Débat sur les négociations commerciales transatlantiques (Suite)
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur . - Merci au Sénat de lancer le débat sur les négociations transatlantiques, dans la continuité de sa résolution de juin dernier. Le débat et la transparence, j'y tiens, car cet accord n'est pas comme les autres. D'abord, il s'appelle partenariat. Ensuite, il se négocie sous l'oeil vigilant de la démocratie.
Les interprétations diffèrent. D'emblée, disons que nous ne devons pas aborder ces négociations avec un sentiment d'infériorité. L'Union européenne est la toute première puissance commerciale du monde ; nous sommes sur un pied d'égalité même si, M. Leconte a raison, il existe des écarts de compétitivité de part et d'autre de l'Atlantique.
J'insisterai sur trois notions : confiance, vigilance, transparence.
Nous devons avoir confiance en nos partenaires européens. M. Billout a soulevé la question des moyens que se donne l'Europe. Toutes les directions générales de la Commission sont mobilisées, 80 négociateurs européens ont participé au troisième cycle de négociations de décembre ; le Parlement européen, dont les pouvoirs ont été considérablement renforcés, a aussi tout son rôle à jouer.
Ayons confiance, aussi, dans notre pays. Le président de la République a eu des mots qui me sont allés droit au coeur lors de ses voeux aux corps constitués : « Nous devons être en tête de la mondialisation et aussi, parfois, sans arrogance, montrer l'exemple ». La France est le premier destinataire des investissements américains : 88 milliards d'euros à l'origine de 450 000 emplois.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Certes, mais notre balance commerciale est déficitaire.
Mme Nicole Bricq, ministre. - Les États-Unis sont déjà notre partenaire. Alors, c'est vrai, nous n'avons pas la même monnaie, la versatilité des cours gêne nos entreprises. Le système monétaire international est discuté dans les enceintes internationales. Imaginons un instant les pertes qu'auraient subies nos entreprises sans la monnaie commune européenne, sachant que c'est dans l'Union que se font 50 % de nos exportations.
Le multilatéralisme, monsieur Leconte et madame Lienemann, protège mieux les faibles. Nous devons tirer les leçons de l'échec de Bali. Ce n'est pas en contournant l'espace transatlantique que nous nous renforcerons, M. Richard a raison.
Parlons de la Chine, monsieur Chevènement. Cette négociation ne peut pas avoir pour but d'isoler la Chine, qui est un de nos grands partenaires. (Mme Marie-Noëlle Lienemann acquiesce) L'idée est que cet accord débouche sur des standards internationaux auxquels les Chinois s'intéressent de près.
Les États-Unis voulaient conclure très vite l'accord pacifique pour peser ensuite sur l'accord transatlantique. À Singapour, j'ai vu que ce fut un échec. Le Japon, ne l'oublions pas, a rejoint la négociation et il est un redoutable négociateur. Cela n'en accélérera pas le rythme.
Il y a deux politiques communes au niveau européen, la PAC, chacun le sait, et aussi, on l'oublie trop souvent, la politique commerciale. Dans une négociation demeure toujours la possibilité d'actionner une clause de sauvegarde. Avec les Japonais, elle concerne d'emblée l'automobile. Nous exportons aussi d'ici des voitures japonaises vers les États-Unis, ne l'oublions pas !
Question de méthode, la meilleure vigilance provient du contrôle démocratique. Je m'appuie sur les ONG, les organisations syndicales, les organisations patronales ; elles ont été consultées. Cela n'est pas toujours spontanément le cas en Europe. Aux États-Unis, un débat surgit sur les OGM. Rien n'est perdu !
Il n'y a pas que les normes. À M. Gattolin, je rappelle qu'il existe des pics tarifaires. Le textile européen, le sucre -avec un pic de 300 %- sont pénalisés.
Messieurs Billout et Bizet, madame Lienemann, les projections macro-économiques à l'horizon 2025, je les lis, bien sûr, sans pour autant en faire mes livres de chevet.
M. Alain Richard. - Certes.
Mme Nicole Bricq, ministre. - Vigilance sur la réciprocité, pour l'ouverture des marchés publics. La France soutient la proposition de règlement de la Commission européenne sur l'accès aux marchés publics dans les pays tiers. Le Parlement européen se réunit le 15 janvier en plénière, puis le Conseil sera saisi.
Oui, les États-Unis sont un État fédéral. Treize états fédérés ne sont pas liés par des accords internationaux. Avec le Canada, cela était différent : les provinces participaient aux négociations. Seul le gouvernement fédéral américain négocie. Vigilance, donc.
