Débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois . - Ce débat revêt une double originalité par rapport à ceux organisés par la commission que je préside. En effet, ce rapport sur la loi du 5 janvier 2010, dite loi Morin, est le premier à conclure à un bilan très négatif de l'application de celle-ci. Mais, aspect positif, il propose également des pistes législatives. Nos rapporteurs, malgré le scepticisme de certains au vu de leurs sensibilités politiques différentes, ont su travailler en bonne intelligence. Mme Bouchoux a proposé deux amendements à la loi de programmation militaire, adoptés après avis favorable du Gouvernement. Voilà qui illustre à nouveau le lien fort entre notre fonction de contrôle et de législation.
Je veux saluer le travail de M. Cléach, rapporteur de la loi Morin, et de Mme Demessine, membre de la commission consultative de suivi, qui a participé aux réunions du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen).
En adoptant la loi de 2010, le législateur a voulu indemniser et reconnaître les victimes des essais nucléaires en Algérie et en Polynésie française. Pourtant, très peu d'indemnisations ont été accordées. Un tel blocage n'était pas acceptable, qui jetait le discrédit sur la parole publique. Il était plus que temps d'y remédier, alors que s'engage une véritable course contre la montre pour reconnaître les victimes encore en vie.
Nos rapporteurs n'ont pas voulu abroger la loi de 2010 pour ne pas retarder davantage l'indemnisation. L'un des amendements déposés par Mme Bouchoux octroie un délai de cinq ans aux ayants droit pour déposer une demande et l'Assemblée nationale a élargi le périmètre du dispositif à l'ensemble de la Polynésie française.
Pourquoi une telle défaillance de la loi ? Les crédits ont été alloués, les procédures contentieuses se sont multipliées. Le problème tient surtout au traitement des dossiers individuels. Résultat, une impasse législative, comme l'ont écrit nos rapporteurs.
Le maintien des crédits consacrés est un impératif car cette loi peut connaître une nouvelle jeunesse. Nos rapporteurs proposent la sanctuarisation de l'architecture financière, la sous-consommation des crédits ne pouvant justifier leur réduction.
Deuxième point que je veux souligner, une distinction honorifique, comme l'avais proposé M. Cléach dès 2009, serait un gage de reconnaissance de la Nation. Il est temps d'y venir. (Applaudissements sur les bancs socialistes et CRC)
M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois . - « Une loi qui n'a pas encore atteint ses objectifs », le titre du rapport indique une appréciation un peu plus positive que ne l'a dit M. le président Assouline. Si je formais avec Mme Bouchoux un binôme improbable, chacun a pu constater que notre travail en commun a abouti.
C'est le 13 février 1960 que la première bombe a explosé dans le Sahara, près de Reggane, dans le cadre de l'opération Gerboise bleue. Depuis, la France a procédé à 200 tirs : atmosphériques en Algérie puis quand ce pays a obtenu son indépendance, atmosphériques puis sous-marin en Polynésie Française. Les essais Améthyste, Rubis, Jade et Béryl dans le Sahara, entre 1963 et 1965, et l'essai Centaure en Polynésie française en 1974 n'ont pas été totalement confinés et ont entraîné des retombées radioactives. Cette situation, que les associations de victimes ont contribué à faire connaître, a fait l'objet d'un règlement par la loi Morin. Celle-ci poursuivait trois objectifs : reconnaître les souffrances, simplifier les procédures et indemniser. Auparavant, les victimes devaient se tourner vers le juge administratif. Depuis 2010, l'indemnisation dépend de trois critères : le lieu, la période et la maladie. La charge de la preuve a été renversée. Les lieux sont bien identifiés : le Sahara, certains archipels : Moruroa, Hao et Fangataufa, mais aussi Tahiti, touchée lors de l'essai Centaure. On estime à 200 000 le nombre de personnes exposées : 50 000 au Sahara et 150 000 en Polynésie, sans parler des populations locales. La liste des maladies radio-induites a été établie en conformité avec les préconisations de l'ONU. Elle a été modifiée ultérieurement.
