Débat sur la transition énergétique (Suite)
M. Didier Guillaume . - Ce grand débat national était un engagement du président de la République lors de la campagne. Merci à M. Chevènement, au groupe RDSE, d'avoir permis de l'évoquer au Sénat : il est juste que le Parlement s'exprime.
M. Ladislas Poniatowski. - En effet !
M. Didier Guillaume. - Les citoyens auront leur mot à dire, c'est une grande avancée. Il faut préserver l'indépendance de la France tout en diversifiant nos sources d'énergie. Il en va de l'avenir de la planète et de nos enfants. D'ailleurs, les positions sont assez consensuelles...
Oui, l'énergie a un coût. Non, nous ne sommes pas condamnés à voir la facture énergétique exploser, nos entreprises pénalisées. Ne séparons pas efficacité énergétique et efficacité économique. Nous ne sommes pas condamnés à émettre toujours plus de CO2.
Comment consommer moins, produire mieux ? La meilleure énergie, c'est celle qu'on ne consomme pas...
M. Roland Courteau. - Évidemment.
M. Didier Guillaume. - ... Encourageons la sobriété, dans le logement et dans les transports. Nous avons pris beaucoup de retard. Le Grenelle a créé un grand mouvement dans la Nation.
Mme Chantal Jouanno. - Merci !
M. Didier Guillaume. - Il faut désormais le mettre en oeuvre. Il faut investir et innover, développer les énergies renouvelables.
M. Yvon Collin. - Très bien !
M. Didier Guillaume. - La France a de grands atouts : du vent, du soleil. Développons l'hydroélectricité, en renouvelant ou en prolongeant les concessions.
M. Jean-Louis Carrère. - Pas d'accord !
M. Didier Guillaume. - Construisons des filières industrielles dans les énergies renouvelables, ce sont des gisements d'emplois, une opportunité pour notre balance commerciale.
M. Ronan Dantec. - Bravo !
M. Didier Guillaume. - J'en viens au nucléaire.
M. Ronan Dantec. - Ah !
M. Didier Guillaume. - Pas de faux débat. La réduction de la part du nucléaire n'est pas la sortie du nucléaire. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Claude Lenoir.et M. Ladislas Poniatowski. - Très bien !
M. Didier Guillaume. - Il faut une grande équipe du nucléaire, une vraie stratégie qui a manqué sous le gouvernement précédent. C'est ainsi que nous avons perdu le contrat d'Abou Dhabi. Il faudra réduire la part du nucléaire...
M. Ladislas Poniatowski. - Non !
M. Didier Guillaume. - ...mais il reste une énergie indispensable. Le démantèlement est créateur d'emplois, développons cette filière. Renouvelons la confiance de nos concitoyens, en faisant évoluer notre mix énergétique, dans le respect de nos atouts. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE, ainsi que sur les bancs UMP ; Mme Chantal Jouanno applaudit aussi)
M. Gérard Le Cam . - Pour relever le défi de la transition énergétique, il faut fixer de grandes orientations. Le groupe CRC préconise de longue date un grand débat sur le sujet, et remercie le Gouvernement de l'avoir organisé. La décentralisation des discussions est indispensable : nos concitoyens doivent être associés au débat, ce qui suppose de les informer. Nous regrettons toutefois que certains sujets en soient exclus, comme le développement des éoliennes ou le bonus-malus qui figurent dans la proposition de loi Brottes. Celle-ci a été l'occasion de parler des compteurs intelligents, et de l'effacement : il faudrait un véritable service public de l'effacement, au profit des usagers...
Mme Delphine Batho, ministre. - Très bien.
M. Gérard Le Cam. - Le service public de la performance énergétique est un bon début, mais donnons lui les moyens. Pourquoi avoir augmenté la TVA sur les travaux d'amélioration énergétique ? Nous préconisons un taux réduit.
Mme Chantal Jouanno. - Très bien.
M. Gérard Le Cam. - La maîtrise publique du secteur énergétique n'est pas une posture mais une garantie pour assurer la transition énergétique.
