Haute autorité de l'expertise scientifique
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative à la création de la Haute autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement.
Discussion générale
Mme Marie-Christine Blandin, auteure de la proposition de loi . - Après la discussion de la proposition de résolution de Mme Archimbaud, c'est avec grand plaisir que je vous présente cette première proposition de loi du groupe écologiste. Elle doit beaucoup au travail des associations -Sciences citoyennes, Réseau environnement-santé, Écologie sans frontières. Je tiens à les saluer. Je tiens également à remercier les rapporteurs.
Présidente de la commission de la culture, je n'oublie pas un sujet qui me tient à coeur : l'indépendance de l'expertise scientifique et la lutte contre les conflits d'intérêt, questions qui ont donné lieu à bien des rapports du Sénat : trouvons leur un débouché.
Après chaque scandale sanitaire, de l'amiante au Mediator, ils ont dénoncé l'anesthésie de l'action des pouvoirs publics sous l'effet de la pression des lobbies. Au Parlement de les réveiller. L'étude des scandales sanitaires révèle qu'ils sont la conséquence d'un système qu'il est urgent de réformer.
Faut-il rappeler l'histoire du bisphénol A ? Dès les années 1990, les premières alertes sont lancées, les industriels lancent des campagnes de calomnie contre les lanceurs d'alerte, dont le professeur Frederick Vom Saal. Il faudra attendre vingt ans pour que le Parlement se saisisse de ce dossier, en 2010, malgré 700 études concordantes sur la dangerosité de cette substance. Rappelons le texte sur les biberons proposé par le sénateur Yvon Collin et ses collègues du groupe RDSE en 2010, le rapport Barbier Perturbateurs, le temps de la précaution en 2011, puis le combat de Gérard Bapt et l'interdiction dans les contenants alimentaires en octobre 2012...
Pour avoir alerté sur les effets du glycol, le professeur Cicollela a été licencié. De même pour le professeur Jacques Poitier, licencié par Sanofi, pour Pierre Méneton, qui fut traîné en justice, pour la courageuse Denise Schneider, alertant sur la contamination de son village par l'usine Métal Blanc, qui dut batailler dix ans avant d'obtenir un jugement favorable de la Cour de cassation.
Nous ne pouvons pas nous résigner à ce que le seul moyen, pour les hommes et les femmes, d'obtenir justice soit de faire la une des médias.
Que dire de l'utilisation du pesticide Gaucho, dont l'étonnante étude de l'Afssaps avait conclu à l'absence de dangerosité. Un chercheur de l'Inra montrera les effets sur la mortalité des abeilles en présence de taux plus de 1 500 fois inférieur à ceux annoncés par les laboratoires Bayer. On lui ordonnera d'abandonner ses travaux...
Après de nombreuses études, le ministère de l'agriculture interdit son utilisation pour la culture du tournesol en 1999 ; en 2003, le groupe d'experts mis en place par le ministère conclut que « l'enrobage de semences de tournesol Gaucho conduit à un risque significatif pour les abeilles de différents âges ».
Le Régent est interdit de même en 2004, après le rapport d'expertise du toxicologue Jean-François Narbonne qui démontre les effets neuro, hépato et néphrotoxiques du fipronil...
Que dire du manque criant d'outil public quand on voit la situation créée par l'étude « secrète » de Gilles-Éric Séralini sur la toxicité du maïs modifié NK 603 et de l'herbicide Roundup ? Le consommateur médusé découvre que l'agence européenne de sécurité des aliments, dont la présidente a dû démissionner en raison de sa proximité avec BASF, Syngenta et Monsanto, émet des doutes...
Pressions mais aussi manque criant de moyens. Tout le monde est conscient de ces dérives ; le devoir du législateur est de renforcer le code de l'action publique. Le Sénat, par le biais de l'Opecst et de missions d'information, pose le même constat : des liens d'intérêt entre l'expert et la firme, des lanceurs d'alerte poursuivis. Ce sont, en fin de compte, les citoyens qui font les frais de ces dysfonctionnements : ils les paient de leur santé.
