Sécurisation de l'emploi (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi.
Discussion générale
M. Claude Jeannerot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Nous voici au terme de l'examen du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi. Ce texte, dense et technique, traduit fidèlement l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier, signé par trois organisations représentatives des salariés et par l'ensemble de celles des employeurs. Il crée des droits individuels et collectifs nouveaux pour les salariés, il promeut un nouveau modèle économique et social, sans opposer compétitivité et sécurisation des parcours professionnels. Il donne à l'emploi une place centrale pour combattre le fléau du chômage.
Le Parlement n'a pas dénaturé l'ANI, tout en le clarifiant, en le rendant plus lisible et en le sécurisant juridiquement. Nous avons su, même si cela a été parfois délicat, conjuguer le temps de la démocratie sociale et celui de la démocratie parlementaire.
Mme Éliane Assassi. - Il n'y a que vous qui le pensiez !
M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Nous avons donné la preuve qu'il était possible de légiférer autrement en matière sociale.
Mme Éliane Assassi. - Incroyable ! Vous en êtes à vanter les mérites du 44-3.
M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Nous avons montré que nous pouvions respecter le dialogue social tout en préservant nos prérogatives. Le 20 juin prochain, la deuxième conférence sociale confortera le renouveau du dialogue social, j'en suis certain.
La CMP s'est réunie le 23 avril, l'Assemblée nationale a adopté ses conclusions dès le lendemain.
L'article premier, qui organise la généralisation des complémentaires santé collectives, a fait débat. La CMP a rétabli la clause de désignation d'un ou des assureurs. Il s'agit de laisser toute liberté aux partenaires sociaux : désignation, recommandation ou libre choix des entreprises. La loi fixe un cadre prudentiel exigeant pour prévenir les conflits d'intérêts. La désignation ou la recommandation de l'assureur pourra être contestée devant la justice. Interdire la désignation aurait eu des conséquences déstabilisatrices et amoindri la mutualisation au niveau de la branche, seule à même de financer la portabilité des droits. Mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt.
M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. - C'est vrai !
M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Le texte contient d'autres avancées décisives pour les salariés. L'article 4, qui renforce la place des organisations représentatives du personnel a été rétabli et enrichi, notamment en ce qui concerne les CHSCT.
L'article 5, qui ouvre les conseils d'administration des grandes entreprises aux représentants des salariés, avait été largement récrit par M. Gorce ; la CMP reprend ces acquis.
L'article 8, sur le temps partiel, très débattu en CMP comme en séance, améliorera la situation des salariés concernés. Plutôt que d'introduire de nouvelles dérogations au plancher de 24 heures, il faut encourager la négociation.
L'article 12, sur les accords de maintien de l'emploi traite notamment du calcul des indemnités de rupture contractuelles. Notre commission a adopté un amendement CRC demandant un rapport au Gouvernement sur les conditions d'accès à la justice prudhommale dans les six mois suivant la promulgation de la loi. Nous serons très vigilants sur le respect de ce délai.
Ce projet de loi renvoie à de nombreuses concertations pour préciser ses dispositions, à commencer par celle sur le compte personnel de formation. Le 21 mai prochain, il y aura également des négociations de branches et d'entreprises. Le dialogue social est bien l'alpha et l'oméga. Le Parlement a été entendu sur ce texte qui marquera le quinquennat. Je vous invite donc à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . - Après des débats longs, denses et riches, nous aboutirons bientôt à un texte de progrès. Lutter contre la précarité, mieux anticiper l'évolution de l'activité, tourner le dos à cette préférence bien française pour le licenciement, concilier accompagnement des salariés et sécurité des entreprises : nous avons voulu tout mener de front. Avec ce texte, le plus ambitieux depuis 1968, nous avons conjuré l'échec de 1984. Notre pays a trouvé le chemin du dialogue social, malgré les tensions, les séances ajournées, les impasses... Les partenaires sociaux sont finalement parvenus à un accord le 11 janvier dernier. Nous avons réussi, dans un dialogue permanent avec les partenaires sociaux, à traduire l'accord national interprofessionnel dans le droit, en associant les non-signataires.
