Situation en Syrie (Débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la situation en Syrie.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères . - (Applaudissements sur la plupart des bancs socialistes et RDSE) Aux premières heures du 21 août, à quelques kilomètres du centre de Damas, près de 1 500 civils, dont des centaines d'enfants, sont morts asphyxiés dans leur sommeil, assassinés par le régime syrien, dans ce qui constitue, en ce début de siècle, le plus massif et le plus terrifiant usage de l'arme chimique.
Ces faits, chacun d'entre nous a pu les découvrir, immédiatement après ce drame, sur des dizaines de vidéos. Des vidéos tournées par des médecins, des voisins, des parents, à la fois terrifiés et conscients du devoir d'informer le monde sur l'horreur de ce qui venait de se produire.
Chacun d'entre nous a pu voir les images abominables de l'agonie des victimes, de ces cadavres d'enfants alignés. Sur ces cadavres, pas une goutte de sang, pas une blessure. Juste la mort silencieuse par l'emploi des gaz, dont plus personne ne nie qu'ils aient été utilisés cette nuit-là.
Au-delà de ces images terrifiantes, de quoi sommes-nous certains ?
C'est pour en informer la représentation nationale que nous nous sommes réunis avec le Premier ministre, les ministres des affaires étrangères, de la défense et des relations avec le Parlement, les présidents des deux chambres, des commissions compétentes et des groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le Gouvernement en est convaincu : la gravité du moment exige transparence et dialogue républicain.
Nous sommes certains de l'ampleur du bilan, qui pourrait atteindre jusqu'à 1 500 victimes. Des évaluations indépendantes, comme celle de Médecins sans Frontières, le confirment. En analysant des vidéos, que nous avons authentifiées, nos propres services sont parvenus au constat que toutes les victimes étaient localisées dans des quartiers contrôlés par l'opposition. Tous les symptômes observés sont cohérents avec une intoxication aux agents chimiques. Nous avons des éléments en notre possession, comme en celle de nos alliés, qui indiquent que du gaz sarin a été utilisé.
Nous sommes certains que la Syrie dispose de l'un des stocks d'armes chimiques les plus importants au monde : plus de mille tonnes d'agents chimiques de guerre et des dizaines de vecteurs.
Nous sommes certains que le régime syrien a déjà employé l'arme chimique à plusieurs reprises ces derniers mois, à une échelle beaucoup plus réduite, dans le but de reconquérir des zones tenues par l'opposition et d'y semer la terreur. Nous avons récupéré et analysé des échantillons qui ont confirmé, à Saraqeb ou à Jobar, l'emploi de gaz toxiques. Ces éléments ont été transmis aux Nations unies.
Nous sommes certains que cette attaque s'inscrivait dans le cadre d'une offensive pour la reconquête d'une zone clé qui commande l'accès à Damas. Elle avait fait l'objet de préparatifs dans les jours précédents, incluant des mouvements d'agents chimiques depuis les principaux points de stockage du régime. Après l'attaque, nous sommes aussi certains que des bombardements intenses ont tenté d'en effacer les traces.
Nous sommes certains, enfin, que l'opposition n'a pas les capacités de conduire une opération d'une telle ampleur. Aucun groupe appartenant à l'insurrection ne dispose des quantités d'agents chimiques nécessaires, des vecteurs ou des compétences pour mener à bien une telle attaque.
C'est donc une certitude : il y a bien eu une attaque chimique massive le 21 août, dans la plaine de la Ghouta. Le régime syrien en porte l'entière responsabilité.
Cette certitude, nous la partageons avec nos partenaires, américains, britanniques, allemands, turcs. La Ligue arabe l'a, elle-même, confirmé à l'occasion de sa réunion ministérielle de dimanche dernier, en évoquant la responsabilité du régime.
La recherche de cette responsabilité n'entre pas dans la mission des enquêteurs des Nations unies. Ces enquêteurs ne pourront donc que confirmer l'usage de l'arme chimique.
Face à ces faits incontestables, que choisir : l'action ou la résignation ? Pouvons-nous nous contenter de condamner, d'en appeler à un sursaut de la communauté internationale pour qu'enfin s'ouvrent des négociations de paix qui ne viennent pas ?
A ces questions, le président de la République a apporté une réponse claire et conforme à la mobilisation de la France, depuis le début de la crise syrienne. Nous avons été les premiers à reconnaître la coalition nationale syrienne, à lui apporter notre appui, à répondre à l'urgence humanitaire, à promouvoir une solution politique. Sans relâche, nous avons aussi multiplié les contacts pour chercher des solutions à cette tragédie, avec nos partenaires européens, nos alliés, les pays de la région, la Russie ou la Chine.
Ne pas réagir, ce serait tolérer que demeure impuni un recours massif à l'arme chimique. Ne pas réagir, ce serait adresser à Bachar al-Assad et au peuple syrien un message terrible : l'arme chimique peut être utilisée demain à nouveau, contre Damas, contre Alep, de façon peut-être encore plus massive.
Ne pas réagir, ce serait mettre en danger la paix et la sécurité de la région tout entière, mais aussi, au-delà, notre propre sécurité. Car -je pose la question- quelle crédibilité auraient, ensuite, nos engagements internationaux contre la prolifération des armes de destruction massive, y compris l'arme nucléaire ? Quel message enverrions-nous à d'autres régimes, je pense à l'Iran ou à la Corée du Nord ?
Ce message serait malheureusement clair : vous pouvez continuer ; la possession de ces armes vous confère l'impunité ; la division de la communauté internationale vous protège.
Ne pas réagir, ce serait enfin fermer la porte à un règlement politique du conflit syrien. Oui, la solution à la crise syrienne sera politique et non militaire. Mais regardons la réalité en face : si nous ne mettons pas un coup d'arrêt à de tels agissements du régime, il n'y aura pas de solution politique. Car quel serait l'intérêt pour Bachar al-Assad de négocier, tant qu'il croit qu'il peut, comme il l'a encore répété au début de la semaine, « liquider », ce sont ses propres termes, « liquider » son opposition, notamment au moyen d'armes qui sèment la terreur et la mort ?
Pour toutes ces raisons, le président de la République a fait le choix de l'action. Le choix d'une action légitime, d'une action collective, d'une action réfléchie.
Légitime, d'abord, car le régime syrien a massivement violé ses obligations internationales. En employant l'arme chimique, Bachar al-Assad a violé ses obligations au titre du protocole de 1925, qui en prohibe l'usage et que la Syrie a ratifié en 1968. Il a bafoué le droit international humanitaire en menant des attaques indiscriminées, interdites par les conventions de Genève. Il s'est rendu coupable d'un crime de guerre. Il a commis ce que le secrétaire général des Nations unies a qualifié de crime contre l'humanité.
En plus de ces violations, le régime syrien a refusé constamment de coopérer avec la communauté internationale. En empêchant l'accès de la commission d'enquête internationale sur les droits de l'homme. En s'opposant, pendant cinq mois, à la présence des inspecteurs sur les armes chimiques. En écartant les différentes tentatives de cessez-le-feu. En multipliant les obstacles à l'action humanitaire en Syrie.
Bien sûr, une autorisation explicite du Conseil de sécurité serait souhaitable. Mais, regardons la réalité en face. Depuis deux ans et demi, la Russie et la Chine ont bloqué toute réponse à la tragédie syrienne, y compris en opposant, à trois reprises, leur veto. Notre tentative, il y a une semaine, d'un projet de résolution autorisant une riposte ferme à l'attaque chimique du 21 aoû, a elle-aussi été stoppée net.
