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Table des matières
Ouverture de la session ordinaire
Organisme extraparlementaire (Candidatures)
Engagements de procédure accélérée
Débat sur le financement de l'hôpital
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
M. Jacky Le Menn, rapporteur de la Mecss
M. Alain Milon, rapporteur de la Mecss.
Organisme extraparlementaire (Nominations)
Débat sur les dispositifs médicaux implantables
Débat sur la réforme de la carte judiciaire
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois
M. Yves Détraigne, rapporteur du groupe de travail sur la réforme de la carte judiciaire.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
SÉANCE
du lundi 1er octobre 2012
1re séance de la session ordinaire 2012-2013
présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président
Secrétaire : M. Marc Daunis.
La séance est ouverte à 14 h 35.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Ouverture de la session ordinaire
M. le président. - En application de l'article 28 de la Constitution, la session ordinaire 2012-2013 est ouverte.
Démission d'un sénateur
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu une lettre de M. Didier Boulaud par laquelle il se démet de son mandat de sénateur de la Nièvre, à compter du dimanche 30 septembre 2012 à minuit.
Conformément à l'article L.O. 322 du code électoral, le siège précédemment détenu par M. Didier Boulaud est donc vacant à compter du lundi 1er octobre 2012 et sera pourvu par une élection partielle organisée, à cet effet, dans les délais légaux.
Organisme extraparlementaire (Candidatures)
M. le président. - M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine. La commission des affaires sociales a fait connaître qu'elle propose les candidatures de MM. Gilbert Barbier, Bernard Cazeau et Alain Milon pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire. Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
CMP (Nominations)
M. le président. - M. le président a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production du logement social. Je rappelle au Sénat que la liste des candidats établie par la commission des affaires économiques a été affichée conformément à l'article 12 du Règlement. Je n'ai reçu aucune opposition. En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire : titulaires : MM. Daniel Raoul, Claude Bérit-Débat, Claude Dilain, Mmes Mireille Schurch, Élisabeth Lamure, MM. François Calvet, Daniel Dubois ; Suppléants : M. Philippe Esnol, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Joël Labbé, Robert Tropeano, Gérard César, Pierre Hérisson, Michel Houel.
Engagements de procédure accélérée
M. le président. - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen : du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ; du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées ; et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 sur le Bureau de l'Assemblée nationale.
Débat sur le financement de l'hôpital
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le financement de l'hôpital.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Je suis heureuse d'assister à ce débat majeur mais un séminaire gouvernemental sur la réforme de l'État m'obligera toutefois à vous quitter dès 16 h 15. Je vous demande de m'en excuser. C'est donc Mme Bertinotti qui vous répondra.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales, président de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) . - Merci à la Conférence des présidents et au Gouvernement d'avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour. La Mecss a travaillé sur le financement de l'hôpital six mois durant, organisant 22 auditions et des déplacements à Lyon, Lille, Rennes, Laval, Avignon, Château-Thierry et en Seine-Saint-Denis. Présenté en juillet dernier, notre rapport a été adopté à l'unanimité par la commission des affaires sociales.
Madame la ministre, vous avez lancé de nombreux chantiers sur le sujet. Je m'en félicite, au vu des attentes des professionnels et des patients, déboussolés par les réformes de ces dernières années. Ils réclament du temps pour les digérer.
Les dotations de l'assurance maladie aux établissements hospitaliers s'élèvent à 75 milliards d'euros, dont 55 milliards pour les établissements pratiquant la tarification par activité (T2A).
Introduite en 2004, pour la médecine, la chirurgie et l'obstétrique, qui consiste à fixer des tarifs forfaitaires, la T2A est appliquée dans la majorité des pays occidentaux.
Nous avons été surpris de la faiblesse des indicateurs statistiques et de l'hétérogénéité des données publiées. Des statistiques bien plus fiables existent pour les collectivités locales qui s'administrent librement ! Le déficit des établissements publics s'élève à 488 millions d'euros. Les résultats du secteur privé commercial se dégradent. Dans le public, 80 % des déficits restent concentrés sur 50 hôpitaux, surtout des CHU. Le déficit de l'AP-HP est de 115 millions. La dette des hôpitaux a doublé ces dernières années pour atteindre 24 milliards d'euros fin 2010. Le plan « Hôpital 2007 » a enclenché une mécanique très critiquée par la Cour des comptes : les charges d'amortissement et d'intérêt rendent difficile le retour à l'équilibre.