Nous savions que le Parlement ne dénaturerait pas l'accord, dans lequel chaque mot était pesé. Vous avez montré que la démocratie politique savait respecter la démocratie sociale, sans jamais se laisser supplanter. Vous avez étudié et amélioré le texte sur chaque point, en commission comme en séance publique. Non, le Parlement n'est pas traité en chambre d'enregistrement ! (Mme Éliane Assassi ironise) Que d'améliorations parlementaires sur nombre de sujets ! Le Parlement a joué pleinement son rôle de garant de l'intérêt général. Surtout, il a fait de l'accord la loi de tous.
Je remercie le rapporteur de la commission des affaires sociales, Claude Jeannerot pour son travail, le rapporteur pour avis de la commission des lois, Gaëtan Gorce, la rapporteure de la Délégation aux droits des femmes, Mme Génisson, ainsi que la présidente David, qui a parfaitement piloté les travaux de la commission sans rien renier de ses convictions qu'elle a exprimées avec force.
La sécurisation de l'emploi offrira des alternatives aux licenciements. Faisons confiance aux acteurs, signataires ou non, de l'accord national interprofessionnel : ils sauront se saisir de cette loi d'apaisement et d'équilibre. Les syndicats ont plus à gagner dans la négociation que dans le conflit. Ce texte remet les salariés et leurs représentants au centre, il leur donne toute légitimité pour négocier. Il répond aux exigences de l'heure et aux attentes pour demain. Merci d'y avoir contribué. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. Jean-Noël Cardoux . - Je ne partage par ce satisfecit. Sur la forme, d'abord : 40 heures de débat au Sénat, 60 heures à l'Assemblée nationale, une CMP de trois heures, pour aboutir à un fiasco. L'accord national interprofessionnel est parfaitement respecté, dites-vous, c'est faux : la retranscription en a dénaturé bien des éléments. Vous êtes restés campés sur vos positions, refusant de bouger d'un iota. Deuxième fiasco : face à l'opposition frontale de la gauche de la gauche, le ministre a eu recours au 44-3 de manière autoritaire. En 2010, Mme Aubry avait accusé le gouvernement de l'époque de coup de force pour avoir usé de cette procédure... Deux poids, deux mesures ! D'où la frustration du groupe UMP, qui avait déposé vingt amendements constructifs, ciblés et justifiés, à comparer aux 500 amendements du groupe CRC. Notre opposition à nous était constructive, elle n'était pas obstructive.
Désolé, monsieur le ministre, mais chaque point du texte n'a été pas été étudié avec attention. Nous n'avons pas pu examiner sérieusement les amendements.
M. Charles Revet. - Voilà ce que c'est que la démocratie socialiste !
M. Jean-Noël Cardoux. - La démocratie parlementaire n'en sort pas grandie.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Il y a des précédents à l'usage du vote bloqué !
M. Jean-Noël Cardoux. - Sur le fond, nous voulions une retranscription plus rigoureuse de l'accord national interprofessionnel. Premier point de divergence : la transformation de la nature du licenciement. Il ne sera plus individuel mais économique individuel en cas de refus de mobilité, ce qui ouvrira la porte à sa judiciarisation... On n'assurera pas ainsi la flexibilité et la sécurité dans les entreprises.
Sur la clause de désignation, le Conseil de la concurrence a émis de sérieuses réserves... Dommage que vous n'ayez pas suivi son avis. D'après vous, la mutualisation favoriserait les économies ? C'est surtout la libre concurrence qui fait baisser les prix. (M. André Reichardt approuve) Cette entorse à la concurrence est un motif non négligeable de saisir le Conseil constitutionnel.
M. Gérard Larcher. - Il a raison.
M. Jean-Noël Cardoux. - Les assurances et les mutuelles évoquent une perte sèche de 40 000 emplois...
L'article 8 pénalisera les services à la personne comme le portage des journaux, tous ces petits boulots difficiles à exercer mais si nécessaires... Il aurait fallu une dérogation - par décret - pour autoriser des adaptations.
