SÉANCE
du mardi 11 juin 2013
113e séance de la session ordinaire 2012-2013
présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires : Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Mme Catherine Procaccia.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommage à Pierre Mauroy
M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat - (M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, M. Vidalies, ministre des relations avec le Parlement, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent)
La disparition de Pierre Mauroy a soulevé une profonde émotion.
En ce moment, devant la Haute assemblée, je veux m'incliner devant la mémoire de l'homme d'État, saluer le militant, rendre hommage à l'homme, à sa générosité, à son humanisme.
Pierre Mauroy était d'abord un homme de coeur, d'engagement et de fidélité. Une fidélité à l'idéal et une volonté inébranlable de changer la vie.
Pierre Mauroy, chacun ici comprendra que j'y fasse référence, c'est d'abord l'engagement dans la famille socialiste.
Fils d'instituteur, issu d'une lignée de bûcherons journaliers et de mineurs, élevé dans les valeurs d'humilité et de partage, l'engagement à gauche est pour lui une évidence.
Il grandit dans le Cambrésis, en découvrant « la vie et ses injustices, au milieu du monde ouvrier. »
Porté par les figures qu'il admire le plus - Léo Lagrange, Léon Blum, Jean Zay -, il adhère aux Jeunesses socialistes.
Élu député du Nord et maire de Lille en 1973, il puise dans l'exemple de Roger Salengro, figure du Front populaire, le courage et l'énergie nécessaires pour accomplir sa tâche.
Pierre Mauroy c'est aussi la fidélité à Lille et au Nord.
Lui qui venait de la campagne, il voulait transformer sa ville. Il en a fait une grande métropole.
Idéaliste et pragmatique, devenant Premier ministre de François Mitterrand, il met en oeuvre la même volonté de transformation de la société, à partir d'un « programme dont le contenu explore le possible ».
« L'économie doit se faire à la mesure de l'homme et pour l'homme ».
« On peut être homme d'État et demeurer homme du peuple » disait à son propos ce matin aux Invalides le président de la République.
Il est vrai qu'il aimait bien utiliser ces mots auxquels il tenait : « le peuple, les travailleurs, la classe ouvrière... »
En trois ans, il conduit des réformes fondatrices pour les droits et libertés des citoyens : l'abolition de la peine de mort, la libération des ondes, des avancées sociales avec la cinquième semaine de congés payés, les 39 heures, la retraite à 60 ans et les nouveaux droits des salariés.
Attentif à la situation des femmes, il crée un ministère des droits de la femme et met en oeuvre le remboursement de l'IVG.
Parmi les nombreuses réformes qu'il a menées en tant que Premier ministre, il était particulièrement fier des lois de décentralisation. Ces lois ont posé les fondements d'une nouvelle citoyenneté. Elles ont donné lieu à une véritable révolution silencieuse.
« Une France responsable, expliquait Pierre Mauroy dans sa déclaration de politique générale du 8 juillet 1981, c'est aussi un pays qui doit, désormais, enraciner l'unité de la République dans la diversité et la responsabilité de ses collectivités locales ».
Ce mouvement a rapproché le pouvoir des citoyens. Il a en quelque sorte permis à ceux-ci, aux territoires de prendre leur destin en main. Trente ans après les lois de décentralisation, notre cohésion nationale repose également sur ces communautés concrètes que sont les collectivités territoriales et sur les services publics de proximité dont elles assurent la pérennité.
La décentralisation est progressivement devenue un héritage républicain, inscrit depuis 2003 dans notre Constitution.
Pierre Mauroy fut sénateur pendant près de vingt ans, de 1992 à 2011. Il avait en permanence le souci de la vérité, de la réalité, de la subtilité et de la nuance. Il a achevé son mandat de sénateur au moment où le Sénat a connu l'alternance.
Auparavant, pendant sept ans, j'ai présidé le groupe auquel il appartenait. Je garde de cette période le souvenir de longs moments passés à parler ensemble, des moments précieux au cours desquels j'ai pu mesurer les qualités d'un homme qui incarnait à lui seul une partie de l'Histoire de notre pays.
À l'estime, à l'admiration parmi ceux qui, ici, le côtoyaient, s'est ajoutée une grande proximité et oserais-je dire, l'affection.
Courtois, épris de modernité, visionnaire, Pierre Mauroy était un homme pour lequel nulle aventure ne vaut si elle n'est pas collective. Il était aussi un orateur remarquable : chacun se souvient ici de sa dernière intervention en séance publique, pour défendre notre système de retraite, « cette ligne de vie, cette ligne de combat » pour les salariés usés par des travaux pénibles.
La densité de ses réformes et son parcours politique exceptionnel ont fait de lui l'incarnation des valeurs de progrès et de justice sociale. Il voulait beaucoup pour les autres, et pour nous, il nous demandait d'être « les héritiers de l'avenir ». La politique était aussi pour Pierre Mauroy une recherche du bonheur partagé.
« L'essentiel est de semer les bonnes graines, que l'on soit encore au pouvoir au moment de la récolte n'a aucune importance. Les hommes passent avec le reste. Les justes causes, elles, ne meurent jamais », écrivait-il.
Non, l'oeuvre de Pierre Mauroy ne s'en ira pas.
J'adresse à son épouse Gilberte et à sa famille, en mon nom personnel, en votre nom à tous, notre amitié et notre plus profonde sympathie.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre . - Pierre Mauroy avait choisi le Sénat pour y exercer son ultime mandat. Il s'y est inscrit dans la longue histoire des institutions occidentales, qui a pris naissance avec le Sénat de la République romaine. Il fut une vigie, une mémoire vivante, une force et un protecteur. Protecteur des principes et des valeurs de la République, des gens les plus modestes, des travailleurs. Protecteur de la France, dans sa volonté de susciter et d'accompagner les changements. Ce fut un sage, animé d'une volonté de penser et d'imaginer que seule la vieillesse donne parfois aux hommes d'exception.
Parmi les nombreux hommages qui lui sont rendus depuis vendredi, il en manque peut-être un : Pierre Mauroy était un homme libre, qualité première d'un homme d'État en démocratie pour décider et agir.
Il lui en fallut, de la liberté, pour imaginer dans un vieux pays centralisateur comme la France, reconfigurer de fond en comble la place des collectivités locales dans l'Etat. Trente ans après, on mesure combien, en voyant dans cette alliance entre l'État et les collectivités locales le chemin de l'avenir, il avait raison.
Pierre Mauroy comparait la mort à la mer qui, disait-il, « s'impose à vous majestueusement, avec solennité, beaucoup de force et une très grande beauté ». C'est ainsi que sa propre figure humaine se présente à nous, à vous qui l'avez connu, avec la beauté singulière de son verbe, dans l'instance de la République qui la respecte le plus, le Sénat.
M. le président. - En sa mémoire, je vous demande de respecter une minute de silence. (M. le Premier ministre et les membres du Gouvernement, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence).
La séance est suspendue à 14 h 40.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 14 h 45.