La gravité de la menace associée à l'emploi de l'arme chimique nous oblige à agir.
L'action que nous envisageons est réfléchie et collective. Le président de la République l'a indiqué, elle devra être « ferme et proportionnée ». Ponctuelle, elle devra viser des objectifs significatifs, mais ciblés. Il n'est pas question d'envoyer des troupes au sol. Il n'est pas question d'engager des opérations militaires pour renverser le régime.
Bien entendu, nous souhaitons le départ de Bachar al-Assad, qui n'hésite pas à menacer directement notre pays et qui croit même pouvoir intimider la représentation nationale. Oui, nous souhaitons son départ, dans le cadre d'une solution politique en faveur de laquelle la France continuera à prendre l'initiative.
Notre message est clair : l'emploi d'armes chimiques est inacceptable. Nous voulons à la fois sanctionner et dissuader, répondre à cette atrocité pour éviter qu'elle ne se reproduise. Nous voulons aussi montrer à Bachar al-Assad qu'il n'a pas d'autres solutions que celle de la négociation.
Certains nous disent qu'une réaction compliquerait encore la situation. Mais, là aussi, j'en appelle à votre lucidité. La déstabilisation des pays de la région, qui font face à l'afflux de plus de deux millions de réfugiés, est une réalité. L'inaction face aux souffrances du peuple syrien fait le lit des extrémistes. Ne pas laisser impunis les crimes du régime syrien, c'est au contraire le moyen pour nos démocraties de conforter, comme il le faut, l'opposition syrienne modérée.
C'est ainsi que nous serons fidèles à nos valeurs, sur lesquelles se fonde l'engagement de la France dans le monde. La France, elle a, en effet, une responsabilité particulière. C'est une chance et une exigence, qui contribuent à la grandeur de notre pays. Soyons unis pour rester fidèles à cette vocation.
La France n'agira pas seule et joindra ses efforts à ceux d'autres partenaires, à commencer par les États-Unis avec lesquels elle s'est toujours retrouvée dans les moments critiques quand la cause était juste. Nous comptons également sur le soutien des Européens et des pays de la région, notamment au sein de la Ligue arabe. Le président de la République poursuit son travail de conviction afin de réunir la coalition de soutiens la plus large possible. La réunion du G 20 à Saint-Pétersbourg en sera l'occasion.
L'année prochaine, nous commémorerons le centenaire du début de la première guerre mondiale, qui a été marquée par la première utilisation massive de gaz toxiques comme arme de combat. Un siècle plus tard, alors que les armes chimiques ont été bannies par le droit international, nous ne pouvons accepter un épouvantable retour en arrière.
Dans ces circonstances graves, il importe que la représentation nationale soit éclairée. C'est pourquoi je m'engage à continuer à vous informer dans les prochains jours sur l'évolution de la situation, dans le respect des équilibres institutionnels découlant de notre Constitution. En toute hypothèse, la décision ultime ne pourra être prise par le président de la République que lorsque sera constituée la coalition, seule à même de créer les conditions d'une action.
Face à la barbarie, la passivité n'est pas une option. Pas pour la France. Ne pas réagir, c'est laisser Bachar al-Assad poursuivre ses atrocités, encourager la prolifération et l'emploi d'armes de destruction massive, abandonner la Syrie et la région tout entière au chaos et céder aux menaces. Avec ses partenaires, la France prendra donc ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes ainsi que sur la plupart des bancs RDSE et quelques bancs à droite)
M. Jean-Michel Baylet . - L'histoire connaît l'un de ces moments de fièvre où le temps s'accélère. Ce qui se joue touche à la stabilité d'une région entière, aux grands équilibres mondiaux et à la sécurité de notre pays. La question d'un vote à l'issue de ce débat a suscité une polémique. Pourtant, la Constitution est claire : l'article 35 dispose que le Gouvernement informe le Parlement de l'engagement des forces françaises à l'étranger et que le débat n'est suivi d'aucun vote. Je le rappelle notamment aux membres de l'opposition...
M. Philippe Marini. - Pas de leçons !
M. Jean-Michel Baylet. - ...cet article existe depuis 2008 ; je l'ai voté. (Exclamations sur les bancs UMP)
Le cap des 110 000 morts, des 2 millions de réfugiés est dépassé en Syrie. Il ne fait guère de doute que l'emploi d'armes chimiques soit dû au régime lui-même.
Les tensions et rivalités propres au Proche et Moyen-Orient sont au coeur du débat actuel. Elles ne doivent pas servir d'alibi à un renoncement. L'inaction serait un signal dramatique envoyé au monde. Elle manifesterait la perte définitive de l'influence occidentale sur la scène internationale.
Il s'agit non de soutenir une opposition dont nous connaissons l'hétérogénéité et l'extrémisme de certaines composantes mais d'adresser un double message : l'un directement à Bachar al-Assad lui intimant que l'usage de l'arme chimique ne sera plus toléré ; l'autre à ses alliés, y compris iraniens, montrant notre détermination s'agissant de l'usage d'armes chimiques et faisant apparaître notre fermeté quant à l'évolution de leur programme nucléaire.
Au regard des valeurs, ne pas intervenir serait indigne ; au regard des intérêts de la France, ce serait une faute. Des frappes ciblées s'imposent, qui n'ont pas pour objet de faire tomber le régime -quoique son départ ne serait pas malheureux...
A ceux qui brandissent les menaces d'embrasement de la région, je réponds que le conflit s'est internationalisé et qu'une intervention ciblée en Syrie devra s'accompagner d'un effort supplémentaire pour protéger nos ressortissants et, en particulier, nos forces engagées au Liban.
La question du calendrier se pose. Rien ne se fera avant le vote du Congrès américain, le 9 septembre. Le temps dont nous disposons doit être mis à profit pour convaincre et élargir les contours d'une coalition. Le G 20 de Saint-Pétersbourg sera crucial. Le président de la République s'adressera aux Français en temps utile. Nous souhaitons que le Parlement soit pleinement associé à la gestion de cette crise.
La France doit adresser au monde un message fort. Nous soutenons le président de la République et, ce faisant, renforçons et amplifions la voix de la France. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)
M. André Gattolin . - Jamais, depuis le début de notre mandature, le Sénat n'a eu à débattre d'un sujet aussi grave. Cela impose sérieux et sincérité. L'urgence et le pourrissement du conflit font de la question de savoir s'il faut intervenir un faux débat. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est définir la réaction appropriée.
Il est exclu pour la France de s'engager seule ou de donner un blanc-seing à une coalition dont on ne connaîtrait ni les contours, ni les objectifs, ni les prolongements politiques. Saisissons l'occasion du G 20 pour mettre les choses au clair. Nous en sommes à plus de 100 000 morts, 6 millions de personnes déplacées, dont 2 ont quitté la Syrie. Plus de la moitié sont des enfants, ce qui est inédit ! La violence exercée n'a jamais été vue depuis la deuxième guerre mondiale.
