Déficit démocratique de l'Union européenne (Questions cribles)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions cribles posées à M. Thierry Repentin, ministre chargé des affaires européennes, sur le déficit démocratique de l'Union européenne, thème choisi par le groupe UDI-UC.
M. Jean-Claude Requier . - Depuis des mois, les Ukrainiens se révoltent contre leurs dirigeants parce qu'ils ont tourné le dos à l'Europe. Dans le même temps, les migrants africains, au péril de leur vie, continuent d'affluer à Lampedusa, la porte méditerranéenne de l'Europe. Le contraste est saisissant entre ceux qui aspirent à l'Europe, et ceux qui en sont désenchantés : 70 % des Français, selon un sondage récent, sont prêts à limiter les pouvoirs de l'Union européenne. Dans les urnes, l'Europe est devenue le défouloir des votes contestataires et extrêmes. Relancer le chantier européen, c'est d'abord redonner du souffle à sa construction démocratique. Le mode de scrutin artificiellement découpé par région n'a pas fait ses preuves et l'abstention frôle 50 % ; rares, très rares, sont les Français qui connaissent leurs députés européens. Les radicaux souhaitent le rétablissement d'une circonscription unique, comme nous le demandions dans une proposition de loi soutenue par toute la gauche sénatoriale en 2010. Renforcer le lien entre les citoyens et leurs représentants à Bruxelles et à Strasbourg, c'est les rendre plus visibles, plus représentatifs et, donc, plus fort face à la commission et à la technocratie européenne qui fait tant de ravages. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, socialistes, écologistes ; M. Alain Gournac applaudit aussi)
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes . - Je connais l'attachement viscéral des radicaux à l'Europe. Plusieurs modes de scrutin ont été expérimentés : une circonscription unique de 1979 à 2003, puis une élection par grandes régions. Aucun n'a fait ses preuves. Paradoxalement, l'abstention progresse à mesure que les pouvoirs du Parlement européen augmentent.
La solution est ailleurs. La notoriété ne se décrète pas : elle s'acquiert à force de travail. L'Europe est aux États ce que l'intercommunalité est aux communes ; elle est fondée sur le compromis. Ce qui rendra confiance en l'Europe, ce n'est pas un nouveau meccano institutionnel, ce sont des politiques plus efficaces et plus justes. C'est cet espoir qui anime sans doute les Ukrainiens.
M. Jean-Claude Requier. - J'ai rencontré des élus de toutes sortes, pas d'élus européens. Le Lot, comme l'Ariège, a beau être loin de Strasbourg, puisse-t-on voir un peu plus les élus européens sur le terrain ! Ce sont eux qui incarnent l'Europe.
M. Jean Bizet . - Déficit démocratique ? J'ai plutôt tendance à voir le verre à moitié plein. Le Parlement européen a vu ses pouvoirs renforcés, par le traité de Lisbonne, et le pacte de stabilité a créé un mécanisme d'information des parlements nationaux. Les progrès sont réels, même si l'intergouvernemental, en temps de crise, est plus pertinent.
Il faut faire preuve de pédagogie. Nous ne saurions abandonner le projet européen. Le « vrai gouvernement de la zone euro » annoncé par le président de la République implique-t-il un parlement de la zone euro ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - La zone euro est le coeur du réacteur de l'Union européenne. Sa stabilité est primordiale. Notre priorité est l'union bancaire : supervision et résolution uniques.
La coordination des politiques économiques n'est pas moins indispensable : on parle aujourd'hui de contrats de compétence et de croissance.
L'union économique et monétaire doit aussi se voir conférer une dimension sociale. Le président de la République appelle de ses voeux un gouvernement de la zone euro, avec à terme une capacité financière propre. Pour renforcer le caractère démocratique de cette construction, il a annoncé avec Mme Merkel le lancement d'une réflexion après les élections au sein du parlement européen. Nous souhaitons aussi renforcer le dialogue avec les syndicats et leur confédération européenne.
M. Jean Bizet. - J'approuve la création de l'union bancaire en notant les désaccords entre le commissaire Barnier et les autorités françaises. Je la voudrais plus coercitive et plus rapide à mettre en place. Puis viendra l'union économique et monétaire. J'ai pris connaissance des déclarations de Mme Merkel hier au Bundestag. J'aimerais que la voix de la France se fasse entendre.
Mme Chantal Jouanno . - Un récent sondage place un parti clairement europhobe en tête des intentions de vote aux élections européennes. L'Europe n'est plus une évidence pour nos concitoyens. Les gouvernements alimentent parfois la méfiance à son égard, ainsi M. Cameron qui a promis un referendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Europe.
