Loi de finances pour 2013 (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de finances pour 2013.
Discussion générale (Suite)
M. Aymeri de Montesquiou . - Toute élection nationale suscite un grand espoir : le président de la République élu bénéficie d'un état de grâce dans le pays tandis que les observateurs internationaux attendent que soient gommés les défauts de la mandature précédente. Qu'avez-vous fait de ces espérances ? Rien. L'inquiétude a gagné nos concitoyens, nos partenaires sont perplexes.
Qu'est devenue notre crédibilité ? Au bout de six mois, la dégradation de notre note par Moody's est une alarme : c'est un jugement négatif de votre politique.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Nous empruntons à taux négatif, tout de même !
M. Aymeri de Montesquiou. - Le matraquage fiscal, l'embauche de fonctionnaires ont réduit notre crédit. La dégradation peut être fulgurante. Ne faisons pas semblant de réformer : votre politique économique rappelle les années quatre-vingts, comme s'il n'y avait pas eu la mondialisation et l'euro.
Notre dépense publique est très élevée, dit, à juste titre, le président de la République. En connaissez-vous le montant ? Elle est de 54,3 % du PIB selon le budget mais de 57 % selon le président. Est-ce insincérité ou légèreté ? En tout cas, la baisse prévue correspond exactement à la différence... Le bon sens impose la baisse drastique de la dépense publique.
La presse internationale perd confiance en nous. Je crois que nous devenons l'inquiétude, voire la risée du monde.
« Je suis toujours prêt à apprendre, bien que je n'aime pas toujours recevoir des leçons », disait Churchill : inspirez-vous en. Le président de la République a dit au congrès des maires que l'État devait montrer l'exemple. Il faut réduire la dépense, d'autant que nos services publics ne sont pas meilleurs que chez nos voisins. Voyez l'exemple de l'Italie qui a su libéraliser son économie, lancer une réforme du marché de travail, améliorer l'efficacité de ses administrations, réduire les charges des entreprises.
Le rapport de la Cour des comptes et le rapport Gallois doivent vous inspirer. Prenez exemple sur le président Mitterrand qui, après deux ans de divagation et plusieurs dévaluations, a changé de politique économique pour libéraliser l'économie.
Vos affirmez présenter un budget de vérité et de combat. Ah bon ? Un budget encourage ou décourage, il dynamise ou stérilise l'économie d'un pays. L'impôt peut être efficace sans pénaliser les contribuables. Or vous faites l'inverse.
Un revenu salarié n'est pas comparable à celui d'un entrepreneur. Une cession d'entreprise récompense des années de travail, des prises de risque considérables. Une entreprise est un rêve qui a pris forme et que ne doit pas briser l'impôt. Une fiscalité doit être incitative : vous la rendez dissuasive, confiscatoire et votre crédit d'impôt ne concerne que les entreprises en bonne santé.
Nous sommes très inquiets. Vous considérez que vous avez raison contre l'ensemble de nos partenaires européens. Quelle arrogance ! Cette spécificité française est ancienne, mais source de désillusion. Prenons plutôt exemple sur les pays étrangers qui ont réussi. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et UMP)
M. Yvon Collin . - L'alternance a suscité de grandes attentes chez nos concitoyens, après cinq années durant lesquelles la solidarité entre les Français a été mise à mal. Ce projet de loi de finances, s'il ne répond sans doute pas à toutes les questions, marque un tournant important dans la politique fiscale de notre pays.
Il s'agit d'abord de redresser les comptes publics afin de porter des réformes ambitieuses. C'est une question de responsabilité pour les générations futures. Deuxième priorité : rétablir la progressivité de l'impôt. Une tranche supplémentaire sera créée dans le barème de l'impôt sur le revenu. Les radicaux, qui ont établi la progressivité, avaient déposé à plusieurs reprises des amendements en ce sens. Il faudra tout mettre à plat, puis fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG, comme l'avait proposé le candidat Hollande.
Rapprocher la fiscalité des revenus du travail de celle des revenus du capital est une affaire de justice fiscale. Celle-ci doit également s'appliquer pour les entreprises : le taux d'imposition effectif est plus faible pour les plus grandes entreprises. Il convient surtout de revoir l'assiette de leur impôt. Nos amendements s'efforceront de compléter les améliorations que vous avez déjà apportées à l'article 6 sans faire obstacle à l'esprit d'entreprise. La fiscalité doit être plus simple, plus efficace et lutter contre ce fléau qu'est l'évasion fiscale.
Ce projet de loi de finances et le PLFSS comportent un effort sans précédent : un tiers sur les dépenses et deux tiers sur les recettes. Pour sa part, la Cour des comptes préconisait une répartition égale entre celles-ci et celles-là.