En 2005, le rapport de l'Opecst intitulé Risques chimiques au quotidien : quelle expertise pour notre santé ?, voté à l'unanimité, préconisait dans sa conclusion d'élaborer un projet de loi sur l'alerte et l'expertise. En 2011, le rapport de Mme Hermange et de M. Autain, rédigé à la suite du scandale du Mediator, proposait la mise en place d'une procédure protégeant les lanceurs d'alerte et concluait à la création d'une Haute autorité de la déontologie -le terme est intéressant mais trop large. Le Grenelle I lui préférait celui de Haute autorité de l'expertise. Il fut voté, sans suite. Lors de la conférence environnementale, dont vous avez pris l'initiative, madame la ministre, le Premier ministre s'est engagé à traduire ces annonces en actes.
Notre texte propose de mettre en application l'ensemble de ces préconisations sur les lanceurs d'alerte et en matière d'expertise.
Il est urgent de restaurer la confiance entre les experts et les citoyens, mise à mal lors de la grippe H1N1 ou du scandale de l'amiante. Dans ce dernier cas, on a lancé l'alerte depuis le début du XXe siècle ; là encore, la présence d'experts liés aux intérêts de l'amiante a différé les bonnes décisions.
En période de crise, je sais avec quelle parcimonie il faut dépenser les deniers publics. Je sais aussi le coût de ces scandales sanitaires et la nécessité de l'indépendance de l'expertise. C'est pour économiser des vies, mais aussi les milliards que nous coûtent les drames sanitaires, que je vous propose cette autorité indépendante.
Si le Gouvernement a une solution alternative, pourquoi pas ? De là l'article premier qui institue une Haute autorité de l'expertise scientifique qui vérifiera les principes directeurs de l'expertise et la prise en compte des alertes. Y seront représentés les associations et les syndicats pour une ouverture à la société civile.
Le texte définit également un statut protecteur du lanceur d'alerte qui, précisons-le, n'est pas une personne désignée au sein de l'entreprise mais une personne soucieuse d'attirer l'attention sur un risque, une anomalie, une pathologie induite. Parce que nous préférons la raison à l'émotion, les alertes à des fins calomnieuses seront sanctionnées.
Voulons-nous créer une agence de plus ? Non car la Haute autorité ne se substituera à aucune agence, ne redoublera pas leur travail. Comme la Cnil, elle a vocation à contrôler. N'avons-nous pas confiance en nos chercheurs, en nos agences ? Si mais, à chaque fois, certains chercheurs ont empêché la survenue de mesures appropriées pour limiter le risque. Les agences évoluent, tant mieux. Puisse cette proposition de loi pousser à leur réorganisation.
Les conséquences de ce texte sur les finances publiques ? Quand on sait les milliards qu'a coûtés le cortège des scandales sanitaires -2 milliards d'euros pour le Fiva, 1,2 milliard pour le Mediator, 1,8 milliard pour le désamiantage de Jussieu-, c'est une question qu'il n'est plus nécessaire de se poser ! Faut-il attendre un nouveau scandale ? Certes, non !
Je ne veux pas croire que ce texte, que l'on peut améliorer, puisse être repoussé pour des raisons politiques.
M. Roland Courteau. - Très Bien !
Mme Marie-Christine Blandin, auteure de la proposition de loi. - Nous sommes des lanceurs d'alerte législative : puissions-nous réussir et dédier ce texte à Irène Frachon ! (Applaudissements à gauche)
M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission du développement durable . - C'est bien, de fait, une vision partagée que nous recherchons ici. En dix ans, l'espérance de vie en bonne santé est revenue au niveau de celle de la fin des années 1990, d'après l'Insee. Ce n'est donc pas lubie que de s'attacher à la question sanitaire et environnementale qui fait l'objet de cette proposition de loi ; c'est une urgence, pour nos comptes sociaux aussi...