Notre position était réaliste et pragmatique, comme celle de certains membres de la majorité, dont un membre éminent, le président socialiste de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Jean-Jacques Urvoas, a dit son opposition personnelle à la clause de désignation. La suppression de cette clause a été adoptée au Sénat par 320 voix contre 20. Une majorité rarement réunie... Vous aviez là l'occasion d'adresser un signal fort à la Nation.
Malgré ce réquisitoire, vu la situation du pays, il demeure fondamental de flexibiliser le travail. Notre groupe s'abstiendra donc majoritairement. Abstention positive en hommage aux partenaires sociaux car ce texte, même dénaturé, est une avancée. Mais carton rouge - puisqu'il est beaucoup question de football ces derniers jours - au Gouvernement pour son manque d'ouverture. Cette fuite en avant inquiétante ne rétablira pas la popularité du président de la République. Qu'importe, nous aurons fait primer l'intérêt général ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Dominique Watrin . - Je ne reviens pas sur les conditions d'examen de ce texte. Drôle de respect du travail parlementaire ! Même avant le 44-3, le Gouvernement repoussait nos amendements au motif qu'ils étaient « hors ANI ». Le 5 mai, pas moins de 180 000 manifestants vous exhortaient à changer de politique. Vous ne parlez d'ailleurs plus aujourd'hui d'accord « historique ». Les salariés coûteraient trop cher, répète à l'envi le Medef. Le Gouvernement cède à ses pressions, au mépris des salariés qui survivent avec des salaires de misère quand les dirigeants et les actionnaires se remplissent les poches... Vous autorisez les patrons à baisser les salaires en exerçant un odieux chantage à l'emploi.
Alors que pour la première fois, le pouvoir d'achat baisse, vous autorisez les patrons à compresser encore plus les salaires. Vous aurez du mal à expliquer dans vos circonscriptions que cette mesure sécurisera les salaires ! Impossible de comparer l'effort demandé aux actionnaires et aux dirigeants à celui exigé des travailleurs qui, eux, n'ont que leur salaire pour vivre.
Les licenciements sont facilités au seul bénéfice des employeurs. Sur l'injonction du Medef, vous avez sécurisé, non l'emploi, mais les licenciements en supprimant toute possibilité de contestation collective des motifs prétendument économiques du licenciement. Beau cadeau fait au patronat !
Enfin, ce texte organise un déni de justice en supprimant le double degré de juridiction en cas de silence du tribunal. Les salariés licenciés seront les seuls justiciables dans ce cas ! Cette mesure a même ému le rapporteur pour avis de la commission des lois, sans qu'il dépose d'amendement. Nous comprenons également mal que Mme Génisson, malgré ses commentaires sur l'article 8, ne propose pas de modifications.
Nous voterons contre ce texte anticonstitutionnel, qui sera sans doute censuré comme l'a été le bonus malus ! (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Charles Revet. - Quel réquisitoire !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - La première lecture de ce texte a été littéralement malmenée par l'usage du 44-3, et par un conflit interne à la majorité, qui ne nous regarde pas, entre la gauche de la gauche et le reste d'une fragile association. Toujours est-il que nous regrettons cette méthode sur un texte important qui marque une étape majeure dans l'affirmation de la démocratie sociale, dans le droit fil de la loi Larcher du 31 janvier 2007. Surtout, ce texte met en place la flexisécurité que nous appelons de nos voeux depuis des années. Nous devions fidèlement transcrire l'ANI, question de hiérarchie des normes. Le pari est réussi, sauf en ce qui concerne la clause de désignation qui divise le patronat - les organisations de salariés, on sait pourquoi, sont unanimes... Ne soyons pas plus royalistes que le roi, et laissons les partenaires sociaux et les branches régler le problème entre eux, en espérant que cette clause ne deviendra pas un nid à contentieux...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est inévitable !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Mais revenons à l'essentiel : la généralisation des complémentaires santé à l'article premier. L'article 8 encadre le temps partiel, on ne peut que s'en réjouir ; il aurait fallu toutefois des adaptations pour les services à la personne ou le portage de la presse. Le vote bloqué nous en a empêchés. Certes, le ministre laisse une large place à la négociation. Nous resterons toutefois vigilants car si le secteur médico-social est bien représenté, les associations et professionnels des services à la personne le sont moins puissamment.