Le Gouvernement doit communiquer les études d'impact, les informations sur les énergies renouvelables. Où en sont les travaux de recherche sur le stockage de l'énergie ?
La production délocalisée peut alourdir le bilan carbone des énergies dites propres : réfléchissons-y !
Enfin, la question de l'emploi doit aussi être posée. Nos éoliennes sont produites au Danemark ou en Espagne, nos panneaux solaires, en Chine ou aux États-Unis. Renforçons en amont la recherche fondamentale, formons à ces nouveaux métiers. Or la déréglementation européenne fait peser des menaces sur la recherche intégrée à EDF et GDF-Suez.
Mme Delphine Batho, ministre. - C'est vrai !
M. Gérard Le Cam. - Il faut améliorer les réseaux de transport de l'énergie. La transition énergétique ne se fera pas par une production délocalisée de l'énergie.
M. Jean-Claude Lenoir. - Les campagnes en ont pourtant besoin !
M. Gérard Le Cam. - Les transports sont le premier consommateur d'énergie fossile. Il faut développer le rééquilibrage modal, déclarer le fret ferroviaire d'intérêt général. Le débat doit aussi porter sur le transport collectif. Sa force repose sur l'association des citoyens : la transition énergétique ne réussira qu'avec l'adhésion de tous. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Merceron . - L'annonce de ce grand débat est venue juste après le rejet de la proposition de loi Brottes, qui avait précisément pour objet la transition énergétique. Ce texte, injuste et inapplicable, sera toutefois voté sans attendre les conclusions du grand débat national... Curieuse méthode ! Débat d'étape ? Nous n'en sommes qu'au tout début et la mise en place est quelque peu laborieuse.
C'est du terrain que viendra la transition énergétique, j'y reviendrai. Il y a cinq ans, Jean-Louis Borloo lançait le Grenelle de l'environnement, qui a créé un véritable déclic dans l'opinion publique. Qu'attendez-vous de ce débat sur la transition énergétique, pour qu'il ne soit pas un sous-Grenelle ?
La question de la transition énergétique est primordiale pour l'avenir. Elle doit être abordée avec prudence, car il sera difficile de revenir sur les choix qui seront faits. Commençons par renforcer l'efficacité énergétique, accompagner les plus modestes et les classes moyennes, les aider à améliorer l'isolation de leur logement. Les compteurs intelligents favoriseront la sobriété. Le mix énergétique doit être revu à la lumière d'une probable augmentation de la consommation. La part des énergies renouvelables doit augmenter, mais ne jetons pas l'opprobre sur le nucléaire pour autant.
Je vous encourage, mes chers collègues, à participer aux débats locaux. C'est le niveau local qui permettra la transition énergétique. Elle nécessite une connaissance des acteurs, des problématiques locales. Les collectivités territoriales ont un rôle primordial à jouer. Je souhaite une transition énergétique décentralisée, car la France est diverse. Je crois à l'intelligence locale. L'État doit se concentrer sur les grands équilibres nationaux et internationaux et sur la lutte contre la précarité énergétique ; il doit assurer la sécurité du transport. Aux régions, la déclinaison des objectifs fixés par l'État. Les départements peuvent être ces lieux d'action, en cohérence avec le niveau régional. Simplifions les procédures qui freinent l'esprit d'initiative - merci au président Raoul d'avoir repris l'un de mes amendements à la proposition de loi Brottes sur ce sujet.
Faisons confiance aux collectivités locales. Les élus locaux savent apprécier les besoins et proposer des réponses. Laissons-leur un espace d'initiative ! (Applaudissements à droite)
M. Jean-Claude Lenoir . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Nous sommes tous attachés à envisager l'avenir. Le dossier de l'énergie a été peu évoqué au Parlement pendant des décennies, sauf en 1989 puis une deuxième fois en 1993 à l'initiative du ministre Longuet. La première loi date du 10 février 2000. Puis, tous les deux ans, tous les ans, parfois plus, le Parlement s'est saisi de cette question. Faut-il critiquer ceux qui ont installé des réacteurs nucléaires sans approbation du Parlement ? Je ne le crois pas. En 2005, dans la loi d'orientation, le Parlement a autorisé les EPR.