M. Roland Courteau. - Oui.
M. Ronan Dantec, rapporteur. - Dans notre pays, il ne fait pas si bon alerter sur les dangers qui menacent la santé publique, comme l'illustre l'exemple de Pierre Meneton, chargé de recherche à l'Inserm, qui alerta sur la surconsommation de sel et dénonça le lobbying des producteurs de sel en France. Il fut accusé, à tort, de diffamation ! C'est pourtant une centaine de décès par jour qui peuvent être mis en lien avec l'excès de consommation de sel.
La Haute autorité de l'expertise scientifique, dont on a envisagé la création dès 2005 au Sénat, puis dans le « Grenelle I », est une idée qui n'est certes pas nouvelle mais « consensuelle », disait Mme Jouanno il y a quelques semaines lors de la conférence environnementale. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Les agences elles-mêmes n'y sont pas hostiles ; elles en espèrent une amélioration de leur travail. Je propose de mieux articuler alertes et prise en compte de l'alerte et, surtout, de lever une ambiguïté : cette Haute autorité n'a pas vocation à devenir un « super expert » en refaisant le travail des agences.
Hélas, si tous mes amendements ont recueilli un avis favorable de la commission du développement durable, l'opposition a empêché qu'ils soient intégrés dans le texte qui vous est soumis...
M. Yves Bur, reprenant les travaux de M. Thierry Tuot, conseiller d'État, a dénoncé, à juste titre, l'empilement des agences et la multiplication des demandes d'inspections par les ministres. On peut fusionner des agences, certes, mais là n'est pas le sujet. Au reste, ce texte rejoint les objectifs de M. Bur sur trois points : mettre en cohérence les enquêtes internes et, donc, rationnaliser les moyens de l'État ; éviter les zones grises où l'alerte peut échapper à l'État ; garantir l'indépendance de l'expertise et, partant, la confiance que leur accordera la société.
L'opposition craint que ce texte n'ouvre les portes du débat public à l'irrationnel ? Mais la récente étude sur les OGM du professeur Gilles-Eric Séralini n'aurait pas donné lieu à une telle polémique si la Haute autorité avait existé. Cette étude controversée n'a pu voir le jour que du fait de l'inertie de l'État, qui n'a pas donné suite au travail de l'Anses. Bref, la Haute autorité dont nous proposons la création irait dans le sens de l'apaisement. Elle aiderait l'État à mieux justifier ses choix, y compris contre des projets dits « écologistes » !
L'article 2 vise une meilleure protection du lanceur d'alerte et la création d'une cellule d'alerte au sein des entreprises -Mme Archimbaud proposera d'étendre plutôt les compétences du CHSCT, ce qui est conforme aux attentes des partenaires sociaux.
Ce texte est une loi de modernisation démocratique. J'espère que nous y consacrerons le temps nécessaire, dégagés des postures politiciennes, pour répondre aux enjeux de santé publique ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes ; M. Jean-Pierre Plancade applaudit aussi)
Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales - La commission des affaires sociales, bien que compétente sur l'expertise sanitaire, s'est saisie des seuls articles qui concernent l'entreprise. Depuis les lois Auroux de 1982, le CHSCT est un outil de prévention des risques professionnels indispensable. Hélas, ses compétences, bien qu'élargies, restent encore trop limitées. Face à un danger grave et imminent, ce sont le maire et le préfet qui prennent les mesures nécessaires. Plusieurs organismes travaillent à la prise en compte de la veille sanitaire, à laquelle se consacrent, entre autres, les agences régionales de santé (ARS) grâce à leur cellule de veille, d'alerte et de gestion sanitaire.
Pour les dommages environnementaux, la logique est différente : c'est celle du principe pollueur-payeur. A l'exploitant de payer.