Nous attendons avec la plus grande attention le résultat de l'inspection conduite par les Nations unies mais les éléments réunis par plusieurs gouvernements, par les organisations humanitaires et par des médias vont tous dans le même sens. Les armes chimiques ont bel et bien été utilisées. Le régime de Damas est le seul à pouvoir mener une telle attaque. L'interview surréelle de Bachar al-Assad à un quotidien français ne laisse guère de doute sur sa détermination. Le régime syrien considère ces crimes -prohibés par le droit international- comme banals. Si nous ne faisons rien, la composante démocratique de la rébellion sera anéantie, l'ONU sera encore plus affaiblie qu'elle ne l'est déjà. Car c'est l'inaction qui constituerait le plus grand risque pour l'ONU, en consacrant le pouvoir de nuisance de la Russie qui empêche, en abusant de son droit de veto au Conseil de sécurité, tout règlement politique du conflit depuis deux ans.
Le Congrès américain doit se prononcer le 9 septembre. Mais, quelle que soit la décision finale de nos alliés, il convient de convaincre la communauté internationale. La position de grands pays émergents comme le Brésil pourrait évoluer. L'Union européenne doit sortir de sa coupable torpeur. La France et ses partenaires doivent réclamer une enquête de la CPI sur les derniers bombardements. Il s'agit de sortir de l'insupportable blocage de l'ONU depuis le début du conflit. L'opposition syrienne réclame une intervention. Malgré les promesses de livraison d'armes, l'Armée syrienne libre reste sous-équipée.
La rébellion syrienne a éclaté en réaction à l'arrestation et à la torture d'enfants qui s'étaient levés contre le régime de Damas, dans le sillage des révolutions arabes.
Et les enfants restent les premières victimes des conflits.
Le Gouvernement demande des visas de transit aéroportuaire aux réfugiés qui fuient la Syrie : compte-t-il revenir sur cette décision ? La population syrienne paie la folie d'un dictateur et de ses alliés, actifs ou passifs.
Le groupe écologiste salue la volonté de sortir de l'inaction stérile de la communauté internationale. Si nos alliés venaient à renoncer à une intervention aérienne, il faudrait examiner des alternatives et s'investir plus que jamais dans une conférence Genève 2 pour préparer la transition que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)
M. Philippe Adnot . - J'exprime mon intime conviction, mais aussi un sentiment extrêmement majoritaire chez nos concitoyens. La Constitution n'interdit pas un vote, il serait dommage de ne pas pratiquer cet exercice démocratique.
M. Philippe Marini. - Très bien !
M. Philippe Adnot. - Faut-il intervenir ? Je ne le pense pas. Ceux qui succèderaient à Bachar al-Assad seront-ils plus démocratiques ? Je ne le crois pas. J'ai été très heureux de l'attitude de Jacques Chirac face à l'intervention américaine en Irak. J'étais contre la guerre en Lybie
M. Jean-Marc Todeschini. - Et au Mali ?
M. Philippe Adnot. - Faut-il intervenir en Tchétchénie ou au Tibet, ne frapper que les petits pays ?
Rassemblons sur une même ligne un maximum de pays, plaçons la Ligue arabe devant ses responsabilités. Il faut agir mais pas en frappant par de nouveaux morts et sûrement pas seuls. Voilà l'heure pour l'Europe de définir une ligne commune et pour la France d'y participer pleinement. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Pierre Raffarin . - (Applaudissements sur les bancs UMP) La tragédie syrienne fait éclater aux yeux du monde la folie dictatoriale, la cruelle persistance des guerres de religions, l'inquiétante impuissance des démocraties. Ce débat n'est pas requis par notre Constitution. Il est pourtant indispensable. Le vote eût clarifié les choses. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite) Pourquoi priver le Parlement de son expression la plus responsable ? Anglais et Américains nous devancent à nouveau dans la pratique démocratique.
Plusieurs voix à droite. - Absolument.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Humiliante situation où notre engagement ne dépend pas de notre vote mais de celui de nos collègues américains. (Applaudissements à droite) Le poids des décisions nous oblige à prendre de la hauteur. (Mouvement d'ironie sur les bancs socialistes)
La diplomatie est plus forte dans l'unité. Nous avons su montrer, sur le dossier malien, l'esprit responsable de l'opposition.
On ne peut accepter le terme de « munichois» (applaudissements à droite) prononcé par un responsable de la majorité, comparaison historique absurde et blessante.
La France est seule sur la ligne qu'elle a imprudemment annoncée. Le Parlement britannique a rejeté la motion présentée par David Cameron ; l'Allemagne ne participera pas à une action militaire ; l'Italie, l'Espagne sont réservées quant à une action en dehors du Conseil de sécurité ; la Ligue arabe est divisée. M. Lakhdar Brahimi a fait savoir qu'une décision du Conseil de sécurité est nécessaire.
M. Bruno Sido. - Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Les positions de la Russie et de la Chine sont connues de longue date. La France ne peut se prononcer mécaniquement selon la décision de ses partenaires mais elle est isolée. C'est à la France et à son président de la République, « homme essentiel » selon le général de Gaulle, de décider et d'expliquer sa vision de l'avenir sur ce tragique dossier.
Le recours à l'arme chimique est condamnable, il doit entraîner une réaction. La France ne peut rester les bras croisés. Faut-il pour autant frapper militairement pour « punir » celui qui l'a utilisée contre sa population ? Le précédent irakien, que j'ai vécu en direct à Matignon, m'incite à la prudence. Prenons garde aux manipulations. L'histoire salue la clairvoyance de Jacques Chirac, qui a sauvé l'honneur de la France en 2003. (Applaudissements sur les bancs UMP)
La position de la France doit tenir compte du droit international et de l'efficacité des mesures qui pourraient être prises. Quelle légalité internationale ? La France a toujours eu à coeur de renforcer le poids des Nations unies et de veiller au respect de leurs procédures, en Irak avec Jacques Chirac ou en Lybie avec Nicolas Sarkozy.
Faire de la Syrie le sujet central du G 20, ce serait court-circuiter l'ONU, dont la France tire son influence grâce à son siège au Conseil de sécurité. (Applaudissements à droite ; Jean-Pierre Chevènement applaudit aussi)
Nous ne sommes ni en situation de menace, ni de légitime défense, seuls cas visés par la charte des Nations unies. Invoquer la nécessité de protéger les populations est une voie de recours mais s'affranchir d'un acquiescement des Nations unies serait un précédent regrettable. On parle de frappes aériennes pour « punir » Bachar al-Assad : réaction morale forte mais qui suscite bien des interrogations. Les actions menées depuis deux ans par le régime syrien ne sont-elles pas en elles-mêmes punissables ? Les bombes à fragmentation sont-elles plus acceptables que les armes chimiques ? Nous payons le prix de l'attentisme de la communauté internationale. La situation intérieure syrienne est très complexe. Peut-on « punir » sans abattre ? La guerre ne s'embarrasse pas de nuances. Est-on bien sûr que les radicaux islamistes n'imposeront pas leur dictature ?
L'impact de nos frappes aériennes serait très incertain, l'impact physique mais surtout politique et diplomatique. Le Liban, la Jordanie, l'Irak sont la proie des attentats qui traduisent des clivages religieux ; les communautés chrétiennes sont en butte à des exactions de plus en plus nombreuses. La sécurité d'Israël ne peut être que menacée par un environnement violent.
L'impact sur d'autres dossiers de sécurité en discussion avec la Chine, la Russie, l'Iran ne peut qu'être négatif. Gardons-nous de substituer aux règles de la légalité internationale l'unilatéralisme, la force des armes ou l'arrogance occidentale.
« Une frappe n'est pas la guerre », entend-on. Mais c'est celui qui est frappé qui décide, par sa réaction, s'il y a guerre ou non !
