Retraites (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Jean-Pierre Godefroy. - Hier je souhaitais m'abstenir sur l'amendement de suppression de l'article 2.
M. le président. - Acte vous est donné de cette mise au point.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux explications de vote sur l'amendement n°255 au sein de l'article 3.
Discussion des articles (Suite)
ARTICLE 3 (Suite)
M. René-Paul Savary. - L'alinéa 24 de l'article 3 prévoit, en cas de difficultés économiques, des prélèvements sur le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Une telle incertitude nuit à la question du fonds, qui doit déjà procéder à des versements au profit de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Grâce à la stabilité de son passif, et à une gestion prudente et ambitieuse, le portefeuille du fonds a résisté en 2011 et connu de belles performances en 2012. Il est donc indispensable que les nouveaux prélèvements soient limités et anticipés. C'est aussi ce qu'a indiqué le rapporteur de l'Assemblée nationale.
Qu'un investisseur public abandonne des actifs n'incite pas les personnes privées à investir dans le même secteur... Or nous avons besoin d'investisseurs privés pour conforter notre compétitivité.
Pouvez-vous nous en dire plus, madame la ministre ?
M. Dominique Watrin. - Depuis deux jours, nous avons l'impression d'un dialogue de sourds. Le Gouvernement ne veut rien savoir de nos propositions. L'article 40, la procédure parlementaire nous brident. Mais que Mme la ministre nous réponde, au moins ! Que pensez-vous de notre proposition de taxation des revenus financiers qui pourrait rapporter de 20 à 30 milliards ? Ceux qui composent aujourd'hui la majorité sénatoriale y étaient favorables il y a trois ans. Que pensez-vous de la modulation des cotisations sociales selon que les entreprises créent de l'emploi, forment leurs salariés, augmentent les salaires ? Ne sont-ce que des « charges » supplémentaires, comme le dit le Medef ? Ou des chances nouvelles à saisir ?
Ce manque de débat à gauche ouvre la voie aux propositions catastrophiques de la droite, votées à l'article premier. Derrière l'idée d'un régime par points se cache la volonté de développer la capitalisation.
Le comité de suivi sera aux ordres de Bruxelles et n'aura aucun compte à rendre au Parlement. Surtout, on risque de basculer vers un régime à cotisations définies, la variable d'ajustement étant le niveau des pensions.
Nous ne sommes pas dupes des manoeuvres de la droite. Nous voulons ouvrir le débat. C'est pourquoi nous ne voterons pas cet amendement de suppression.
M. le président. - La parole est à Mme Cohen.
Mme Catherine Génisson. - Elle va dire la même chose !
Mme Laurence Cohen. - Pour qui nous prenez-vous ? Nous partageons des analyses, nous sommes complémentaires, mais pas monolithiques.
M. Alain Gournac. - Tant mieux !
M. François Trucy. - Bravo !
Mme Laurence Cohen. - Le comité d'experts est une confiscation de la démocratie. Au Parlement, on ne peut rien proposer, à cause de l'article 40 ! Et personne ne bronche, quand on voit un comité d'experts empiéter sur les prérogatives du législateur et des partenaires sociaux ! Les réformes des retraites ont pourtant une incidence sur la vie des gens !
Nous voulons que le débat ait lieu. Le Parlement ne saurait se contenter de hochets.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°255 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l'adoption | 170 |
Contre | 156 |
Le Sénat a adopté.
L'article 3 est supprimé.
Les autres amendements à l'article 3 n'ont plus d'objet.
ARTICLE 4
Mme Éliane Assassi . - Cet article 4 paraît sans grande incidence. C'est pourtant l'un des plus emblématiques. Refusant de mettre le capital à contribution, vous faites les fonds de tiroir, les fonds de poche de nos concitoyens, en gelant les pensions pendant six mois. Signal dramatique : les retraités seraient-ils des nantis ? L'an dernier, ils ont déjà subi pour la première fois une taxe sur les retraites, l'impôt sur le revenu pour certains, et la suppression des droits connexes. Ne croyez pas, madame la ministre, que les Français approuvent votre réforme. S'ils ne défilent pas dans la rue, c'est que l'angoisse et la colère l'emportent.