Autre avancée du texte, la représentation du personnel dans les conseils d'administration ; le Sénat a renforcé la formation de ces délégués.
Il faut encore souligner les importantes avancées à l'article 12 sur l'accord de maintien de l'emploi, sur les indemnités, sur le compte personnel de formation, tout en regrettant l'encadrement trop timide des contrats courts dans l'ANI.
Vous l'aurez compris, le groupe UDI-UC, favorable à l'ANI, votera très majoritairement les conclusions de la CMP. (Applaudissement au centre)
Mme Françoise Laborde . - D'après les derniers chiffres, la France compte désormais 3,2 millions de demandeurs d'emploi de catégorie A, sans aucune activité, et la précarité progresse. La bataille pour l'emploi est donc une nécessité impérieuse. Avec les emplois d'avenir, les contrats de génération, la sécurisation de l'emploi, le Gouvernement s'est attelé à la tâche. Ce projet de loi va bien dans ce sens : il transcrit l'accord national interprofessionnel, que le président de la République a qualifié de « compromis historique », signé par trois des cinq organisations représentatives des salariés.
Le président de la République s'est engagé à recevoir tous les partenaires sociaux pour préparer la deuxième conférence sociale du 20 juin prochain ; du reste, les consultations ont commencé hier.
Conjuguer sécurisation des parcours professionnels et flexibilité pour les entreprises est indispensable si nous voulons éviter les licenciements massifs qui ont eu lieu, par exemple, dans le secteur automobile.
Les partenaires sociaux ont accepté ce texte parce qu'il crée de nouveaux droits pour les salariés : taxation des contrats courts, complémentaire santé, droits rechargeables au chômage, compte personnel de formation, etc.
Si je regrette que nos amendements n'aient pas pu être retenus, je me réjouis que la CMP ait avalisé notre proposition sur la représentation des salariés dans les conseils d'administration des entreprises.
Le groupe RDSE, dans sa très grande majorité, votera ce texte qui redonne confiance et espoir dans l'avenir ; aucun de ses membres ne votera contre les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Jacques Mirassou. - Très bien !
M. Jean Desessard . - J'ai cherché à comprendre. En fait, je crois qu'avec cette transcription de l'ANI nous sommes en présence d'un « Olni » : un objet législatif non identifié.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - ça commence bien !
M. Jean Desessard. - Durant tout le débat, le ministre n'a cessé de nous rappeler à l'ordre : il fallait coller à l'accord...
Mme Éliane Assassi. - Absolument !
M. Jean Desessard. - Quid des chômeurs, des précaires, des non salariés et des retraités ? Sécurisation de l'emploi ? Il n'y a pas que l'entreprise. L'État, les collectivités, les acteurs de la société sont concernés. Si le Gouvernement veut déléguer les relations sociales aux partenaires sociaux, il doit le dire clairement. Où sont les textes ?
Mme Éliane Assassi. - Parfaitement !
M. Jean Desessard. - L'Olni a des reflets chatoyants : on généralise les complémentaires santé - mais on affaiblit du même coup la sécurité sociale, et l'on risque de favoriser le développement de mutuelles à l'américaine.
Mme Éliane Assassi. - Juste !
M. Jean Desessard. - D'où la manifestation des Abeilles pour une mutuelle de proximité devant le Sénat cet après-midi.
M. François Rebsamen. - Ils ne sont pas bien nombreux...
M. Jean Desessard. - Nous attendions une véritable réflexion sur la précarité et le temps partiel. Un seul exemple : pourquoi les 20 000 employés des centres de sondage ont-ils droit à une prime de précarité de 4 %, et non de 10 % ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
Arrêtons de déshabiller Paul pour donner à Pierre ! Ce texte offre un toboggan au dumping social. Quel syndicat osera s'opposer à un accord de maintien de l'emploi face aux discours alarmistes sur la conjoncture ? (Exclamations socialistes)
M. Claude Bérit-Débat. - Syndique-toi !
M. Jean Desessard. - Je ne parlerai pas des dispositions sur la mobilité interne ni de la restriction des délais pour contester un licenciement.
