il l'avait auparavant pour la question du Mali. Nous sommes intervenus au lendemain même du vote du Conseil de sécurité en décembre. Il n'était pas en notre pouvoir d'aller plus vite, sauf à agir en dehors du cadre international.
Des instructions ont été données pour que l'Agence française de développement retourne en République centrafricaine, je l'ai moi-même confirmé à sa directrice, cet après-midi, avant de vous rejoindre.
Oui, le commerce, qui était tenu en grande partie par les musulmans, est désorganisé en Centrafrique. L'urgence est de dégager la route entre Bangui et le Cameroun, ce que nous pourrons faire avec les renforts européens.
Les collectivités locales peuvent se mobiliser : le ministère des affaires étrangères a créé un fonds spécial que les collectivités peuvent alimenter ; il est bien sûr rendu compte de l'utilisation des fonds.
Monsieur Bockel, une opération de maintien de la paix n'entraînera pas le retrait pur et simple des forces françaises, qui étaient stationnées en Centrafrique dès avant la crise, mais leur diminution. Comme au Mali après un accroissement de nos troupes, nous procèderons à leur réduction.
Mme Demessine, dont j'ai apprécié le verdict final et ses nuances, estime nécessaire de transformer l'opération Sangaris en opération de maintien de la paix : nous y travaillons et ce n'est pas facile. Nous avons besoin d'une composante civile et humanitaire, dont seules les Nations unies ont les moyens.
Merci à M. Vallini d'avoir rappelé les objectifs de l'opération. Oui, l'Europe s'est engagée. Mais si Mme Ashton a parlé de 1 000 soldats, nous n'y sommes pas encore ! Vous avez eu raison de souligner - diplomatiquement - que les grands pays doivent jouer leur rôle : à nous de convaincre l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie - dont je vais rencontrer la nouvelle ministre - que, de même qu'il n'y a pas d'amour mais seulement des preuves d'amour, il n'y a pas d'attachement à la défense européenne sans preuves de cet attachement.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. - M. Chevènement a souligné à quel point l'intervention de l'ONU est nécessaire et m'a interrogé malicieusement sur l'attitude des États-Unis. S'ils ne sont pas enclins à voter ce type de résolution, pour des raisons financières, j'ai bon espoir de les convaincre qu'il faut que leur leadership s'applique.
Nous ne sommes pas dans l'empyrée : comme l'a dit M. Chevènement, une opération a un coût, et c'est en fonction de son coût, mais aussi du coût de la non-décision, qu'il faut en évaluer l'opportunité. C'est ainsi que se posent les choix politiques de premier rang.
M. Adnot nous a dit que sans participation européenne il n'aurait pas autorisé la prolongation de cette intervention.
Merci au président Carrère pour ses mots sur notre engagement en Ukraine. Le matin, nos homologues allemand, polonais et moi-même sommes arrivés à Kiev, dans une ville en proie aux snipers, qui ont fait des dizaines de morts. À notre départ un accord avait été conclu, même s'il a été modifié par la dynamique révolutionnaire : le président Ianoukovitch, dit localement « Ianoucescu », est parti. Rien n'est encore définitivement réglé.
Oui, monsieur le président Carrère, en Centrafrique, tout repose sur le triptyque : Union africaine, Union européenne, ONU.
L'Union africaine a convenu de mettre en place d'ici 2015 une force d'intervention africaine. Encore faut-il qu'elle soit bien équipée : la communauté internationale devra y contribuer. Il n'est pas facile de convaincre l'Union africaine du bien-fondé d'une opération de maintien de la paix : ce ne serait nullement désavouer la Misca. J'ai bon espoir que les choses évoluent dans le bon sens.
Je terminerai en citant deux mots lourds de sens, employés par beaucoup d'entre vous, et qu'il ne faut nullement galvauder : responsabilité et honneur.
M. Robert del Picchia. - Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. - La France prend ses responsabilités, parce c'est son honneur : merci de l'avoir si clairement démontré. (Applaudissements)
Le scrutin public est de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°158 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l'adoption | 327 |
Contre | 3 |
Le Sénat a autorisé la prolongation de l'intervention.
(Applaudissements)
M. le président. - L'Assemblée nationale ayant elle-même émis un vote favorable, je constate, en vertu de l'article 35, alinéa 3 de la Constitution, que le Parlement a autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées en République centrafricaine.
La séance est suspendue à 19 h 20.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 21 h 35.