Représentation des territoires au sein des conseils régionaux
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à assurer une représentation juste et équilibrée au sein des conseils régionaux.
Discussion générale
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi . - Je suis heureux que cette proposition de loi soit soutenue par l'ensemble de mon groupe. Je vous épargnerai le discours traditionnel sur la ruralité, cette pépite de la République française, écrabouillée par le fait urbain...
Mais je veux, fort de mon expérience de conseiller régional, dénoncer l'impossibilité, dans certains départements, d'assumer pleinement une responsabilité régionale. Il n'y a pas que la Lozère, mais aussi le Cantal, la Creuse, les Hautes-Alpes, les Alpes de Haute-Provence... La Lozère ne compte qu'un conseiller régional -sur 67 ! Il doit siéger dans une multiplicité d'organismes -les lycées, les CFA, les missions locales, les comités de massifs, etc... : j'en ai compté 57 ! Autant dire mission impossible.
Les dix neuf commissions du conseil régional Languedoc-Roussillon sont toutes importantes : il faut y être, c'est indispensable ! De l'aménagement du territoire jusqu'au tourisme en passant par les équipements scolaires ou le sport, combien de sujets majeurs ! Tout au plus peut-on se passer de siéger à la commission pour les relations avec la Méditerranée. Comment le conseiller régional de Lozère, tout seul, pourrait-il y suffire ? Tout cela n'est pas sérieux. L'hyper-ruralité est de moins en moins présente dans les assemblées politiques, malgré l'écoute du gouvernement de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault : la Lozère a droit a un député, un sénateur, un conseiller régional. La reconnaissance du fait régional ne repose pas sur le même principe de représentation de la population, d'où un système qui a beaucoup évolué afin d'éviter certaines mésalliances...
Particularité du scrutin régional, le nombre d'élus par département n'est pas fixé par la loi, mécanisme validé par le Conseil constitutionnel. Il faut donc trouver un mode de scrutin équilibré. La loi de 2003 a consolidé l'échelon régional et donné aux conseils régionaux des majorités claires, mais elle entraîne une sous-représentation criante des départements ruraux.
Comme la section départementale a un droit de tirage, les grandes métropoles comme Montpellier pèsent de plus en plus : résultat, la Lozère a déjà perdu un conseiller régional sur deux et finira par ne plus en avoir du tout... La loi de 2003 qui l'autorise ne me paraît pas constitutionnelle et mériterait de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, si le présent texte n'était pas voté.
Dans la région Paca, la Haute-Provence et les Hautes-Alpes ne comptent que 4 conseillers sur 123, et ce nombre va aller diminuant. Les territoires ruraux souffrent de handicaps structurels, on le sait. Ce texte de bon sens leur rendrait la place qu'ils méritent. Je salue les collègues qui ont soutenu cette mesure : MM. Delebarre, Richard, Collombat. Notre proposition initiale de revenir à la départementalisation du scrutin était une proposition d'appel : le scrutin doit rester régional. Nous avons abrogé le conseil territorial, qui pénalisait la ruralité...
M. Jean-Claude Lenoir. - Ce n'est pas mieux maintenant !
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. - Le conseil départemental assure la représentation du territoire et de la population, a admis le Gouvernement dans un texte récent : nous nous en réjouissons. Je me félicite des apports du rapporteur, pour une représentation juste et équitable. Il n'est pas question de faire des régions de simples instances de coordination des départements, quoi qu'en disent certains, mais de réaffirmer la nécessaire représentation des territoires. La composante rurale de nos régions est une réalité : les ignorer, c'est oublier une partie de la République ! Je vous invite donc à adopter ce texte de bon sens. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jean-Michel Baylet. - Très bien ! Compliments !