Je dirai simplement que ce texte méritait un débat. Or le Gouvernement a dégainé le vote bloqué dans les conditions que l'on sait... (Approbations CRC) Faute de pouvoir déterminer la trajectoire de cet Olni, nous, écologistes, nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC)
M. Jean Louis Masson . - Dans le marasme économique ambiant, quand des syndicats préhistoriques s'accrochent au passé, je me réjouis que des syndicats libéraux et progressistes aient su trouver un accord avec le patronat. Je regrette les quelques modifications apportées à l'accord. J'apporterai toutefois mon soutien à ce texte, qui marque une étape historique. Le groupe des non-inscrits étant démocratique et pluraliste, tous ses membres ne partagent pas mon avis. M. Jean-François Husson regrette que l'accord, adopté après des débats houleux, n'ait pas été retranscrit fidèlement. D'après lui, cela a porté atteinte au subtil équilibre trouvé le 11 janvier dernier, le Gouvernement ayant voulu donner raison aux organisations minoritaires qui n'avaient pas signé l'accord. Enfin, M. Husson estime que le Gouvernement a brusqué le Parlement en recourant à l'article 44-3 de la Constitution et en voulant bousculer l'ordre du jour. Dénonçant en particulier la clause de désignation, M. Husson ne votera pas les conclusions de la CMP.
Mme Christiane Demontès . - Le ton de mon intervention tranchera, vous vous en doutez. Ce texte, qui traite de la question prioritaire de l'emploi comme l'a voulu le Premier ministre, concrétise le 35e engagement du président de la République.
M. Francis Delattre. - Alors là, il y aurait beaucoup à dire...
Mme Christiane Demontès. - Après quatre mois de négociations, les partenaires sociaux ont abouti à un accord le 11 janvier dernier. Dans un souci de loyauté, le Gouvernement a associé tous les acteurs, y compris les organisations non-signataires, à la transcription législative de l'accord.
Les députés ont introduit six articles et en ont supprimé un ; le Sénat a modifié quinze articles et adopté deux articles additionnels. Parce que nous n'avions pas de différends majeurs, la CMP a abouti à un accord.
Revenons sur les améliorations proposées par le Sénat. Je veux souligner les progrès que nous avons apportés à l'article premier sur la portabilité des droits au chômage ou encore la généralisation des complémentaires santé. Nous n'avons pas modifié les articles 2 et 3 sur le compte de formation personnel, en particulier pour les représentants des salariés au conseil d'administration des entreprises, qui sera traité dans la négociation tripartite à venir. Nous avons supprimé la contribution additionnelle prévue à l'article 7, en raison de l'article L.54-22. Il s'agit de favoriser les CDI en modulant les cotisations pour lutter contre la précarité. L'article 8 sur le temps partiel, qui concerne les femmes à 82 %, suscite encore des questions. J'y reviendrai tout à l'heure. Nous avons prévu des adaptations pour les salariés en insertion économique.
La CMP, qui s'est réunie le 23 avril dernier, a repris douze articles dans la rédaction du Sénat sur les dix-huit en discussion. À l'article premier, elle a précisé que la complémentaire santé devra être au moins aussi favorable que la couverture existante du salarié, et financée à 50 % au minimum par l'employeur ; l'affiliation des ayants droit ne sera pas obligatoire.
La CMP a rétabli l'article 4 dans sa rédaction initiale, en intégrant les amendements de notre rapporteur. Elle a précisé l'article 5, qu'avait amélioré notre commission des lois.
À l'article 12 qui porte sur les accords de maintien de l'emploi, la CMP a réparé un oubli : des indemnités contractuelles pourront venir en sus. Une contribution exceptionnelle pour saisir la justice prud'homale avait été envisagée mais la garde des sceaux s'était engagée, devant le conseil national des barreaux en octobre dernier, à garantir la gratuité de l'accès à la justice des Français. Nous avons prévu un rapport sur l'accès à la justice prud'homale à l'article 16 bis.