Face à cette évolution structurelle, la crise financière ajoute des problèmes conjoncturels d'accès au crédit. Madame la ministre, qu'envisage le Gouvernement pour aider ces établissements en la matière ? (Applaudissements à gauche)
M. Jacky Le Menn, rapporteur de la Mecss . - La T2A est largement répandue dans les pays occidentaux ; la Mecss n'en remet pas en cause le principe car elle représente une avancée par rapport au système antérieur, du prix de journée et de la dotation globale. Le financement des établissements doit rester lié à leur activité. La T2A est toutefois apparue comme un instrument de contrainte et souffre d'une application trop technocratique. Ne tentons pas d'en faire plus qu'un instrument d'allocation des ressources. Son application doit être plus prévisible pour les établissements. Sur le fond, la T2A est peu adaptée à certaines activités médicales, non plus qu'à certaines zones géographiques. Nous proposons d'envisager un financement au séjour dans certains cas. Un système forfaitaire ou de dotation minimale de fonctionnement ne doivent pas être exclus. Notre mission n'a pas analysé spécifiquement le cas de l'outre-mer ; une mission sur place de Mme Dini ayant donné lieu, il y a un an, à un rapport d'information de la commission des affaires sociales...
Mme Nathalie Goulet. - Excellent !
M. Jacky Le Menn, rapporteur. - ...Faute d'outils pour piloter l'activité, la France a choisi de facto une régulation par les tarifs : ceux-ci s'éloignent des coûts réels.
Les 350 hôpitaux locaux devront appliquer la T2A au 1er mars 2013. Ils seront durement frappés, car pratiquent principalement la médecine gériatrique, avec peu d'actes, et se trouvent en zone rurale. Que compte faire le Gouvernement ?
La convergence a été fort décriée. La convergence intrasectorielle a déjà révélé ses limites -soulignées par la Cour des comptes. Elles ne seront que plus fortes pour la convergence intersectorielle. Les tarifs reposent aujourd'hui sur des coûts moyens ; notre rapport demande la suspension de la convergence tarifaire : je me réjouis que le Gouvernement l'envisage pour le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Est-il légitime que le remboursement des soins finance l'investissement hospitalier ? Il faut remettre à plat le financement de l'investissement et la gouvernance, afin d'optimiser les choix des projets. La dotation des Migac (Missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation) doit être simplifiée pour conforter les missions de service public de l'hôpital. La dotation mission « Merri » mérite également d'être revue. La régulation macroéconomique des dépenses est insatisfaisante : elle passe par la baisse des tarifs et la mise en réserve des Migac. Un établissement dont l'activité croît, mais moins vite que la prévision nationale, voit ses ressources baisser d'une année à l'autre ! C'est incompréhensible, et démotivant pour les équipes.
La T2A fait également obstacle à la coopération entre établissements. Les ARS devraient pouvoir accorder des financements temporaires pour favoriser cet objectif.
Chacun de nos déplacements a relevé combien les contrôles de l'assurance maladie étaient mal vécus. Les personnels ont le sentiment que ces contrôles sont exclusivement à charge. Il faut rétablir la confiance. Quelles sont les intentions du Gouvernement ?
Enfin, l'interconnexion des systèmes d'information doit progresser. Il faut développer de manière concrète la notion de parcours de santé. (Applaudissements)
M. Alain Milon, rapporteur de la Mecss. - Je me concentrerai sur la qualité de la prise en charge des patients. La T2A a entraîné un effet de rattrapage sur le codage des actes -qui explique pour partie l'augmentation des dépenses hospitalières.
L'augmentation de l'activité tient toutefois à d'autres facteurs, comme le vieillissement de la population et le développement des maladies chroniques. Elle risque de provoquer des effets pervers, comme le risque de séquençage des séjours.
Lorsqu'un patient nécessite plus d'actes que la moyenne, l'établissement a intérêt à le laisser sortir pour le faire revenir quelques jours plus tard. La couverture médico-légale du praticien entre aussi en compte... Tant la Fédération hospitalière de France (FHF) que des sociétés savantes ont montré l'importance d'actes inutiles ou superflus qui peuvent avoir un effet néfaste -à commencer par l'hospitalisation évitable des personnes âgées. D'où l'importance de créer un vrai service public dédié. Tous les acteurs sont concernés. Il faut pour y parvenir lever certains obstacles. La loi « HPST » a proposé de nouveaux outils ; il faut aller plus loin, créer des Communautés hospitalières de territoire (CHT) intégrées.
La Haute autorité de santé (HAS) doit mettre en place plus rapidement ses référentiels et guides de bonne pratique. L'amélioration des pratiques passera par une meilleure formation, y compris initiale. Que compte faire le Gouvernement pour lutter contre les actes inutiles ou superflus ?
La France est en retard en matière de télémédecine, pourtant très prometteuse. Nous proposons que les actes qui en relèvent soient spécifiquement inclus dans la grille tarifaire. Un système de bonus pourrait prendre en compte la démarche qualité. La France est trop timide -un tel système éviterait que fleurissent les « palmarès » des hebdomadaires, peu fondés scientifiquement.
Une institution indépendante doit présider à une véritable stratégie qualité. Une expérimentation pourrait être de ne pas rembourser certains séjours en cas de maladie nosocomiale, par exemple.