Que signifie « transition » ? C'est un état intermédiaire, dit le dictionnaire...
M. Gérard Longuet. - Eh oui !
M. Jean-Claude Lenoir. - Cette définition nous convient, surtout qu'un tel état peut durer longtemps, comme l'on dit d'un gouvernement qu'il est de transition.
M. Jean-Pierre Chevènement. - C'est en général moins digne !
M. Jean-Claude Lenoir. - Nous sommes là pour apporter des réponses à des générations qui n'ont pas encore vu le jour !
M. Roland Courteau. - Absolument !
M. Jean-Claude Lenoir. - Cette étape transitoire doit être organisée avant d'adopter des systèmes durables - en attendant les surgénérateurs ou la fusion nucléaire.
M. Gérard Longuet. - Oui !
M. Jean-Claude Lenoir. - Quelles seront les énergies de transition ? Nous sommes tous pour le mix énergétique. Jamais un dirigeant politique n'a prôné le tout nucléaire !
M. Ronan Dantec. - Voire...
Mme Laurence Rossignol. - Si, Sarkozy ! Personne, en revanche, n'a dit qu'il fallait arrêter le nucléaire...
M. Jean-Claude Lenoir. - La nécessité de préserver notre indépendance, de limiter l'impact environnemental, de favoriser la sobriété énergétique, d'assurer la cohésion sociale et territoriale nous réunissent. Le rapport Gallois - son auteur fut directeur de cabinet -
M. Gérard Longuet. - D'un grand ministre de l'industrie
M. Jean-Claude Lenoir. - ... apporte des éléments de réflexion précieux : regardons de près ses préconisations.
Que faire pendant cette période transitoire ? La part du nucléaire restera prépondérante. Le candidat François Hollande s'était engagé à ce qu'elle fût inférieure à 50 %.
M. Roland Courteau. - C'est la sagesse !
M. Jean-Claude Lenoir. - On l'a échappé belle : le programme socialiste proposait la fermeture de 24 centrales !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Vous n'êtes pas expert en programmes du parti socialiste !
M. Jean-Claude Lenoir. - Arrêter Fessenheim ? Si l'on veut démanteler les centrales, encore faut-il que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en décide. La consommation d'électricité continuera à augmenter. Pourquoi ? À cause des nouveaux usages des particuliers - écrans plats, ordinateurs - et à cause du développement du véhicule électrique, complément du renouvelable qui ne pourra se développer que grâce à l'accumulation et au stockage...
M. Ladislas Poniatowski. - Eh oui !
M. Jean-Claude Lenoir. - L'EPR s'est imposé au plan international. Quel risque prendrait-on à ne plus croire à une technologie d'origine européenne, quand la Chine multiplie les réacteurs, de dix à vingt par an ? Saisissons la chance qui nous est donnée de développer une industrie où la France brille tout particulièrement !
Troisième sujet : les hydrocarbures non conventionnels. Ne fermons pas la porte à la réflexion et à l'étude sur le gaz de schiste. Je lisais ce matin un article quelque peu agressif...
Mme Laurence Rossignol. - Ironique !
M. Jean-Claude Lenoir. - ... à l'égard de ceux qui réfléchissent à des techniques d'exploitation alternatives à la fracturation hydraulique, accusés de vouloir aller « plus vite que la musique ». Faut-il refuser d'entamer la moindre réflexion ?
Nous ne voulons pas d'hydrocarbures, dites-vous. Mais il ne s'agit que de remplacer ceux que nous importons aujourd'hui ! Quelle est votre position sur l'exploitation du grisou ? Le gaz gardera une place importante : il représente 15 % de notre consommation aujourd'hui.
Oui, faisons confiance à la recherche, à la science et la France sera au rendez-vous comme toujours pour apporter les meilleures solutions. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)
présidence de M. Didier Guillaume,vice-président
M. Roland Courteau . - Je salue l'organisation du débat national, processus démocratique que vous avez mis en oeuvre, madame la ministre.
Il n'y a pas de meilleure réponse aux enjeux climatiques, économiques et sociaux que la transition énergétique.