La loi de 2010, précisée par les décrets du 11 juin 2010 et du 23 juillet 2010, a créé le Civen, instauré une présomption de causalité, une réparation intégrale du préjudice et un délai de cinq ans pour les ayants droit. Les indemnités ont été déclarées non fiscalisables.
En dépit de la mobilisation des associations et des campagnes d'information organisées par les pouvoirs publics, la loi n'a pas atteint les résultats escomptés.
Malgré le large consensus sur cette loi, je m'en souviens puisque j'étais député à l'Assemblée nationale, elle a donné peu de résultats. L'on estimait à 20 000 le nombre de dossiers et de 3 à 5 000 ceux pouvant donner lieu à indemnisation. Fin octobre 2013, 861 dossiers avaient été déposé et seulement 12 d'entre eux avaient trouvé une issue favorable, soit une consommation de 300 000 euros sur les 10 millions inscrits en loi de finances, c'est dire le décalage entre les espérances et la réalité.
Pourquoi ? Le Civen manquait de moyens, avec deux petites structures installées à Paris et à La Rochelle, qui communiquaient difficilement. Surtout, la loi a généré de nombreux contentieux, dont certains sont toujours pendants devant le tribunal administratif. Nous aurions été bien inspirés de prendre exemple sur les Américains et les Australiens ; le Civen a pris de nombreuses décisions de refus, faute, sans doute, d'une expertise suffisante. Le législateur a voulu régler un problème douloureux ; nous souhaitons sur tous les bancs que cette loi soit le moyen de reconnaître les victimes des essais nucléaires. Des solutions ont déjà été adoptées, poursuivons ! (Applaudissements)
Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois . - 12 dossiers acceptés sur 861, tout ça pour ça ! Pourtant, crédits débloqués, création du Civen et publicité, tout était en place. Nous n'avons pas voulu abroger cette loi, ce qui eût été périlleux, préférant proposer des solutions. Certaines ont déjà été retenues : adapter les limites des périmètres en fonction des connaissances nouvelles que nous ont données les archives -toute la Polynésie française est désormais considérée comme zone à risque-, élargir la liste des maladies et allonger le délai des ayants droit ; transformer le Civen en autorité administrative indépendante, en y intégrant un épidémiologiste et un médecin désignés par les associations tout en renforçant le principe du contradictoire. Il est indispensable de maintenir les 10 millions d'euros ; la ligne a été inscrite dans le budget pour 2014, nous nous en félicitons mais voulons des garanties pour la suite. Autre défi, avancer dans le dialogue entre le ministère de la défense et les associations, dont une affirme avoir 1 000 dossiers en attente : nous l'encourageons à se rapprocher du ministre. Une nouvelle campagne d'information, relayée par les oncologues en particulier et assurée lors du versement des pensions militaires, serait opportune. Des améliorations résident sans doute également dans les relations diplomatiques avec l'Algérie. Une distinction honorifique qui ne serait pas coûteuse est unanimement demandée par les associations de victimes. Enfin, noeud du « risque négligeable », le logiciel et le calcul du risque annihilent en deux lignes les ouvertures de la loi Morin.
Des avancées ont été enregistrées : tout le monde s'accorde à dire qu'il n'y a pas eu d'essais propres ; le périmètre géographique et la liste des maladies ont été élargis.
S'il y a une leçon à tirer de ce rapport, c'est qu'une loi parée des meilleures intentions du monde mais qui ferme d'une main ce qu'elle ouvre de l'autre est inopérante. À quelques mois d'importantes échéances électorales, montrons à des gens qui ont fait leur devoir qu'ils ne sont pas oubliés. (Applaudissements)
M. Jean-Marie Bockel . - Le choix courageux des essais nucléaires, un demi-siècle après, fait de la France une puissance nucléaire civile et militaire qui peut tirer son épingle dans le jeu international. Ce succès a un prix : 150 000 personnes exposées à un risque. Le nucléaire étant indissociable de notre histoire nationale, l'indemnisation était le moins qu'on pût attendre pour ceux grâce auxquels la France assure désormais son indépendance et sa souveraineté. L'État a pris ses responsabilités avec la loi Morin. Ce débat ne porte donc pas sur le bien-fondé de l'indemnisation mais sur son application. Il intervient à un moment qui n'est pas anodin.