Le parcours de santé doit trouver une traduction concrète. Tout milite en ce sens : développement de pathologies chroniques, vieillissement, demande des patients. Les systèmes informatiques autorisent la mise en commun des informations entre professionnels. Or le système actuel n'est pas organisé autour du malade, mais de sa maladie. Les exemples étrangers sont instructifs. Quelles sont les intentions du Gouvernement concernant le financement des soins de suite et de réadaptation ?
Notre rapport s'inscrit dans la volonté d'améliorer la prise en charge, dans le cadre d'une enveloppe contrainte. La T2A a beaucoup apporté, mais reste un instrument d'allocation de ressources. La pertinence et la qualité de la prise en charge doit rester le fondement de toute démarche. (Applaudissements de la gauche à la droite)
Mme Laurence Cohen . - La crise financière, économique et sociale n'est pas sans conséquences sur notre système sanitaire. L'explosion du chômage, les déremboursements, la hausse de la fiscalité sur les mutuelles, les franchises aggravent les difficultés d'accès aux soins. Les établissements publics de santé ont été fragilisés par les réformes successives -certains s'obstinant à vouloir transformer les hôpitaux en entreprises commerciales ! Pour le groupe CRC, il faut une politique plus globale, intégrant la lutte contre les dépassements d'honoraires, les déserts médicaux, les entraves financières à l'accès aux soins.
Nous soutenons la proposition de la Mecss de mettre fin au processus de convergence tarifaire. Il convient de faire cesser des situations insoutenables pour certains établissements. Surtout, il faut en finir avec le financement lié à l'activité. Sinon, les fermetures pour non-rentabilité se poursuivront...
Il est urgent d'instaurer un moratoire sur les fermetures de structures de santé et aussi la réflexion sur un mode de financement alternatif. L'évolution de l'Ondam à la baisse nous inquiète. Certains CHU sont dans une situation intenable, notamment celui de Caen. La FHF considère que l'Ondam devrait être d'au moins 3,5 % ; nous en sommes loin. Le poids d'emprunts parfois toxiques est insupportable. Il faudrait que la Caisse des dépôts et consignations consente des emprunts à taux zéro pour financer les investissements d'urgence. Mais une telle solution ne peut être que temporaire : les frais d'investissements et de mises aux normes doivent être assurés par l'État. Deux solutions : la suppression de la taxe sur les salaires et de la TVA. La révision annoncée de la loi HPST suppose une large concertation pour déboucher sur des états généraux. L'hôpital public est le socle de notre système de santé, avez-vous dit, madame la ministre. Oui, et vous pouvez compter sur le groupe CRC pour défendre l'hôpital, bien commun à pérenniser, pour l'avenir et pour le bien de tous. (Applaudissements à gauche)
Mme Muguette Dini . - En 2012, les dépenses de santé représentent 8 % du PIB. Idem côté recettes, où l'assiette s'érode. D'où les déficits abyssaux de ces dernières années. Le secteur hospitalier représente 45 % de l'Ondam et 74 milliards d'euros.
Nous avons toutefois progressé dans le financement de l'hôpital : le financement par prix de journée était inflationniste et inadapté. La dotation globale avait un avantage : la maîtrise de la dépense, mais des inconvénients majeurs comme l'inadaptation aux besoins territoriaux. Huit ans après l'introduction de la T2A, nous ne pouvons que partager le constat de la Mecss : elle a représenté un progrès, mais n'est pas la panacée. La Mecss a dressé la liste de ses défauts. D'abord, la T2A est plus adaptée à la chirurgie et à l'obstétrique qu'à la médecine. Ensuite, la convergence pose problème. Enfin, la Migac est mal calibrée. Pour résoudre ces trois problèmes, il faut revoir le périmètre de la T2A, aller vers un financement mixte : 50 % de T2A, 50 % de dotation globale. La critique de fond, c'est que la T2A prend trop en compte le volet technique, au détriment du volet humain.
Le guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des professeurs Even et Debré a fait grand bruit. La France consommerait deux fois plus de médicaments que l'Angleterre... Le constat n'est pas nouveau ; le Sénat y a pris sa part avec son rapport de 2006 sur le médicament et de 2011 sur le Mediator. La Cour des comptes suggère elle aussi des moyens d'économies.
Nous proposerons que l'Igas et la Cour des comptes soient saisies d'une mission sur le fonctionnement de l'hôpital et que le Sénat travaille à une nouvelle loi renforçant la responsabilité des praticiens qui prescrivent pour se couvrir. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Gilbert Barbier . - Je salue le travail de MM. Le Menn et Milon sur un sujet complexe, souvent traité de façon trop idéologique. Je partage leur analyse pragmatique sur la T2A. Beaucoup de leurs propositions sont bienvenues. Je ne les suis pas toutefois sur la proposition de suspendre la convergence tarifaire. Un acte peut coûter quatre fois plus cher dans un CHU que dans une clinique privée ! Que signifie « suspension » ? S'agit-il d'abandonner la convergence ? Le renoncement me paraît avant tout politique...