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois . - M. Bertrand a rappelé les motivations de cette initiative et les évolutions qu'elle a déjà parcourues. Les principes directeurs du scrutin régional ont été dégagés après une gestation douloureuse : le jeune conseiller régional que fut Manuel Valls, élu en 1986, s'en souvient. Il n'était pas facile alors, avec la composition du conseil qui ressortait du scrutin, de voter les budgets régionaux, ni même parfois d'élire le président... Après une première esquisse en 1999, un nouveau mode de scrutin a été consacré en 2003. L'intermède du conseiller territorial entre 2009-2011, qui n'a pas abouti, a conduit à préciser les principes constitutionnels d'égalité du suffrage et de représentation des territoires. La loi de 2003 est donc toujours en application. Les listes sont le support de l'attribution des sièges mais, pour des raisons d'équilibre territorial et de recherche de proximité, à l'intérieur de chaque liste, les sièges sont répartis entre sections départementales. (Approbation sur les bancs UMP)
Ils ne sont pas répartis au prorata de la population mais au prorata des suffrages exprimés. Des départements peu peuplés au sein d'une région très peuplée peuvent donc se retrouver très faiblement représentés : c'est le cas de la Lozère, avec un seul conseiller régional sur 67, et qui pourrait se retrouver à terme sans aucun représentant. Les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence, de même, pourraient se retrouver avec moins de trois représentants. Il fallait donc trouver une solution. Le système de fractionnement géographique -qui vaut pour les maires d'arrondissement des trois plus grandes villes de France, rappel du caractère chatoyant de notre droit électoral- ne fonctionnerait pas ici. D'où l'idée de fixer le nombre de conseillers à trois par département, chiffre qui semble faire l'unanimité et ne déséquilibre pas la composition des conseils régionaux.
Pour donner trois conseillers à la Lozère, on ajouterait deux sièges au conseil régional, qui compterait donc 69 membres. Avec le système de prime majoritaire, passant de 17 à 18, il fallait réécrire l'article.
Le Conseil constitutionnel, sollicité sur le conseiller territorial, a dit le droit sur ce sujet. Le minimum avait été fixé à 15 par département, quitte à entraîner une surreprésentation des plus petits départements ; le Conseil constitutionnel l'a jugé légitime, par sa décision 2010/58, déboutant l'opposition de l'époque.
Avec cette proposition de loi, on a trouvé une solution de conciliation, qui ne déséquilibre pas les conseils régionaux et assure une représentation équitable aux petits départements. (Applaudissements)
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur . - Il y a un mois, l'Assemblée nationale adoptait définitivement le projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux et municipaux. Nos débats, ici comme à l'Assemblée nationale, ont été longs et fructueux, en particulier sur la représentation des territoires ruraux. J'attache le plus grand prix à la diversité de nos territoires comme à la démocratie locale et à tous les élus qui la font vivre. Je rejoins en cela Alain Bertrand : nos concitoyens, où qu'ils vivent, doivent être représentés et connaître leurs élus. La proximité est essentielle à une démocratie locale forte et légitime.
Mais ici comme lors de l'examen du projet de loi relatif aux élections locales, je veux vous faire part de mes doutes. L'affirmation progressive de la région, ces trente dernières années, s'est faite au travers de la régionalisation du scrutin. La loi de 2003 a repris trois points de la loi de 1999 : l'élection des conseillers régionaux dans le cadre régional, la présence du futur président en tête de liste et une prime majoritaire de 25 % pour stabiliser la gouvernance. La confusion entre région et département était un facteur d'affaiblissement pour les deux institutions. C'est bien pourquoi nous avons tant combattu le conseiller territorial, pour finir par l'abroger. Nous sommes aujourd'hui sortis de l'impasse. Le département et la région restent des échelons complémentaires mais ils sont de nouveau autonomes. Chacun a ses compétences et sa logique. L'illusion d'un conseiller unique se démultipliant dans une série de tâches dont l'énumération ressemblait à la liste de Don Giovanni a été dissipée.
Ce texte, s'il était adopté, réintroduirait une forme de confusion. Les travaux de votre commission des lois montrent que le risque a été perçu pour la gouvernance des assemblées régionales. Par le passé, certaines régions se sont révélées ingouvernables. Ne prenons pas le risque de revenir à une telle situation par le truchement d'un scrutin redépartemantalisé. M. Richard, comme à son habitude, a su innover mais des interrogations demeurent. Introduire un nombre flottant de conseillers régionaux serait un facteur de complexité, sans parler des risques institutionnels que comporte ce texte. J'entends votre souci d'assurer la représentation des territoires ruraux. Il est vrai que la portée de ce texte resterait d'abord limitée, puisqu'il ne s'appliquerait qu'à la Lozère.