Les experts estiment à 0,9 % la perte de pouvoir d'achat pour les retraités, dont certains peinent déjà à se nourrir et à se loger.
Cette mesure rapportera 2,4 milliards d'euros en 2014. L'inquiétude des retraités est légitime ! Quel manque d'inspiration ! Nous espérions mieux du premier gouvernement de gauche depuis dix ans.
Où est l'efficacité économique, avec des retraités appauvris ? Où est la justice ?
M. Georges Labazée . - La Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) contribue depuis 1974 à la solidarité entre régimes, par le biais de la compensation généralisée et de la surcompensation. Ce système est à bout de souffle : 65 milliards d'euros versés depuis 1974, dont 25 milliards depuis dix ans, alors que la caisse n'est plus en excédent structurel. Cela est dû au gel du point d'indice et à la baisse des effectifs des collectivités territoriales. La caisse doit alors recourir à l'emprunt, et payer des intérêts.
Verser les pensions deux jours plus tard, appeler les cotisations cinq jours plus tôt allègerait les frais de trésorerie. En outre, pourquoi ne pas faire cotiser les contractuels ?
Tous les aspects de la compensation doivent être revus. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes)
Mme Laurence Cohen . - Élus de terrain, nous rencontrons des gens sur le marché...
M. Alain Gournac. - Nous aussi !
M. Philippe Bas. - Eh oui !
Mme Laurence Cohen. - Fort bien mais nous savons peut-être plus que d'autres combien les retraités ont souffert des coups portés par la droite. Selon la Croix-Rouge, 15 % de ceux qui viennent demander de l'aide sont des retraités ; leur nombre a triplé depuis deux ans. Même constat au Secours populaire, à cause de la précarité. Les jeunes retraités payent le prix de l'absence d'une vraie politique de l'emploi contre les licenciements spéculatifs. La revalorisation des pensions, ces dernières années, a été inférieure de 0,6 point à l'inflation.
Cet article réduit encore le pouvoir d'achat des retraités.
En tout, si l'on tient compte de la mesure votée par la précédente majorité, les retraités auraient subi un gel des pensions pendant dix-huit mois. C'est inacceptable. Nous demanderons un scrutin public, pour que chacun assume ses responsabilités.
Mme Isabelle Pasquet . - Cet article illustre la politique d'austérité menée par le Gouvernement, sous l'injonction des technocrates et de la Commission européenne. Tondre la laine sur le dos des retraités, pour résorber la dette sociale, c'est ce qu'avait déjà fait M. Fillon en 2009. M. Barroso va pouvoir se réjouir. Ni les revenus financiers, ni les entreprises ne sont mis à contribution. Le gel des pensions s'apparente à un nouvel impôt prélevé à la source. Nous ne pouvons admettre que ce gouvernement de gauche poursuive la politique de la droite. L'économiste Henri Sterdyniak a souligné que le pouvoir d'achat des retraités, avait déjà baissé de 10,6 %. Selon Libération, pour une inflation de 2 % par an, un retraité percevant 1 200 euros par mois perdra 144 euros par rapport à ce qu'il recevait avant la réforme.
Cette politique d'austérité nuit à la consommation, donc à la reprise économique. Nous ne disons pas autre chose que Mmes Le Texier, ancienne sénatrice socialiste, et Schillinger qui appelaient en 2010 à revaloriser les pensions tous les semestres pour mieux suivre l'inflation.
M. le président. - Amendement n°260, présenté par M. Longuet et les membres du groupe UMP.
Supprimer cet article.
M. Gérard Longuet. - Cette réforme ou plutôt cette non-réforme, ne pèsera que sur les retraités ou presque, puisqu'ils supportent 70 % de son coût.
Décaler la revalorisation des pensions est mesquin, c'est l'exemple même des mesures conçues par une administration en mal d'imagination...