Le rapport est édifiant sur la qualité des actes: 28 % d'actes ne seraient pas pleinement justifiés. Il y a là des économies potentielles...
On ne peut tout demander à la T2A ; c'est de la refondation de l'hôpital qu'il faut parler. On sait la situation de certains CHU... Les déficits ne sont pas inéluctables : certains établissements sont à l'équilibre avec les mêmes tarifs que les autres, d'autres se sont réorganisés de fond en comble. Les CHU déficitaires bénéficient de financements plus favorables que les autres, alors que leur spécificité est discutable. Certains ne font que peu ou pas de recherche et perçoivent pourtant l'allocation correspondante.
Le rapport évite le sujet qui fâche : n'y a-t-il pas trop d'hôpitaux ? Pour moi, la réponse est oui, même si elle n'est pas politiquement correcte ! Qui ne préférerait un chirurgien qui pratique un acte trois fois par jour à un chirurgien qui le pratique trois fois par an ? D'ailleurs, les patients de s'y trompent pas : 80 % des actes programmés se font dans le privé...Dans la Marne, alors qu'il y a peu d'offre à tarif opposable, 40 % des patients viennent des départements limitrophes.
La tarification à l'activité peut être un obstacle à la restructuration des hôpitaux mais les élus locaux aussi. Je m'en suis aperçu lorsque Mme Bachelot-Narquin m'a demandé de réfléchir à la fermeture de 127 plateaux chirurgicaux insuffisants : le projet a été enterré par Xavier Bertrand car on ne saurait toucher à l'hôpital.
La mission de l'hôpital est de soigner, non de maintenir des emplois. Il est là pour fournir à tout moment un apport puissant de compétences scientifiques et techniques. Le développement des pathologies chroniques nous incite à inventer des modes de financement pluriels et innovants. Leur gestion est une question essentielle. La concentration des plateaux techniques de qualité est nécessaire. Il est urgent de travailler sur la pertinence des soins. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, de l'UCR et de la commission)
Mme Aline Archimbaud . - Les écologistes sont associés à la défense de la nature, notre milieu. C'est que de sa qualité dépend celle de notre vie. Si l'on peut comprendre que le président de la République considère l'éducation, la justice, la sécurité comme prioritaires, il est utile de rappeler l'importance de la santé et de se demander quelle est la pertinence de la notion de rentabilité en cette matière où la norme doit être sanitaire et non économique et financière. À trop parler de rentabilité de l'hôpital, on en vient à évoquer celle du patient lui-même. On engage des soins qui ne sont pas indispensables parce qu'ils sont rentables pour la structure hospitalière, on en diffère d'autres parce qu'ils en accroîtraient le déficit.
L'hôpital se rapproche du fonctionnement de l'entreprise. On n'attribue pas des chambres individuelles selon des critères médicaux mais en fonction des moyens financiers des patients. Les indications économiques prennent le pas sur l'objectif auquel concourent les dépenses de ce service public de la santé. Bannir la notion de rentabilité ne signifierait pourtant pas s'engager aveuglément dans des dépenses à tout va. Personne ne s'interroge sur la rentabilité de l'armée, de la police, de l'éducation.
Le rapport de la Mecss propose d'intéressantes pistes, comme le rôle accru des ARS...
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Aline Archimbaud. - La mission a mis en évidence les limites de la T2A. Ses préconisations vont dans le bon sens. Une de ses propositions fortes est la suppression de la convergence public-privé. Les Écologistes y souscrivent pleinement mais ce n'est pas le seul problème lié à l'irruption du privé au sein du public, où sévissent aussi les dépassements d'honoraires. Les patients sont piégés par les dépassements d'honoraires : ils doivent opter entre une consultation en libéral dans de brefs délais ou en secteur public dans des délais très longs. C'est d'autant plus anormal que les praticiens qui agissent ainsi doivent leur prestige à leur position dans la fonction publique.
L'égalité face à l'accès aux soins n'est pas seulement un objectif territorial, il l'est aussi en termes sociaux. La qualité des soins doit être privilégiée. La meilleure politique de santé reste celle de la prévention, ne fût-ce que d'un strict point de vue financier. (Applaudissements sur le banc de la commission)
M. Gérard Larcher . - Les investissements hospitaliers créent des richesses et améliorent la qualité des prises en charge ; ils doivent donc être soutenus. Ils l'ont été dans le cadre des plans Hôpital 2007 et 2012. De 2002 à 2010, les dépenses d'investissement hospitalier ont doublé, grâce à une politique nationale de soutien à l'endettement des hôpitaux. En conséquence, leur dette a augmenté, ce qui n'est pas en soi le signe d'une mauvaise gestion, même si elle peut être préoccupante pour certains établissements dans un contexte de raréfaction des ressources financières.
