Politique énergétique européenne (Questions cribles)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la politique énergétique européenne.
M. Jean-Pierre Vial . - Lors de la conférence environnementale de septembre 2012, le président de la République annonçait vouloir redresser la filière photovoltaïque française, pour annoncer ensuite la fin des tarifs de rachat.
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Le marché mondial continue son développement et, malgré la perte de 15 000 emplois, la filière solaire française conserve une vraie capacité. Encore faut-il un marché national suffisant ne serait-ce que pour atteindre les objectifs de 23 % d'énergie renouvelable, ce qui requiert un cadre réglementaire clair et stabilisé. Or jamais la filière solaire ne s'est trouvée devant une telle absence de lisibilité pour les années à venir. Comment comptez-vous la sécuriser ?
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D'autre part, au coeur des enjeux de la transition énergétique, se trouve l'équilibre électrique, défi du mix énergétique, dont l'effacement. Si une part est attendue des particuliers, une part tout aussi importante l'est des industriels gros consommateurs. Ce n'est pas pour rien que l'Allemagne s'est dotée d'un fonds de 190 millions d'euros en 2013 avec une prévision de 320 millions en 2014 au profit de son industrie électro-intensive, et que la Pologne veut se doter d'une capacité de 1 000 mégawatts. La France, qui dispose à la fois du cadre législatif et des capacités requises, n'a toujours pas affiché les moyens financiers qu'elle entend mobiliser. Quels engagements prendra le Gouvernement ?
M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie . - Je suis heureux d'être passé au crible par le Sénat pour la première fois de ma vie. (Sourires)
Je n'aurai pas l'impudeur de rappeler que la bulle de la filière photovoltaïque date de l'ancienne majorité. Elle a éclaté. Je m'emploie, en fixant un cadre clair, à redresser la situation depuis 2013 pour viser l'optimum du système.
Concernant l'effacement, plus de 1 200 mégawatts heures pourront être activés par les industriels, ce qui se traduira par des économies. À la production, je préfère, bien entendu, l'effacement.
M. Jean-Pierre Vial. - Puis-je citer la situation de Bosch à Vénissieux ? C'est un bon dossier sur lequel appuyer le développement de la filière photovoltaïque.
Sur le second dossier, la reprise par Siemens du groupe français Titan a montré l'intérêt de l'effacement.
M. Aymeri de Montesquiou . - En décembre 2008, l'objectif des « 3X20 » à l'horizon 2020 a été adopté : réduction de 20 % des émissions de CO2, part des énergies renouvelables dans la vie énergétique portée à 20 % et augmentation de l'efficacité énergétique de 20 %.
Cinq ans plus tard, qu'en est-il ? Une divergence profonde subsiste dans les politiques énergétiques. Le renoncement de l'Allemagne au nucléaire a augmenté de façon dramatique la consommation de lignite et de charbon, l'Espagne et l'Italie, à leur tour, ferment la porte à l'énergie nucléaire. La France veut baisser la part du nucléaire dans son mix énergétique, mais allonger de dix ans la durée de vie de celle des centrales ; la Grande-Bretagne et la Finlande, elles, développent le nucléaire grâce aux entreprises françaises. Nos politiques sont donc totalement divergentes. Que faire ?
M. Philippe Martin, ministre. - Merci d'avoir rappelé l'intérêt du paquet énergie de 2008. La France, pour autant, est très attachée à la souveraineté énergétique, à la liberté de chaque État de déterminer son mix énergétique, en toute autonomie. Chacun a son histoire, ses traditions, liées aussi à la géographie. C'est pourquoi nous n'imitons pas le précédent gouvernement qui critiquait beaucoup le renoncement de l'Allemagne au nucléaire. Cependant, le président de la République a tenu à faire inscrire à l'ordre du jour de la réunion du prochain Conseil en mars la question du mix énergétique.
M. Aymeri de Montesquiou. - Je suis heureux de constater que malgré nos divergences, nous avons des points de vue communs.
M. Jean-Claude Lenoir. - Vive le Gers ! (Sourires)
M. Aymeri de Montesquiou. - Les différents pays européens partent effectivement de politiques énergétiques différentes. La convergence est loin d'aller de soi. Je me réjouis que la question énergétique soit traitée au Conseil.
M. Michel Teston . - Il est indispensable que soit reconnu le rôle des énergies renouvelables et des collectivités territoriales dans la transition énergétique, d'autant que ces énergies ont le mérite de favoriser plutôt les petits producteurs.
Or de grands énergéticiens plaident pour un changement de politique européenne en demandant le développement de centrales à gaz et la fin des subventions à certaines énergies renouvelables. Et certains États membres se lancent dans des grandes structures d'énergie carbonée.
Doit-on craindre une réorientation de la politique énergétique européenne ?
M. Philippe Martin, ministre. - Je vous confirme que, pour la France, la transition énergétique se fera avec le développement des énergies renouvelables. Le président de la République a fixé pour objectif la réduction de la part du nucléaire de 75 à 50 % dans notre production électrique, et l'augmentation de cinq points en six ans de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Cela suppose un relèvement du prix du carbone ; je me réjouis de l'accord sur ce point de Mme Merkel.