Pourtant, les organes fédéraux de l'Union européenne sont à l'origine de décisions à saluer : l'union bancaire, à l'initiative de la Commission européenne, le sauvetage de la zone euro, grâce à la BCE.
Dans le cadre du gouvernement de la zone euro, jusqu'où accepterez-vous de pousser la convergence des politiques énergétique et de ressources?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Alors que les mouvements populistes font de l'Europe un bouc émissaire, chaque semaine, je fais de la pédagogie dans un département différent, j'explique le rôle que l'Europe joue dans nos vies quotidiennes : les grandes infrastructures, c'est le Feder ; la politique de la ville, c'est le FSE ; le fonds d'aide alimentaire, c'est le soutien au Secours catholique et aux Restau du coeur.
Les Français sont moins eurosceptiques qu'euro-ignorants : à nous de dire que, grâce aux 10 milliards injectés dans la BEI, nous soutiendrons les PME, qu'avec la nouvelle PAC, nous aurons une politique agricole plus juste et plus verte.
Pour ce qui est de l'énergie, il y a un grand rendez-vous au mois de mars, où nous débattrons d'une diminution de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, avec au moins 25 % d'énergies renouvelables.
Mme Chantal Jouanno. - Espérons que vous serez mieux entendu sur ce thème fédéraliste ! Nous sommes tous convaincus ici que c'est par plus d'Europe que nous retrouverons le chemin de la croissance. (Applaudissements au centre et sur les bancs socialistes)
M. Richard Yung . - Puisse le plaidoyer fédéraliste de Mme Jouanno être entendu !
La troïka qui comprend des représentants de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, fait l'objet de critiques justifiées. Les politiques qu'elle recommande sont parfois contradictoires ; elle n'est soumise à aucun contrôle des instances européennes. La Commission européenne a même mis en place un groupe de travail à ce sujet.
Il y a un malaise. Quelle est donc la position du Gouvernement français face à la troïka ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - La troïka fait l'objet de critiques parfois justifiées. Les programmes d'aide qu'elle recommande sont parfois trop douloureux pour les populations. Cependant, elle le fait en concertation avec les gouvernements intéressés, et ses décisions sont avalisées par les ministres des finances des États membres, qui en informent leur parlement.
Nous pouvons mieux faire, cependant. Les nouvelles structures propres à la zone euro seront le moyen de renforcer le contrôle démocratique de l'ensemble. La France et l'Allemagne souhaitent qu'il y ait au sein du parlement européen une structure dédiée à ce contrôle.
M. Richard Yung. - Un mot sur l'union bancaire : une structure parlementaire de l'Eurogroupe devrait intervenir. Les parlements nationaux doivent être consultés en cas de résolution, car les États paieront. (Applaudissements)
M. Éric Bocquet . - D'emblée, je salue le choix du thème de ce débat. Pour la majorité des Français, l'Europe ressemble à une gigantesque machine très éloignée de leurs préoccupations. Le manque de démocratie est flagrant : le non au référendum de 2005 n'a pas empêché l'adoption du traité de Lisbonne, le budget est discuté à Bruxelles avant de l'être à Paris. Aucun contrôle démocratique sur les décisions économiques et financières. Qui a consulté les Français sur la directive « Travailleurs détachés » ? Quelles initiatives prendrez-vous pour renforcer le lien entre les citoyens et l'Europe ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Il faut renouer ce lien, mais la solution n'est pas dans le Meccano institutionnel. Sur la directive « Travailleurs détachés » , nous avons consulté le Sénat qui a voté une proposition de résolution européenne contre le dumping social. Six milliards ont été débloqués pour les régions où le taux de chômage des jeunes est le plus fort, le budget de 1 030 milliards pour la période 2014-2020 servira à des grands chantiers créateurs d'emplois, nous sommes en discussion pour interdire la diffusion des OGM en plein champ. Nous avons constamment en tête les préoccupations des Français, et nous dialoguons avec le parlement : nous avons tenu compte de son carton jaune à propos du droit de grève. Le texte qui le menaçait en Europe n'a pas abouti. (Applaudissements sur les bancs socialistes)I
M. Éric Bocquet. - Trois propositions concrètes : consulter systématiquement les Français sur les sujets des traités européens ; renforcer les pouvoirs du Parlement européen face à des commissaires sans légitimité démocratique ; accélérer l'harmonisation fiscale, en cessant de tolérer qu'un seul État bloque les avancées. J'espère que la prochaine campagne sera l'occasion d'en débattre.