M. Philippe Marini. - Très juste !
M. Jean-Pierre Raffarin. - On ne maîtrise pas la situation au lendemain d'une frappe.
Ce n'est pas être munichois ni pacifiste que de penser que le choix d'armes est, dans les circonstances actuelles, inapproprié. (M. Philippe Marini et Mme Marie-Hélène Des Esgaulx approuvent)
Ce serait différent si l'ONU donnait son accord, comme le candidat Hollande le disait lui-même le 20 avril 2012. (Applaudissements sur quelques bancs UMP)
Alors que faire ? Nous rejetons la résignation. La France, qui s'est mise elle-même dans une situation où son silence serait coupable, doit d'abord rompre son isolement européen ! Une réunion du Conseil européen s'impose. Que la France agisse avec l'Europe et ses alliés.
Certes, la voie du consensus est plus difficile que celle des frappes. Mais celles-ci ne ferait que durcir les positions, accroître les ressentiments. Il faut rechercher une condamnation la plus large de l'emploi des armes chimiques : ni la Chine, qui fut victime d'armes chimiques, ni la Russie ni l'Iran ne peuvent l'accepter.
Il faut que le représentant des Nations unies et de la ligue arabe poursuive ses efforts. M. Lékhar Bräima connaît bien les paramètres qu'il faut satisfaire pour parvenir à mettre fin à la guerre et à assurer la transition.
Une fois cette feuille de route établie, il faudra prendre le chemin de Moscou...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Ce n'est pas New York, c'est Moscou !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Mais la proximité avec l'Amérique n'est pas toujours un atout diplomatique.
M. Jean Besson. - Bravo pour l'amitié franco-américaine !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Notre mission universelle consiste-t-elle à remplacer des dictateurs laïcs par des dictateurs religieux ? (Vifs applaudissements à droite)
Le message des démocrates ne peut être que celui de la force légitimée par le droit, « une force qui va et qui sait où elle va », disait Victor Hugo. Je me souviens de George Bush et Colin Powell à l'Élysée, forts de leurs certitudes, mais j'ai vu aussi, à cette occasion, un président de la République français leur résister. La force de la France, c'est son indépendance. Et dans les périodes difficiles, le meilleur des recours est celui de la grandeur de notre pays. (Applaudissements prolongées sur les bancs UMP et sur plusieurs bancs au centre ; M. Jean-Pierre Chevènement applaudit aussi)
M. François Rebsamen . - (Applaudissements sur les bancs écologistes) A mon tour, monsieur Raffarin, je rends hommage au président Chirac pour avoir refusé d'assister un certain 14 juillet au défilé militaire en l'honneur de Bachar al-Assad. (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes)
Il y a eu des attaques dès avril dernier. Après un coup d'essai dès le mois d'avril -ce que Laurent Fabius a prouvé dès le mois de juin-, le 21 août, un nouveau palier a été franchi sur l'échelle de l'impensable en Syrie. L'arme chimique a été une nouvelle fois utilisée, sur des soldats et des civils indistinctement. Le régime a fait usage d'armes marquées du sceau de l'opprobre et de l'interdit.
Provocation supplémentaire à l'égard de la communauté internationale ?
Il est vrai que ces actes se sont déroulés le premier jour de la mission des inspecteurs des Nations unies...
Un de nos collègues disait, il y a deux ans : « certes, la Syrie n'est pas une démocratie mais la paix civile y règne et permet de fonder des familles »...
Mme Laurence Rossignol. - C'était Philippe Marini !
M. François Rebsamen. - Eh bien, ce n'est même plus le cas.
Le régime de Bachar al-Assad a violé la convention internationale signée en 1925, après l'horreur des gaz de combat de la première guerre mondiale. Le secrétaire général des Nations unies a parlé à raison de crime contre l'humanité. Le 21 août, les civils, des femmes, des enfants ont payés le plus lourd tribut. Nous avons tous vu les photos.
Selon le HCR, le nombre de personnes déplacées se chiffre en millions, dont un million d'enfants : toute une génération en détresse ! Avec les conséquences que l'on imagine dans l'ensemble de la région dans les années à venir.
M. Raffarin a dit toutes les raisons de ne rien faire. Je respecte sa position. Mais je crois pour ma part que la France ne peut rester les bras croisés. Le régime n'a que faire d'une condamnation morale, il est prêt à tout et, si nous ne faisons rien, les choses empireront.
La question aujourd'hui n'est pas voter ou non -sur quoi ? Ce qu'il faut, c'est savoir comment porter un véritable coup d'arrêt aux agissements du régime. Avoir l'aval de la Russie ? Cela serait préférable pour obtenir une résolution onusienne et donner une légalité absolue à l'intervention... Mais celle-ci vise à faire respecter le droit international, ne l'oublions pas ! Certes, la Syrie n'a pas signé la convention sur les armes chimiques mais, comme l'a affirmé le secrétaire général des Nations unies le 21 août dernier, « toute utilisation d'armes chimiques par un quelconque camp et quelles que soient les circonstances constituerait une violation du droit international humanitaire ». La coalition nationale syrienne s'est d'ailleurs engagée à bannir les armes chimiques.
Les résolutions sur la Syrie ont été nombreuses et la dernière, en mai dernier, précise que la crise syrienne menace la sécurité des voisins et la stabilité de la région. La menace à la paix, qui est une condition du recours à la force, existe bien ici.
Enfin, le régime syrien viole systématiquement les droits les plus fondamentaux de l'homme et manque à son obligation de protéger sa population -qu'il veut même, selon ses propres termes, « liquider ». Nous parlons là d'une violation flagrante de normes impératives du droit international, qui ne souffrent pas de dérogation !
La France dispose d'ailleurs d'un faisceau de preuves qui démontrent la responsabilité du régime, l'opposition n'ayant pas la capacité d'utiliser des armes chimiques à une telle échelle. La mission de l'ONU ne se prononcera pas sur ce point, monsieur Raffarin. Son objet était de dire si oui ou non il y avait eu emploi d'armes chimiques.
Nos services de renseignements ont montré leur efficacité. Ils sont la clé de voûte de notre autonomie stratégique. De leur travail dépend notre liberté d'appréciation, fondement de notre indépendance politique.
Nous savons que l'attaque fut préméditée, préparée en trois jours et que seule l'armée syrienne en avait les moyens.
On a évoqué la Libye, l'Irak, mais comparaison n'est pas raison. En Libye, il s'agissait, sur le fondement d'une résolution de l'ONU, de libérer des civils. En Irak, il n'y avait pas de preuves que le régime disposait d'armes de destruction massive. Nous payons cher, aujourd'hui, la fantasmagorie de l'administration Bush à propos des armes chimiques en Irak. Mais aujourd'hui, il y a des preuves d'un crime contre l'humanité au sens du droit international et la réaction de la communauté internationale ne peut être qu'une sanction militaire pour empêcher Bachar al-Assad de récidiver, non pour le renverser. C'est le seul message que le régime comprend. Nous ne pouvons attendre un hypothétique et tardif jugement. Cette action militaire, légitime pour sanctionner le régime, doit être dissuasive. Elle marquera qu'il y a des limites à ne pas franchir.
Faites donc des propositions, mesdames et messieurs de l'opposition ! A nos yeux, seule une intervention proportionnée mais ferme, dans le cadre d'une coalition internationale, peut ouvrir la voie à une solution politique, que nous continuerons à rechercher. La France ne veut pas faire la guerre au peuple syrien : nous n'avons cessé de rechercher une issue au conflit. « Nos partenaires ne viendront pas » annoncent certains. Nous les convaincrons !