M. Ronan Dantec. - Absolument.
M. Roland Courteau. - Pas de meilleure réponse à la facture énergétique de la France, au contexte mondial turbulent, plein d'incertitudes économiques, politiques, environnementales.
Deux impératifs s'imposent : consommer moins, produire mieux. Le secteur du transport représente 132 millions de tonnes de CO2, c'est le grand oublié des réglementations environnementales.
Appuyons-nous sur la recherche, pour parvenir dans les dix ans à des véhicules consommant 2 litres aux 100 km.
Pourquoi ne pas faire de la sobriété énergétique, comme le propose le Conseil économique, social et environnemental, une grande cause nationale ? L'amélioration énergétique des logements est créatrice d'emplois non délocalisables. C'est dire l'impact sur l'emploi que pourrait représenter la rénovation de 500 000 logements par an, si les professionnels arrivent à faire face à la demande.
Parmi les signaux contraires reçus ces dernières années, à cause du précédent gouvernement, le changement de réglementation, la hausse de la TVA...
Le soutien des pouvoirs publics est indispensable aux énergies renouvelables, qui n'en sont, à l'exception de l'hydraulique, qu'à leurs débuts opérationnels. Attention là aussi aux contre-signaux, je pense à l'instabilité des politiques publiques...
Veillons aux filières riches de potentiel, intensives en emplois non délocalisables.
Seul le stockage de l'électricité à grande échelle propulsera les énergies renouvelables à la première place du bouquet énergétique. D'importants efforts sont à réaliser en matière d'efficacité et de sobriété énergétiques. Rien ne se fera sans le soutien de la population. C'est un défi majeur que de changer notre mode de vie. Nous n'y arriverons qu'avec une volonté politique très forte, vous en faites preuve, madame la ministre. C'est l'ensemble de notre société qui doit porter un tel projet.
Je salue encore une fois votre initiative de lancer et promouvoir ce débat innovant et ambitieux. Nous avons le devoir de démontrer que l'efficacité énergétique est souhaitable, non seulement pour la planète, mais aussi pour chacun de nous. Les moyens financiers doivent être à la hauteur des besoins, la BPI jouer tout son rôle. L'ambition centrale de ce débat est bien de créer un cercle vertueux. C'est l'ardente obligation qui nous anime. (Applaudissements à gauche)
Mme Delphine Bataille . - Les travaux sur la transition énergétique doivent nous aider à atteindre nos objectifs en matière de CO2. La France reste le meilleur élève de la classe européenne...
M. Jean-François Husson. - Invoquez l'héritage !
Mme Delphine Bataille. - L'Allemagne produit de grosses cylindrées, exploite son sous-sol d'énergies fossiles, lignite et charbon, ce n'est pas un modèle en la matière...
Le bâtiment consomme près de la moitié de l'énergie de notre pays, 80 % des sources d'économies possibles gisent dans ce secteur. L'investissement dans l'efficacité énergétique est créateur d'emplois.
Le nucléaire a été évoqué hier ici-même par M. Montebourg, ministre du redressement productif, qui l'a qualifié de filière d'avenir. L'objectif de 50 % en 2025 semble hors d'atteinte, car les énergies renouvelables ne sont pas en mesure de remplacer le nucléaire. L'Allemagne en fait l'expérience. La décision de fermer Fessenheim est technique ; elle est du ressort de l'ASN, non du politique : nous n'avons pas à céder à la pression des manifestants allemands et suisses ou d'élus alsaciens. La tension hivernale sur notre approvisionnement est soulignée par RTE.
M. Gilbert Barbier. - Très bien !
Mme Delphine Bataille. - La réduction de la part du nucléaire doit s'envisager sur la durée, sans nuire à notre indépendance et en préservant nos capacités technologiques, donc en construisant de nouvelles centrales. La part du nucléaire devrait être ramenée à deux tiers en 2036...
