Débat sur la suppression de la taxe professionnelle
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l'État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale.
M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE, auteur de la demande. - La mission commune d'information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle a été constituée en juillet 2011. J'avais cédé la place de président à Mme Escoffier, avec M. Guené comme rapporteur. Ils ont fourni un travail très important sur un dossier difficile.
Leurs travaux ont apporté un éclairage nouveau sur la réforme controversée de la taxe professionnelle. Notre Haute assemblée s'honore à publier de telles études et à organiser de tels débats, d'autant qu'en application de l'article 24 de la Constitution, elle représente les collectivités locales.
M. Alain Gournac. - Pourvu que ça dure !
M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE. - Nous avons mis ce débat à l'ordre du jour de notre espace réservé alors qu'il a toute sa place dans une semaine de contrôle du Sénat mais nous n'avons pu l'obtenir malgré nos demandes réitérées en conférence des présidents. Je rappelle que la mission d'information avait retardé la publication de ses conclusions pour ne pas interférer avec la campagne électorale et dans l'attente de données que nous n'avons pu finalement obtenir.
Un peu d'histoire, tout d'abord ! Nous avions eu une longue, et parfois fastidieuse, discussion, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, sur la réforme de la taxe professionnelle. J'ai relu ces débats et vos contributions à l'Assemblée nationale furent fort intéressantes, monsieur le ministre.
Notre groupe a toujours porté un regard assez critique sur cette réforme, qui a été élaborée de façon trop précipitée et sans concertation. Les élus locaux et les parlementaires n'ont pas été écoutés. Le manque de clarté avait conduit les rapporteurs généraux des deux chambres à réécrire intégralement l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010 : il avait fallu plus de treize heures de débat au Sénat pour examiner les 514 alinéas du fameux amendement Marini...
Nous avions regretté l'absence de simulation des effets de cette réforme sur les collectivités locales, mais aussi sur l'État et les entreprises.
Cette réforme méritait donc d'être observée avec une grande attention après sa mise en place : un bilan était d'ailleurs prévu. Plus de trois ans après, les travaux de la mission commune d'information ont été rendus plus difficile par la non-communication de données chiffrées. Je crains que l'absence de simulation qui entrave le travail parlementaire n'appartienne pas qu'au passé. Certains exemples récents en témoignent... Je pense au débat rapide du 14 décembre, à l'Assemblée nationale, sur le fonds de péréquation.
M. Jean-Pierre Plancade. - Absolument !
M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE. - Mon discours ne varie pas en fonction des gouvernements en place.
M. Jean-Pierre Plancade. - Oui.
M. Alain Gournac. - Très bien !
M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE. - Je souhaite que ces errements ne se reproduisent pas. C'est aussi cela, le changement, sinon c'est la continuité aujourd'hui...
Lors du débat sur la taxe professionnelle, M. Jean-Marc Ayrault déclarait à l'Assemblée nationale : « c'est donc une décision extrêmement lourde de conséquences que vous prenez sans simulation nécessaire ». L'alternance doit s'accompagner de nouvelles pratiques.
La réforme avait pour premier objectif d'accroître l'attractivité de notre territoire. La taxe professionnelle avait été réformée 68 fois en trente trois ans ; elle était à bout de souffle et il fallait effectivement la réformer. A-t-on renforcé la compétitivité des entreprises, mis un coup de frein à la délocalisation ? Je crains que non. La situation a même empiré. Trois ans plus tard, nous nous posons toujours les mêmes questions ; le rapport Gallois a proposé des pistes de réflexion intéressantes sur le sujet.
La réforme de la taxe professionnelle n'était pas une panacée. D'ailleurs, personne ne croyait avoir trouvé le remède miracle. Le rapport souligne que la contribution économique territoriale n'a jamais fait partie des préoccupations centrales des entreprises : la fiscalité locale n'est pas déterminante pour les décisions d'implantation.
Les effets de cette réforme sont contrastés, comme le démontre le rapport.
