Transparence de la vie publique (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - Nous reprenons la suite de l'examen du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence de la vie publique.
Discussion des articles du projet de loi organique (Suite)
ARTICLE PREMIER (Suite)
M. Alain Anziani. - Chacun a conscience que nous vivons un moment important. Nous étions nombreux, sur tous les bancs, à vouloir qu'un texte en faveur de la transparence soit voté. Le gouvernement Fillon, déjà, avait déposé un projet de loi pour plus de transparence, qui n'a pas prospéré.
Aujourd'hui, une majorité s'était formée et avait voté de nombreux amendements ; elle s'est évaporée au moment de voter l'article. C'est une occasion perdue ; ce qui ne restera pas sans conséquences. Ceux qui ne veulent pas de la transparence ne pourront pas cacher leur vote d'aujourd'hui. On pensera, inévitablement qu'ils ont quelque chose à cacher.
M. Vincent Delahaye. - Il ne faut pas en rajouter !
M. Alain Anziani. - Une occasion manquée donc. Ce qui se jouait aujourd'hui, c'est notre volonté de reconquérir l'opinion. Sondage après sondage, on constate que les deux tiers des Français considèrent que leurs élus ne sont pas vertueux. L'abstention, lors des échéances électorales, est un mauvais signal pour nous et elle fait le lit des forces obscures. Je regrette donc que l'opposition ait eu peur de la transparence. Mais celle-ci viendra, inévitablement et j'ai confiance : dans quelques mois, on y reviendra. (Applaudissements sur les bancs socialistes et CRC)
M. Pierre-Yves Collombat. - Nous n'avons pas peur de la transparence. Vous avez peur de ce que l'on appelle l'opinion, et l'opinion, c'est les médias.
Il est vrai que c'est une occasion manquée. Avec mon sous-amendement, que par un artifice de procédure on a envoyé à la poubelle, nous pouvions tomber d'accord. La publication oui, mais en cas de déviance seulement.
Vous avez une commande de l'Élysée. Vous obéissez, très bien. Mais quelle est l'origine du problème ? D'où viennent les scandales ? Du pouvoir exécutif. Et ce sont les mêmes hommes que l'on retrouve dans toutes les affaires. Ils ne sont pas au Parlement. Parce qu'il y a une fuite d'eau à l'Élysée, on envoie les plombiers au Sénat. C'est manquer la cible. Les problèmes ne viennent pas du Parlement, qui n'a aucun pouvoir, mais de la concentration du pouvoir dans les mains de l'exécutif, sans contre-pouvoir.
M. Yves Pozzo di Borgo. - On n'est pas au catéchisme, monsieur Anziani. Je n'ai plus 12 ans, quand un père jésuite me faisait la morale. L'exécutif a reçu un ballon dans le ventre et nous le renvoie. Six parlementaires sur 25 000 dossiers et pas une condamnation ! Et l'on veut faire de nous la cible des médias, qui placent les parlementaires juste au-dessus de la catégorie des prostituées.
M. Christian Favier. - Ce n'est pas seulement une occasion manquée, mais une faute. L'exigence de transparence ne date pas de l'affaire Cahuzac. Elle est plus profonde, elle traverse le pays. Face à quoi, une petite caste d'élus cherche à se protéger, contribuant à creuser un peu plus le fossé avec la population, qui croit de moins en moins en nous.
Pour nous, nous n'avons rien à cacher. Que les citoyens puissent savoir que nous ne tirons aucun profit de nos fonctions n'est pas pour nous gêner. Chacun devra tirer les conséquences de son vote.
M. Jean Louis Masson. - Pas de démagogie, ni d'hypocrisie. Les élus ne sont pas des boucs émissaires. Si ceux qui ont pensé ce texte étaient vraiment mus par la volonté de mettre de l'honnêteté dans la vie publique, c'est au niveau du contrôle qu'ils auraient dû agir. Pas en mettant la vie privée des élus sur la place publique. Les personnalités qui sont l'objet de poursuites judiciaires ont dissimulé : ce texte n'y aurait rien changé. Ce n'est pas par une surenchère démagogique que l'on moralisera la vie politique. Ce que nos concitoyens veulent, c'est de l'honnêteté, pas l'étalage de la vie privée.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Hier, nous avons adopté, à une large majorité, en commission, un amendement, essentiel, qui prévoyait la publication des patrimoines. Le débat, sur le sujet est tranché. Il est sur la place publique, et les positions de chacun sont connues. Nous savons tous que le dispositif voté par l'Assemblée nationale n'était pas praticable.
On ne peut sanctionner la publication d'informations accessibles à 45 millions d'électeurs. Nous avons donc supprimé la sanction, et, logiquement, autorisé la publication. Je comprends mal la logique de ceux qui ont signé et voté cet amendement, avant de repousser l'article. Comment justifier une telle contradiction ?