M. Jean-Michel Baylet. - C'est l'essentiel...
M. Manuel Valls, ministre. - Je ne doute pas, monsieur Bertrand, de votre capacité à faire entendre la voix de votre département au sein de la région Languedoc-Roussillon. N'allons pas prendre le risque d'une censure du Conseil constitutionnel. Aux prochaines élections, sur la base de la population de 2010, un conseiller représentant la Lozère serait élu par 25 694 habitants pour une moyenne régionale de 38 208 ; l'écart serait de 33 %, soit au-delà du seuil posé par le Conseil -le rapporteur l'a d'ailleurs souligné. Le Conseil constitutionnel a jugé que la représentation devait reposer sur des bases essentiellement démographiques, toute dérogation devant être justifiée par un impératif d'intérêt général.
L'histoire de notre démocratie locale, c'est aussi l'histoire d'une autonomisation, par rapport à l'État mais aussi des collectivités entre elles. Nous avons voulu, avec le texte récemment adopté, donner un nouveau souffle à la démocratie locale et réaffirmer la place des départements. Ce souci, nous devons aussi l'avoir pour les régions. Le Gouvernement sait votre attachement à nos territoires, à nos régions autant qu'à nos départements. Il sait votre désir d'en assurer partout la vitalité. Il s'en remettra donc à votre sagesse. (Applaudissements)
Mme Cécile Cukierman . - Depuis 1985, le scrutin régional a beaucoup évolué. Avec la loi de 2003, les sections départementales sont affiliées à la liste régionale et servent in fine à la répartition des sièges. L'expérience douloureuse de 1998, personne ne veut la revivre : il n'est pas question de revenir à un scrutin départementalisé. En revanche, le dispositif retenu en 2003 pourrait, à terme, poser problème dans plusieurs départements -et non seulement en Lozère. Comment faire vivre la démocratie et le pluralisme avec un seul représentant ? Notre commission des lois n'a pas voulu revenir à la départementalisation telle que le proposait la proposition de loi mais il vaudrait la peine de creuser le sujet. Le scrutin demeure peu lisible par les électeurs, parce que la représentation départementale est fonction de la part prise par les départements dans le score final.
La proposition de notre rapporteur ne règle pas le problème de lisibilité mais constitue une avancée pour la représentation des départements : trois sièges au minimum, pouvant venir en plus du nombre de sièges initialement prévus. C'est introduire le principe de sièges correctifs, qui va dans le sens des propositions que nous avons faites naguère d'un scrutin mixte avec listes départementales. Nous voterons avec satisfaction cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)
Mme Jacqueline Gourault . - Notre rapporteur a fait preuve d'une parfaite pédagogie. Sa proposition se fonde sur l'équité de la représentation des départements au sein de la région. Le ministre a fait part d'objections légitimes. Mais si l'on a fait des sections départementales, c'est bien pour que les départements soient représentés -on en serait resté, sinon, à un scrutin purement régional. Le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements)
M. Pierre-Yves Collombat . - Il a fallu essayer trois modes de scrutins en cinq élections pour stabiliser le scrutin régional. Le système adopté en 2003 a donné satisfaction en termes d'espérances de résultats électoraux, mais au prix d'une grande complexité, d'une mauvaise représentation des territoires ruraux dans les départements dont la population est répartie de façon hétérogène et d'une représentation minimale des départements ruraux au sein de la région.
Un scrutin bien complexe, en effet... Outre que le nombre de conseillers élus dans un département est différent du nombre dont il pourrait potentiellement disposer ou que celui des sièges varie d'une élection à l'autre, le personnel politique d'un département peut être élu sur la liste d'un autre... Voyez ce qui s'est passé dans le Var. On se retrouve, avec un tel mercato, avec des conseillers volants et l'interdiction de fait des listes et candidats indépendants.
Les zones rurales sont sous-représentées. C'est le cas dans le Var : un seul représentant de gauche issu du Var intérieur, encore vient-il d'une ville, Brignoles ; même tableau à droite, où le représentant du Var intérieur est le président de l'agglomération dracénoise...
Cette proposition de loi vise à remédier à la sous-représentation des départements ruraux dans les régions où l'écart entre le département le moins peuplé et le département le plus peuplé est important. La Lozère ne compte plus qu'un seul représentant en 2010, et les Alpes de Haute-Provence n'en ont plus que quatre au lieu de cinq. Le risque, avec l'évolution démographique, c'est qu'on tende un jour vers zéro... La validation par le Conseil constitutionnel du conseiller territorial montre que des accommodements avec le principe d'une représentation sur des bases « essentiellement démographiques » sont possibles.