Les pouvoirs publics ne doivent pas céder à la tentation de réduire trop drastiquement les investissements hospitaliers. L'évolution du paysage sanitaire entraînera une modification profonde du rôle et de la place des établissements de santé. On parle peu, par exemple, des coûts énergétiques. La nature des activités va changer.
La concentration des plateaux techniques est en cours. Elle est liée à l'héliotropisme propre à la démographie médicale. C'est aussi cela, le problème de l'égalité territoriale.
Mme Nathalie Goulet. - C'est vrai.
M. Gérard Larcher. - Les investissements vont eux aussi changer. Aux constructions massives vont succéder la densification des équipements existants et le renforcement de la fiabilité et de la performance des systèmes d'information. Il faut investir dans ce domaine en moyens humains aussi, et pas seulement en matériel.
La T2A est censée permettre le financement des investissements sur le cycle courant de l'exploitation. Or les ARS se concentrent davantage sur le fonctionnement que sur l'investissement. Le caractère forfaitaire et égalitaire du tarif n'est pas équitable quand les établissements sont dans des situations disparates. L'accompagnement financier contractuel incite les établissements à s'endetter, ce qui est difficilement tenable sur une longue période.
Dans votre rapport sur la T2A, vous en avez mis en évidence les limites. Oui, il faut clarifier, choisir et lier le financement à la nature des investissements. Il faut des modes de financement pérennes, inscrits dans une réflexion globale sur l'évolution du système tarifaire. Les acteurs s'accordent pour souhaiter un découplage de ce nouveau modèle avec l'activité des établissements. Il devra privilégier les dotations en capital plutôt que l'endettement, qui doit redevenir une décision autonome des établissements. Il faut enfin rechercher la densification des financements. Pourquoi pas des fondations, pour faire appel aux dons ?
La crise bancaire rend incontournable l'évolution du modèle actuel. Il est indispensable que les hôpitaux soient associés à la constitution du nouveau groupe bancaire public constitué par la Banque postale et la Caisse des dépôts et consignations. Les banques peinent déjà à comprendre les réalités des collectivités locales, alors celles de l'hôpital !
L'agence nationale d'appui à la performance peut être utile, pourvu qu'elle ne soit pas une tutelle supplémentaire. Il appartient aux hôpitaux de dessiner les contours d'une stratégie renouvelée.
Les trésoreries de nombreux établissements sont tendues. Le plan « Hôpital 2012 » a été gelé. Des nombreux chantiers sont en attente. Qu'en est-il du déblocage du plan, pour éviter des arrêts de chantiers ? Je me souviens du plan « Delors 2 » qui avait bloqué un établissement que je connais bien... L'hôpital est une priorité nationale. Que compte faire le Gouvernement pour relancer l'investissement dans les systèmes d'information ? Je n'ai pas toujours été très amène avec vos prédécesseurs sur ce sujet primordial.
L'investissement, c'est l'avenir. Il doit se faire à nouveaux frais. La question n'est pas de supprimer des hôpitaux : tous les établissements ont une utilité, mais complémentaire et difficile, afin que la qualité des soins soit égale sur tout le territoire. Cette réalité, nous devons y répondre, par-delà les clivages. L'hôpital public est une spécificité française, il doit accueillir dans la qualité et la dignité. (Applaudissements sur la plupart des bancs)
M. Serge Larcher . - Président de la délégation à l'outre-mer, il me revient d'évoquer la situation délicate de nos régions territoires. Quand la situation est grave dans l'Hexagone, elle est dramatique sur nos terres éloignées. L'ampleur des chantiers est effrayante, les déficits cumulés sont abyssaux. Les causes en sont multiples, et ne se réduisent pas à notre éloignement. L'activité de nos hôpitaux ne peut être rentable dès lors que nous supportons une majoration anormale des tarifs, représentant plusieurs millions d'euros par an. La question de la solidarité nationale est, de toute évidence, posée.
La réorganisation de l'offre de soins exige un effort important de l'État outre-mer. La performance ne peut être qu'économique. Il s'agit de traiter les patients où qu'ils se trouvent, de prendre en charge les plus vulnérables. L'hôpital doit d'abord penser à la qualité des soins et à la recherche. (Applaudissements à gauche)
M. René-Paul Savary . - En France, nous avons été plus loin qu'ailleurs en Europe dans l'extension de la tarification à l'activité, qui recouvre de nombreux critères. Un énorme algorithme détermine les tarifs, parfois éloignés de la réalité économique, au risque de provoquer une course à l'activité. L'examen auquel se livre le rapport de la Mecss est très perspicace.
Mes réflexions sont le fruit de remontées du terrain, à travers le conseil de surveillance d'un petit établissement de la Marne et du CHU de Reims. La permanence des soins implique des frais de personnel élevés. Notre département est traversé par la triste route nationale 4 qui est restée à deux voies seulement alors qu'elle est empruntée par 12 000 véhicules chaque jour, dont 40 % de poids lourds. Les accidents n'y sont donc pas rares, ce qui nécessite la présence de Smur. Les urgences sont également envahies par des gens stressés qui ne s'adressent pas aux médecins libéraux de garde -j'en sais quelque chose.