M. Ronan Dantec. - Ce n'est pas la position du Gouvernement.
M. Gilbert Barbier. - Dommage !
Mme Delphine Bataille. - La facture du pétrole s'élève à 50 milliards d'euros, celle du gaz à 11 milliards d'euros. Ces hydrocarbures ne permettent pas d'assurer une indépendance énergétique nationale. Nous devons privilégier les énergies nationales, qui limitent les rejets de CO2 dans l'atmosphère. L'enjeu climatique ne doit pas nous conduire à négliger l'économie, l'emploi, la réduction des déficits publics, l'indépendance nationale dans un monde de plus de 7 milliards d'habitants. Convainquons les grands pays émergents d'assurer avec nous la transition énergétique, faute de quoi nos efforts seront de peu d'effets sur le changement climatique. (« Très bien ! » et applaudissements à droite et sur les bancs socialistes et du RDSE)
Mme Laurence Rossignol . - Le débat citoyen a commencé sur la transition énergétique. La participation des ONG, des experts et des acteurs économiques et sociaux en garantit le succès mais la transition énergétique n'est pas l'affaire des corps intermédiaires ni même du Parlement. Il faut impliquer les citoyens parce qu'elle engage quasiment une révolution anthropologique dans un pays où l'hyperproduction et le gaspillage énergétique passaient pour un acte citoyen. Le débat doit être ouvert. Il faut le mettre en scène, permettre aux médias de le prolonger. La transition énergétique mérite un débat organisé dans un grand amphithéâtre rempli de citoyens et retransmis à la télévision.
J'ai écouté le vibrant plaidoyer de nos collègues en faveur du nucléaire.
M. Jean-Claude Lenoir. - Comme M. Guillaume !
Mme Laurence Rossignol. - Je l'ai entendu à droite, comme à gauche.
M. Jean-Claude Lenoir. - Et au centre !
Mme Laurence Rossignol. - Et j'ai relevé des omissions : aucun de vous n'a reconnu le caractère conjoncturel et artificiel du coût estimé du nucléaire, minoré par la sous-assurance du risque nucléaire : le coût de l'assurance est 5 000 fois inférieur à ce que coûterait un accident nucléaire...
M. Ladislas Poniatowski. - Argument écologiste bien connu !
Mme Laurence Rossignol. - N'importe quel chirurgien se réjouirait d'avoir à contracter une assurance aussi favorable. Propagande aussi : pas un jour sans un article pour promouvoir l'exploitation du gaz de schiste, pas un jour sans que nous ne soyons invités par les lobbies dans les meilleurs restaurants parisiens... pour nous expliquer combien nous faisons fausse route en ne cédant pas à ces sirènes. Pour ma part, je n'y vais pas !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Moi non plus !
M. Ladislas Poniatowski. - Je n'ai pas été invité, moi !
Mme Laurence Rossignol. - Je vous transmettrai les invitations ; la presse reçoit les mêmes. Les promoteurs du gaz de schiste, passant sous silence la production de gaz à effet de serre, plaident chaque jour en sa faveur, sans preuve. Je crains qu'on ne réussisse pas la transition énergétique si l'on n'envisage l'avenir que du point de vue des énergies fossiles et des hydrocarbures. Je dénonce cette paresse d'esprit. Faut-il rappeler les chiffres alarmants de l'ONU sur le climat ? Non pas deux mais quatre degrés d'augmentation de la température et pas en 2100 mais en 2060 !
Dénonçons le leurre des compagnies pétrolières, qui défendent leur intérêt. Aux citoyens de défendre les leurs ! Je me réjouis, madame la ministre, que vous ayez déclaré ce matin qu'il n'y a pas d'argent public pour la recherche sur l'exploitation du gaz de schiste. (M. Ronan Dantec applaudit)
M. Jean-Claude Lenoir. - Fermez le ban !
Mme Laurence Rossignol. - Il faut innover, créer de nouveaux financements. Je regrette que la proposition de loi Courteau-Raoul n'ait pas été retenue.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Eh oui !
Mme Laurence Rossignol. - Je félicite nos collègues pour ce débat, mais je veux leur dire une chose : soyez décomplexés !