Les allégements résultant de cette réforme sont contrebalancés par des augmentations de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés.
Il est difficile d'affirmer que la réforme de la taxe professionnelle a davantage aidé les entreprises menacées de délocalisation. Son coût pour l'État est estimé à 4,5 milliards en rythme de croisière.
Ceci dit, il est très difficile d'évaluer les effets exacts de la réforme faute de renseignements fournis par le Gouvernement.
Autre objectif : simplifier la fiscalité locale. Est-ce le cas ? Certes non ! Les collectivités locales sont dans le plus grand flou sur les conséquences de cette réforme qui se met progressivement en route.
Ne s'agit-il pas d'une bombe à retardement ? Les collectivités territoriales ne s'y retrouvent pas. Les EPCI ne disposaient d'aucune simulation lorsqu'il a fallu fixer la cotisation minimale. Les collectivités territoriales ont vu leur dépendance par rapport aux dotations de l'État s'accroître et elles connaissent une grande incertitude sur les ressources, insuffisamment dynamiques, surtout en période de crise.
L'indexation sur l'inflation de l'assiette des Ifer n'a été adoptée qu'il y a un mois seulement, grâce aux efforts de François Marc.
La suppression de la taxe professionnelle a renforcé les inégalités entre les collectivités territoriales sans mettre en place de péréquation efficace.
A la page 83 du rapport, une constatation ne peut que nous inquiéter : la CVAE est concentrée à 38 % sur l'Ile-de-France, qui ne recueillait que 13,3 % de la taxe professionnelle.
Quelle est la position du Gouvernement sur les conclusions du rapport ? Quels sont ses objectifs sur la péréquation ? Les annonces récentes nous inquiètent fort. (Applaudissements au centre)
M. Charles Guené, rapporteur de la mission commune d'information . - La suppression de la taxe professionnelle n'est pas un épiphénomène. Revenons sur la genèse de cette réforme majeure. La taxe professionnelle, instituée en 1975, cet impôt imbécile pour certains, a été supprimée dans le contexte que l'on sait ; sa réforme avait été engagée bien avant avec la suppression de la part salaire en deux temps puis la prise en compte de la valeur ajoutée.
Portée par les seuls investissements, la taxe professionnelle était alors condamnée : la CTE la remplace en 2011, à la suite de divers rapports.
Si le tableau des entreprises gagnantes et perdantes n'est pas aisé à dresser, 60 % d'entre elles y ont gagné dans le secteur industriel au détriment du secteur des services et un peu de l'intérim. Le Medef admet qu'il y a une réduction de cinq points des prélèvements. Bref, on peut parler de réussite de la réforme, malgré ses imperfections.
Les comptables peuvent se réjouir, alors qu'ils étaient confrontés à l'usine à gaz de la taxe professionnelle.
En 2010, nous avions attiré l'attention sur les carences de la contribution foncière des entreprises (CFE) minimale. Le législateur a su verrouiller efficacement le système. Le monde économique se félicite de cette réforme et d'être soumis à un taux national, même si les facteurs de compétitivité se situent ailleurs : prix de l'énergie, crédit impôt recherche, logement pour les salariés, position géographique stratégique.
Cette réforme a coûté 4,5 milliards à l'État, en année de croisière mais il a bénéficié d'un surplus d'impôt sur les sociétés ; ce différentiel aurait été moindre si le Conseil constitutionnel n'avait pas pris la décision qu'on connaît à propos des BNC.
Cette réforme a affecté les relations entre les collectivités locales et l'État. Il faut en prendre l'exacte mesure car c'est l'aboutissement d'une mutation entamée depuis des décennies.
Nous avons vécu après la première guerre mondiale une première crise des finances publiques, qui a conduit à transférer du pouvoir fiscal aux collectivités locales pour lancer la reconstruction. Avec l'ordonnance de 1959 est née l'idée de transférer aux collectivités locales le levier fiscal, en plein pendant les Trente glorieuses.