Comptez sur le Gouvernement et le président de la République pour soutenir ces idées lors du Conseil de mars : un développement des énergies renouvelables autour des territoires.
M. Michel Teston. - Les ressources fossiles vont s'amenuisant, nous devons aller vers les énergies renouvelables. Vous défendrez ce message en mars devant l'Europe. Il faut être réactif ; je suis convaincu que vous le serez.
Mme Mireille Schurch . - Les grands barrages hydroélectriques seraient voués, d'après certains, à produire une électricité de plus en plus chère et les installations seraient peu sûres. En janvier, le Gouvernement disait vouloir attendre les conclusions du rapport de la députée Marie-Noëlle Battistel. Or il semble se précipiter pour enclencher la procédure de l'appel d'offres, que notre collègue juge la plus dangereuse pour l'avenir de notre parc hydroélectrique.
Le président de la République dit vouloir relancer la communauté de l'énergie et les énergies renouvelables, nous le saluons. Or l'hydroélectricité est l'une des énergies renouvelables les plus souples. Comment concilier cet objectif avec une privatisation des ouvrages hydroélectriques ?
M. Philippe Martin, ministre. - L'hydroélectricité est une énergie décentralisée, elle représente également un patrimoine national. La loi nous oblige à renouveler les concessions. Ce renouvellement s'effectuera dans le respect du droit, le Gouvernement l'a affirmé dans sa réponse au référé à la Cour des comptes - cette réponse ne constitue en rien l'affirmation d'une politique qui viendra ensuite, après dialogue avec les parlementaires. Oui, nous tiendrons compte de ce rapport avant de déterminer une politique qui mettra l'accent sur le rôle des collectivités territoriales et la continuité écologique.
Mme Annie David . - Le rapport de Mme Battistel contient des alternatives intéressantes à la mise en concession des barrages. Je m'en réjouis comme élue iséroise. Ne cédons pas à l'Europe sur la libéralisation de ce secteur et maintenons les tarifs régulés ! (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Ronan Dantec . - La Commission européenne s'inquiète de l'apparition de 28 marchés de capacité nationaux. Conformément à la loi Molle, nous travaillons à la construction du marché de capacité français à l'horizon 2015-2016. À partir de là, comment construire un marché de capacité européen ? L'interconnexion avec le Bénélux économiserait 50 millions, la moitié du coût total si elle était étendue à l'Europe. En outre, elle assurerait la sécurité énergétique.
M. Philippe Martin, ministre. - Le mécanisme français, innovant et neutre, incite au développement de nouvelles capacités de production et d'effacement. Le décret du 14 décembre 2012 instaure une concertation, actuellement menée par RTE. La France participe activement aux réflexions européennes. Que la Commission européenne donne des lignes directrices est bienvenu. Elle a adopté plus de 200 projets clés, dont dix concernant la France. Les interconnexions assurent une meilleure convergence des prix, la sécurité énergétique, insertion des énergies renouvelables.
M. Ronan Dantec. - L'effacement est crucial, la production supplémentaire n'est pas l'essentiel. En écho aux propos de M. Teston, je dirai que les grands industriels européens ne s'attaquent pas aux énergies renouvelables, ils insistent sur la désorganisation actuelle du marché européen. Nous y remédierons avec la remontée du prix de la tonne de CO2 et la construction d'un marché capacitaire.
M. Raymond Vall . - Le groupe RDSE est très sensible aux questions énergétiques. L'Europe paie une facture de 350 milliards d'euros qui ne peut que s'accroître. Nous devons promouvoir nos filières d'excellence, nucléaire et énergies renouvelables, et favoriser la sobriété énergétique, trop longtemps passée sous silence. Notre filière gaz est mise à mal à cause de ses prix beaucoup plus élevés qu'en Allemagne et aux États-Unis. Nos industriels attendent une politique clarifiée, simplifiée. Pas moins de 500 000 emplois en Europe, sont en jeu. Je rappelle que nos émissions de CO2 par habitant sont inférieures à celles de l'Allemagne. Comment faire progresser notre politique en ce sens ?
M. Philippe Martin, ministre. - Le Gers est bien représenté dans ce débat !
Oui, il faut prendre le tournant de l'économie verte. Les investissements de nos entreprises doivent continuer d'être soutenus. Le Livre blanc de la Commission européenne fixe des objectifs à l'horizon 2030. Le Conseil européen du 22 mai a fixé un rendez-vous à mars 2014 pour examiner le paquet climat-énergie. Les Britanniques ne veulent pas s'engager sur les énergies renouvelables. Nous discutons aussi avec les Polonais et les autres pays du groupe de Visegrad sur la réduction des gaz à effet de serre. L'Europe ne peut attendre pour dessiner un cadre ambitieux à la Conférence Paris en 2015. (Applaudissements à gauche)
M. Raymond Vall. - Merci pour votre réponse. Nous vous soutenons. L'électricité est le seul produit susceptible d'avoir un prix négatif. Il serait absurde que l'argent public soit engagé à perte. La garantie de prix d'achat doit être revue. L'Allemagne produit plus de la moitié de son électricité à partir des énergies renouvelables.