Le régime des installations classées, après la loi Bachelot prise après la terrible explosion de l'usine AZF en 2003, est le seul à lier les deux systèmes de l'alerte au travail et de l'alerte sanitaire. C'est une nécessité dans des territoires comme la vallée de la chimie lyonnaise, chère à notre collègue Guy Fischer, ou bien d'autres dans notre pays, où sont concentrés, sur quelques kilomètres, des dizaines d'installations classées.
Hélas, hors de ces zones, les représentants du personnel n'ont guère de moyens d'agir. Déjà, l'article 53 de la loi Grenelle I de 2009 préconisait d'ajouter aux missions des institutions représentatives du personnel (IRP) une mission d'alerte sanitaire et environnementale. Cette initiative encourageante n'a pas abouti.
Notre souci a été d'articuler les dispositions de la proposition de loi de Mme Blandin avec le code du travail. Nous avons entendu les partenaires sociaux -des comptes rendus figurant en annexe du rapport pour avis- ainsi que les responsables de la revue Prescrire, particulièrement impliquée. Tous insistent sur l'impératif d'efficacité et la nécessité de supprimer les redondances : ils ne veulent pas d'une « super agence », Prescrire estimant pourtant que cela permettrait de lever des blocages dans certains cas. Le Medef a souligné la nécessité d'assurer une meilleure cohérence en matière de veille et d'alerte.
La création d'une nouvelle IRP n'est souhaitée ni pas les organisations d'employeurs ni par les syndicats. Ceux-ci préconisent de confier cette attribution au CHSCT et, par défaut, aux délégués du personnel. Leurs membres bénéficient déjà d'un statut protecteur, les comités pourraient utilement faire office de filtres, écartant les alertes infondées ou de mauvaise foi.
Cela implique, les organisations y ont beaucoup insisté, une formation des délégués du CHSCT et l'existence d'un droit de retrait. Cela suppose aussi de s'appuyer sur les réseaux existants, comme les GAST. La commission des affaires sociales propose donc de confier la compétence d'alerte au CHSCT, de renforcer ses moyens en matière d'enquête ainsi que sa consultation systématique sur tout projet aux conséquences sanitaires et environnementales. Nous voulons aussi mieux protéger ses délégués d'éventuelles représailles. Il faudra aussi garantir qu'un salarié d'une entreprise de moins de onze salariés puisse lancer une alerte via l'ARS ou le préfet.
Enfin, pour garantir l'information des institutions représentatives du personnel compétentes, il faut rétablir l'obligation de consultation introduite par la loi Grenelle et supprimée aussitôt par un cavalier.
Ces propositions sont pragmatiques et fondées sur un souci d'efficacité. Si de telles dispositions avaient été adoptées il y a dix ans, on aurait évité bien des drames. Souvenons-nous de Metaleurop : les plans sociaux cachent souvent des drames sanitaires. Puisse cette proposition de loi prévenir de telles situations. (Applaudissements à gauche)
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable . - Sujet noble et sérieux : je salue l'engagement de Mme Blandin, qui pose une bonne question à laquelle nous répondrons sans arrière-pensée politique.
Qui ne fut scandalisé par le drame de l'amiante, désastreux ? Qui ne souhaiterait voire réduire le délai entre l'alerte et les mesures appropriées ? Tout ce qui pourra être proposé en ce sens sera bienvenu.
Mais gardons-nous d'adopter trop vite des décisions dont on ne mesure pas l'impact. Il y a déjà un grand nombre de structures, dans lesquelles les experts font leur métier loyalement ; leurs travaux sont critiqués, décortiqués, évalués ; leur sérieux n'est pas en cause. Est-il opportun d'expertiser les experts ? Pourquoi cette nouvelle Haute autorité serait-elle plus exemplaire que les autres ? Il faut aussi prendre en compte la dimension européenne.