Comme M. Favier, je crois que c'est une faute, qui dépasse les clivages politiques, car des sénateurs de différents groupes étaient pour la publication, notamment les groupes CRC, socialiste et écologiste, qui étaient unanimes sur cette question. Ils ont une position très claire. D'autres sénateurs aussi ont une position très claire.
J'espère qu'on pourra revenir sur ce problème, mais pas la conviction, car ce vote interdit au Sénat de peser sur le débat, au détriment du bicamérisme.
En cette période où il faut réconcilier les citoyens avec la politique, de tels votes ne vont pas dans le bon sens et je crains que les réactions ne soient très négatives.
Il n'y a pas d'un côté ceux qui seraient pour étaler la vie privée et de l'autre ceux qui ne le voudraient pas. Tout notre travail, en commission, est allé à tenter de concilier transparence, publicité, contrôle et respect de la vie privée. Nous avons bien travaillé et l'article premier tel qu'il était écrit était une excellente synthèse de nos préoccupations. Je regrette que, pour des raisons obscures, ce vote négatif soit intervenu.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - J'ai écouté avec beaucoup d'attention vos propos. La vie politique est, depuis des siècles, émaillée de scandales. Voyez les recommandations de Saint Louis, rappelées par le président Sueur au début de son rapport écrit.
Sous la Ve République, des scandales ont existé sur différents bancs des assemblées et dans les différents partis. Qu'ils soient de droite ou de gauche, les présidents de la République successifs ont cherché à établir plus de transparence. Je ne peux donc entendre sans réagir que cette loi serait de circonstance : elle s'inscrit dans la durée, pour plus de transparence.
En tant que ministres, nous avons à la demande du président de la République rendu public notre patrimoine. Il n'y a pas eu voyeurisme, étalage, atteinte à la vie privée. Nos concitoyens sont mûrs ; ils veulent connaître, mais ne portent pas de jugement sur les patrimoines. La société française est plus avancée qu'on ne le pense sur certains bancs.
ARTICLES ADDITIONNELS
M. le président. - Amendement n°119, présenté par M. Zocchetto et les membres du groupe UDI-UC.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 8 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un article 8-... ainsi rédigé :
« Art. 8-... - I. - Les magistrats veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflits d'intérêts.
« II. - Les magistrats nommés à la Cour de cassation et les personnes visées à l'article 40-1 sont tenus, lors de l'installation dans leurs fonctions, d'effectuer une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts dans les conditions fixées par la loi organique n° ........ du ........ »
M. Vincent Delahaye. - La liste des personnes soumises à déclaration est incomplète : cet amendement soumet donc les magistrats nommés à la Cour de cassation, juridiction la plus élevée de l'ordre judiciaire, ainsi que les conseillers et avocats généraux en service extraordinaire au sein de cette Cour, à ces obligations de déclaration.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Avis défavorable car il s'agit d'un cavalier. Le texte ne porte pas sur le statut des magistrats, sur lequel travaille d'ailleurs le Gouvernement.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - La ministre de la justice a saisi le Conseil d'État d'un projet de loi organique sur le sujet et le Parlement devra se prononcer cet automne.
M. Fillon avait commandé deux rapports, qui ont conduit à des projets de loi de M. Sauvadet et de M. Mercier.
L'amendement n°119 est retiré.
M. le président. - Amendement n°123 rectifié, présenté par M. Pozzo di Borgo.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 10 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature est ainsi rédigé :
« Art. 10. - Sauf lorsqu'il siège en matière disciplinaire, les délibérations du Conseil supérieur sont publiques.
« Toutefois, le président peut décider que l'audience a lieu à huis clos.
« Les décisions rendues par le Conseil supérieur doivent être motivées et rendues publiques.
« Les membres du Conseil supérieur ainsi que les personnes qui, à un titre quelconque, assistent aux délibérations ayant lieu à huis clos sont tenus au secret professionnel. »
M. Yves Pozzo di Borgo. - La transparence doit s'appliquer aux trois pouvoirs. Aux États-Unis, les juges sont élus, donc on sait, lorsqu'ils sont candidats, qui ils sont.
M. le président. - Amendement n°121, présenté par M. Pozzo di Borgo.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 10-1 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, il est inséré un article 10-2 ainsi rédigé :
« 10-2. - Les membres du Conseil supérieur sont tenus, lors de l'installation dans leurs fonctions, d'effectuer une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts dans les conditions fixées par la loi organique n° ........ du ........ relative à la transparence de la vie publique.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Cet amendement va dans le même sens que le précédent. Je regrette la procédure accélérée, qui empêche de poursuivre la réflexion. Quand on vote aux États-Unis pour un juge, on sait pourquoi on vote pour lui, ce qui n'est pas le cas en France.