Notre pays a mené une action exemplaire depuis le début de la guerre civile, il cherche obstinément un avenir meilleur pour la Syrie. Je ne doute pas que la France et les États-Unis peuvent rassembler un grand nombre de pays, dans la défense de la justice et du droit international, autour de sanctions ciblées et limitées dans le temps. La représentation nationale, en cet instant, doit être soudée. La France ne saurait se laisser intimider par les propos d'un dictateur dans un de nos journaux. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Alain Gournac. - Que faisiez-vous donc dans l'opposition ?
M. François Rebsamen. - Vous réclamez un vote, mais sur quoi ? La décision d'intervenir relève du seul président de la République.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Même sans l'ONU ?
M. François Rebsamen. - Dois-je vous rappeler les termes de l'article 35 de la Constitution, que vous avez voté ? Je remercie le Gouvernement d'informer le Parlement conformément à ce que prescrit cet article. Je ne l'avais pas voté. (MM. Alain Gournac et Roger Karoutchi s'exclament) Mais chacun peut changer d'avis... Je remercie le Gouvernement d'avoir communiqué à tous les groupes l'ensemble des documents dont il dispose.
M. Jean-Claude Frécon. - Cela n'a pas toujours été le cas !
M. François Rebsamen. - Faisons respecter les droits humains ; ne pas intervenir aurait des conséquences bien plus graves. Le régime continuerait à utiliser des armes chimiques et poursuivrait les massacres, écartant toute solution politique. Ce serait un fâcheux signal à l'adresse de tous les États tentés de se soustraire à leurs obligations internationales. Comment l'Iran interromprait-il son programme nucléaire ? Les armes de destruction massive proliféreraient. La convention sur les armes chimiques serait abîmée. Enfin, les régimes autocratiques se croiraient autorisés à tout. Songez à ce qui pourrait se passer dans les pays où les peuples conquièrent leur liberté au prix du sang.
Oui, la décision est courageuse, difficile, et je veux saluer la détermination et le courage du président de la République et du Gouvernement. Le régime de Bachar al-Assad n'a pas un droit à l'impunité !
En tout état de cause, la France doit continuer à rechercher une solution politique à la crise syrienne. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Pierre Laurent . - (Applaudissements sur les bancs CRC) La France est devant une alternative cruciale : suivre les États-Unis et préparer la guerre ou définir sa propre voie en recherchant une issue politique, négociée au conflit syrien.
Près de deux Français sur trois sont hostiles à une intervention militaire.
Ce choix, d'une lourde portée, exige un débat et un vote au Parlement : je les demande au président de la République depuis le 27 août dernier. Le choix de la guerre ne saurait être laissé à la décision d'un seul homme.
Face à la complexité du monde, nos institutions se révèlent archaïques. Je demande donc solennellement qu'aucune décision de cette ampleur ne soit prise sans vote du Parlement...
M. David Assouline. - Que voteriez-vous ?
Mme Éliane Assassi. - A quoi servons-nous ?
M. Pierre Laurent. - Alors que tant de conflits s'entremêlent au Proche-Orient, on attend de la France qu'elle montre la voie d'une issue pacifique, pas qu'elle ajoute du sang au sang.
Vous voulez punir Bachar al-Assad. Cela mettra-t-il fin au conflit ? Va-t-on se risquer à bombarder des cibles civiles, militaires juste pour voir ? Se risquer à un coup de poker sans rien savoir des conséquences ?
L'usage d'armes chimiques est un crime effrayant. Ses auteurs devront en rendre compte quand les preuves et les responsabilités auront été internationalement établies. Que la France remette les informations dont elle dispose à la mission de l'ONU au lieu de la prendre de haut. En agissant seule, elle discréditerait la légalité internationale.
Face à la succession des crimes en Syrie, notre pays doit tout faire pour que cessent les hostilités et pour ramener les belligérants à la table des négociations. Vous n'en prenez pas le chemin. Il faudrait entrer en guerre, dites-vous, mais pour aller où ?
En Afghanistan, en Irak, en Libye, en voulant imposer une solution par la force, on n'a récolté que le chaos. Que d'échecs dont on n'a pas tiré les leçons ! Le peuple syrien est le grand oublié, dans cette confrontation des intérêts des grandes puissances dont la Syrie est la ligne de front...
A l'origine, le peuple manifestait pacifiquement pour les libertés, le droit, la justice sociale ; or le pouvoir a tout de suite choisi une brutale répression. Il s'est livré à des exactions d'une sauvagerie inouïe.
Nous avons soutenu la rébellion syrienne, comme tous les printemps arabes. Nous voyons aujourd'hui à quel point la transition est difficile. La société est pulvérisée par les violences et les atrocités, commises essentiellement par des salafistes armés par des puissances étrangères. Il faut arrêter cette escalade tragique.
Mais une intervention militaire par un duo isolé de puissances occidentales serait une erreur. Face aux menaces de guerre, partout, y compris aux États-Unis, s'expriment des réticences politiques et des rejets populaires.
Or, il y a bien une alternative à la guerre. Quelles autorités françaises demandent la réunion de tous les belligérants ? Genève 1 fut une occasion gâchée. Vous disiez, monsieur le ministre, que les conclusions de la conférence n'étaient pas assez claires sur le départ de Bachar al-Assad et aujourd'hui, vous croyez bon de préciser que les frappes ne visent pas à le renverser ! Où est la vision d'ensemble ?
L'énergie que met la France dans son projet d'opération militaire, qu'elle la consacre à rechercher une issue politique. Le G 20 doit être l'occasion d'entamer les discussions avec les États-Unis, la Russie et d'autres.
Cette crise majeure fait naître des interrogations plus larges sur la sécurité internationale et les armes non conventionnelles -il y a aussi dans la région beaucoup d'armes nucléaires.
Sur l'Iran, le président de la République disait récemment : « le temps presse, la menace grandit, le compte à rebours est enclenché ». Est-ce à dire qu'il faudra mener également une opération militaire en Iran ? Les États-Unis eux-mêmes n'ont pas les moyens de résoudre toutes les crises par la force.
Un changement fondamental de politique internationale est donc indispensable. Que notre pays cesse de suivre les États-Unis dans leur entreprise de déstabilisation. L'urgence n'est pas de faire la guerre mais de construire un avenir commun pour tous les peuples de la région. La France, si elle le décide, en a la force. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Marie Bockel . - (Applaudissements au centre) La crise syrienne est un drame humain : on parle de 110 000 morts. Le 21 août, un cap a été franchi : les preuves d'un usage des armes chimiques par Bachar al-Assad contre sa population convergent.
Face à ce crime, le monde ne peut rester coi. Mais n'agissons pas dans la hâte. Aux États-Unis, le président Obama a souhaité obtenir le soutien du Parlement américain, ce qui n'est pourtant pas juridiquement indispensable. De même, il serait impensable que la France engage ses forces en Syrie sans un vote du Parlement. Il faut construire un consensus national. Les contours et les objectifs de l'intervention doivent être clairs.
Le président de la République parle de « punir » Bachar al-Assad. Mais cela suffira-t-il à protéger la population syrienne ? Ne risque-t-on pas d'exacerber le conflit et de déclencher une machine infernale dans la région ?