La question se pose, de fait, du lanceur d'alerte et de son statut. Oui, il faut soutenir ceux qui ont le courage de faire état de leurs interrogations. Souvenons-nous d'Irène Frachon, avant bien d'autres : ils ont subi un préjudice, et leur alerte a beaucoup peiné à être entendue.
La commission du développement durable veut profiter des semaines qui viennent pour approfondir l'analyse sur ce texte bienvenu. (Applaudissements sur les bancs RDSE et écologistes)
Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie . - L'initiative parlementaire fait ici la preuve de son utilité. Face aux risques émergents, toute l'attention nécessaire a-t-elle été accordée aux alertes ? Les pouvoirs publics en ont-ils tiré toutes les conséquences ?
Les pouvoirs publics doivent pouvoir s'appuyer sur la science, c'est pourquoi j'ai tenu à mettre ce sujet à l'ordre du jour de la conférence environnementale. La qualité de l'air, de l'eau, des aliments est devenue une préoccupation quotidienne à laquelle nous devons répondre. Le président de la République a affirmé avec force la nécessité d'agir et le Gouvernement a pris des initiatives, sur les antennes-relais de téléphonie mobile ; sur la qualité de l'air, sachant que les particules fines sont responsables de 45 000 décès en France ; sur les perturbateurs endocriniens ; sur les dérogations à l'épandage. Le Sénat vient de voter l'interdiction du bisphénol A.
Il y va de la sécurité sanitaire mais aussi de la justice sociale car l'exposition aux pollutions est aussi une inégalité sociale supplémentaire. Nous ne sommes pas exposés de manière équivalente.
M. Jean Desessard. - Très juste !
Mme Delphine Batho, ministre. - Des études épidémiologiques montrent des corrélations entre l'exposition aux champs magnétiques de très basses fréquences et la leucémie chez l'enfant, bien que l'on n'ait pu mettre en évidence un mécanisme scientifique de causalité. Le principe de précaution doit s'appliquer.
Les pouvoirs publics ont, en matière de prévention, un rôle essentiel à jouer. D'où la nécessité d'une capacité d'expertise fiable. C'est pourquoi nous entendons proposer, au niveau de l'Union européenne, des mesures garantissant l'indépendance des études, y compris toxicologiques.
Ce texte est donc utile : il s'agit de garantir l'indépendance de l'expertise et de prendre en compte les lanceurs d'alerte. Le Gouvernement soutient cette démarche. Certaines dispositions font débat : le champ a été débroussaillé en commission. J'en remercie les rapporteurs. Des progrès ont été enregistrés ces dernières années. Les agents disposent d'une charge de déontologie et la loi de 2011 sur le médicament protège mieux les lanceurs d'alerte.
Je suis favorable à une instance chargée du suivi des garanties déontologiques. Elle ne se substituerait pas aux agences existantes mais les accompagnerait sur ces questions. Il ne s'agit pas de concentrer l'expertise scientifique en un lieu unique. L'ouverture à la société civile devrait être généralisée : ouvrir l'expertise à la société doit aider à prendre en compte les signaux faibles.
Nul ne doit jamais être inquiété pour avoir signalé un danger sanitaire. Mme Blandin a eu raison de rappeler les noms de ceux qui ont souffert pour avoir lancé une alerte. En matière de santé au travail, le dialogue social doit aider à trouver des solutions négociées. Pour la prise en compte des signaux faibles, il faut envisager la création d'un registre. Une mission de réflexion est en cours, dont le rapport est attendu pour la fin de 2012. Il faudra généraliser les bonnes pratiques mises en oeuvre dans certaines agences.
Conformément au cap fixé par le président de la République et le Premier ministre lors de la conférence environnementale, nous entendons, avec vous, faire progresser les garanties de l'expertise. Nous sommes à votre disposition pour faire aboutir vos initiatives en ce sens. (Applaudissements à gauche)
Mme Esther Benbassa, MM. Jean-Vincent Placé et Jean Desessard. - Bravo, madame Batho !