M. Jean Desessard. - Oui.
M. Gérard Longuet. - ... pour un ministre qui ne veut pas réformer ! C'est aux salariés qui ont été actifs par leurs engagements professionnel et familial, qui ont travaillé plus de 40 heures par semaine et qui ont redressé la démographie française en ayant trois enfants, que vous demandez de payer ! Par solidarité avec ceux qui ont fait la réussite économique de la France pendant les Trente Glorieuses, nous demandons la suppression de cet article. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)
M. le président. - Amendement identique n°327 rectifié, présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste.
M. Jean Desessard. - Il se trouve que c'est la première fois que je prends la parole à droite de la présidence. Mais cet amendement est de gauche et plus encore puisque identique à celui du CRC ! (On s'amuse à droite)
Mme Éliane Assassi. - Qui n'est pas d'extrême gauche !
M. Jean Desessard. - Le report de la revalorisation des pensions est profondément injuste. Les chasseurs d'économies préfèrent toujours manger dans des assiettes larges et le malheur des pauvres est d'être nombreux !
Certes, cette mesure exclut les bénéficiaires de l'Aspa...
Mme Éliane Assassi. - Encore heureux !
M. Jean Desessard. - ... mais ils ne sont que 600 000 sur 1,6 million vivant sous le seuil de pauvreté ! On veut faire payer ceux qui touchent 1 000 euros par mois après une vie de labeur, alors qu'on épargne les entreprises après leur avoir accordé 20 milliards d'euros pour le CICE. C'est profondément injuste. (« Très bien ! » et applaudissements à droite ; Mme Éliane Assassi applaudit aussi)
M. le président. - Amendement identique n°359, présenté par M. Vanlerenberghe et les membres du groupe UDI-UC.
M. Gérard Roche. - J'ajoute la voix du centre dans cette symphonie du refus... (Marques d'approbation à droite) Le report de la revalorisation est un gel qui ne dit pas son nom. Les retraités, paieront au total 60 % du coût de la réforme, contrairement à ce que dit le Gouvernement. Nous réclamons de la transparence. Cela n'amputera les retraites que de 9 euros par mois ? Pour qui en manque, 9 euros, ça compte !
M. le président. - Amendement identique n°376 rectifié, présenté par MM. Mézard, Baylet, Bertrand, Collin, Collombat, Esnol et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Mme Françoise Laborde. - Avec cet article, les retraités subiront un gel de leurs pensions pendant dix-huit mois, c'est beaucoup d'autant que la mesure s'ajoute au gel voté par la précédente majorité. Les retraités les plus modestes seront touchés, même si les bénéficiaires de l'Aspa sont exclus. C'est inacceptable.
M. le président. - Amendement identique n°397, présenté par M. Barbier.
M. Gilbert Barbier. - Mieux vaut augmenter la CSG que de prendre cette mesure extrême qu'est un gel de la revalorisation des pensions. (Applaudissements à droite)
Mme Christiane Demontès, rapporteure de la commission des affaires sociales. - Avis défavorable. Le retour à l'équilibre des régimes de retraite suppose des efforts équitablement répartis. Malgré de grandes disparités, nul ne conteste que le niveau de vie des retraités est en moyenne équivalent à celui des actifs : il est légitime qu'ils contribuent. Les bénéficiaires de l'Aspa et de la pension d'invalidité sont épargnés.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. - Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Au cours des dernières décennies, le niveau de vie des retraités a rejoint celui des actifs. Les allocataires de l'Aspa sont exclus du champ de cet article et le projet de loi tient compte des difficultés particulières des retraités agricoles. Il est légitime que les autres soient mis à contribution.
M. Alain Gournac. - Regardez-nous, madame la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. - Permettez que je réponde aux interpellations du groupe CRC. Les revenus du capital ont déjà été très sensiblement mis à contribution pour financer la sécurité sociale depuis l'an dernier.
Monsieur Labazée, je comprends le problème que vous soulevez, à propos de la CNRACL, mais songez que la compensation est un jeu à somme nulle. Faire bouger les curseurs n'améliorera pas globalement la situation de nos régimes de retraite. Nous allons y réfléchir.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'avais proposé la seule suppression de l'alinéa 2, mais je voterai les amendements de suppression des écologistes et des communistes. Nous avons besoin de pouvoir d'achat pour relancer la croissance. Nous avons protesté en 2008 contre le gel des pensions proposé par le gouvernement de droite. Vous nous dites que la mesure coûtera 600 millions en 2014.