Je suis las des attaques contre les magistrats, car ils sont de qualité et ils doivent être protégés.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous présentez ici deux amendements sur le CSM alors qu'il y a huit jours, on a débattu de cette institution et que vous n'avez pas présenté ces amendements. Il est toujours préférable de choisir le bon véhicule, quand on veut voir prospérer ses amendements...
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - Avis défavorable sur ces deux amendements.
M. Pierre-Yves Collombat. - Si j'ai bien compris les propos de Mme la ministre, il ne s'agit pas d'une loi de circonstance. Mais ce texte ne traite pas du vrai problème, la concentration des pouvoirs dans les mains de l'exécutif sans contre-pouvoirs : la constitution s'y oppose. On veut nous faire croire que le problème, ce sont les parlementaires, mais en quoi la publication des patrimoines changerait-elle l'opinion de nos concitoyens ? On leur a dit « le changement, c'est maintenant ! » et ils constatent que ce n'est pas le cas. Les lois que vous allez voter puis appliquer vont l'être à bon escient, mais imaginez une autre majorité, les effets seraient dévastateurs ! Je ne voterai pas cette loi.
M. Gérard Longuet. - Le groupe UMP ne votera pas ces deux amendements, en quelque sorte des cavaliers, même s'il a été tenté de le faire. Puisque l'on envisage de confier à des magistrats le contrôle des parlementaires, pourquoi, dès lors que la confusion règne, ne pas demander aux parlementaires de se préoccuper des magistrats. Cet argument est au coeur de notre hostilité au principe de la transparence.
Lorsque M. Rocard avait présenté un texte courageux sur le financement politique... et le pardon des offenses, vertu chrétienne mais aussi salut pour la République, j'ai pris mes responsabilités, avec M. Barre et un autre député, ce qui ne nous a valu la sympathie ni de mon groupe ni de votre majorité. Mais aujourd'hui, vous ne faites pas oeuvre courageuse. Après le drame de l'affaire Cahuzac, il aurait fallu que le Premier ministre prenne la défense du Parlement, notamment du Sénat qui a une instance de déontologie. En vingt-cinq ans, seuls six parlementaires ont été mis en cause et cela n'a abouti à rien.
Il est évidemment plus facile de dire que les parlementaires sont soupçonnables et qu'il faut les surveiller, comme le propose la loi. Le Premier ministre, qui a la responsabilité des relations avec le Parlement, aurait du prendre sa défense.
S'il a des difficultés aujourd'hui avec sa majorité, c'est parce qu'elle ne se sent pas soutenue par l'autorité politique responsable devant le Parlement. Mme Bertinotti a rappelé qu'elle a déclaré son patrimoine à la demande du président de la République, qui l'a nommée et dont elle dépend mais nous, parlementaires, dépendons de nos électeurs. Nous sommes capables de respecter les lois que nous votons, en organisant un contrôle en notre sein. Je crois au concept de la déontologie des assemblées. Tout écart devient un délit pouvant être constaté par l'assemblée, qui transmet alors au parquet. L'étalage public ne fera que réduire l'assise sociologique du Parlement et priver les électeurs des représentants qu'ils pourraient choisir. (Applaudissements à droite et sur les bancs UDI-UC)
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je vais retirer mes amendements. Si je les avais présentés lors du débat sur la réforme du CSM, je suis sûr qu'on m'aurait invité à les réserver pour la loi sur la transparence...
L'amendement n°123 rectifié est retiré, ainsi que l'amendement n°121.
ARTICLE 2
Mme Bariza Khiari . - Cet article pose la question de la compatibilité entre activités privées et mandat de parlementaire. Il ne s'agit pas pour autant de réserver les assemblées aux retraités.
M. Gérard Longuet. - C'est pourtant ce que vous faites !
Mme Bariza Khiari. - L'Assemblée nationale a voulu revenir sur certaines situations pour éviter les conflits d'intérêts. Nous nous inscrivons dans la continuité d'une législation ancienne, qui ne cherche pas à fragiliser les parlementaires mais à les protéger, et la démocratie. Certains parlements ont des pratiques plus contraignantes que nous. En témoigne ce qui se fait en Grande-Bretagne : les fonctionnaires doivent démissionner quand ils sont élus.
Cet article permet de clarifier les choses : une République irréprochable est une République qui ne laisse pas la place aux doutes chez nos concitoyens. Le poujadisme et l'antiparlementarisme sont en marche et c'est en refusant de s'attaquer à la cause de ce phénomène qu'on contribue à l'accroître.
Celui qui refuse la transparence, a quelque chose à cacher : c'est l'idée qui se répandra.
Que le mandat de parlementaire ne soit pas un métier n'est pas une raison pour ne pas exercer pleinement ce mandat.
Je voterai donc cet article qui éclairera nos concitoyens, afin d'éviter que ne s'accroissent les forces obscures dont a parlé M. Anziani. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
L'amendement n°11 est retiré.
La séance est suspendue à 20 h 15.
présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président
La séance reprend à 22 h 15.