M. Jean-Claude Lenoir. - Pas de problème !
Mme Laurence Rossignol. - On n'est pas obligé d'être pour la transition énergétique ! Ce n'est pas une valeur républicaine à laquelle nous devrions tous nous soumettre. Il est contradictoire de prétendre soutenir la transition énergétique et d'être contre la réduction de la part du nucléaire et pour l'exploitation du gaz de schiste ! Assumez ! (Applaudissements sur les bancs écologistes et quelques bancs socialistes ; protestations à droite)
M. Jean-Claude Lenoir. - Mme Rossignol provoque !
Mme Laurence Rossignol. - Pas vous ? (Sourires)
Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie . - Merci au Sénat de se saisir de ce sujet, en donnant de la visibilité à un débat national qui engage la Nation pour les décennies à venir. Bien sûr le Parlement est souverain et aura le dernier mot, avec la loi de programmation pour la transition énergétique. J'ai souhaité éviter de couper ce débat participatif de la représentation démocratique.
De nombreux parlementaires participent au Conseil national du débat, qui ne s'appelle plus parlement. Un débat aura lieu en séance à l'Assemblée nationale et au Sénat avant le dépôt du projet de loi à l'automne.
Ce débat national n'est pas un débat d'experts. Il engage les corps intermédiaires et les citoyens. Nous avons besoin des experts, mais ce débat concerne les citoyens. Il y aura des temps forts, comme les journées de l'énergie des 30 et 31 mars, les portes ouvertes sur l'énergie du 29 mai au 1er juin, les débats territoriaux en partenariat avec les collectivités territoriales. Nous sommes dans une logique de confiance avec les régions. Le pacte électrique breton pourrait servir de modèle.
Vous avez raison, monsieur Chevènement, de commencer par cet article des Echos qui reprenait les prévisions de la CRE données, en pleine campagne présidentielle. C'est pourquoi nous avons besoin d'un débat national, face à la hausse structurelle des coûts, dont on ne sait où elle s'arrêtera. Et ce n'est pas un problème lointain ! Le déficit de 69 milliards est une réalité. Un des enjeux est de retrouver notre souveraineté en matière d'énergie. La France a bénéficié du grand service public de l'électricité et du gaz voulu par le Conseil national de la Résistance. Ce modèle de 1945 a été malmené par le processus de libéralisation. Je me félicite que la Cour des comptes ait décidé de tirer un bilan des ouvertures à la concurrence.
Mme Rossignol a raison, même si elle l'a dit de façon peut-être un peu provocatrice.
M. Jean-Claude Lenoir. - Vous voyez !
Mme Delphine Batho, ministre. - Il y a des choix démocratiques à faire, sans se les laisser imposer par les multinationales. (M. Jean-François Husson ironise)
Que la part du charbon augmente en France et en Europe, ce n'est pas le sens de l'Histoire.
M. Jean-Claude Lenoir. - C'est pourtant inévitable en Allemagne.
Mme Delphine Batho, ministre. - Changeons de logiciel pour faire de la maîtrise de l'énergie un grand enjeu national.
Il faut encourager l'efficacité énergétique. Le mot sobriété fait penser à une restriction. Ce n'est pas de cela qu'il doit s'agir. C'est aujourd'hui que les gens se restreignent, à cause de la hausse des factures énergétiques. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
MM. Daniel Raoul, Roland Courteau et Jean-Jacques Mirassou. - Bravo !
Mme Delphine Batho, ministre. - L'efficacité énergétique peut réduire la facture des ménages et aussi la facture énergétique de la France, de 3 à 5 milliards, tout en créant des emplois. Si nous avons souhaité que la proposition de loi Brottes avance, c'est pour ne pas faire attendre certaines décisions.
Oui, monsieur Merceron, il faut parler du programme « Habiter mieux ». J'en ai vu hier un exemple vertueux : avec Cécile Duflot, nous avons visité une maison construite en 1956 dans laquelle des travaux modestes ont eu pour effet une division par deux de la consommation d'énergie. Reste le problème du financement du reste à charge par les ménages ; le Gouvernement y travaille avec la Caisse des dépôts et consignations.