L'enseignement est source de coûts différents d'un établissement à l'autre, ce qui n'est pas pris en compte dans la tarification à l'activité. La recherche est un élément essentiel. L'Igas évaluait à 15 000 euros par an le coût d'un étudiant faisant de la recherche ; il ne serait plus que de 10 000... L'augmentation du numerus clausus était indispensable pour les universités sous-dotées, mais elle a baissé le niveau et alourdi les besoins en tutorat. En Champagne-Ardenne, les internes partent à l'issue de leur formation. Première peine. Les gardes d'interne ne ramènent pas d'activités tarifées dans le cadre de la T2A, mais créent de la dépense supplémentaire puisque les interventions chirurgicales effectuées par les jeunes internes mobilisent davantage d'heures de personnel médical et paramédical. Deuxième peine. Enfin, troisième peine, le nombre de professeurs n'a pas augmenté, si bien que les heures supplémentaires sont consacrées à la formation, au détriment des actes rémunérateurs.
Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens sont proposés après concertation mais dans l'ignorance des manques réels, qui n'apparaîtront qu'en fin d'année, au moment de la fixation des enveloppes par les ARS.
La maîtrise de l'Ondam est fonction de l'inflation et du glissement vieillesse technicité. La tentation est grande de laisser filer les Migac. On revient aux dérives de la dotation globale, en affaiblissant la tarification à l'activité. L'optimisation du codage de séjours, la sélection de patients rentables ou le renforcement des techniques invasives sont des effets pervers de cette tarification, qui demeure néanmoins un outil de pilotage des dépenses de l'hôpital. La comptabilité analytique doit être améliorée, pour les médecins comme pour les administrateurs.
La télémédecine ouvre la perspective d'avancées intéressantes, comme l'a dit M. Milon. Il est urgent de régler les problèmes de tarification et de responsabilité médicale. Un décret doit être pris rapidement pour l'expérimentation dans le domaine de la médecine du travail, qui souffre d'un déficit de médecins.
Les moyens des ARS sont-ils adaptés aux ambitions régionales ? Les disparités sont énormes sur le terrain. Les doubles tarifications ont des effets sur le budget de l'hôpital.
Il faut enfin replacer le patient au coeur du parcours de santé. Il y a là des améliorations possibles.
L'extension de la tarification à l'activité aux soins de suite appelle la plus grande prudence. Est-il envisageable d'exclure la recherche ou l'investissement ? (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Michelle Meunier . - Comme beaucoup d'entre vous, je suis attachée à notre système de santé, vivier de compétences et de talents. La prise en charge de la périnatalité a souffert de la logique d'entreprise. La rationalisation poussée à l'extrême peut détourner l'hôpital de sa mission. Il faut revoir la loi HPST, reconstruire, ici comme ailleurs, la logique de bien public, remettre le patient au centre.
L'imitation de la politique américaine tend à réduire l'accouchement au plateau technique médical : un accouchement après l'autre, la mère sortant le jour même... Or le temps de l'accouchement est aussi celui de la construction des premiers liens parents-enfant, celui de la récupération pour la mère. La diminution du temps d'hospitalisation après l'accouchement est préjudiciable aux femmes les plus fragiles. Des réponses en réseau, en amont et en aval de l'hospitalisation sont nécessaires, comme en offre le réseau Sécurité-naissance en pays de Loire.
Au CHU de Nantes, des réflexions sont engagées pour trouver des solutions à budget contraint. Il serait intéressant que Mme la ministre encourage ces bonnes pratiques.
De nombreuses données influent sur la qualité du suivi des parturientes. La sécurité de la mère et de l'enfant doit être construite localement.
L'arrivée d'un enfant peut aussi se faire en adoption. Les Consultations conseils en adoption (Coca) ont fait leurs preuves au sein de l'hôpital public. Il serait bon de leur attribuer des financements dédiés.
Notre système de santé est confronté à de nombreux défis pour répondre aux nécessités des populations fragiles. J'ai toute confiance en notre ministre pour faire vivre le service public et la concertation. Affirmons notre confiance en l'hôpital public ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Nathalie Goulet . - Je voudrais attirer votre attention sur le centre hospitalier de l'Aigle, dans l'Orne. Il a mis en oeuvre en 2007 un plan de retour à l'équilibre, puis en 2009 un contrat de retour à l'équilibre, qu'il a atteint dès 2010. Grâce aux efforts du maire et du personnel, sa situation a été améliorée. Les régimes de rémunérations et de primes ont été remis à plat -il faut reconnaître que la mise en place des 35 heures à l'hôpital a posé bien des problèmes ! Le suivi des activités a été amélioré. Néanmoins, cet équilibre demeure fragile.