L'embrasement de cet Orient compliqué aurait des conséquences sur tous les bords de la Méditerranée.
Respecter le cadre légal est essentiel. Comment le faire en s'inscrivant hors de tout mandat de l'ONU ? Le critère humanitaire est-il suffisant ? Il n'y a pas les bons et les méchants : et certains opposants, proches de l'islam radical, sont loin d'être des enfants de choeur.
La Russie et la Chine, qui bloquent depuis trente et un mois l'adoption d'une résolution au Conseil de sécurité, pourraient continuer à livrer des armes à Bachar al-Assad. La prudence s'impose donc.
J'attire votre attention sur la situation humanitaire. Comme membre de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, j'ai visité des camps de réfugiés, formels ou informels, au Liban et en Turquie. Ces femmes et ses hommes vivent dans un total dénuement. Il est là aussi le crime contre l'humanité ! Pour Antonio Gutteres, Haut-commissaire aux réfugiés de l'ONU, la Syrie est devenue le théâtre de « la plus grande tragédie de ce siècle », avec « des souffrances et des déplacements de population sans équivalent dans l'histoire récente ».
Pourquoi donc ne pas venir en aide plus efficacement aux pays qui accueillent ces réfugiés ? Le petit Liban de 3,5 millions d'habitants comptera d'ici la fin de l'année 1 million de réfugiés !
Une intervention armée ne peut être envisagée en marge des Nations unies. Ne fermons pas la porte à la Russie ou à la Chine. Eux aussi ont des opinions publiques, eux aussi sont témoins des événements.
Une éventuelle intervention devrait s'opérer dans le cadre diplomatique le plus large possible. Quid des positions de la Ligue arabe, divisée mais incontournable ? Et la Turquie ? Et l'Iran ? Il est notoire que les salafistes sont bien présents au sein de l'opposition syrienne. Faut-il leur laisser la main libre ? Sortons plutôt de la crise vers le haut. Il est impensable que l'Europe ne se saisisse pas davantage de cette question, sur le plan humanitaire mais aussi politique. La Syrie est membre de l'Union pour la Méditerranée. La Grande-Bretagne s'est retirée, mais que fait l'Allemagne ? Et Mme Ashton ? Trouvons avec nos partenaires un dénominateur commun. La crédibilité de l'Europe est en jeu, une fois de plus.
Le président de la République a de graves décisions à prendre. Nous, représentants du peuple, devons nous assurer qu'elles sont prises au nom d'objectifs réalistes, dans le respect de la sécurité et des engagements internationaux de la France. Ce n'est pas la quadrature du cercle. Nous pouvons trouver une solution politique pérenne pour la Syrie. Revoyons-nous prochainement pour un nouveau débat, suivi d'un vote ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Pierre Chevènement . - (Applaudissements sur quelques bancs à droite ; M. Nicolas Alfonsi applaudit aussi) Dès juin 2012, monsieur le ministre, je vous ai exprimé ma préoccupation quant à notre politique à l'égard de la Syrie, dictée, dès avant votre arrivée, par l'émotion. Souvenez-vous de notre ambassade de France fermée dès mars 2012...
Plaçons-nous dans une logique de paix et non une logique de guerre. J'ai pensé, comme un certain nombre de membres du groupe RDSE, dont M. Robert Hue, que réclamer comme préalable le départ de Bachar al-Assad affaiblissait les chances de réussite de notre action diplomatique.
C'est la nature même du conflit en Syrie qui fait problème. C'est une guerre civile, et une féroce guerre interconfessionnelle. Assad est soutenu par les Alaouites, par une minorité de chrétiens mais aussi par une fraction des Sunnites.
La majorité des opposants veulent l'effacement des Alaouites et comptent, pour y parvenir, sur une intervention extérieure, comme en Libye. Voyez l'Irak, la Libye justement, la déstabilisation du Mali -sans l'intervention de la France soutenue par l'ONU, que j'ai appuyée fortement, ce pays serait aux mains des Islamistes.
La notion de « responsabilité de protéger » élaborée lors de l'intervention en Libye est rejetée par les pays émergents, Inde, Brésil, Algérie, qui refusent les mesures d'ingérence prescrites par la charte des Nations unies. L'occidentalisme peut se camoufler en droit de l'hommisme.
M. Roland du Luart. - Joli !
M. Jean-Pierre Chevènement. - La résolution de 2005 votée par l'assemblée générale de l'ONU prévoit l'autorisation du Conseil de sécurité pour que s'exerce la « responsabilité de protéger ». Des frappes aériennes sur la Syrie ne peuvent s'effectuer en dehors de la légalité internationale. Un homme d'État comme vous, monsieur le ministre, ne peut agir sur la base du « on ne peut pas ne pas ». On agit parce qu'on ne peut faire autrement ? La Syrie n'a pas signé la convention de 1925, parce qu'à l'époque, elle était sous mandat français ! Elle n'a pas signé le traité de 1993 non plus : d'autres nations, dont Israël, ne l'ont pas ratifié.
Quant au crime contre l'humanité, sa définition par le traité de Rome, qui a fondé la CPI, ne mentionne nullement l'utilisation d'armes chimiques.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Il n'y a qu'à continuer.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Punissons, punissons à tour de bras ! (Sourires à droite) Logique morale, mais les faibles font-ils la morale aux forts ?
Appliquons aussi le doute méthodique de Descartes. Certaines composantes de l'opposition syrienne n'auraient-elles pas eu la capacité de commettre de tels actes ?
Je ne reviens pas sur les déclarations imprudentes du président Obama. La morale remplace le droit, ce n'est pas un progrès car le droit protège chacun tandis que la morale est entre les mains des plus forts.
La France a intérêt à ne pas confectionner un droit à sa mesure, en marge du droit international.
Je vais conclure... (Sourires)
M. le président. - En effet... (Nouveaux sourires)
M. Jean-Pierre Chevènement. - Permettez que le dernier survivant du congrès d'Épinay achève son propos ! (Rires) Le cours des révolutions arabes doit nous conduire à la prudence. Respectons le principe de non-ingérence et le rôle du Conseil de sécurité. Suivons notre stratégie d'influence. La menace de frappes a gonflé le flot des réfugiés. On n'évitera pas les dommages collatéraux...
M. David Assouline. - Qu'est-ce que cela a à voir ?
M. Jean-Pierre Chevènement. - J'ai entendu l'accusation de passivité...
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Ne soyons pas passifs. Faisons pression sur la Syrie. Et que l'opposition désigne ses représentants à la conférence de Genève. Qu'on en parle dans les couloirs du G 20, même si celui-ci ne doit pas se substituer au Conseil de sécurité des Nations unies. Cherchons à obtenir une trêve, un compromis afin de maintenir l'unité du pays ; car une balkanisation entraînerait des malheurs encore plus grands.
Mettons un peu de cohérence dans notre politique. La France n'appartient pas à la famille des nations occidentales, comme disait M. Sarkozy, mais à la grande famille des nations humaines.
Où est passée l'autonomie de la France ? Où sont passés nos alliés européens ? (Marques d'impatience sur les bancs socialistes) Menons notre politique étrangère conformément à notre rôle dans le monde ! N'allons pas effacer la brillante réussite malienne par une erreur gravissime. (Applaudissements sur de nombreux bancs CRC, UDI et UMP ; M. Robert Hue applaudit aussi)
M. Jean-Pierre Vial . - Comme président du groupe d'amitié France-Syrie, je me félicite de ce débat. Notre politique en Syrie ne peut laisser place aux jeux partisans. La Syrie n'est certes pas une démocratie mais son régime a su préserver la coexistence des religions ; la laïcité était inscrite dans sa Constitution. Des groupes radicaux n'ont cessé de progresser, tout en affaiblissant les mouvements d'opposition.