Demeure une question sur l'interprétation du paragraphe 8 de l'article 8. Le secteur médico-social, comme vous le savez, a beaucoup recours au temps partiel en partie en raison des quotités de travail allouées par les autorités de contrôle et de tarification que sont les ARS, les conseils généraux et les préfectures. Cette spécificité est-elle bien prise en compte ? À notre sens, la question mérite un rapport avant le 1er janvier 2014.
Ce texte, s'il n'est pas idéal (Mme Éliane Assassi s'exclame) est fidèle à l'accord du 11 janvier 2013.
Mme Éliane Assassi. - Il devait être historique !
Mme Christiane Demontès. - Il est essentiel pour maintenir l'emploi et éviter les licenciements à Flins chez Renault ou encore chez Electrolux à Revin. Il participe de la stratégie de redressement que le président de la République et le Gouvernement mettent en oeuvre depuis un an. Le groupe socialiste adoptera avec conviction ce texte qui sert la justice et l'emploi. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Michel Sapin, ministre . - Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé à nos débats sur ce texte qui restera une date importante du quinquennat.
Je souhaite répondre à vos interrogations. D'abord, la généralisation des complémentaires santé, ne l'oublions pas, est un progrès pour tous les salariés qui n'en bénéficiaient pas. Plus de la moitié du coût de la complémentaire sera financé par l'entreprise ; ce sera un gain pour le pouvoir d'achat des salariés dans tous les cas. Mais vos questions portent sur les modalités : le texte de l'accord était à dessein ambigu, sans quoi l'Union professionnelle artisanale (UPA) aurait refusé de le signer ! Il revenait donc au Gouvernement et au Parlement de dissiper ce flou : nous donnons toute liberté, depuis le libre choix de chaque entreprise jusqu'à la mutualisation la plus intégrée au niveau de la branche. Cette liberté se conjuguera avec une transparence totale et une concurrence absolue ; c'est à cela que servira le décret. Au bout du compte, ce dispositif répond aux attentes des syndicats, signataires ou non.
Deuxième sujet d'interrogation, ces heures de travail éparpillées et imposées qui détruisent la vie de bien des salariés, et surtout des femmes. Nous devions encadrer le temps partiel, d'où la durée minimale de 24 heures. Nous restons attentifs : la réalité de l'application ne doit pas contredire le principe, en particulier pour les services à domicile ou le secteur médico-social. Je le dis à Mme Demontès comme aux autres : si une difficulté réelle apparaît dans les négociations, nous procéderons à des ajustements. Je m'engage à rassurer par écrit le secteur médico-social.
Merci de votre présence nombreuse cet après-midi. Quel que soit votre vote, je suis persuadé que vous serez bientôt fiers de l'adoption de ce texte.
La discussion générale est close.
Interventions sur l'ensemble
Mme Isabelle Debré . - Nous voici au terme d'un parcours chaotique, écourté de manière étonnante et peu démocratique : le Sénat a été bâillonné. Le malaise du Gouvernement est palpable face à la contestation issue de ses propres rangs. Qu'aurions-nous entendu si la précédente majorité avait agi de la sorte ! (Exclamations à gauche)
M. Jacky Le Menn. - Elle l'a fait !
Mme Isabelle Debré. - Le projet de loi prétend sécuriser des emplois - avec la clause de désignation, il risque d'en supprimer 30 000 dans le secteur des mutuelles et des assurances ! L'avis de l'Autorité de la concurrence a été balayé. Vous encouragez les conflits d'intérêt, on le voit bien...
Autre point d'achoppement, l'article 8 fixant une durée minimale au temps partiel suscitera des difficultés d'application dans des secteurs bien identifiés : services à la personne, médico-social, portage de presse... Dans le premier d'entre eux, la durée moyenne de travail est de onze heures ! (Mouvements divers sur les bancs socialistes) Comment regrouper les heures sur des journées ou des demi-journées complètes, comme le prévoit le texte ? Ces deux articles essentiels vont manifestement à l'encontre de l'intérêt des entreprises et des salariés - sans compter que d'autres dispositions s'écartent de l'accord du 11 janvier.