M. André Gattolin . - Le déficit démocratique est aussi le fait des gouvernements. Qu'on l'aime ou l'abhorre, qu'on la rejoigne ou qu'on la quitte, l'Europe est au coeur de tous les enjeux. Comment considère-t-on les élections européennes ? Comme des élections de seconde zone. Au-delà des discours bardés de bonnes intentions, les faits sont là : on prévoit cinq semaines de suspension pour les élections municipales, mais pour les élections européennes, rien, nada, niente, nothing, nichts. Pas une seule misérable semaine. À défaut de changer ce calendrier injuste, ne pouvons-nous pas consacrer une semaine de nos travaux à l'Europe ? (Applaudissements à gauche)
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - L'Europe, vous avez raison, est de plus en plus au coeur de notre quotidien ; et c'est d'autant plus vrai depuis le traité de Lisbonne qui prévoit l'élection du président de la Commission européenne. Déjà des groupes politiques se sont choisi des chefs de file. Ainsi, nos concitoyens prendront mieux la mesure programmatique de ce scrutin. Charge aux partis, pas seulement au Gouvernement, de mieux expliquer l'Europe. Le Parlement, vous le savez, à un pouvoir sur son ordre du jour ; qu'il inscrive des débats sur l'Europe. J'espère que les Français seront nombreux à voter le 25 mai prochain.
M. André Gattolin. - Le président du Sénat, qui préside cette séance, a entendu votre message. Il n'empêche, le Parlement pourrait consacrer une séance par an à l'Europe. Nous sommes officiellement 36 à siéger à la commission des affaires européennes en réalité une petite douzaine. Si nous avons, nous-mêmes, du mal à parler de l'Europe, il n'est pas étonnant que nos concitoyens ne nous entendent pas.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - En 2013, 13 millions de citoyens européens vivaient dans un autre État membre que leur État d'origine : c'est deux fois plus qu'il y a dix ans, et c'est plus que la population de certains États membres. Nos pères fondateurs avaient rêvé de listes transnationales ; pourquoi ne pas offrir aux europatriés une représentation propre au Parlement européen ? Ils posent des questions spécifiques : la multiplication des couples mixtes et des enfants nés de leur union aboutit à des conflits juridiques en cas de divorce... Nous pouvons imaginer un Défenseur des enfants européens.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - L'Europe concerne bien les expatriés. Nous avons opté pour une autre solution que la vôtre : les Français expatriés pourront voter dans la circonscription Île-de-France. Certains groupes politiques ont pris la mesure de ce changement : ils ont mis en bonne place sur leur liste des candidats expatriés. J'ajoute que l'organisation le même jour de l'élection des conseillers consulaires est l'occasion de mobiliser les Français expatriés.
Quant aux couples binationaux, ils auront désormais le choix, en cas de divorce, entre les lois nationales des deux époux.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Cela ne suffit pas, nous devons aller beaucoup plus loin ; certaines situations familiales sont dramatiques.
Depuis le traité de Maastricht de 1992, la citoyenneté européenne paraît une coquille vide. La solution de la circonscription Île-de-France n'est pas adaptée : les centres de vote sont éloignés des pays de résidence, les candidats leurs sont étrangers.
Réservons aux Français expatriés une circonscription : ce sont eux les véritables artisans de l'Europe. En attendant pourquoi ne pas leur attribuer nos deux sièges supplémentaires au Parlement européen ? (Applaudissements sur les bancs de l'UMP)
M. Jean-Yves Leconte . - L'Europe s'impose à tous mais il ne peut y avoir d'Europe sans démocratie. Que penser quand le budget européen pour 2014 à 2020 est voté avant l'élection des députés européens ? (M. Alain Gournac acquiesce)
Il n'y a pas de démocratie sans peuple. L'émergence de la citoyenneté européenne doit accompagner la construction européenne. Pour l'instant, avoir la nationalité d'un État membre fait de vous un citoyen européen. Comment réagir quand un pays comme Malte marchande la citoyenneté ?
Depuis 2008, la zone euro a enregistré des succès techniques pour corriger l'union monétaire mais il y a un risque politique en l'absence de contrôle démocratique. Comment assurer des décisions financières et économiques de façon démocratique dans la zone euro ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - L'idée de synchroniser le calendrier budgétaire et le calendrier politique est séduisante. Pour autant, la négociation prend deux ans. Le cadre pluriannuel de sept ans garantit des politiques sur le temps long. Je vous rassure néanmoins : une clause de revoyure est prévue sur le budget 2014-2020 ; les nouveaux députés européens auront leur mot à dire.
Quant au contrôle démocratique de la zone euro, l'Allemagne et la France, vous le savez, ont fait des propositions concernant le Parlement européen.
M. Jean-Yves Leconte. - Que je salue.
Je comprends l'intérêt d'un cadre pluriannuel sur sept ans : pour autant, nous devons évoluer, tant au plan institutionnel que dans la pratique, pour en arriver à la concordance des calendriers.
La séance est suspendue à 15 h 50.
présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente
La séance reprend à 16 heures.