Israël en appelle au respect de son territoire. Le Liban s'est efforcé de ne pas se laisser entraîner dans le conflit. Les Kurdes ont veillé à ne pas laisser entamer leur autonomie.
Dans une région dont le général de Gaulle soulignait qu'elle était confrontée à des « problèmes très délicats », réfléchissons bien à notre action. Je suis opposé à toute intervention militaire sur le sol syrien mais une réaction immédiate et ferme à l'usage d'armes chimiques aurait eu mon soutien. Le trouble grandissant de l'opinion publique n'est pas sans lien avec tant d'hésitations, d'atermoiements, d'excuses juridiques, de déclarations d'intentions. Faute de doctrine, point de stratégie ni de prise sur les événements ; le silence de l'Europe est assourdissant. La réponse à la question qui aurait dû se poser hier s'impose aujourd'hui.
En 2003, à propos de l'Irak, François Hollande réclamait un vote au Parlement. Comment pourrait-on le priver aujourd'hui de l'expression de son droit, au moment où l'on s'apprête à se passer du soutien des Nations unies, que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont saisi leur Parlement et que le Canada fait savoir qu'il ne participera pas à une frappe militaire ? Le Gouvernement peut parfaitement saisir le Parlement afin qu'il se prononce, en vertu de l'article 50-1 de la Constitution.
Si la France ne peut agir seule, une coalition n'est pas une garantie. Il faut agir de façon ferme et résolue, avec pour objectif la chute de Bachar al-Assad. Lorsque la mission des Nations Unies aura rendu ses conclusions, les frappes deviendront aléatoires, les objectifs incertains et le risque politique. Le risque est trop grand pour que le Parlement ne fasse usage de son droit d'expression, alors que des Français vivent en Syrie. Mais en Irak, combien de morts avant, pendant et après l'intervention ? Est-ce la voie du renoncement ? Non. Une aide humanitaire massive s'impose. La Syrie est en ruine, son patrimoine dévasté. L'hiver y est rigoureux. La communauté internationale ne peut laisser des millions de Syriens démunis.
Après plus de deux ans et demi de conflit, le moment est venu pour que toutes les grandes puissances, dont la France, imposent à toutes les parties de se rencontrer, pour que tous les morts ne soient pas morts pour rien.
Être sûr avant d'agir de ne pas nuire par son intervention : telle était déjà la maxime d'Hippocrate. (Applaudissements sur quelques bancs à droite)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères . - Intervenir ou pas ? Là est la question...
M. Jean-Jacques Hyest. - Oui
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - ...facile à poser ; la réponse est plus difficile. Chacun a exposé publiquement son point de vue.
Hier, la commission des affaires étrangères a assisté à huis-clos à une présentation par le ministre de la défense de documents classifiés et déclassifiés.
Nous avons soupesé les arguments. Délibérer, c'est savoir ; c'est aussi choisir.
Animés par le doute méthodique, que savons-nous ne pas savoir ? Nous savons que les armes chimiques ont été massivement utilisées le 21 août. Aucun doute là-dessus. S'agit-il de gaz sarin, de gaz VX, d'ypérite ou d'un « cocktail », nous ne le savons pas. Les résultats des analyses très poussées ne seront connus que dans quinze jours au mieux.
Qui a donné l'ordre ? Nous ne le saurons sans doute jamais. Mais qu'est-ce qu'une preuve formelle ? Un ordre écrit de Bachar al-Assad ? C'est le régime des Assad qui a accumulé les armes chimiques et a refusé de signer la convention de 1993. Celle de 1925 a été signée en 1968, cher Jean-Pierre Chevènement.
Telles sont nos certitudes. Il en est d'autres. Ce bombardement a été massif. Il exigeait une chaîne de commandement et une technicité hors de portée de l'opposition. Les cibles visées étaient occupées uniquement par des opposants et des civils. On ne cesse de bombarder indistinctement dans cet enfer syrien, guerre civile de la pire des espèces, guerre de religions dont nous savons, dans le sud-ouest, combien elles durent, combien elles sont dures.
La Russie et la Chine ne veulent pas décider car elles ne veulent pas admettre l'existence d'un droit d'ingérence humanitaire. Combien de centaines de milliers de morts supplémentaires ? Que dirons-nous aux générations futures ? Il faut agir.
Bachar al-Assad est un dictateur dangereux et sanguinaire mais une partie de ses opposants ne valent guère mieux. Notre but n'est pas de faire tomber le régime mais de donner un coup d'arrêt aux violences, en montrant à toutes les dictatures qu'elles ne peuvent impunément utiliser toutes les armes.
Il n'y aura pas de solution politique tant que le régime gardera à sa tête un satrape sanguinaire qui salit le nom même de la Syrie. Oui, créons une espérance européenne. Proposons un gouvernement de transition. Il ne pourra se constituer qu'en dehors de la tutelle de Bachar al-Assad.
Que sera l'attitude du Hezbollah et de l'Iran ? Préparons-nous. Le Gouvernement français le fait.
Le Royaume-Uni a fait son choix. Respectons-le, comprenons-en les raisons. David Cameron a réglé la facture impayée par Tony Blair et George Bush. Cher Jean-Pierre Raffarin, ce n'est pas parce qu'on nous a menti en 2007 qu'on nous ment en 2013.
La France n'est pas seule ; elle n'ira pas seule. Le pouvait-elle ? Il faut un minimum de consensus pour forger la légitimité internationale.
Que faire ? D'abord, restons unis. Comme mon prédécesseur Josselin de Rohan, je ferai tout pour préserver notre unité, dans la tradition sénatoriale. Ce que me disent mon coeur et ma raison, c'est qu'on ne peut pas laisser gazer des femmes, des hommes et des enfants sans rien faire. Que répondrons-nous à nos enfants : « vous saviez, vous pouviez, vous n'avez rien fait ». Ne répétons pas l'erreur du Rwanda ! Il faut que cela cesse, maintenant. Je prends résolument le parti d'agir, pour le peuple syrien, pour nous-mêmes, pour nos valeurs, pour ce qui nous rend fiers d'être Français.
Entre mon confort et mon honneur, j'ai choisi mon honneur ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)
M. Laurent Fabius, ministre . - Je veux d'abord remercier tous ceux qui sont intervenus, quelle que soit leur position, pour leurs arguments, pour le climat de ce débat, empreint de sérieux et de gravité. Oui, il faut choisir. Nous ne sommes pas des commentateurs, ni même de simples citoyens ; nous devons regarder des deux côtés, puis décider. Aucune solution n'est parfaite. C'est peut-être le propre de la décision politique, particulièrement en politique extérieure. La balance entre les avantages et les inconvénients est très délicate.
Nous discutons ici mais ne perdons pas de vue les hommes et les femmes qui sont en guerre. M. Bockel a visité les camps. C'est une émotion terrible, une indignation que nous avons tous ressenties devant le spectacle de ces cadavres d'enfants.
Réfléchissons, écoutons, au-delà de l'émotion, pour décider. Aucun Syrien que j'ai entendu n'a dit autre chose que : « Venez à notre secours !», et souvent en termes plus forts.