La réception de l'état prévisionnel de recettes et de dépenses n'intervient qu'au second semestre, ce qui est trop tardif. La direction des établissements hospitaliers souffre de son instabilité : sept directeurs en dix ans !
Nous vous demandons de faire confiance à l'intelligence territoriale. Les limites des circonscriptions sanitaires ne recouvrent pas celles des circonscriptions administratives. L'Aigle, dans l'Orne et donc en Basse-Normandie, a moins de complémentarités avec Alençon, notre préfecture, qu'avec Verneuil, située à quelques kilomètres, mais dans l'Eure et donc en Haute-Normandie. Hervé Maurey, mon excellent collègue de l'Eure, voit bien les choses ainsi, de même que notre remarquable directeur de l'ARS. Et je pense aussi à Bernay, la ville de notre collègue Bourdin.
Le maire de l'Aigle et nous-mêmes sommes à votre disposition, madame la ministre, pour vous recevoir et vous montrer le travail remarquable des équipes et les mesures à prendre pour le consolider. (Applaudissements sur les bancs centristes)
M. Alain Bertrand . - Le rapport de la Mecss sur la tarification à l'activité est intéressant. Je tiens à attirer votre attention sur la situation des zones peu denses, qui est problématique et que la T2A sacrifie. Faut-il la supprimer ? Sans doute serait-ce un début de solution. Pour les hôpitaux isolés, comme en Lozère, les Migac devraient être discutées au sein de l'ARS et fixées proportionnellement au budget. Actuellement, elles nous laissent dans l'insécurité totale, alors que nous sommes très sérieux et performants. Nous ne pouvons en permanence nous demander ce qui va nous tomber sur la tête.
Le président Hollande a créé un ministère de l'égalité des territoires, très bien : la priorité doit aller à l'école, à la santé, à l'accès aux services publics. Les normes doivent être adaptées. On n'est pas obligé d'être idiots, parce qu'on veut tout et qu'on ne sait pas choisir des normes progressives. Du fait que nous sommes passés légèrement au-dessus des cinq-cents accouchements dans l'année, l'équipe a été doublée, si bien que, l'année suivante, nous étions en déficit !
Il n'est pas normal que nous n'ayons pas le droit d'avoir une IRM, alors que nous avons la performance, la qualité des soins. Le rapport de la Mecss trace de bonnes pistes. Un consensus est atteignable pour remettre notre système de santé sur les rails. (Applaudissements sur les bancs RDSE)
M. Félix Desplan . - La fermeture du centre hospitalier de Marie-Galante a créé une grande émotion. La mise en oeuvre de la réforme hospitalière a posé de nombreux problèmes. Nos hôpitaux doivent faire face aux maladies tropicales.
La mise aux normes nationales des plateaux techniques nécessite d'importants investissements. La T2A pénalise les zones peu denses.
Nous sommes touchés, plus qu'ailleurs, par des pathologies lourdes, tandis que les créances irrécouvrables augmentent, car la population s'appauvrit et se fragilise. Certes, le coefficient géographique correcteur majore les tarifs et les forfaits, mais insuffisamment.
Les enveloppes Migac ont diminué drastiquement. Les hôpitaux de Guadeloupe doivent fournir un effort accru, avec des recettes moindres. D'où leur déficits importants...
Les membres de la Mecss ont été surpris d'apprendre que certains conseils généraux outre-mer contribuaient aux investissements -c'est le cas en Guadeloupe- du fait de la difficulté d'accès des établissements au crédit. Il faut mieux financer les missions d'intérêt général, réfléchir à une dotation spécifique pour combattre l'isolement des hôpitaux d'outre-mer. Tout cela suppose une approche globale et concertée. Le président Hollande s'était engagé à mettre à plat le financement des établissements outre-mer. Je salue cette promesse. Où en est-on ? (Applaudissements à gauche)
M. Maurice Antiste . - L'hôpital n'est pas loin de l'agonie. Les chiffres sont éloquents : 23,6 milliards de dette pour les 1 270 établissements de court séjour ; 43 % des 603 hôpitaux publics sont en déficit, pour un total de 637 millions ; en Martinique, les trois principaux établissements accusaient fin 2011 un déficit de 147 millions d'euros. La notation des établissements français a été abaissée par Moody's, qui a mis en avant la détérioration rapide de la situation financière du CHU de Fort-de-France. En Martinique, la situation est dramatique. Faute de financement, la qualité et la sécurité des soins sont remises en cause : on manque de médicaments et les fournisseurs de produits de désinfection, qui ne sont plus payés, refusent d'en livrer. Il a fallu une rallonge d'urgence de la région, qui s'est par ailleurs engagée à hauteur de 17 millions d'euros pour la mise aux normes, pour assurer l'approvisionnement des hôpitaux ! La fusion des trois établissements devait rationaliser l'offre de soins et permettre un retour à l'équilibre des comptes ; si une meilleure gestion est nécessaire, on ne peut toutefois sacrifier les personnels ni la qualité des soins.