En octobre dernier, l'Assemblée nationale a voté, dans une belle unanimité, l'extension du périmètre du dispositif d'indemnisation à l'ensemble de la Polynésie française, dont le rapport Bataille de 2001 indiquait encore qu'elle avait été peu exposée. Grâce à la déclassification de certains documents, depuis 2010, nous savons aussi qu'il y a eu une sous-estimation concernant les équipages de la marine nationale.
Le régime fonctionne ; ce qui pose problème, c'est le ciblage. Il serait tentant pour certains d'ouvrir grandes les vannes de l'indemnisation pour mettre en cause le bilan de notre demi-siècle nucléaire. Concilions l'empathie pour les victimes à une démarche rationnelle. Nous ne devons pas faire non plus de l'indemnisation un revenu pour ceux qui n'ont pas été exposés aux radiations. Nous aborderons une autre fois le problème des ayants droit des victimes décédées.
Je veux saluer, au nom du groupe UDI-UC, le travail remarquable fait par nos rapporteurs. Il y a une dizaine d'années, évoquer des victimes des essais nucléaires faisait l'objet de débats passionnés. De bonne foi, on a pu croire que les retombées étaient sans conséquences. Nous pouvons tous balayer devant notre porte... Encore bravo à nos rapporteurs ! (Applaudissements sur les bancs de la commission)
Mme Michelle Demessine . - Ce débat, qui prend appui sur l'excellent rapport de Mme Bouchoux et M. Lenoir, illustre l'intérêt du contrôle parlementaire. La loi du 5 janvier 2010, on s'en est vite aperçu, fonctionne mal. À preuve, très peu de dossiers de demandes d'indemnisation ont été déposés et peu acceptés : 12 sur 161, selon les derniers chiffres disponibles. Rendre cette loi opérante, au risque de paraître grandiloquente, engage la crédibilité de la France, du Parlement et de la Nation. Mon groupe s'y était d'ailleurs opposé, en dénonçant une indemnisation a minima, résultat des pressions d'un lobby militaro-nucléaire qui voulait nous faire croire qu'il n'y avait eu que des essais propres. Depuis, il y a eu des avancées et je salue l'action du ministre de la défense.
Ce rapport ne préconise pas de remettre en cause un dispositif validé par la communauté internationale et une méthodologie approuvée par l'AIEA. Il vise à améliorer le dispositif en faisant du Civen une structure indépendante. La transformation a eu lieu, ce qui lève le doute sur l'intervention du ministère de la défense.
Les associations demandaient des modifications plus considérables, qu'il ne faut pas exclure si la loi continue de se révéler inopérante. L'introduction de la dosimétrie pour calculer le risque, que le législateur avait écartée au profit d'une présomption de causalité, est très critiquée. En outre, je l'avais moi-même dit en tant que membre de la commission consultative de suivi, un expert médical doit être nommé au Civen afin de renforcer l'examen contradictoire des dossiers tout en préservant le secret médical.
Avançons d'ici la prochaine réunion de la commission consultative de suivi, en janvier, sans quoi nous serons tous discrédités. (Applaudissements à gauche)
M. Robert Tropeano . - Quatre ans après, presque jour pour jour, nous débattons de la loi du 5 janvier 2010. Le groupe RDSE, très attaché à la réparation, s'en réjouit.
Cette loi vise à reconnaître et à indemniser les personnes atteintes de maladies radio-induites à la suite d'expositions aux rayons ionisants. Longtemps, une chape de plomb a étouffé ce risque. Le choix du nucléaire, qui assurait à la France son rang international, peut se comprendre en temps de guerre froide, jusqu'au moratoire décidé par M. Mitterrand en 1992 et l'abandon des essais par son successeur, M. Chirac.
On prévoyait 20 000 demandes ; résultat, 12 dossiers seulement acceptés ! Pourtant, la loi avait été appliquée avec célérité, le Civen rapidement mis en place et les Gouvernements successifs se sont attachés à maintenir les 10 millions de crédits consacrés à l'indemnisation.