Mme Évelyne Didier . - Protection des lanceurs d'alerte, assurance d'un suivi, traitement honnête des messages : tels sont les objectifs que poursuit ce texte. On se souvient du scandale du Mediator, quand le Gouvernement d'alors s'était de prime abord montré bien timide.
L'examen en commission avait permis d'améliorer le texte de cette proposition de loi ; je regrette que la commission l'ait finalement repoussé. Nous défendrons des amendements pour élargir la saisine, pour améliorer les moyens d'action de la Haute autorité.
L'ouverture croissante de la recherche aux financements privés fait prévaloir les considérations commerciales sur la préservation de la santé et de l'environnement. C'est pourquoi nous insistons pour que soit renforcée la recherche publique.
Pour la santé au travail, il est pertinent de confier plus de pouvoirs au CHSCT. Sur les lanceurs d'alerte, le texte va dans le bon sens. Il faudra être très vigilant sur la protection de ces salariés, souvent plus malmenés que les autres. Ils sont licenciés, mis au placard.
Une construction partagée, collective est le gage de toute avancée sociale. Nous soutiendrons les amendements déposées et, s'ils sont adoptés, l'ensemble du texte.
M. Jean-Pierre Plancade . - Ce texte a le mérite d'ouvrir le débat mais le RDSE n'est pas totalement convaincu sur la forme. Nous ne sommes guère favorables à la création d'une autorité supplémentaire. Ne vaudrait-il pas mieux s'employer à assurer une meilleure gestion des organismes qui existent déjà ?
Oui, la question des lanceurs d'alerte doit être creusée. Je ne rappellerai pas la longue histoire de l'amiante, ni celle, plus récente, du Mediator. Mais tout de même, pour l'amiante, la première alerte est lancée en 1906, les assurances américaines refusent leurs services dès 1918 et l'interdiction n'intervient en France qu'en 1997. Il est clair que se pose le problème des conflits d'intérêts, de la responsabilité de l'État. La contre-expertise doit doubler l'expertise, la transparence doit prévaloir.
La cause que défend Mme Blandin est noble mais il faut continuer à travailler et y revenir.
Mme Chantal Jouanno . - Ce texte pose la question de notre capacité à détecter les signaux faibles d'alerte. Redoutable gageure, comme on le voit avec le bisphénol A, les nanomatériaux ou les champs électromagnétiques. Le doute l'a souvent emporté sur la certitude. Ce n'est pas l'expertise qui est en cause mais la diligence des pouvoirs publics : voyez le délai qu'il a fallu pour interdire l'amiante. Il est rare que les expertises portent des conclusions tranchées : c'est alors aux pouvoirs publics qu'il revient de trancher.
Les innovations engendrent le meilleur comme le pire. En un siècle où tout progrès se diffuse aussitôt sur la surface du globe, il est essentiel de détecter les signaux faibles. Car les risques émergents remettent en cause nos protocoles. Voyez le débat sur les récents travaux du professeur Séralini sur l'OGM NK 603 : se pose clairement la question du protocole d'expertise.
La commission européenne devrait, à notre demande, faire des propositions sur les protocoles d'expertise.
Autre question, celle de l'indépendance des expertises : leur caractère pluraliste, contradictoire constitue leur meilleure garantie. L'expertise ne peut être exclusivement scientifique : un OGM peut présenter un risque avéré pour l'environnement tout en constituant une réponse à une urgence alimentaire.
Il n'y a pas de consensus sur le rôle que pourrait avoir une Haute autorité de médiation. On peut craindre une superposition de structures. Quid de la capacité d'une telle autorité à traiter les alertes ? Avec quel budget ? La confidentialité de l'alerte est un impératif : rendre publique une alerte ne garantit pas sa prise en compte. Nous avions, naguère, demandé un rapport à l'article 52 de la loi Grenelle I pour mener la réflexion plus avant ; je regrette qu'il n'ait pas été produit.