Elle fut mise en oeuvre entre 1975 et 1983, avec les lois Defferre. Or, en 1974 éclate le premier choc pétrolier, alors que les collectivités locales se réjouissent de leur liberté acquise. L'illusion d'une autonomie fiscale perdure, alors que l'État intervient de plus en plus. Ce n'est qu'en 2002-2004 que les choses changent : avec l'inscription de l'article 72-2 dans la Constitution, l'horizon bascule ; exit l'autonomie fiscale. L'autonomie financière était née.
La réforme de la taxe professionnelle a porté le coup de grâce en réduisant le poids de l'économie dans la ressource locale. Elle va de pair avec une péréquation horizontale pour ne pas laisser subsister les inégalités territoriales. La péréquation horizontale l'emporte alors sur la péréquation verticale. Les élus ont accusé un temps de retard par rapport à l'évolution fiscale. Le mouvement n'est peut être pas inéluctable mais, pour l'instant, il s'impose.
J'en viens à l'impact de la réforme sur les collectivités. Les seules variations que nous subissons résultent de nos propres votes. Nous avons affiné les critères pour parvenir à une plus grande adéquation avec les besoins des collectivités territoriales.
Les ajustements réalisés lors des deux dernières lois de finances ont pris en compte les spécificités des entreprises industrielles. La poursuite de la péréquation est nécessaire. Ces ajustements sont essentiels. La prise en compte de la richesse, avec l'achèvement de la carte de l'intercommunalité, est une innovation majeure pour la solidarité.
Pour le bloc communal, l'introduction des revenus des ménages est utile. La loi de finances pour 2013 a apporté des correctifs utiles pour certains territoires urbains. Rappelons que l'Ile-de-France doit encore effectuer sa mue.
Il reste à progresser en termes de solidarité dans les départements et les régions. Le dossier de la CFE minimale n'a pas été abordé lors de la dernière loi de finances. Il faudra y revenir en 2014. Le Premier ministre vient d'écrire à M. Pélissard à ce sujet : sa proposition est encourageante mais trop peu opérationnelle. La répartition de la CVAE doit tenir compte des particularités des groupes. On nous a opposé le besoin de simulations mais nous n'avons rien vu venir... La revalorisation des valeurs locatives, qui est désormais programmée, aura aussi une incidence.
La mise en place d'une nouvelle fiscalité locale doit bénéficier d'une expertise qui ne soit pas à la seule initiative du Gouvernement.
La réforme de la taxe professionnelle doit être vue comme le basculement d'un monde révolu à un autre, fondé sur des espaces internationaux intégrant des espaces à autonomie financière limitée. La crise actuelle pousse à une plus forte intégration et implique une nouvelle gouvernance. J'espère que cette intégration n'ouvrira pas la voie à une nouvelle centralisation. En nous contentant de critiquer une réforme jugée hâtive et mal préparée, ne passons pas à côté de l'histoire fiscale de nos collectivités.
Mme Marie-France Beaufils . - La disparition de la taxe professionnelle a été une mesure emblématique du quinquennat Sarkozy. Pour la plupart des entreprises, il s'agissait d'une bonne nouvelle.
Les artisans et commerçants ont toutefois dit leur amertume devant les effets pervers de la cotisation minimale.
La nouvelle assiette de la contribution économique territoriale était peu opérante. La cotisation foncière ressemble à la patente.
La plupart des entreprises ont constaté une baisse de la pression fiscale, tandis que l'impôt sur les sociétés augmentait.
Deuxième effet de cette réforme : la perte d'autonomie financière des collectivités territoriales. La progression limitée des bases d'imposition empêche de mener toute politique économique dynamique.
Les bases d'imposition de la cotisation foncière n'ont pas le même dynamisme que celles de la taxe professionnelle. Le faible produit de la CFE met en évidence des difficultés durables pour les budgets des collectivités. Les conséquences de la cotisation minimale devront être examinées attentivement.