Nous faisons face au plus grand drame de ce siècle. Nous sommes tous d'accord pour nous impliquer toujours davantage pour le soutien humanitaire. Des couloirs sécurisés nécessiteraient des troupes au sol six fois plus nombreuses qu'en Libye. La communauté internationale a malheureusement décidé que ce n'était pas possible.
Il y a peu de contestations sur les faits. Ce constat est très important. Ce qui retient ou empêche le Conseil de sécurité par exemple, avec la Russie ou la Chine, de se prononcer, c'est la contestation sur les faits. Tout à l'heure, le président Poutine n'excluait pas un soutien même militaire, si ceux-ci sont avérés.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Eh oui !
M. Laurent Fabius, ministre. - Des éléments ont été apportés par nos propres services, qui ne s'étaient pas trompés sur l'Irak.
Il faudrait attendre le rapport des inspecteurs, dit-on. J'ai demandé à M. Ban Ki-moon, ce dimanche, quand nous en disposerions. Dans trois semaines, m'a-t-il répondu. Les inspecteurs vont-ils examiner l'imputabilité des faits, lui ai-je ensuite demandé. Non, ce n'est pas dans leur mission. Il est difficile de conditionner la décision qui devra être prise à des éléments, que les intéressés disent ne pas fournir...
J'en viens à la question difficile des extrémistes et de l'opposition syrienne. Il y a d'un côté le dictateur, soutenu, en grande partie, par la communauté alaouite, ainsi que par certaines communautés dont la communauté chrétienne, sans enthousiasme mais par crainte que les extrémistes prennent le dessus à son départ.
Il y a aussi des mouvements extrémistes très minoritaires qui commettent des exactions. Si nous refusons de choisir entre dictatures laïque et religieuse, essayons de soutenir l'opposition modérée, représentée par la coalition nationale syrienne (CNS). Nous sommes les premiers à avoir réuni, à Paris, cette coalition. La France a été la première à soutenir, en entraînant ses partenaires, cette opposition démocratique.
Je préfère le terme de sanction à celui de punition, qui a une dimension morale. S'il n'y pas de sanction, pourquoi le dictateur modifierait-il sa façon de faire ? La population syrienne risque de se tourner vers ceux qui tiennent que la seule solution consisterait en un massacre inverse. La sanction n'est pas contradictoire avec la négociation, elle en est la condition.
Sur l'Irak, comparaison n'est pas raison. Autant nous sommes tous d'accord avec la position prise à l'époque avec M. Chirac, celle que notre formation défendait également ; autant en Syrie, les armes chimiques existent et ont été massivement utilisées. Ne pas agir serait une faute. Tirons les leçons de l'histoire.
Nous parlons avec les Russes. Je verrai demain mon collègue Lavrov à Saint-Pétersbourg. Que nous disent-ils ? Qu'ils n'ont pas de délection particulière pour M. Bachar al-Assad mais veulent éviter le chaos...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Ils l'ont.
M. Laurent Fabius, ministre. - Il est certain qu'un avenir démocratique passe par le départ de Bachar al-Assad. Mais il importera de conserver toute une série d'éléments par lesquels le pays tient debout et entier. Voyez l'intervention irakienne qui, faute de ce souci, a débouché sur une situation catastrophique.
Mais sans intervention, nous dresserions face à face deux extrémismes. Il faut bâtir ensemble une structure permettant aux Alaouites de ne pas craindre d'être détruits, aux communautés chrétiennes d'être protégées, aux Sunnites et aux Kurdes d'être respectés.
La question de la légalité est délicate. La référence à la charte des Nations unies -chapitre VII- est une position constante de la France. Nous sommes confrontés à une impossibilité. Les massacres du mois d'août sont d'une nature nouvelle. Les armes chimiques font l'objet d'une interdiction internationale. La guerre elle-même, dira-t-on, est hors-la-loi ; mais il existe un droit de la guerre, qui proscrit certains armements.
Il faut réagir ; si l'on passe par le chapitre VII, c'est impossible puisque par trois fois, un veto a été opposé au sein du Conseil de sécurité...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Donc on arrête ?
M. Laurent Fabius, ministre. - Non car nous nous appuyons sur le protocole de 1925 et sur la définition du crime contre l'humanité. Et, pour faire respecter la loi internationale, il y a lieu d'admettre une exception -qui n'est pas un précédent.
Monsieur Laurent, ne travestissez pas mes propos. A répéter le terme de « guerre », vous laissez croire qu'il y a d'un côté les partisans de la guerre, de l'autre ceux de la négociation. Nous voulons une sanction ciblée, sans troupes au sol. Et tout le monde est pour la négociation. Nous ne cessons de la promouvoir ! C'est moi qui ai tenu la plume lors du Genève I ! Ma signature figure au bas du protocole. (M. Pierre Laurent s'exclame)
La proposition du Genève II visait à mettre en place « la constitution par consensus d'un gouvernement de transition disposant de la totalité du pouvoir exécutif ».
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Voilà.
M. Laurent Fabius, ministre. - Or, croyez-vous que M. Bassar al-Assad acceptera de négocier son propre dessaisissement ?
Nous avons commencé à négocier avec les autres puissances -y compris les Russes, les Iraniens- pour sortir de ce blocage.
L'opposition elle-même accepterait-elle encore de venir discuter si l'usage d'armes chimiques à l'encontre de 1 500 victimes restait impuni ?
Quelle que soit la grandeur de la France, il n'est pas en notre pouvoir de dire : « c'est comme ça et que tout le monde s'aligne » !
Suivisme ? Isolement ? La question est de savoir si la cause est juste. Les pays qui l'estiment juste s'engagent : c'est ce que nous faisons. Quant à nos partenaires européens, s'ils refusent de s'engager, c'est faute de moyens militaires appropriés, ou parce que ce n'est pas dans leurs traditions ; je songe à l'Allemagne. Mais la plupart d'entre eux nous soutiendront. La Ligue arabe nous soutient aussi, ainsi que de très nombreux pays.
Monsieur Raffarin, l'impuissance, pour moi, est plutôt de dire qu'il faut intervenir, puis expliquer pourquoi c'est impossible. Je peux faire miens certains de vos arguments mais tout bien considéré, il faut décider et agir.
Aujourd'hui, un vote n'aurait pas grand sens car il ne pourrait qu'être conditionnel. Le président de la République rassemble tous les éléments de la décision. La décision du Congrès américain en fait partie, bien sûr : qui d'entre vous souhaiterait que nous agissions seuls ? Le moment venu, le président de la République prendra sa décision et s'adressera aux Français -ce qui n'exclut pas un vote du Parlement, qui n'est toutefois pas prévu par notre Constitution.
Dans les régimes autoritaires, on ne se soucie pas de vote. Dans les démocraties, c'est plus compliqué. Les institutions de la Ve République sont ce qu'elles sont. Quand le président de la République engage militairement le pays, cela ne saurait être « sous réserve de ce que dira le Parlement ».
Sur les faits, l'histoire nous a rendus prudents mais je ne crois pas qu'il y ait de doute. Quant à la sanction, elle est nécessaire ; faute de quoi il n'y a plus de limites. Enfin, l'action n'est pas contradictoire avec une solution politique. Bien au contraire, elle en est une condition.
Merci au Sénat qui a justifié encore une fois son titre de Haute Assemblée. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, RDSE et quelques bancs UDI-UC)