Une interrogation sur la prévision de croissance : ne faudrait-il pas revoir l'hypothèse, qui semble un peu trop optimiste ? La Cour des comptes évaluait à 44 milliards l'effort nécessaire en cas de croissance nulle en 2013.
L'effort sera partagé entre l'État, les collectivités territoriales et les opérateurs. Ces derniers s'étant multipliés, il conviendrait de corriger les abus sans compromettre leurs missions de service public.
Les articles 10 et 11, concernant le logement, vont dans le bon sens, ainsi du renforcement de la taxe sur les logements vacants. La suppression de l'abattement pour durée de détention sur les plus-values de cession de terrains à bâtir va aussi dans le bon sens. En revanche, le dispositif de l'article 10 risque de susciter des effets d'aubaine.
L'article 27 affecte une partie du produit de la taxe sur les transactions financières au Fonds de solidarité pour le développement. Je m'en réjouis.
Malgré quelques interrogations, la grande majorité des membres du groupe du RDSE et des radicaux de gauche soutiendront ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Jean-Vincent Placé . - Nous sommes à un moment charnière -le Premier ministre parle de croisée des chemins-, dans une période de crise qui impose de prendre des décisions difficiles. Les écologistes approuvent l'effort demandé, même s'ils sont parfois perplexes sur certains choix stratégiques.
L'objectif de 30 milliards est trop contraignant, je l'ai dit, et risque de gripper la croissance. A périmètre constant, les crédits de l'écologie diminuent de 4,5 % en autorisations d'engagement et de 3,7 % en crédits de paiement. Le rapport indique que la France ne respecte pas les réglementations européennes, ce qui l'expose à des sanctions financières -en termes d'économies, il y a mieux...
Le secteur aérien bénéficie au contraire d'une hausse de 4 % en crédits de paiement et de 3,35 % en autorisations d'engagement. Faut-il vraiment construire un aéroport inutile et polluant quand le fret ferroviaire et le transport de voyageurs sont à la traîne, tout comme les énergies renouvelables. Nous pourrions aussi parler du nucléaire et du budget de la défense. La France a-t-elle vraiment besoin de nouveaux missiles M51 ? Ils seront obsolètes quand on voudra s'en servir...
La stratégie du Gouvernement semble ne pas porter ses fruits -voyez la récente dégradation de la note de la France par Moody's. Les agences demandent toujours plus !
Je rejoins l'analyse de l'agence sur un point : les défis sont effectivement structurels. Je n'ai rien trouvé dans ce budget sur la transition écologique. Notre modèle de développement doit être repensé, c'est une évidence.
D'autres options sont possibles. Des modèles écologiquement responsables -et rentables- existent. Qu'attendons-nous ? Nous accusons un retard de dix ans en matière d'énergies renouvelables. Nous perdons des milliers d'emplois dans l'éolien. Nous importons pour 24 milliards de panneaux solaires chinois alors que ce marché devrait doubler d'ici 2025.
Va-t-on attendre la fin du quinquennat pour se pencher sur l'écologie ? Il faut supprimer les indécentes niches fiscales, notamment celles qui profitent au diesel. Nous présenterons des amendements pour attirer l'attention du ministre. J'ai bon espoir que le Gouvernement soit sensible à nos propositions. Ne vient-il pas de suivre les recommandations du rapport Sainteny sur le renforcement de la TGAP ?
Le bonus automobile va être renforcé, mais tout cela reste trop faible par rapport aux objectifs. Les plus hauts revenus seront plus imposés, c'est bien, c'est mieux que le gouvernement précédent qui faisait l'inverse. Je me réjouis des efforts supplémentaires pour la jeunesse, la justice et la sécurité.
M. Albéric de Montgolfier. - La sécurité des aéroports !
M. Jean-Vincent Placé. - Le logement est bien doté dans ce projet de loi de finances. Nous estimons ce budget équilibré : c'est l'oeuvre d'un gouvernement de gauche. Cependant, la confiance réciproque n'empêche pas la franchise, ni même la perplexité à l'égard de certaines mesures. Nous jugerons en fonction des résultats, attendus dès l'an prochain pour aider les Françaises et les Français qui souffrent beaucoup. (Applaudissements sur les bancs écologistes et sur quelques bancs socialistes et du RDSE)
Mme Marie-France Beaufils . - En mai dernier, les Français ont signifié à Nicolas Sarkozy la rupture de son bail élyséen. Notre pays est dans une triste situation économique. Les choix de Nicolas Sarkozy avaient été combattus l'an dernier par le Sénat. La France compte 5 millions de chômeurs et 8 millions de salariés faiblement payés. Notre pays souffre de déficit de compétitivité, d'après Louis Gallois. Mais il a oublié l'accroissement de la richesse des actionnaires.