Le rapport préconise des adaptations réglementaires plutôt qu'une nouvelle loi, nous l'approuvons.
Plus de moyens pour le Civen, plus de transparence et d'informations pour traiter les dossiers, le Gouvernement doit s'engager avec promptitude dans cette voie. La réparation n'a de sens que si elle est effective.
Le petit nombre de dossiers déposés et d'indemnisations est un mauvais signe. L'État a un devoir de réparation et de reconnaissance à la hauteur des espérances nées de la loi de 2010. (Applaudissements sur les bancs RDSE)
M. Jacques Gautier . - M. Cléach regrette de ne pouvoir être présent ce soir ; il vous prie de l'en excuser. Il fut un remarquable rapporteur de la loi de 2010. Je veux également saluer Mme Bouchoux et M. Lenoir, qui ont su éviter les écueils de la politisation et aborder sereinement un sujet difficile et sensible.
La loi Morin a été une avancée inégalée dans l'histoire de notre défense nationale. Si toutes les lois doivent être marquées par la rigueur et la justice, c'est grâce au contrôle du Parlement que leur application peut être évaluée. Nous ne siégeons pas au sein d'une simple chambre d'enregistrement de la loi ; c'est à l'honneur de chacun d'entre nous de la corriger si nécessaire.
Entre 1960 et 1998, la France a procédé à 210 essais nucléaires, sources potentielles de maladies radio-induites, autrement dit de cancers. Pendant des années, les associations de victimes, relayées par les élus, n'ont cessé de se battre pour faire reconnaître leurs droits. Pas moins de 18 propositions de loi ont été déposées avant 2010, sans succès. La volonté des parlementaires et la pugnacité des associations ont conduit Hervé Morin à préparer un projet de loi. Un mot sur la méthode qui a présidé à l'élaboration du texte de 2010 : le ministère avait largement et ouvertement consulté. Cette méthode devrait être plus largement utilisée, elle évite les couacs et les rétropédalages.
Avec la loi Morin, la France et sa défense avaient rendez-vous avec elles-mêmes. Il était temps de mettre fin aux tabous qui hantaient les couloirs du ministère de la défense. Je me réjouis que le gouvernement de l'époque ait eu le courage d'assumer les conséquences de choix stratégiques qui nous permettent encore de peser dans le concert des Nations, de protéger nos concitoyens comme nos intérêts vitaux. Aucun gouvernement n'a remis en cause ce choix gaullien. Le courage politique a été d'assumer le passé.
Les cancers sont des maladies sans signature, dont il est encore très difficile d'identifier l'origine. Mais dire que les essais ont été sans conséquences serait une faute. Les décrets sont sortis rapidement, qui dressent une liste de maladies sur le fondement des recherches les plus avancées des experts des Nations unies.
Autres points forts du texte : son champ d'application relativement large ; sa rigueur, que traduit l'implication des ministères de la défense et de la santé dans la composition du Civen ; la prise en compte des ayants droit des personnes décédées ; un temps limité pour les expertises -les victimes n'ont pas le temps d'attendre. Heureusement, aucun fonds d'indemnisation n'a été créé, structure connue pour sa lourdeur -voyez le cas de l'amiante.
Mme Michelle Demessine. - Comment ça ?
M. Jacques Gautier. - II a fallu deux ans et demi pour le créer ! Enfin l'évaluation du dispositif était prévue, au moyen de la commission consultative de suivi. Je salue la volonté d'impliquer les associations jusqu'au terme du processus et le caractère personnel et humain du traitement des dossiers -chaque cas est unique.
Des dysfonctionnements demeurent toutefois, l'indemnisation se fait au compte-gouttes, le sentiment d'injustice demeure. En cela, les objectifs de la loi ne sont pas atteints.
Les chiffres relatifs au nombre de dossiers traités et d'indemnisations ont été rappelés ; ils sont loin, très loin des estimations initiales. Le Civen, divisé en deux entités géographiques, manque de moyens humains et d'expertise médicale. Il n'a pas la capacité de recruter des experts. La loi n'a pas été un échec, il a manqué les moyens nécessaires pour remplir ses ambitions.