Sur le bouquet énergétique, je rejoins M. Poniatowski : l'un des objectifs principaux qui doit nous unir, c'est de réduire notre dépendance aux hydrocarbures. Je comprends mal qu'il ait conclu en préconisant l'exploitation du gaz de schiste.
Oui, la France continuera à avoir besoin du nucléaire, comme l'a dit le président Guillaume. Mais regardons les coûts en face, les investissements nécessaires pour la maintenance, la sécurité ; anticipons la fin de vie de nos centrales, sinon nous risquons de nous retrouver face à un mur infranchissable. Ma conviction personnelle, c'est la complémentarité des énergies décarbonées, nucléaire et renouvelables.
Nos ingénieurs ont fait de la France un champion du nucléaire. Qu'ils en fassent désormais un champion des énergies renouvelables ! La fermeture de Fessenheim n'a pas été décidée par l'ASN, c'est une décision politique de transition énergétique. Dès lors que 400 réacteurs vont être arrêtés dans le monde d'ici 2040, le démantèlement devient un enjeu pour la filière nucléaire.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Très bien !
Mme Delphine Batho, ministre. - Diversifions notre mix électrique, réduisons le nucléaire, sans en sortir complètement.
Le gaz de houille n'est pas une nouveauté, il est exploité en France depuis 1992. Le permis de recherche est en cours depuis douze ans.
M. Jean-Claude Lenoir. - De recherche, pas d'exploitation !
Mme Delphine Batho, ministre. - La démonstration n'a pas été apportée que cette ressource puisse être exploitée de façon rentable. Méfions-nous des formules magiques, des pierres philosophales.
Monsieur Chevènement, je voudrais vous convaincre que les énergies renouvelables sont l'avenir. Il y a une compétition mondiale économique en la matière.
Peut-on qualifier de folie l'éolien en mer ? Une folie, la création de 10 000 emplois avec cette filière industrielle ? Je ne le crois pas. Nous sommes dans une phase d'investissement. J'en discutais avec mon collègue allemand Peter Altmaier encore hier.
Oui, il y a une surcapacité allemande et espagnole sur l'éolien, d'où leur vente à perte. Nous cherchons à mettre en place un mécanisme qui évite à la fois la sous- et la surcapacité.
Nous mettons en avant la notion de patriotisme écologique, considérant que tout investissement dans les énergies renouvelables est bon pour le développement industriel et la création d'emplois. Avec Laurence Rossignol, nous avons inauguré une usine de fabrication de mâts d'éoliennes dans l'Oise, une autre a été inaugurée par Arnaud Montebourg en Saône-et-Loire. Des programmes de recherche sont financés dans le cadre du programme d'investissements d'avenir.
Mettons tous les éléments d'impact et de décision sur la table. Oui, monsieur Dantec, l'instabilité de ces dernières années, que vous avez dénoncée, a freiné la création d'emplois et l'investissement.
Bien évidemment, la question du financement est posée. Nous héritons d'un boulet de 5 milliards d'euros, je le rappelle !
M. Roland Courteau. - Eh oui ! C'est l'héritage.
Mme Delphine Batho, ministre. - Le Grenelle a fixé des objectifs mais sans prévoir de financements, c'est irresponsable !
M. Jean-Claude Lenoir. - On attend de voir comment vous allez faire.
Mme Delphine Batho, ministre. - J'ai réformé les tarifs du gaz. Je souhaite engager une réforme des tarifs de l'électricité. J'ai demandé à la CRE d'analyser les coûts d'EDF.
La transition énergétique est un investissement d'avenir, pour créer de l'emploi, pour réduire la facture d'énergie des ménages. Je salue l'ouverture de ce débat au Sénat, en remarquant les convergences qui se sont exprimées. Définissons ensemble l'intérêt général de la Nation. Je veux finir sur un message de confiance. La France a de grands leaders mondiaux. Nous avons des atouts. Ce débat doit donner les signes d'espoir dans un moment où notre pays en a besoin. (Applaudissements à gauche)
La séance est suspendue à 12 h 50.
présidence de M. Jean-Pierre Bel
La séance reprend à 15 heures.