Une suggestion, madame la ministre : taxez les 500 familles les plus aisées, dont le patrimoine représentent 16 % du PIB ! Vous avez là des marges de manoeuvre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC ; M. Jean Desessard applaudit aussi)
M. Marc Laménie. - Ces cinq amendements, dont celui présenté avec beaucoup de brio et de sincérité par Gérard Longuet (exclamations à gauche), je les voterai. Tous les jours, nous rencontrons des retraités pauvres, des retraités précaires qui souffrent. Cela nous interpelle. C'est le pouvoir d'achat des petits retraités qui est en cause. N'oubliez pas le labeur qu'ils ont fourni, les sacrifices qu'ils ont dû consentir au long de leur existence. Toutes les charges augmentent, ils ont du mal à boucler leur budget et recourent de plus en plus aux associations caritatives. C'est un problème de société. (Bravos et applaudissements à droite)
M. Dominique Watrin. - Cet article complète l'arsenal de mise en déclin de la dépense publique en matière de retraites. Qu'ont fait les retraités pour mériter cela ? Selon l'OCDE, la part de PIB redistribuée en pensions de retraite ne devrait progresser que de 13,5 % à 14 % d'ici 2060. Où est le problème ? Nous ne sommes pas dans le cas du Luxembourg, de la Slovénie, de l'Allemagne, où la hausse sera bien plus forte. Les réformes Balladur, Fillon I, Fillon II représentent déjà six points de PIB...
M. Philippe Bas. - En 2030 !
M. Dominique Watrin. - ... soit 120 milliards d'euros retirés aux retraités, mais surtout pour l'économie, l'emploi, les cotisations sociales. Les pensions sont certes des dépenses, mais d'abord des revenus injectés dans le circuit économique. Leur rationnement le ralentit. Oui, supprimons cet article 4, qui contient une mesure comptable injuste, alors que la finance, les revenus financiers des entreprises sont épargnés. Pourtant les entreprises versent deux fois plus de fonds à leurs actionnaires et aux banques qu'en cotisations sociales. Il faut aller chercher l'argent là où il est ! (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Philippe Bas. - Cette astuce ministérielle - et non de chef de bureau, je le reconnais - révise frontalement le mode d'indexation des retraites. L'indexation est remise en cause. Ce n'est pas acceptable.
M. Alain Néri. - Vous l'avez acceptée en 2003 et en 2010, en pire !
M. Philippe Bas. - C'est un coup de canif dans le contrat entre les générations. Le Gouvernement nous dit que le pouvoir d'achat moyen des retraités est équivalent à celui des actifs et que les titulaires de petites pensions sont préservés. Pendant longtemps, les retraites ont été indexées sur les salaires, qui évoluent plus vite que les prix...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vous les avez désindexées !
M. Philippe Bas. - ... en contrepartie de quoi l'engagement avait été pris de ne jamais toucher à l'indexation sur les prix - engagement qui a été tenu jusqu'à aujourd'hui. De plus, si on peut comprendre que les retraités ne bénéficient pas des fruits de la croissance de la même façon que les actifs, on ne peut accepter qu'ils perdent du pouvoir d'achat. Nous récusons votre vision de la société. Vous dites préserver les petits pensionnés mais vous oubliez que les retraités des classes moyennes devront subir à la fois des prélèvements supplémentaires et la baisse de leur retraite. Vous créez une ligne de fracture dans la société française.
M. Alain Néri. - C'est le fruit de votre politique désastreuse !
M. Michel Vergoz. - Quel cynisme !
M. Philippe Bas. - Nous voterons les amendements de suppression.
M. Alain Néri. - Quel numéro de funambule !
À la demande du groupe UMP et du groupe UDI-UC, les amendements identiques nos260, 327 rectifié, 359, 376 rectifié et 397 sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l'adoption | 221 |
Contre | 125 |
Le Sénat a adopté et l'article 4 est supprimé.
En conséquence, les autres amendements déposés sur l'article 4 deviennent sans objet.