Depuis, la liste des maladies a été élargie ; c'est heureux. Reste que l'information est insuffisante. Des campagnes sont nécessaires. Je rejoins également Mme Bouchoux sur le besoin de reconnaissance symbolique de ceux qui ont contribué à asseoir la souveraineté et l'autonomie stratégique de la France. C'est effectivement une question de fierté.
La loi de programmation militaire a modifié l'article 4 de la loi de 2010 pour faire du Civen une autorité administrative indépendante : c'était indispensable pour qu'il ne soit plus perçu comme juge et partie. On l'aura compris, la loi n'est pas en cause, c'est son application concrète et matérielle qu'il faut améliorer. Il y va de l'honneur de notre République envers ceux qui l'ont servie. Législateurs, nous devons nous assurer que leur dignité n'est pas bafouée.
Le précédent gouvernement a posé les fondations législatives et mis fin à un tabou historique ; nous souhaitons que le vôtre, monsieur le ministre, parachève cette oeuvre en proposant les mesures réglementaires qui s'imposent. (Applaudissements sur les bancs UMP, UDI-UC, RDSE et socialistes)
M. Jacques-Bernard Magner . - De 1959 à 1996, la France a procédé à 210 essais nucléaires dans le Sahara et en Polynésie, indispensables à la constitution de notre force de dissuasion, avant leur remplacement par des simulations informatiques.
La reconnaissance et l'indemnisation des victimes de ces essais n'ont pas toujours paru nécessaires ; 18 propositions de loi ont été déposées sans succès avant le vote de la loi du 5 janvier 2010. Il faut savoir gré au gouvernement de François Fillon d'avoir déposé un texte dans un contexte encore peu favorable.
Quatre ans après, les chiffres ont été rappelés : taux d'indemnisation de 1,3 %, faible taux de consommation des crédits. Les amendements à la loi de programmation militaire de cet automne ont renforcé le Civen et validé l'extension du périmètre géographique du dispositif. Le Civen, sous la tutelle du ministère de la défense, était jusqu'alors perçu comme l'une des sources de blocage à l'examen des dossiers. Son indépendance devrait y remédier et l'examen des dossiers profitera opportunément de davantage d'expertise médicale. Le principe du contradictoire est désormais acté.
Ces initiatives ambitieuses sont heureuses mais des difficultés demeurent. D'abord, le ministre a évoqué, en octobre, une démarche proactive d'identification des personnes susceptibles de déposer un dossier au Civen ; le confirmez-vous, monsieur le ministre ? Ensuite, la déclassification des documents relatifs aux essais nucléaires est indispensable. Qu'en est-il ? Les victimes y auront-elles accès ? En outre, le lien de causalité est, pour l'instant, présumé : le restera-t-il ? La charge de la preuve est de la responsabilité de l'État. Enfin, la création d'une distinction honorifique souhaitée par tous dans cet hémicycle : est-elle envisagée ?
Il faut aller au terme du processus d'indemnisation : c'est une question de justice, et le président de la République s'y est engagé.
Je veux conclure en saluant le travail de la commission sénatoriale de contrôle de l'application des lois ; son rôle n'est pas seulement de comptabiliser les décrets mais, bien plus, de localiser les dysfonctionnements et de chercher à les éliminer. Qui mieux que les parlementaires ont légitimité et compétence pour le faire ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Aline Archimbaud . - En janvier 2012, nous examinions une proposition de loi de notre collègue Richard Tuheiava sur le suivi des conséquences des essais nucléaires en Polynésie. Deux ans plus tard, nous débattons des travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois sur la loi Morin de 2010.
Des avancées concrètes ont déjà été enregistrées avec la transformation du Civen en autorité administrative indépendante ou l'introduction d'un début de procédure contradictoire. Mais des points de blocage demeurent et les victimes ont toujours affaire à un parcours du combattant. Si la procédure d'indemnisation a été simplifiée, la présomption de causalité peut être renversée par l'État s'il apparaît que le risque est négligeable ; or le logiciel utilisé conclut presque toujours qu'il l'est. Bref, la montagne a accouché d'une souris. Pourquoi ne pas prévoir un examen au cas par cas des dossiers, conformément à l'esprit de la loi ? Les décisions de rejet ne sont fondées que sur des critères statistiques et les calculs d'un logiciel qui n'a pas été conçu pour cela, non sur les conditions d'exposition aux radiations. Il est urgent de revenir aux exigences légales.