Il est vrai que cette proposition de loi comporte un inconvénient, celui de procéder à une redépartementalisation du scrutin. Au vrai, il eût été bon d'aller plus loin que la seule suppression du conseiller territorial, en revenant sur le scrutin régional. Pour l'heure, la proposition de notre rapporteur apporte une amélioration intéressante. Nous ferons oeuvre utile en la votant. (Applaudissements à gauche)
Mme Hélène Lipietz . - La complexification des modes de scrutin va croissant. Pour nous, écologistes, le scrutin de liste paritaire à deux tours est le meilleur, non parce qu'il nous est le plus favorable mais parce qu'il assure le pluralisme et un meilleur fonctionnement des conseils. Las, nous ne sommes guère suivis. Le projet politique d'une région doit surmonter la concurrence entre les territoires. Il est temps de donner des pouvoirs élargis aux régions.
Or, dans le scrutin régional actuel, le nombre de sièges attribués à chaque département dépend du nombre de voix obtenues, non de la population. Faut-il rappeler que l'intérêt régional n'est pas l'agrégation des intérêts départementaux ? C'est bien pourquoi un élu appartenant à un département peut être élu au titre d'un autre département. Reste, il est vrai, que le système demeure difficile à comprendre pour nos concitoyens. Mais des politiques telles que l'organisation des transports débordent largement les limites du département.
L'objectif de ce texte est de renforcer la représentation de certains départements. Mais il en va de même de certains quartiers de nos villes : cela n'empêche pas les élus de s'y rendre !
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. - Les distances ne sont pas les mêmes ! Le quartier n'est pas à 2h30 de distance -4h30 en train !
Mme Hélène Lipietz. - Pour nous, les élus ne représentent pas les territoires mais les citoyens. Faut-il faire une loi pour deux sièges de plus à l'échelle du pays ? Nous ne le pensons pas. Considérant que la solidarité peut s'exprimer d'une autre façon, les sénateurs écologistes ne voteront pas ce texte. (Exclamations sur les bancs du RDSE)
Mme Françoise Laborde. - On le fera savoir !
Mme Hélène Lipietz. - Nous déposerons une proposition de loi ambitieuse afin de réformer notre organisation territoriale, pour plus de justice et d'écologie.
M. Jean-Claude Lenoir . - Le groupe UMP adoptera le texte de la commission des lois, non sans exprimer certaines observations -que j'ai largement inspirées. (Sourires)
Mme Nathalie Goulet. - On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même !
M. Jean-Claude Lenoir. - Les élections régionales ont connu bien des hoquets. Si la loi de 1985 a produit des effets attendus, les choses se sont compliquées en 1992 et aggravées en 1998, du fait de l'évolution des forces politiques dans notre pays, quel qu'ait été le camp des vainqueurs. Nous en sommes à la cinquième loi : l'une ne sera pas appliquée, celle de 1999, et une autre ne le sera peut-être pas -celle qu'a adoptée l'Assemblée nationale en dernière lecture le mois dernier, sur laquelle on attend encore la décision du Conseil constitutionnel.
Ces difficultés ne sont pas surprenantes, la région a dû s'affirmer progressivement. Elle bénéficie désormais de majorités cohérentes, mais avec des inconvénients, soulevés par M. Bertrand dans son plaidoyer pro domo... Le représentant de la Lozère dans notre Haute assemblée aurait été bien inspiré de voter le conseiller territorial, si l'on en croit ses récriminations, car il se sentirait moins seul au sein de son conseil régional...
La Lozère n'est, au reste, pas seule concernée. Je me suis rendu compte, au soir des élections de 2004, que le département de l'Orne perdait un représentant, alors qu'il est celui qui avait apporté proportionnellement le plus de voix à la liste que conduisait notre collègue René Garrec. Notre rapporteur, si l'on s'en réfère au comparatif, a tout repris à la racine et nous propose un nouveau texte. Nous partageons son inspiration. Reste un seul problème soulevé par le ministre : il n'est pas souhaitable d'avoir un nombre flottant d'élus dans une région. Cela ne nous empêchera pas, cependant, d'apporter notre soutien à ce texte. (Applaudissements à droite et sur les bancs RDSE)
M. Alain Anziani . - Je vais faire entendre ici une voix dissonante. Presque avec regret, car je suis sensible à la situation de la Lozère et de l'ensemble des territoires défavorisés. Ma position est personnelle et n'engage pas mon groupe qui soutient ce texte.