Enfin et surtout, cette réforme n'a pas tenu compte, ou si peu, des besoins de péréquation. Que dire aussi de la situation de l'Ile-de-France ?
La péréquation horizontale prévue ne corrige pas les défauts de cette réforme. En revanche, la fiscalité locale est de plus en plus prise en charge par l'État, objectif du précédent gouvernement.
La réforme de la fiscalité locale touchant les entreprises a manqué son objectif principal : la création d'emplois. Le chômage a poursuivi sa hausse vertigineuse.
Le rapport remis le 6 novembre dernier au comité des finances locales (CFL) déclare que nous devions ressentir cet effet à moyen terme... Mais le creusement du déficit public de l'État s'est doublé d'un déficit d'emploi.
Autre victime de la réforme de la taxe professionnelle : le fonds de péréquation pour collectivités défavorisées. Nous avions bien raison de nous opposer à cette réforme. L'élargissement de la fiscalité économique locale aux actifs financiers est la piste à suivre. Il est temps de faire d'autres choix : la financiarisation de l'économie, la multiplication des plans sociaux, les délocalisations font litière des vieux discours contre la taxe professionnelle. Il faut frapper ces actifs financiers pour accompagner les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Pierre Jarlier . - Je salue le travail mené par la mission d'information sur un sujet complexe. Je me limiterai à évoquer les modifications du panier des ressources des collectivités locales et les conséquences de la réforme sur leur attractivité.
Si la compensation à l'euro près par l'État s'est vérifiée, la contribution économique territoriale ne représente plus que 33 % des ressources du bloc communal, contre 90 % auparavant. La capacité contributrice des ménages devient déterminante, posant un vrai problème d'inégalité entre territoires : ceux qui bénéficient d'une dynamique forte de la contribution économique territoriale et du FNGIR sont les grands gagnants ; les collectivités qui perçoivent les dotations de compensation -territoires industriels et zones rurales fragiles- sont pénalisées par leur gel. On leur inflige une double peine.
Selon l'ADCF, les incidences de la réforme fiscale sur le bloc communal sont très contrastées. Certains territoires tirent leur épingle du jeu quand ils bénéficient de valeurs locatives dynamiques. Ce n'est pas le cas de ceux qui pâtissent d'un marché immobilier faible. Encore une double peine, avec le risque de baisse des dotations de l'État. Ces territoires sont malheureusement nombreux ; le nouveau fonds de péréquation communal et intercommunal n'y suffira pas. Il faut une réforme globale pour que le principe d'égalité des territoires devienne une réalité.
Mme la présidente. - A l'évidence, nous ne pourrons finir ce débat dans les temps impartis. Ne souhaitant pas créer un précédent, je vais lever la séance et laisserai à la conférence des présidents le soin de trouver, avec le groupe du RDSE, une autre date pour poursuivre notre débat.
Prochaine séance demain, jeudi 31 janvier 2013, à 9 heures.
La séance est levée à 18 h 40.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du jeudi 31 janvier 2013
Séance publique
De 9 heures à 13 heures
1. Suite de la proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels (n°555, 2011-2012)
Rapport de Mme Isabelle Debré, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°181, 2012-2013)
Texte de la commission (n°182, 2012-2013)
2. Proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable (n°682 rectifié, 2011-2012)
Rapport de M. Yvon Collin, fait au nom de la commission des finances (n°287, 2012-2013)
Résultat des travaux de la commission (n°288, 2012-2013)
Avis de M. Claude Domeizel, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n°291, 2012-2013)
Avis de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques (n°298, 2012-2013)
Avis de M. Yves Rome, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (n°299, 2012-2013)
A 15 heures
3. Questions cribles thématiques sur le commerce extérieur
De 16 heures à 20 heures
4. Proposition de loi portant réforme de la biologie médicale (n°243, 2012-2013)
Rapport de M. Jacky Le Menn, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°277, 2012-2013)
Texte de la commission (n°278, 2012-2013)