En tant que gaulliste, j'aurais volontiers adopté un texte issu du dialogue social ! Je regrette l'obstination du Gouvernement à le déformer. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Isabelle Pasquet . - On veut faire croire aux salariés que leur emploi sera sécurisé mais rien dans ce texte n'empêchera les patrons de n'en faire qu'à leur guise et de licencier ! L'objectif réel est de réduire le contentieux pour diminuer les indemnités dues aux salariés. Le refus par un salarié d'une modification majeure de son contrat de travail vaudra licenciement présumé économique... Finalement, le texte permettra au Medef de contourner les procédures et de développer un droit négocié - vieille exigence patronale que l'inversion de la hiérarchie des normes... Tout converge vers une moindre protection des salariés en faisant primer sur le code du travail et ses protections collectives un droit « maison » fabriqué par le patron lui-même. Le 14 juin 2011, François Hollande ne proposait-il pas dans la presse de donner force de loi aux contrats conclus entre partenaires sociaux ? On comprend la satisfaction du patronat ! Compte tenu du rapport de force dans l'entreprise, « il faut autant de contraintes que possible et autant de lois que nécessaire » dit à raison Gérard Filoche.
Nous voterons contre les conclusions de la CMP.
M. Jean-Claude Lenoir . - J'aurais pu - j'aurais dû - voter ce texte.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Tout est encore possible !
M. Jean-Claude Lenoir. - J'eusse préféré que le texte traduisît fidèlement l'accord national interprofessionnel. Si comme beaucoup de mes collègues je m'abstiendrai, outre pour les raisons déjà exposées, c'est que le projet de loi oublie les petits employeurs que sont les associations qui organisent les services à domicile : le plancher d'heures imposé ne peut s'appliquer à eux. Le vote bloqué a empêché l'examen de nos amendements sur le sujet, je le regrette car nous aurions sans doute pu trouver un consensus. Un délai supplémentaire de deux ans sera accordé à cette branche, a dit le ministre, ajoutant : s'il y a un problème, nous aviserons. Je l'espère, sinon ces associations, qui sont gérées par des bénévoles...
Mme Nathalie Goulet. - Remarquables !
M. Jean-Claude Lenoir. - ... seront exsangues ; les discussions avec les Carsat sont déjà très difficiles. Nous serons vigilants à ce que la parole du Gouvernement soit respectée. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Laurence Cohen . - Contrairement aux affirmations du Gouvernement, ce projet de loi ne comprend aucun droit effectif nouveau pour les salariés. La généralisation de la complémentaire pénalisera la sécurité sociale. Comment le Gouvernement compte-t-il respecter l'Ondam ? Les salariés devront demain conclure des sur-complémentaires, à leurs frais ! Il aurait été plus solidaire, plus judicieux, plus efficace de rompre avec la politique d'exonérations massives et de développer la sécurité sociale, dans l'esprit du Conseil national de la Résistance, pour une prise en charge à 100 %.
La mobilité volontaire « sécurisée » de l'article 3 est avant tout un outil supplémentaire de flexibilité aux mains du patronat et le patron pourra toujours refuser deux fois la mobilité demandée avant de proposer... un congé de formation...
La consultation du comité d'entreprise sur les orientations stratégiques de l'entreprise est financièrement conditionnée - beaucoup renonceront. Et la portée des CHSCT est affaiblie.
Un mot sur les femmes, premières victimes du travail précaire et grandes oubliées du texte. Que reste-t-il de la proposition de loi Campion, votée par le Sénat en 2012 et des mesures propres à limiter le recours aux contrats précaires ? Ce qui était possible hier ne l'est plus... Les timides avancées du texte ne sont qu'un leurre. Le plancher de 24 heures - positif - est immédiatement assorti de dérogations : annualisation, report du paiement des heures complémentaires... Les salariées à temps partiel pourront demain travailler plus pour gagner moins !