M. Jean-Claude Lenoir . - Pour arriver au pouvoir, François Hollande a offert un cadeau très coûteux aux écologistes : il a promis de fermer Fessenheim, une promesse que vous avez réitérée, monsieur le ministre. Or cette centrale produit 80 % de l'électricité consommée en Alsace, 3 % de celle qui est utilisée dans toute la France ; elle apporte 300 millions d'euros de recettes à EDF, emploie 800 salariés directs et 1 000 indirects. Ce n'est pas le Gouvernement qui la pilote : EDF l'exploite sous le contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire, laquelle a autorisé EDF à poursuivre l'exploitation pendant dix ans sous réserve de certains travaux qui seront achevés en décembre 2013. La France devrait verser des dédommagements aux partenaires suisses et allemands de Fessenheim. Rien ne permet à un gouvernement de se substituer aux actionnaires de la centrale. (Applaudissements à droite ; protestations sur les bancs écologistes)
M. Philippe Martin, ministre. - La méthode est claire : diversification de notre mix pour atteindre les 23 % d'énergies renouvelables. Les décisions pour l'ensemble du parc nucléaire seront prises sous contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire. Chacun son rôle ; l'État stratège, vous le refusez. C'est cela qui nous différencie. Que vous le vouliez ou non, Fessenheim fermera bien fin 2016. (Applaudissements sur les bancs écologistes ; exclamations à droite)
M. Jean-Claude Lenoir. - Vous ne pouvez fermer la centrale, tout au plus stopper l'approvisionnement en combustibles. La loi fixe des règles précises. La politique européenne de l'énergie ne doit pas être élaborée par référence à l'Allemagne qui importe massivement du charbon des États-Unis, au mépris de l'effet de serre. Il faut qu'ils arrêtent. (Applaudissements à droite)
M. Roland Courteau . - L'Union européenne n'est pas qu'un producteur de normes, gardien de la concurrence. La politique européenne de l'énergie, activement souhaitée par le président de la République, doit être au plus près des préoccupations des citoyens européens.
Quelle position la France retiendra-t-elle pour la redéfinition du cadre européen des énergies renouvelables ? L'organisation du secteur est en cause. Les appels d'offres favorisent les grandes entreprises. Il ne faut pas mettre en difficulté les petites unités locales de production. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Martin, ministre. - La diversification du mix énergétique et le développement des énergies renouvelables sont des atouts pour la France. L'atteinte des objectifs climatiques ambitieux fixés par le président de la République et l'emploi sont des priorités. L'évolution sera progressive et non rétroactive. Le président de la République a annoncé, lors de la deuxième conférence environnementale, la nécessité d'un cadre réglementaire clair, stable. Rien n'est encore arrêté. Les modes de soutien seront adaptés à chaque filière. Les petits producteurs seront pris en compte. Nous en débattrons lors de la discussion du projet de loi sur la transition énergétique l'an prochain.
M. Roland Courteau. - Merci. Soyez vigilant. La transition énergétique européenne devra s'appuyer sur un bouquet énergétique varié. Les réseaux qui relient les différents pays doivent être améliorés et coordonnés, afin d'éviter la construction de centrales qui ne fonctionneraient que quelques heures par an.
M. Jean-François Husson . - L'énergie est au fondement de la construction européenne conçue par Jean Monnet selon le principe « mettre les moyens de la guerre au service de la paix ».
L'Europe doit changer en profondeur la manière dont elle produit, consomme et achemine l'énergie. La Grande-Bretagne développe le nucléaire, avec EDF. Ce qui est bon pour elle ne le serait pas pour la France, qui s'interdit le développement de la recherche d'hydrocarbures de schiste, alors que les permis fleurissent en Grande-Bretagne - où nos entreprises en ont demandé. Hypocrisie ? Je m'interroge.
Dans cette cacophonie, entre indécision et atermoiements, quelle politique française au sein de l'Europe ?
M. Philippe Martin, ministre. - La logique de l'immobilisme aboutirait à un renchérissement sans fin de l'énergie, qui grèverait les finances des entreprises et des ménages. C'est votre politique. Nous voulons, nous, avancer. Sur les gaz de schiste, je me réjouis que le Conseil constitutionnel ait validé la loi Jacob de 2011 - et c'est le même M. Jacob qui se dresse désormais contre cette loi !
Changer d'air, monsieur Husson, c'est préparer l'avenir des générations futures, comme s'y attelle le Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs socialistes ; protestations à droite)
M. Jean-François Husson. - Ce procès en immobilisme est injustifié. L'énergie est inscrite à l'agenda européen à l'initiative du président de la République. Nous avons adopté le Grenelle qui a des effets très concrets.
Sur le territoire du Grand Nancy, plus de 1 000 dossiers de particuliers et d'entreprises attendent une réponse. Je compte sur votre prompte et efficace intervention, monsieur le ministre. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
La séance est suspendue à 15 h 45.
présidence de M. Charles Guené,vice-président
La séance reprend à 16 heures.