Monsieur Bizet, madame Bourzai, la génétique, les semences végétales sont un secteur français d'excellence.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous sommes les premiers...
Mme Nicole Bricq, ministre. - ...exportateurs de semences agricoles. Nous voulons garder cette excellence. Le débat parlementaire sur la loi Le Foll vient à point nommé.
Les indications géographiques protégées ne nous concernent pas exclusivement. Les Italiens, les Espagnols en ont aussi. Pour voyager beaucoup, je constate que des pays asiatiques en adoptent à leur tour. Les États-Unis sont réticents. Chez eux, le droit des marques prime, nous le savons. La Commission et les États membres sont mobilisés.
L'accord avec le Canada reconnaît 145 indications géographies protégées, dont 31 françaises. Le roquefort, que Mme Bourzai, sénatrice de Corrèze, a annexé (Sourires), en fait partie. Il n'y a pas de raison qu'il ne soit pas reconnu par les États-Unis.
Sur l'élevage, le président de la République s'est engagé, au salon de l'élevage, en Auvergne, à ce que l'agriculture ne soit pas la variable d'ajustement de la négociation.
Le numérique, dont on a moins parlé que l'exception culturelle, est très important. Il ne sera pas, je l'ai dit très tôt, le butin de guerre de la négociation. Parce qu'elle compte de nombreuses PME qui innovent en la matière, la France porte plus que d'autres le message en Europe. Nous avons un atout unique : le conseil national du numérique, qui doit remettre ses propositions bientôt.
Mme Goulet a évoqué la protection des données personnelles. Rassurons les citoyens. L'Union européenne veillera à renforcer la protection de la vie privée. Les données transmises par les consommateurs ne doivent pas pouvoir être revendues sans leur autorisation et à condition que le destinataire dispose d'un niveau de protection aussi exigeant que celui de l'Europe. Mme Reding y tient et vous connaissez son obstination.
Vigilance particulière sur le mécanisme de règlement des différends. La commission européenne devra revenir vers les États membres qui voteront à l'unanimité s'il faut modifier le mandat. Nos partenaires allemands aussi sont très vigilants. Je les rencontrerai très prochainement sur ce sujet.
Vigilance aussi sur les services publics, pour garantir un haut niveau de protection, de même que sur la protection des consommateurs et des travailleurs, et celle de la santé. L'acquis réglementaire des États membres ne saurait être remis en cause. Le mandat est clair.
Nous voulons obtenir une référence mondiale dans le domaine de l'environnement. Nous ne sommes pas seuls, mais il n'est pas facile de trouver des alliés à cette fin. De nombreuses ONG dans le monde mettent beaucoup d'espoir en nous pour pousser les normes américaines.
Où en est-on ? Les trois cycles de négociations préliminaires sont clos. Nous entrons dans le vif du sujet sans que la partie américaine se soit beaucoup dévoilée. Le volet réglementaire a fait apparaître des divergences très fortes. Sur les services, l'Union européenne attend des éclaircissements sur les contradictions entre niveaux fédéral et sub-fédéral. Le négociateur américain a été peu disert. Quel est son pouvoir de persuasion sur des autorités de régulation qui ne sont pas toutes fédérales ?
Les premiers échanges sur le rythme des baisses tarifaires devraient avoir lieu début février. La troisième semaine de février aura lieu une réunion politique, importante, entre le commissaire de Gucht et le négociateur américain. Je devrai donc revenir devant le Sénat. Les négociations doivent être le plus transparentes possible, même si dans un accord commercial, on ne peut pas tout mettre sur la table.
Monsieur Richard, il faut effectivement de la cohérence au sein de l'Union européenne. J'ai un très mauvais souvenir d'un conseil informel à Dublin où il suffisait de se promener dans les couloirs pour comprendre que les Européens n'étaient pas d'accord sur grand-chose.
On connaît le comportement américain en matière d'intelligence économique. Nous ne pouvons emprunter un chemin solitaire. Transparence, oui, mais il faut trouver des alliés. Ce n'est pas évident sur la réciprocité avec les pays tiers. Le règlement doit être adopté au Parlement européen avec un rapporteur allemand.
L'enjeu démocratique est important. Nous aurons des élections européennes après les municipales. N'ayons pas peur de débattre en toute transparence. Le Congrès américain doit aussi adopter le projet de traité. On connaît ses rapports avec l'État fédéral, l'oeil démocratique veille.
La démocratie aura le dernier mot, le débat est son moteur. Nous sommes tous motivés par le fait que cet accord doit marquer un progrès. (Applaudissements)