Le groupe CRC votera contre ce projet de loi.
Mme Catherine Procaccia . - M. le ministre souhaitait que ce projet de loi fît date ; j'espérais moi aussi qu'il apporterait sécurité aux salariés et adaptabilité aux entreprises. D'après lui, l'accord national interprofessionnel était ambigu sur la clause de désignation ; cela n'est guère rassurant... La transcription de l'accord n'est pas loyale - même des ténors socialistes s'inquiètent de la clause de désignation. J'espère qu'en quittant le Sénat, monsieur Sapin, vous irez parler aux manifestants qui craignent de perdre leur emploi.
Seriez-vous le ministre du chômage plutôt que celui de l'emploi ? (Exclamations sur les bancs socialistes) Pourquoi la CMP a-t-elle supprimé la disposition, votée à mon initiative, qui permettait à un salarié ayant droit de refuser une complémentaire ? Voulez-vous favoriser les recours aux surcomplémentaires ? Selon la presse, les futurs contrats collectifs ne bénéficieront plus des avantages fiscaux actuels. Les salariés et les entreprises risquent de payer plus et d'être moins couverts ! Les non-salariés, les personnes âgées paieront de plus en plus cher, c'est une évidence. C'est pourquoi, en mon âme et conscience, je voterai contre ce texte.
M. Alain Fouché. - Vous ne serez pas seule !
M. André Reichardt . - Je m'abstiendrai pour ma part, pour les raisons déjà dites et en tant qu'Alsacien et président de la commission d'harmonisation du droit local. La spécificité du régime local d'assurance maladie d'Alsace-Moselle est insuffisamment prise en compte. Certes, les partenaires sociaux pourront discuter, le cas échéant, d'adaptations ; j'aurais préféré que celles-ci fussent réglées par la loi. Ce serait prématuré, avez-vous dit, en annonçant un rapport au Parlement. Je suis perplexe : notre droit local, auquel les Alsaciens-Mosellans sont très attachés, est une construction fragile qui subit déjà les assauts destructeurs de questions prioritaires de constitutionnalité. Ne l'affaiblissons pas encore ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Catherine Génisson . - La quasi-totalité de notre groupe votera ce texte qui fonde un nouvel équilibre entre besoin d'adaptation des entreprises et aspiration des salariés à la sécurité de leur emploi. Historique ou pas, l'accord du 11 janvier est un compromis fragile qui conjugue démocratie sociale et démocratie politique ; sans le dénaturer, le législateur a joué son rôle : 406 amendements adoptés à l'Assemblée nationale, 140 au Sénat...
Rapporteure pour avis de la Délégation aux droits des femmes, je me réjouis de l'adoption, avec l'accord du Gouvernement, d'un article 8 bis sur le temps partiel ; une évaluation de l'impact des dérogations est nécessaire. On a évoqué les services à la personne ; les salariés, souvent des femmes, aspirent à bénéficier de ce plancher de 24 heures. Il faudra aller vers une plus grande professionnalisation et diversifier les tâches pour l'atteindre.
Le débat a mis en lumière des différences importantes d'approche au sein de notre majorité : primauté de la loi ou du dialogue social ? Je suis persuadée que nous avons su conforter par la loi la négociation sociale. Ce texte d'équilibre et de progrès contribuera à livrer et gagner la bataille pour l'emploi. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Hervé Marseille . - Ce texte va dans le bon sens ; si une large partie de notre groupe le votera, certains d'entre nous s'abstiendront à cause de l'article premier. Le Gouvernement avait modifié cet article dès l'origine pour y introduire la clause de désignation ; le Sénat l'avait modifié pour revenir à la recommandation. La CMP a rétabli le texte initial : on fait donc le choix de favoriser les instituts de prévoyance au détriment des mutuelles et des assurances, ce qui ne sera pas sans inconvénient pour les salariés comme pour les entreprises. C'est avec regret que je m'abstiendrai.
À la demande des groupes socialiste et UMP, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 202 |
Pour l'adoption | 169 |
Contre | 33 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les bancs socialistes)