M. Éric Bocquet. - Tout à fait.
Mme Marie-France Beaufils. - Dix années de droite au pouvoir ont considérablement dégradé les comptes publics. Je suis surprise d'entendre les mêmes nous donner aujourd'hui des leçons ! En 2002, le taux maximal de l'impôt sur le revenu était de 52,75 % ; le grand mal dont nous souffrons désormais est l'insuffisance des recettes fiscales.
L'allégement de la fiscalité n'a eu aucun effet bénéfique. En revanche, il a accompagné le gonflement de la dette publique. Grande réforme du quinquennat précédent, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la cotisation foncière des entreprises révèle ses premiers effets. Certaines sociétés ont vu leur impôt se réduire... au détriment des petites entreprises. Nombre d'entre elles y ont perdu.
Nous n'avions jamais pensé que la taxe professionnelle était un « impôt imbécile ». En revanche, nous constatons que le pouvoir des élus de lever l'impôt a été amoindri. Premier bilan : en 2012, l'investissement des entreprises a baissé, le chômage s'est accru.
Réhabiliter l'impôt au service d'une politique publique favorisant le développement humain, telle est la priorité. Or, ce projet de loi de finances ne va pas dans ce sens. Certes, le combat contre l'optimisation fiscale, l'alignement de la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail sont à saluer. Il fallait mettre fin à tant de cadeaux fiscaux et éviter aux plus petits épargnants d'acquitter un impôt à la source.
Cependant, à quoi sert la hausse globale des impôts ? A mieux doter les collectivités territoriales ? Hélas, non : l'enveloppe globale baissera. A construire des logements sociaux ? Non : on va même prélever des certaines de millions sur les revenus des organismes HLM.
Que le Gouvernement ait affiché des priorités pour l'enseignement, la justice et la sécurité ne nous gêne pas. Mais les compenser par des coupes claires ailleurs est inadmissible. L'administration fiscale sera moins bien dotée alors que la complexité des règles et les possibilités d'optimisation s'accroissent ! A moins que la lutte contre la fraude ne soit pas une priorité ?
Sans modification sensible du texte, le groupe CRC ne pourra le soutenir. Répondons à l'attente du changement ! (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Albéric de Montgolfier . - Que d'occasions ratées ! En juillet, une loi de finances rectificative déconstruisait les mesures de l'ancienne majorité et mettait 3 milliards supplémentaires à la charge des entreprises. Le projet de loi de finances va dans le même sens : 20 milliards de plus de recettes, dont la moitié pour les entreprises.
Depuis le rapport Gallois, le Gouvernement a découvert l'impératif de la compétitivité.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - C'est son chemin de Damas !
M. Albéric de Montgolfier. - On annonce pour janvier un crédit d'impôt. Pourquoi ces va-et-vient ? Pourquoi n'avoir pas du moins intégré cette nouvelle mesure à la loi de finances initiale et est-il utile de discuter d'une loi de finances que l'Assemblée nationale se prépare à contredire dans le collectif ?
L'essentiel, c'est un objectif -le rééquilibrage budgétaire- et une trajectoire. Nous approuvons le premier, non le second. Vous faites fi des recommandations de la Cour des comptes, de l'inspection générale des finances et de la Commission européenne : c'est d'abord en baissant les dépenses qu'il fallait agir. Les Français le savent, ils sont 78 % à le dire.
Vous avez enfin annoncé 50 milliards d'euros en cinq ans.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Cinquante-cinquante.
M. Albéric de Montgolfier. - Pourquoi donc attendre ? Vous voulez appliquer vos promesses de campagne en augmentant le nombre de fonctionnaires, en revenant sur la réforme des retraites, etc. Vous restez prisonniers de ces promesses et de votre majorité. Le matraquage fiscal ne rétablira pas l'équilibre de vos comptes.
Il faut baisser le coût du travail, donc augmenter la TVA. Vous vous y êtes résolus, après avoir tant blâmé la TVA anti-délocalisation ! Il n'était pas besoin d'attendre le rapport Gallois.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Que n'ont-ils agi ?
M. Albéric de Montgolfier. - Certes, la compétitivité, ce n'est pas que la baisse des charges, c'est également la recherche. Puisque M. le rapporteur général me le demande, l'ancien gouvernement avait élargi l'ISF-PME, le CIR, soutenu les universités, lancé les investissements d'avenir, créé les pôles de compétitivité etc...
Le début d'un quinquennat doit être l'occasion de mettre en oeuvre des réformes structurelles. Vous avez fait l'inverse. L'an dernier, la gauche poussait des cris d'orfraie quand nous réduisions les dotations aux collectivités territoriales de 200 millions ; vous les baissez de 2 milliards d'ici 2015.
L'objectif des 3 % de déficit ne pourra être atteint car le choc fiscal nuira à la consommation et à l'investissement. Des millions de Français sont déjà touchés par la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires, la suppression de l'avantage du forfait social, et voilà que vous taxez les retraités...
Quant aux entreprises, il faudrait les aider en réduisant le coût du travail. Hélas, le Gouvernement prend les choses à l'envers. La TVA « compétitivité » aurait rapporté 13 milliards, vous les taxez du même montant.
Où est la sincérité d'un budget dont les hypothèses macro-économiques sont caduques et qui n'intègre pas la dette liée au crédit d'impôt que vous voulez créer ?
Un choc fiscal, peu d'efforts sur les dépenses, peu de réformes structurelles : voilà l'erreur. Elle est grave. M. Schroeder disait que les promesses de François Hollande se fracasseraient sur le mur de la réalité économique. Il est temps de vous ressaisir ! Ce sera le sens des amendements de l'UMP. Si la copie n'est pas revue, mon groupe s'y opposera fermement. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. François Rebsamen . - M. Montgolfier a confirmé que ce projet de loi de finances ne lui plaisait pas parce qu'il ne réduit pas assez les dépenses et augmente trop les recettes. (M. Albéric de Montgolfier le confirme) D'autres disent qu'il ne leur plaît pas trop parce qu'il n'augmente pas assez les recettes et diminue trop les dépenses...
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - In medio stat virtus !
M. François Rebsamen. - A nous, socialistes, ce projet de loi de finances convient. Gouverner, ce n'est pas plaire, disait ici même François Mitterrand. Nous faisons ce que nous avons annoncé ; les Français nous ont accordé leur confiance pour le faire. Nous le faisons et assumons nos choix : la justice et l'équilibre budgétaire, social et économique.
Après dix ans de gouvernement de droite, il fallait restaurer la progressivité de l'impôt sur le revenu, rendre sa force à l'ISF, intégrer les revenus du capital au barème de l'impôt sur le revenu, concentrer l'effort sur les plus aisés.
En quoi les revenus du capital diffèrent-ils fondamentalement des salaires ? Il est juste de les intégrer au barème, comme il est légitime de tenir compte de la durée de détention des titres : un investissement patient est la condition du développement des entreprises. Le Gouvernement prévoit de rapprocher la situation des grandes entreprises et des PME, au bénéfice de celles-ci, de soutenir les entreprises qui investissent et innovent -et ceux qui les soutiennent durablement. Pour l'opposition, tout prélèvement sur les entreprises est illégitime ; faut-il encourager l'optimisation fiscale ? (M. Gérard Longuet le confirme) C'est pourtant cela qui a conduit aux inégalités actuelles entre entreprises, la multiplication des niches, la circulation obscure et improductive des capitaux. Les mesures proposées par le Gouvernement défendent à la fois une vision de l'impôt et une vision de l'économie.
Efficacité économique et justice fiscale, tels sont nos principes. J'entends les critiques des uns et des autres. (L'orateur se tourne successivement vers la droite puis la gauche de l'hémicycle) J'affirme que ce budget est un budget de gauche comme rarement un budget ne l'a été. Laisser croître la dépense publique, ce n'est pas mener une politique de gauche. Nous préparons l'avenir, sans priver l'État de moyens d'action, mais nous nous donnons des marges de manoeuvre de long terme pour préserver notre souveraineté. Le déclin n'est pas le destin de notre pays.
Les efforts sont équitablement répartis et réparent dix ans d'injustice. C'est l'intérêt général que nous poursuivons. Le bilan de la droite est-il si bon qu'il faille ne rien changer aux dispositifs fiscaux ? Pendant dix ans, vous n'avez cessé de favoriser les nantis ! (M. Jean-Paul Emorine le conteste) Votre politique a fait la preuve de son inefficacité et de son injustice. La dette, le chômage, les déficits que vous avez laissés en sont la preuve.
Nous ne cherchons pas de revanche mais l'équilibre et la justice. Le groupe socialiste votera ce budget juste, de gauche, qui répond aux exigences de la situation. Et j'appelle l'ensemble de la majorité sénatoriale à faire de même. (Vifs applaudissements à gauche)
M. Éric Doligé. - Quelle est-elle, cette majorité ?