Nous sommes nombreux dans cette assemblée à avoir vécu la situation de régions ingouvernables, à avoir passé des nuits entières à rechercher un accord de gouvernance minimal. Vingt ans et trois réformes plus tard, nous avons un mode de scrutin qui fonctionne et donne aux régions des majorités stables. Sa dimension est régionale, parce que la région ne représente pas les territoires départementaux. Pourquoi le modifier ? L'exposé des motifs de ce texte nous dit qu'il s'agit de « rétablir la départementalisation de scrutin ». Pourquoi ? Pour permettre aux départements de défendre leurs intérêts. Qui donc est concerné ? La Lozère. Point.
M. Bruno Sido. - Les Hautes-Alpes aussi ! (M. Rebsamen approuve)
M. Alain Anziani. - A part la Lozère, tous les départements ont plus de trois représentants. Peut-être que demain, davantage seront concernés, deux, trois, ou quatre... Mais pour l'heure, seule la Lozère est concernée. Département défavorisé, elle mérite tout notre respect.
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. - Et pas l'équité ?
M. Alain Anziani. - Mais notre rôle de législateur est-il de modifier la loi pour régler le problème d'un département ? Accepter de le faire aujourd'hui pour la Lozère, c'est mettre le doigt dans un engrenage. La loi doit rester l'expression de l'intérêt général.
Notre rapporteur a fait un travail remarquable en réécrivant largement le texte. Il a essayé de sauver les meubles et la régionalisation du scrutin. Demeurent pourtant trois obstacles. Le premier est d'ordre institutionnel. Quel paradoxe, alors que nous voulons tous affirmer le fait régional, que de départementaliser dans les faits le scrutin !
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. - Ce n'est pas cela !
M. Alain Anziani. - On nous dit en substance que les départements ont le droit à un minimum de représentation...
M. Bruno Sido. - Oui !
M. Alain Anziani. - Dire cela, c'est départementaliser le scrutin. La région n'est pas au département ce que l'intercommunalité est aux communes.
Rééquilibrer en augmentant le nombre de conseillers régionaux, faire de leur nombre une variable d'ajustement n'est pas une bonne solution. Enfin, et je rejoins là les observations du Conseil constitutionnel, ce serait passer d'un département sous-représenté à un département surreprésenté : pour la Lozère, un écart de 33 % avec la moyenne du Languedoc-Roussillon ! N'allons pas voter une loi pour la Lozère. Ce serait ouvrir la boîte de Pandore. Et ce n'est pas notre travail de législateur. (Mme Hélène Lipietz applaudit)
M. Alain Richard, auteur de la proposition de loi. - Une disposition de circonstance ? La loi électorale a, en 2003, posé un compromis : assurer la gouvernance grâce à un système électoral prenant en compte la région mais en obligeant chaque liste à être composée de sections départementales, ce qui n'interdit pas de déplacer un candidat d'un département à l'autre. Ce n'est plus remis en question, sauf par nos collègues écologistes. J'entends l'objection de Mme Lipietz : si l'on ne fait pas de même pour les villes, c'est que la dimension de proximité n'est pas la même.
Dès lors que la disposition actuelle n'a pas suffi à assurer un minimum d'équilibre territorial, le législateur doit intervenir. M. le ministre a évoqué un risque constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s'est exprimé en 2010. Compte tenu de la charge du conseiller régional, il y a une impossibilité à assumer cette fonction seul dans son département. Lorsque le motif du fonctionnement minimal de l'assemblée ne tenait pas, le Conseil constitutionnel a censuré les écarts. Il serait donc souhaitable que cette proposition de loi prospère, quitte à ce que le Premier ministre soumette ce texte au Conseil constitutionnel avant les élections régionales.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER A
M. le président. - Amendement n°1, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Hélène Lipietz. - Je l'ai défendu lors de la discussion générale.
M. Alain Richard, rapporteur. - Une large majorité de la commission considère que cet article est conforme aux principes de la loi électorale. Défavorable.
M. Manuel Valls, ministre. - Sagesse.
M. Jacques Mézard. - Je remercie M. Richard de la clarté de son exposé. Il ne s'agit pas de la seule Lozère mais d'une question de principe.