Préoccupé par le risque de dérive du droit d'alerte et le recours abusif au principe de précaution, mon groupe ne votera pas cette proposition de loi. Pour ma part, je partage l'objectif du texte tout en trouvant qu'il laisse trop de questions en suspens. Certes, nous avons besoin d'une instance garantissant l'indépendance de l'expertise, d'un statut de lanceur d'alerte mais qui ne laisse pas l'émotion l'emporter sur la raison, comme l'a bien dit Mme Blandin. (Applaudissements à droite)
Mme Laurence Rossignol . - Merci à Mme Blandin pour sa détermination et son opiniâtreté à susciter ici un débat sur l'expertise scientifique, que l'on a trop souvent vu défaillante, arrogante. Au moins, l'expression est un oxymore car, si toute expertise est censée être scientifique et donc objective, tout débat est réputé confronter des subjectivités. La commission du développent durable -où j'aimerais bien voir siéger Mme Jouanno- a rejeté le texte de la commission : je le regrette.
Le problème n'est pas tant celui des agences que de la place de l'expertise scientifique. Avons-nous besoin d'une expertise indépendante ? Oui, le législateur, comme le Gouvernement, est, de plus en plus souvent sommé d'arbitrer sur des sujets toujours plus techniques. Nous nous tournons vers des experts, nous nous interrogeons souvent sur leur indépendance, découvrant qu'ils ne sont pas toujours sans lien avec l'industrie, ni sans préjugés idéologiques. Et nous voilà fort perplexes. La seule façon d'en sortir est d'organiser une expertise contradictoire et pluraliste. Les lanceurs d'alerte peuvent se tromper, objecte-t-on. Mais les experts aussi, CQFD. Transparence, pluralité, déontologie doivent être les maîtres mots. L'expertise des lanceurs doit pouvoir être recueillie. Peut-être faut-il, sur cette question, mener plus avant l'expertise ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Jean-Vincent Placé . - La controverse sur l'étude du professeur Séralini a souligné l'importance de garantir la déontologie de l'expertise, comme de protéger les lanceurs d'alerte.
Ce débat est signe d'une vitalité démocratique du Parlement qui tranche avec le passé.
Mme Chantal Jouanno et M. Jean-Claude Gaudin. - Vous n'étiez pas là.
M. Jean-Vincent Placé. - Je salue le travail conjoint de nos deux commissions. La concertation a donné lieu à des échanges nourris avec la ministre, dans un esprit d'ouverture. Mme Jouanno a su se montrer, comme d'habitude, solide, sérieuse, argumentée, très écologiste à sa manière.
Fruit d'un travail de longue haleine de Mme Blandin, cette proposition de loi porte la marque de fabrique des écologistes et de leur sens des responsabilités. C'est l'occasion de donner suite à bien des rapports parlementaires. En matière de santé, la prévention ne doit pas être tenue pour un coût : elle représente au contraire une économie sur des dépenses futures.
Ce texte est éminemment écologique : protection, écoute pour mieux vivre dans une société durable. J'étais samedi à Laval, avec les manifestants qui s'inquiétaient des effets des lignes à haute tension. Il faut débattre, hors toute logique technocratique, dans l'indépendance. Nous vous faisons confiance, madame la ministre, pour aller, avec le président de la République et le Premier ministre, dans le sens de l'intérêt commun qui nous est cher. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
La discussion générale est close.
Le temps imparti au groupe écologiste étant épuisé, la discussion du texte est suspendue.
Rappel au Règlement
M. Jean-Vincent Placé . - Le temps imparti pour les espaces réservés aux groupes est de quatre heures et nous souhaitons poursuivre la discussion avec le Gouvernement ; nous proposons donc de débattre ce sujet lors du prochain espace réservé à notre groupe.
M. le président. - La conférence des présidents en décidera.
La séance est suspendue à 18 h 30.
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La séance reprend à 18 h 35.