On peut aussi s'interroger sur l'article 40 de la Constitution que certains collègues se sont vu opposer quand ils demandaient un accès plus large à l'indemnisation. Très exactement, 266 284 euros ont été consommés en 2012 sur les 10 millions budgétés. Permettre aux bénéficiaires potentiels d'une aide d'y avoir accès, est-ce augmenter les charges publiques ?
Les victimes, personnels civils et militaires et populations, ont subi le manque d'informations sur les conséquences des essais nucléaires et pâtissent aujourd'hui de l'impossibilité d'accéder aux documents classifiés. Il faut mettre un terme à cette situation et rendre justice aux associations qui se battent depuis tant d'années. J'espère que les préconisations du rapport seront suivies d'effet. (Applaudissements à gauche)
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants . - Au terme de ce riche débat, je veux vous remercier pour la qualité de vos interventions, qui témoignent de l'intérêt que porte le Parlement aux victimes des essais nucléaires -intérêt que partage le Gouvernement.
La loi de 2010 n'est remise en cause par personne. Des pistes d'amélioration sont néanmoins proposées, notamment sur la procédure de dépôt des dossiers. La loi de programmation militaire renforce les obligations du Civen ; l'indemnisation demeure soumise à l'existence d'un lien de causalité que l'administration a la charge de réfuter. En outre, la loi mêle victimes et vétérans ; la confusion doit être levée. Je salue la saisine de la Grande chancellerie pour la création d'une distinction spécifique.
Le nombre actuel d'indemnisations reste faible car peu de dossiers ont été déposés au Civen. Au 31 décembre 2013, 880 dossiers avaient été déposés, 500 jugés recevables et 13 indemnisations accordées. Ces nombres empêchent un traitement statistique fiable. Certaines associations disent disposer de centaines, voire de milliers de dossiers en attente... Comme l'a dit le ministère de la défense à de nombreuses reprises, les associations doivent inciter leurs membres à déposer des dossiers. (M. Roland Courteau approuve)
Le pilotage de l'action, désormais interministériel, sera amélioré sur le modèle d'autres dispositifs d'indemnisation confiées à des autorités administratives indépendantes. L'article 53 de la loi de programmation militaire a transformé le Civen en autorité administrative indépendante placée sous l'autorité du Premier ministre. Un pas important a ainsi été franchi.
Concernant la transparence, nous travaillons de concert avec le ministère des affaires étrangères, le ministère de la santé et celui des outre-mer pour améliorer l'information auprès des populations concernées, notamment par la valorisation des travaux du Civen.
Autre chantier, associer les médecins reconnus par les associations aux travaux du Civen, une option écartée lors de l'examen de la loi Morin. Le Civen travaille de manière très transparente, l'étude des dossiers se fait au cas par cas. Sous réserve du respect du secret médical, nous ne sommes pas opposés à ce que des experts assistent aux réunions du comité, comme les parlementaires le font. Le Sénat a fait un pas de plus en réservant un siège à un médecin reconnu par les associations au sein du Civen. Sans être spécialiste, l'utilisation d'un logiciel de calcul de probabilités n'empêche pas l'instruction individuelle des dossiers car des éléments spécifiques au demandeur peuvent y être introduits.
Concernant la déclassification des informations, le ministère de la défense a traité 200 dossiers dans le courant du mois d'octobre et les données ont été transmises aux demandeurs. Une étude sur la possibilité légale et pratique de recenser tous ceux qui ont été exposés à des radiations sera bel et bien menée, selon une démarche proactive.
La transformation du Civen en autorité administrative indépendante clarifie la mission de cette institution qui ne pourra désormais plus être considérée comme juge et partie. Cela correspond aux objectifs qui sont les vôtres et les nôtres, un système juste et transparent. (Applaudissements)
Le débat est clos.
Prochaine séance demain, mercredi 8 janvier 2014, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 10.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques