Adhésion de la Croatie à l'Union européenne (Procédure accélérée - Suite)
Discussion générale (Suite)
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères . - Je m'associe à l'hommage rendu par le président du Sénat et par le ministre aux combattants engagés au Mali. Le métier des armes requiert du courage, l'acceptation du risque. La France doit à son armée sa position dans le monde.
J'assisterai tout à l'heure à l'hommage au lieutenant Boiteux -c'est dans son régiment que j'ai jadis effectué mon service militaire. Je pense aussi aux agents de la DGSE. Nous n'oublierons pas nos soldats morts au combat.
J'en viens à ce projet de loi, en saluant la présence dans nos tribunes du nouvel ambassadeur de Croatie en France.
Je me réjouis que cette adhésion soit le premier texte à être examiné en 2013. C'est une bonne façon de commencer l'année. Avec la Croatie, l'Union européenne passe de 27 à 28 membres. C'est la dernière fois que nous pouvons voter un élargissement à la majorité simple. A l'avenir, il faudra une majorité qualifiée des trois cinquièmes ou un référendum.
La Croatie est-elle prête à adhérer à l'Union européenne ? L'entrée des pays des Balkans se fait de façon différenciée, en fonction de l'état d'avancement de chaque pays. La Croatie s'est livrée à un véritable marathon. Les critères ont été beaucoup plus rigoureux qu'auparavant, c'est vrai.
Le nombre de chapitres est passé de 30 à 35, avec un nouveau chapitre 23 sur les pouvoirs judiciaires et les droits fondamentaux dans le domaine de l'État de droit. Le nombre et la rigueur des critères ont été renforcés. Dix actions concrètes ont été identifiées en octobre. Depuis 2001, la Croatie a bénéficié de 1,5 milliard d'euros pour sa préadhésion. A partir de 2014, la part du budget dévolu à la Croatie augmentera ; elle disposera de quatorze parlementaires et d'un commissaire européen.
La Croatie est donc prête à devenir le vingt-huitième membre de l'Union européenne. Elle a su affronter son passé et se tourner vers l'avenir. Même si des difficultés demeurent avec certains de ses voisins, nous avons pourtant confiance et nous considérons que ce pays est prêt à entrer dans l'Union européenne.
Où en sont les Balkans occidentaux? Depuis dix ans, le bilan est assez mince. Après la Slovénie, la Croatie sera le seul pays à entrer dans l'Union européenne.
Divers pays ont frappé à la porte de l'Union européenne -Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine- mais beaucoup reste à faire pour qu'ils adhèrent.
Mme Nathalie Goulet. - Tant mieux !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Cela témoigne de la difficulté de la transition démocratique et de la construction des institutions, de l'imbroglio historique, ethnique et frontalier, de la part de l'économie criminelle et de la corruption. Certains agitent la menace que ces pays ne deviennent un lieu de compétition entre les nations émergentes, un peu comme au XIXe siècle, entre le tropisme russe de la Serbie, la puissance traditionnelle de la Turquie et le poids économique croissant de la Chine qui veut entrer sur le marché européen par les ports grecs. L'Union européenne reste un horizon de prospérité et de stabilité mais quelle est la force du projet européen ? Sommes-nous capables de faire autre chose que gérer nos crises ? Saurons-nous bâtir l'Europe de la défense ? Saurons-nous instaurer la croissance qui donne l'espoir ?
En matière d'élargissement, il faut trouver un équilibre pour ne pas fragiliser l'Union européenne. Les États membres doivent rester les maîtres du jeu. La Croatie sera un allié pour parvenir à trouver cet équilibre.
« Croatie, la voici ! » dit le slogan de la saison culturelle croate. Pour ma part, je dis : « Croatie, bienvenue ! ». (Applaudissements)
M. André Gattolin, au nom de la commission des affaires européennes . - J'ai plaisir à saluer le rapport de la commission des affaires étrangères. Nous sommes particulièrement heureux d'accueillir ce 28e État de l'Union européenne.
Nous nous sommes rendus en Croatie en 2011. La commission des affaires européennes du Sénat a ensuite adopté une proposition de résolution pour obtenir une ratification rapide de l'adhésion de la Croatie.
Les relations entre nos deux pays sont excellentes. Le président Bel a accueilli, en octobre, le président de la République croate et il recevra demain le président du Sabor, le parlement croate. Je salue le nouvel ambassadeur de Croatie en France, présent dans nos tribunes.
Si l'élargissement a pu être critiqué parce que mal préparé et se faisant au détriment de l'approfondissement, il faut reconnaître que, pour la Croatie, toutes les conditions sont réunies pour en faire une adhésion réussie. La Croatie est un État de droit et ses institutions, pleinement démocratiques, ont autorisé l'alternance politique.
La Croatie a su faire toute leur place aux minorités, aux réfugiés et aux déplacés auxquels des droits importants ont été accordés par la loi constitutionnelle de 2002. La Croatie a accepté le retour après la guerre de la minorité serbe.
Le chapitre 23 sur la justice et les droits fondamentaux a finalement été adopté. La réforme judicaire a été mise en oeuvre, le nombre d'affaires en souffrance a diminué, la Croatie a créé une école pour former ses magistrats. La lutte contre la corruption et la criminalité organisée fermement engagée doit se poursuivre avec le renforcement des capacités de l'office contre la corruption et le crime organisé. Enfin, un effort supplémentaire doit être consenti en faveur de la transparence en matière de dépenses publiques et de financement de la vie politique.
Les relations de la Croatie avec ses voisins se sont pacifiées. Les différends avec la Serbie étaient les plus nombreux ; ils se sont apaisés et les hautes autorités des deux pays se sont reçues mutuellement. Avec la Slovénie, la dispute concerne le golfe de Biran, les eaux territoriales et la restitution des avoirs croates dans les banques slovènes.
La Slovénie et la Croatie ont accepté un arbitrage international sur le premier point. Sur les avoirs croates, la situation est gênante puisque la Slovénie menace de ne pas ratifier l'accord d'adhésion, mais le problème devrait trouver une solution prochainement.
Sur le plan économique, la Croatie a connu une croissance remarquable, de 4 à 5 % l'an, avant la crise. Son économie est dynamique et concurrentielle. La Croatie, qui a reçu le soutien de la BERD et de la BEI, a lancé trente projets d'investissements publics pour soutenir sa croissance. Le potentiel touristique est également important. Le secteur agricole représente 5 % du PIB, le secteur secondaire, 22 %, celui des services, 73%. La Croatie reçoit 10 millions de touristes par an.
Le référendum de janvier 2012, alors que la crise était à son comble dans la zone euro, a montré l'adhésion d'une majorité de 67 % des votants à l'Union européenne, preuve de la volonté de la population de progresser par l'Europe et de faire progresser l'Europe.
Je suis heureux de saluer ce sursaut historique et héroïque de nos amis croates.
C'est donc avec joie que nous nous apprêtons à accueillir la Croatie au sein de l'Union européenne. Le pays renoue avec ses origines en nous rejoignant ; il ne peut que réussir son intégration.
Je me suis rendu plusieurs fois en Croatie, notamment pendant la guerre, quand le front n'était qu'à une douzaine de kilomètres de Zagreb. Cette expérience douloureuse m'a beaucoup marqué. Le but premier de la construction européenne après le terrible conflit des années quarante était la pacification de nos territoires et la reconstruction de l'État de droit. La réconciliation et l'amitié durable entre la France et l'Allemagne en sont le plus fort symbole. Avec l'adhésion de la Croatie, il y a une forme de réactualisation du rêve européen.
Je me suis lié d'amitié avec le traducteur croate d'Albert Camus qui a écrit que le seul combat qui vaille est celui de la paix. J'imagine qu'il doit être aujourd'hui d'accord avec cet auteur qu'il a tant lu et traduit.
Au nom de la commission des affaires européennes, j'appelle à la ratification de ce traité. (Applaudissements)
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
M. le président. - M. le président Bel s'est absenté pour se rendre à l'hommage rendu aux Invalides au lieutenant Boiteux.
M. Jean-Michel Baylet . - Je m'associe à l'hommage rendu aux soldats tombés au Mali.
Lors de la remise du prix Nobel de la paix à l'Union européenne, MM. Barroso et Van Rompuy ont intitulé leur discours « de la guerre à la paix, une histoire européenne ». M. Van Rompuy a déclaré que la guerre était aussi ancienne que l'Europe. C'est particulièrement vrai pour les Balkans, ravagés par les conflits qui ont suivi l'éclatement de l'ex-Yougoslavie comme ceux suscités auparavant par d'anciennes haines. Ce territoire fut sous l'influence de la Hongrie et de l'Autriche, de Venise comme de l'Italie, tout en étant aux marges de l'empire ottoman.
Je n'oublie pas que Napoléon a incorporé à l'empire français les provinces de Dalmatie et de Dubrovnik entre 1809 et 1813. La Croatie se situe bien au coeur de l'Europe.
Certains rejouant la Triple alliance contre la Triple entente voudraient voir dans la Croatie une alliée de l'Allemagne tandis que la Serbie serait celle de la France. Je n'oublie pas le monument de reconnaissance à la France dans un parc de Belgrade ni l'évacuation vers Corfou par des bateaux français de Pierre 1er de Serbie, en 1915. Je forme le voeu que la Serbie rejoigne rapidement l'Europe.
M. Roland du Luart. - Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. - L'Union européenne permet de transcender les vieux antagonismes entre les nations européennes. Les Balkans étaient considérés naguère comme une poudrière. L'arrivée de la Croatie marque une nouvelle étape dans l'élargissement de l'Union. L'adhésion des douze pays de l'Europe centrale et orientale était une promesse de réconciliation après la fin du rideau de fer mais les conditions de leur intégration n'ont pas toujours été suffisamment rigoureuses.
L'engagement moral a en réalité occulté les difficultés des États candidats. Les institutions communautaires ont depuis renforcé les exigences envers ces derniers -c'était nécessaire. La Commission a fait du cas croate un exemple de négociation pour les autres pays des Balkans occidentaux, tous engagés dans un rapprochement avec l'Union européenne à des degrés divers.
Certaines questions demeurent toutefois sans réponse : réforme judiciaire, lutte contre la corruption et le crime organisé, participation au tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, retour des réfugiés -notamment de la minorité serbe-, différends frontalier et bancaire avec la Slovénie -ceux-ci pouvant retarder la ratification par les autorités de Ljubljana. Néanmoins, les efforts de la Croatie pour se conformer aux exigences de l'Union européenne sont à saluer. Le rapport de Jacques Blanc et Didier Boulaud intitulé « Croatie, 28e État de l'Union européenne » ne disait pas autre chose. Si l'enthousiasme de la population croate s'est quelque peu érodé avec le temps, le référendum d'adhésion a vu le « oui » l'emporter à 66 %.
D'autres pays sont amenés à rejoindre l'Union : l'Islande, le Monténégro, la Macédoine, la Serbie, la Turquie -aussi l'Albanie et la Bosnie-Herzégovine. Un nouvel élargissement ne pourra se faire sans une réforme de la gouvernance de l'Europe. Les radicaux sont favorables à une évolution fédéraliste de l'Union européenne. Comment mener à bien l'approfondissement à plus de trente ? En changeant de dimension, l'Europe a changé de modèle, a déclaré François Hollande lors du sommet européen d'octobre dernier ; il a plaidé pour que l'Europe avance à plusieurs vitesses, dans des cercles différents. L'attribution du prix Nobel a été un hommage aux pères fondateurs mais aussi un appel aux gouvernements à un sursaut.
La grande majorité du groupe du RDSE votera pour la ratification de ce traité, pour une Europe puissante, réconciliée, pour une Europe de l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
Mme Leila Aïchi . - Nous nous associons à l'hommage rendu au lieutenant Boiteux et aux condoléances adressés à sa famille.
L'adhésion de la Croatie sera, en ces temps de doute, une bouffée d'air frais. La vocation européenne des Balkans occidentaux a été affirmée dès le sommet de Zagreb, en 2000. La Croatie n'a pas démérité, renforçant ses institutions, intégrant les réfugiés, améliorant le statut des minorités.
L'Europe, c'est la paix. La Croatie en connaît trop bien le prix. La guerre y fut plus longue et sanglante qu'en Slovénie : dix ans -jusqu'à la reconquête du territoire en 1998, 16 000 tués, 40 000 disparus, 37 milliards de dollars de dégâts, soit deux fois le PIB de ce pays. Les sièges de Dubrovnik et de Vukovar en furent le sinistre symbole. Un million d'hectares ne seraient pas exploités, notamment à cause de la présence de mines anti-personnel. Le cheptel bovin a été décimé. Rappelons-nous que ces événements tragiques ont eu lieu sur notre continent...
L'adhésion de la Croatie souligne la vocation universelle de l'Union européenne dans la promotion de la paix et des droits de l'homme -qui a justifié l'attribution du prix Nobel.
Certes, l'enthousiasme pro-européen des Croates s'est érodé au fil du temps. Le différend bancaire avec la Slovénie pourrait retarder l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne car il faut une ratification par les Vingt-sept...
Le 22 janvier 2012, les Croates ont voté à 67 % pour l'adhésion, arrimant leur destin à celui d'un projet européen toujours en mouvement. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Européenne convaincue, je suis persuadée que l'agrandissement de la famille européenne représente une formidable chance pour notre pays. (Applaudissements)
M. Jean Bizet . - A mon tour de saluer le grand professionnalisme des soldats français, où qu'ils se trouvent, et de m'associer, au nom du groupe UMP, à la douleur des familles des soldats décédés en Somalie, au Mali ou en Afghanistan.
L'élargissement démontre la soif d'Europe dans une période de turbulences qui fait douter certains. Raison de plus pour rappeler ce qu'est l'Europe. L'Union européenne, ce sont des valeurs. Adhérer, c'est une responsabilité : il faut pouvoir mettre en place une économie de marché. Être membre de l'Union ne peut se résumer au seul parapluie sécuritaire, ou au calcul des retombées financières des fonds de cohésion ou de la PAC. Être membre de l'Union, c'est un engagement à mieux répondre aux défis de la mondialisation, c'est la solidarité entre États membres, c'est avoir une haute exigence face à la corruption, qui était encore importante naguère. La Croatie a beaucoup de défis à relever ; l'Union européenne a décidé de lui faire confiance. Je salue les travaux de la commission des affaires européennes sur la Roumanie et la Bulgarie, dont l'adhésion a sans doute été trop précipitée.
Désormais, toute nouvelle adhésion nécessitera un référendum, ou un vote du Parlement à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
Je souhaite profiter de cette tribune pour adresser trois messages. Je m'inquiète d'abord de la décision -vraisemblable- de David Cameron de tenir un référendum sur l'appartenance de la Grande-Bretagne à l'Union européenne. Comme le dit M. Giuliani, voilà ce qui se produit quand une classe politique néglige la politique européenne en faisant croire que tout se décide au niveau national, quand on fait des promesses inconsidérées pour gagner les élections, quand on fait de l'Europe le bouc émissaire de ses propres turpitudes. La place de la Grande-Bretagne est dans l'Europe, pas ailleurs, même si elle a acquis au fil du temps des régimes spéciaux. C'est le secrétaire d'État américain adjoint à l'Europe qui l'assure : les États-Unis veulent des liens resserrés avec l'Union européenne en tant qu'entité ayant une influence croissante dans le monde -et que la Grande Bretagne ait une influence croissante au sein d'une Union tournée vers l'extérieur. On ne peut mieux dire.
Deuxième message au couple franco-allemand : il est la clé de la force de l'Europe car nos différences sont des complémentarités. Notre ancien ambassadeur à Berlin estime que nous avons deux défis à relever : celui de l'énergie et celui de la défense. La première puissance économique mondiale ne doit pas s'engager dans un désarmement, au contraire ; je salue à cet égard la coopération entre Londres et Paris en la matière.
Enfin, la France doit continuer à mettre en oeuvre des réformes structurelles : flexibilité du marché du travail, coût du travail plus compétitif, réduction des dépenses publiques. A défaut, elle ne pourra profiter des propositions budgétaires pour la croissance de M. Van Rompuy. L'opposition sera constructive.
Adhérer à l'Union européenne, c'est, pour tous les États membres, l'obligation de mettre en oeuvre au niveau national des obligations décidées à Bruxelles.
L'intégration de la Croatie doit être une réussite, pour les Balkans occidentaux mais aussi pour les Vingt sept, qui peuvent être fiers d'avoir tracé la voie à ces pays assoiffés d'Europe, de liberté et de démocratie. Le groupe UMP votera la ratification de ce traité. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Michel Billout . - L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne nous donne l'occasion d'une réflexion plus générale sur le processus d'élargissement. La Croatie a franchi des étapes longues et difficiles ; répond-elle pour autant aux exigences de Copenhague -dont je conteste par ailleurs les principes néolibéraux ? Non. Il lui reste beaucoup à faire et les Croates sont incités à poursuivre leurs efforts, de la privatisation de leurs chantiers navals aux sanctions des crimes de guerre -efforts qu'il ne faut pas sous-estimer. L'adhésion peut inciter à poursuivre les réformes, mais je crains que, comme ses prédécesseurs, la Croatie ne subisse les conséquences néfastes d'une stricte application des exigences communautaires, qui pousse à libéraliser, à précariser, à privatiser, à favoriser les bas salaires -quitte à créer un énorme déficit commercial.
Le processus d'élargissement paraît mal maîtrisé et mal défini. Les peuples ont besoin de savoir où ils vont. Pourquoi élargir ? A qui et jusqu'où ? A l'heure où l'on constate l'impuissance de l'Union européenne à parler d'une seule voix sur la scène internationale, on peut s'interroger sur l'intérêt de poursuivre l'élargissement.
Le passage de quinze à vingt sept membres a changé la nature du projet européen, qui tend à devenir une simple zone de libre-échange. Les grandes et généreuses notions, les valeurs communes sont venues après l'objectif de marché unique. Il faut redéfinir les principes sur lesquels doit se fonder l'élargissement. La construction européenne traverse une profonde crise d'identité. L'Union européenne a déjà mis en place plusieurs cercles, plusieurs strates, des mécanismes de coopération à plusieurs vitesses. Le problème tient moins aux limites territoriales qu'au projet de société ; ce n'est pas la politique d'élargissement qui est en cause mais la façon dont elle est appliquée, les retards à trouver des solutions solidaires face à la crise, l'absence de régulation pour lutter contre la spéculation des marchés financiers. La seule réponse de l'Union européenne à la crise a été de faire payer les populations en renforçant le dogme aveugle de la lutte contre les déficits budgétaires. Est-ce dans ce contexte, à ces conditions, qu'il faut accueillir la Croatie ? Ce n'est pas en différenciant les niveaux d'intégration que l'on résoudra les problèmes.
Faut-il pour autant différer l'adhésion de la Croatie ? Il faut mesurer l'attente des Croates qui se sont prononcés pour à 66 % ; il serait dangereux de décevoir leur espoir, au risque de nourrir le populisme et le nationalisme d'extrême droite. Et l'Europe doit être facteur de paix et de stabilité dans une région qui a beaucoup souffert. Pour ces deux raisons, le groupe CRC se prononcera en faveur de la ratification. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)
M. Jean Arthuis . - Le groupe UDI-UC s'associe à l'hommage rendu à nos soldats tombés au Mali et en Somalie et dit sa compassion à leurs familles.
Mécanique, pathétique, l'élargissement de l'Union européenne progresse tel un automate ; l'immeuble menace de s'écrouler mais peu importe, la porte reste ouverte ! Loin de stigmatiser la Croatie, nous nous associons aux louanges qui lui ont été adressées. Le processus de négociation a été plus exigeant que lors des précédentes adhésions, notamment sur les droits fondamentaux, alors que le pays sortait d'un douloureux et meurtrier conflit. Nous saluons les efforts réalisés -c'est pour cela que nous voterons la ratification. Mais n'est-il pas temps de marquer une pause dans la marche forcée vers l'élargissement ? Où est le pilotage politique ?
Depuis 1973, la logique de l'élargissement s'oppose à celle de l'approfondissement -ce n'est pas seulement de la rhétorique. La crise n'est pas terminée, elle ne le sera pas sans approfondissement de la construction européenne car il s'agit d'une crise systémique. Pour contrer l'instabilité monétaire, incompatible avec des objectifs de croissance et d'emploi, nous nous sommes dotés d'une monnaie unique, orpheline d'État. Son règlement de copropriété, le pacte de stabilité et de croissance, a été allègrement transgressé, face à une Commission européenne pusillanime et des agences de notation qui ont feint de croire à un espace fédéral. D'où la crise des dettes souveraines en 2009, dont nous ne sommes toujours pas sortis. Après les années folles de l'euro, nous avons réagi -six pack, TSCG- mais ces instruments sont trop jeunes pour avoir porté leurs fruits et sont, bien sûr, insuffisants : les racines du mal demeurent. Voyez Chypre : le pays a intégré l'Union européenne en 2004 et la zone euro en 2008. Or le contrôle prudentiel de l'Union européenne a été défaillant et Chypre, qui tire les deux-tiers de son PIB, comme le Luxembourg, de revenus financiers, vient de solliciter l'assistance financière de l'Union européenne. En cas de sinistre, ce sont les budgets nationaux des États membres qui règleront la note, sachant que les engagements des banques chypriotes représentent sept à huit fois son PIB... Chaque élargissement a un coût, que l'Union européenne est de moins en moins capable d'assumer.
La Croatie est vertueuse, dont acte ; elle va adhérer, très bien. Mais combien de traducteurs faudra-t-il recruter pour son adhésion ? Elle a reçu 1,5 milliard en aides de préadhésion, elle recevra 187 millions en 2013, davantage à partir de 2014 en fonds structurels ou de cohésion. Elle aura douze députés européens, et bien sûr son commissaire. Le problème est que le budget de l'Union européenne ressemble à une table de casino. Après avoir rémunéré le croupier -7 % pour le fonctionnement administratif-, chacun cherche à récupérer le maximum de jetons. Forcément il y a des gagnants et des perdants. Tout cela ne fait pas une politique européenne ; tout cela ne fait pas l'Europe. Une fois la Croatie intégrée, il faudra suspendre le processus d'élargissement, le temps de mettre en place une gouvernance digne de ce nom. La Bulgarie et la Roumanie, intégrées trop vite, bénéficient encore de crédits qu'elles sont incapables de mobiliser. L'élargissement semble un processus autonome, qui s'auto-entretient.
Lors de son audition, le commissaire européen à l'élargissement Füle m'a répondu, de bonne foi, que le sujet de Chypre ne relevait pas de la politique d'élargissement. C'est vrai et c'est grave ! Réponse symptomatique de la schizophrénie de l'Union européenne, menée par deux forces, l'une qui active des dépenses publiques et l'autre, avec la zone euro, qui pèse pour une réduction de celles-ci. L'élargissement relève de la première, il s'emballe. La Macédoine, la Serbie et le Monténégro ont déjà le statut de candidat. Le Kosovo, l'Albanie et la Bosnie-Herzégovine sont des candidats potentiels. Et je ne parle pas de l'Islande ni de la Turquie. Qui peut douter que l'Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie s'ajouteront à la liste ?
On veut nous rassurer en affirmant que cet élargissement est le dernier à la majorité simple. Stop. Le remède est connu : c'est le fédéralisme. La monnaie unique était un billet aller sans retour vers une souveraineté partagée. La zone euro doit être le noyau de cristallisation d'un fédéralisme européen, avec un pilotage politique et un ministre de l'économie et des finances européennes...
M. Aymeri de Montesquiou. - Très bien !
M. Jean Arthuis. - On a créé pour Mme Aston un département de 3 000 personnes... Pour quelle politique étrangère européenne ? Il faut aussi une instance parlementaire de contrôle à la légitimité incontestable. La solidarité de la zone euro n'a rien à voir avec celle entre les 27 ou 28.
L'Europe est en danger, sa gouvernance est caricaturale : l'élargissement compulsif en est la manifestation. Première mesure à prendre : supprimer le poste de commissaire à l'élargissement. (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC)
La séance, suspendue à 16 h 15, reprend à 16 h 25.
Mme Josette Durrieu . - Certains mots font consensus dans ce débat : satisfaction et confiance. Le processus d'adhésion a été long, on l'a dit. Avant d'être candidate à l'Union européenne, la Croatie a été candidate au Conseil de l'Europe, et a fait l'objet d'un monitoring de 1996 à 2003. Présidente de la commission concernée, j'ai clos ce monitoring avant terme, tant les progrès avaient été importants. En 2003, nous disions déjà toute notre confiance à la Croatie, qui consolidait ses réformes démocratiques, l'intégration des minorités. Nous soulevions à l'époque des difficultés, les mêmes qu'aujourd'hui : décentralisation, régionalisation, privatisation passaient mal. La France accepterait-elle de privatiser ses chemins de fer ? C'est pourtant ce que nous avons demandé à la Croatie. Nous allions trop vite. La Croatie a néanmoins consenti des efforts exceptionnels. Mon regard a changé sur ce peuple, ce pays qui se lançait dans une véritable reconstruction -sans aucune aide, à l'époque !
J'avais été confrontée à l'époque à tous ces faits et ma vision des choses avait fortement évolué quand j'ai vu, par exemple, que l'on reconstruisait le parc immobilier en pensant aux familles serbes qui allaient venir.
La Croatie est un pays stable, comparé à la Grèce. Je ne suis pas sûre que la Serbie ait fait autant d'efforts. Oui, la Croatie est prête. Certes, nos craintes sont légitimes mais pourquoi sommes-nous déçus, pourquoi devons-nous être prudents ? Ces pays portent le fardeau de leur histoire récente, on ne parle pas assez des peurs qui y sont véhiculées. On ne parle pas non plus assez des erreurs commises par l'Europe lors du précédent élargissement. L'Union européenne montre ses faiblesses, ses impuissances et cause ainsi du tort. Comment peut-elle être incapable de résoudre le problème de Chypre ?
L'impuissance de l'Europe à faire rêver la jeunesse l'empêche d'avancer. En Serbie, les nationalistes ont emporté les élections. La montée des nationalismes est un échec collectif, un mal profond qui risque de faire imploser l'Europe.
Tous ces pays sont membres du Conseil de l'Europe, qui devrait être, qui est le creuset de la conscience européenne. Mais le débat y est bloqué sur des thèmes comme l'identité, les minorités, et les nationalismes prospèrent sur cette incapacité à avancer des solutions nouvelles.
Des menaces existent, il y a toujours des risques. Cette zone géographique est stabilisée mais l'intégration, la réconciliation ne sont pas achevées.
M. le président. - Veuillez conclure !
Mme Josette Durrieu. - Que dire de la construction artificielle du Kosovo ? De la Serbie, transformée en État croupion ? La Russie est un pays déstabilisateur. On le voit pour les pays Baltes, pour la Moldavie. Attention au Monténégro, à la Serbie. Il y a urgence à stabiliser les frontières est et sud-est de l'Europe. La solution est dans l'intégration de ces pays dans l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)
M. André Vallini . - La Croatie est prête à rejoindre l'Union européenne ; il nous revient de l'accueillir. Elle est un pôle de stabilité, dans cette région des Balkans qui reste compliquée.
Les cicatrices de la tragédie yougoslave se sont peu à peu refermées. Depuis dix ans, la Croatie a mis en oeuvre les réformes ambitieuses, parfois difficiles, exigées par l'Union européenne. La classe politique croate a été unanime en faveur de l'entrée du pays dans l'Union européenne.
Si cette adhésion est possible et nécessaire, elle pose la question des élargissements futurs : le Monténégro et la Serbie ont le statut officiel de candidat, ainsi que la Macédoine, bloquée par le veto grec. L'Albanie a déposé sa candidature ; la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo demeurent sur le seuil de la porte. Souvenons-nous des problèmes qu'ont posés les adhésions trop rapides de la Bulgarie et de la Roumanie, après quoi il a fallu instaurer un « mécanisme de coopération et de vérification ».
Il convient de privilégier l'approfondissement de l'Europe plutôt que son élargissement. Une Europe à plusieurs vitesses, organisée en cercles concentriques, est possible. Le coeur en serait le couple franco-allemand, élargi aux pays fondateurs. Une Europe de la défense doit aussi être mise en place autour du triangle de Weimar.
Certains dénoncent une Europe « à la carte ». Mais comment imaginer faire fonctionner une Union à 28 ? La seule exigence fondamentale sur laquelle on ne saurait transiger est le respect de la démocratie qui doit animer chaque membre de l'Union européenne et la volonté qu'ils doivent avoir en partage de réaliser le rêve de nos pères fondateurs, celui d'un continent de paix. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)
Mme Michèle André . - Je salue la présence du nouvel ambassadeur de Croatie à notre tribune.
C'est la dernière fois que nous nous prononçons sur un élargissement dans le cadre traditionnel. A l'avenir, la procédure sera celle, tout autre, qu'a définie la réforme constitutionnelle de 2008, avec référendum ou réunion du Congrès.
Le processus de négociation a été plus exigeant que précédemment. La Croatie s'est montrée à la hauteur des demandes de l'Union européenne. Elle a vaincu les démons du passé, en coopérant au TPIY. Le 9 décembre 2011, le traité d'adhésion était enfin signé. Désormais, il revient aux États membres de l'Union de ratifier cette adhésion.
Le prix Nobel de la paix vient d'être attribué à l'Union européenne, après soixante ans sans conflit. Pourtant, l'éclatement de la Yougoslavie a mené à la guerre sur le continent européen. La période difficile que nous traversons n'a pas empêché la Croatie de vouloir rejoindre l'Union européenne. C'est une chance pour la France car nos liens d'amitié avec ce pays sont profonds. La plus grande avenue de Split porte le nom de Marmont, en souvenir de ce maréchal de Napoléon.
Le festival « Croatie, la voici » de cet automne a montré toutes les facettes culturelles de ce pays, qui a une tradition francophone. Nous pouvons compter l'un sur l'autre pour nous aider. Depuis trente cinq ans, je sillonne ce pays. Présidente du groupe d'amitié qui nous lie, j'ai toujours cru à sa destinée européenne et je suis fière de défendre son adhésion à l'Union européenne. Merci aux commissions du Sénat d'appeler à voter pour ce projet de loi.
Je veux conclure sur une pensée spéciale pour un grand linguiste, le professeur Petar Guberina, ami de Césaire et de Senghor, qui a ouvert les chemins de la connaissance, de la tolérance et de l'intelligence entre les peuples. (Applaudissements)
M. Jean-Yves Leconte . - Nous allons ratifier l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne. Quel beau dessein, quel beau symbole de voir ce pays rejoindre l'Europe ! Nous en revenons aux fondements de la construction européenne : la paix.
Alors que l'Union européenne fait face à de nombreuses difficultés, cette adhésion est un baume au coeur des partisans de l'Europe. N'imaginons pourtant pas que ce processus a été simple pour les Croates, tant il remettait en cause de nombreux équilibres économiques. Il lui a fallu aussi instaurer un système judiciaire moderne, coopérer avec le TPIY.
Depuis dix ans, les alternances politiques se sont succédé et les droits des minorités ont été reconnus.
On a vu, à propos de la Roumanie et de la Bulgarie, que les instances de contrôle européennes semblent se désintéresser des dérapages de ses nouveaux membres. La réussite de l'adhésion croate est vitale pour l'Europe. Ce sont les difficultés de l'approfondissement qui ralentissent l'élargissement, pas l'inverse, n'en déplaise à M. Arthuis.
J'ai confiance en la bonne volonté de tous les États membres pour accueillir la Croatie : vive la Croatie dans l'UE ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. René Teulade . - Lors de la troisième guerre balkanique, celle de 1991, l'Europe était en retard sur l'événement, disait le grand universitaire Paul Garde. Vingt ans plus tard, nous pouvons dire que l'Union européenne est à l'heure. Le 1er juillet 2013, la Croatie deviendra le 28e État de l'Union européenne, sous réserve de la ratification par tous les États membres.
En deux décennies, la Croatie a effectué d'importantes réformes en matière de justice et de droits fondamentaux. Ce travail doit être salué, d'autant que ce processus s'est déroulé dans un cadre renforcé. Le plan d'action adopté en octobre dernier par le gouvernement croate permet de satisfaire les dernières exigences européennes.
Les institutions et États européens se sont fixé comme objectif d'intégrer un certain nombre d'États des Balkans, où le traumatisme de la guerre est encore vivace. Souvenons-nous des charniers humains, non pas à la lisère de l'Europe, comme on l'a dit faussement, mais en son coeur, puisque la Grèce en est le berceau. Où étions-nous à l'époque ? Où sommes-nous aujourd'hui par rapport à la Syrie ? Je tiens à rendre hommage au précédent président serbe qui a eu le courage de reconnaître les exactions commises par son pays lors de la guerre, en particulier à Srebrenica.
Jean Monnet avait fait de la méthode des petits pas le moyen de rapprocher les pays de l'Union européenne. Cette solidarité doit être l'expression d'une grande conscience européenne pour élargir le projet de l'Union. J'espère que ce projet sera approuvé à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
L'article unique du projet de loi est adopté.
M. le président. - C'est l'unanimité ! (Applaudissements sur tous les bancs)