Le fait régional, j'y suis favorable mais tant que nous aboutirons à des injustices territoriales évidentes, inhérentes au système lui-même, on nourrira un sentiment d'abandon dans nombre de territoires. Ne rêvons pas : quand on est à 2h30 de la métropole régionale, on ne figure plus sur les listes ! La plupart des conseillers régionaux sont inconnus des citoyens ; certains partis les tirent au sort.
Mme Hélène Lipietz. - Chez vous peut-être...
M. Jacques Mézard. - Chez vous, en Midi-Pyrénées ! Nous nous opposerons une fois de plus à vos amendements. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Jean-Claude Lenoir. - Quelle ambiance dans la majorité sénatoriale !
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier A est adopté.
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Hélène Lipietz. - Défendu.
M. Alain Richard, rapporteur. - Défavorable.
M. Manuel Valls, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté.
ARTICLE PREMIER BIS
M. le président. - Amendement n°3, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Hélène Lipietz. - Défendu.
M. Alain Richard, rapporteur. - Défavorable.
M. Manuel Valls, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Richard, au nom de la commission.
Alinéas 2 à 4
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. L. 338-2. - Si, après la répartition des sièges en application des articles L. 338 et L. 338-1, ont été élus moins de trois conseillers régionaux issus des sections départementales correspondant à un département, un ou des sièges supplémentaires sont ajoutés à l'effectif du conseil régional afin d'atteindre le seuil de trois conseillers régionaux au titre du ou des départements concernés.
« Le nombre total ainsi majoré des sièges du conseil régional est réparti suivant les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l'article L. 338.
« Le ou les sièges supplémentaires résultant de cette nouvelle répartition sont attribués aux candidats des listes bénéficiaires, dans l'ordre de leur présentation dans la ou les sections départementales correspondant aux départements dont la représentation doit être complétée. »
M. Alain Richard. - Amendement de précision des dispositions relatives à l'ajout de sièges supplémentaires au bénéfice des sections départementales.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.
Alinéa 3, dernière phrase
Remplacer le mot :
âgé
par le mot :
jeune
Mme Hélène Lipietz. - Le renversement du principe privilégiant l'âge contribue au renouvellement des élus : le plus jeune doit l'emporter. Le Sénat a eu l'audace d'adopter ce principe pour les départementales, poursuivons dans cette cohérence.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'ensemble des autres textes donnent la priorité au plus âgé. N'improvisons pas...
M. Manuel Valls, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°5 est adopté.
L'amendement n°4 n'a plus d'objet.
L'article premier bis, modifié, est adopté.
Les articles 2 à 6 demeurent supprimés.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean-Claude Lenoir . - J'ai dit que nous allions voter ce texte. Une précision nécessaire, sur la constitutionnalité du texte : pour que le Conseil constitutionnel se prononce, encore faut-il qu'il soit saisi. Or le groupe UMP du Sénat ne déposera pas de recours.
M. François Fortassin . - J'apporte bien entendu mon soutien à cette proposition de loi, et aux propos de M. Mézard. Le législateur est dans son rôle lorsqu'il corrige une anomalie. On ne peut considérer que la régionalisation serait mise en danger par le fait que tous les départements qui la composent soient représentés au conseil régional. La région Midi-Pyrénées n'est pas le meilleur exemple de représentation territoriale, compte tenu du poids de la Haute-Garonne : il lui suffit de s'associer avec le département le plus petit pour s'opposer aux six autres départements. Le cas s'est présenté, ce n'est pas M. Fauconnier qui me démentira.
M. Alain Fauconnier. - Certes.
M. Pierre-Yves Collombat . - Le scrutin régional n'est pas aussi merveilleux qu'on le dit. On est loin d'avoir rendu la région sensible aux citoyens. Cela dit, la proposition de M. Richard est la seule possible à ce stade pour améliorer ce dispositif en en conservant la logique. C'est faire oeuvre utile que de s'y rallier.
L'ensemble de la proposition de loi est adopté.
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. - Je remercie mes collègues qui ont fait preuve de bon sens. S'il n'avait concerné que la Lozère, je n'aurais pas présenté ce texte ; il n'est pas question de redépartementalisation du scrutin ! (Applaudissements sur les bancs RDSE)