Le pronostic vital des hôpitaux de Martinique est engagé. Il faudrait revaloriser le coefficient géographique en le portant au moins à 28 %. Le précédent gouvernement l'avait parcimonieusement porté de 25 à 26 % : c'était bien, mais trop peu -un point d'augmentation, c'est 2,1 millions de financement supplémentaire. Il faut aller plus loin, étendre le coefficient géographique aux actes externes -ce qui entraînerait un surplus de recettes de 3,6 millions. L'enveloppe Migac doit être étendue à des activités non rentables dans le cadre de la T2A, comme la neurochirurgie, la neuroradiologie, la chirurgie cardiaque interventionnelle... Enfin, le tarif de cession des produits sanguins labiles, majoré dans les DOM, devrait être harmonisé -un alignement sur la Guadeloupe ferait faire 600 000 euros d'économie par an au CHU de Fort-de-France.
Si le financement à l'activité est juste, la dotation globale constitue une véritable rente pour certains établissements. Mais le modèle actuel de la T2A ne prend pas en compte les spécificités de nos territoires... Le combat des parlementaires des outre-mer est de défendre les intérêts généraux de la Nation, mais aussi les particularités de nos territoires ; nous ne demandons pas toujours davantage de financement, mais des adaptations. Je compte sur vous, madame la ministre. (Applaudissements à gauche)
M. Georges Patient . - Les fédérations hospitalières des Antilles et de la Guyane se sont réunies ce week-end et ont fait part de leurs angoisses. Elles préconisent un accompagnement et un appui des pouvoirs publics : augmentation du coefficient géographique et des enveloppes Migac, prise en compte des surcoûts, renforcement des dispositifs de formation, création significative de postes en CHU pour une ouverture en 2014 d'une faculté de médecine de plein exercice, subventions en capital. Les promesses vaines du précédent gouvernement ont sapé la confiance. Les outre-mer n'auraient-ils pas droit à un système public de santé efficient et de qualité ? L'égalité des soins reste pour nos territoires un voeu pieux... J'avais alerté le précédent gouvernement, suite à une mission sur place, l'exhortant à préciser les modalités de rattrapage outre-mer. Aucune réponse, sinon une simple lettre d'intention de M. Xavier Bertrand, le 14 février 2012...
Mme Nathalie Goulet. - Le jour de la Saint-Valentin ! (Sourires)
M. Georges Patient. - ...en pleine campagne présidentielle... Nous voulons que cesse cette attitude méprisante à notre égard.
La situation de l'offre de soins en Guyane est inacceptable, tout le monde le sait. Où en est le projet de nouvel hôpital à Saint-Laurent-du Maroni ? Quid de la situation du centre hospitalier de Cayenne, du projet de reconstruction du site de Cayenne et de création de celui de Saint-Laurent -je parle ici de l'Institut médico-éducatif ? Ces investissements sont urgents pour rattraper notre retard.
La santé n'a pas de prix, dit-on. Mme la ministre a annoncé une augmentation de 2,7 % du budget de la santé, ainsi qu'une loi sur l'accès aux soins. Souhaitons que la Guyane ne soit pas, une fois de plus, laissée pour compte ! (Applaudissements à gauche)
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille . - Mme Touraine vous remercie pour ce rapport riche et fouillé. Oui, l'hôpital est un acteur essentiel du système de santé et pas seulement un producteur de soins. Le rapport de la Mecss porte un regard objectif et exigeant sur la réalité des faits. Pour Mme Touraine, l'hôpital public exerce des missions de service public essentielles, qui sont aujourd'hui insuffisamment valorisées. Les méthodes appliquées ces dernières années étaient injustes financièrement et déstabilisantes pour les personnels. L'hôpital doit se recentrer sur la prise en charge des soins aigus. Il faut favoriser les séjours moins longs, la médecine ambulatoire, l'application d'actes précis et de qualité ; repenser les relations entre l'hôpital, la médecine de ville, le secteur médico-social. Nous ne devons pas faire moins, mais plus et mieux.
Oui, monsieur Milon, l'hôpital public du XXIe siècle doit avoir pour horizon la qualité : qualité des soins, qualité de l'organisation et du management, qualité de la gestion ; nous avons besoin d'une stratégie de la qualité, celle-ci devant être valorisée. Oui, monsieur Barbier, la sécurité est une exigence incontournable. La réforme de l'hôpital public reposera sur celle de ses modalités de financement et l'allocation contractualisée de moyens d'investissements en échange d'un chemin vertueux de développement de la qualité et de l'efficience.
Oui, messieurs les rapporteurs, la T2A peut être améliorée : le Gouvernement ne souhaite pas l'abroger, mais l'adapter de sorte que l'hôpital public soit pleinement reconnu dans la spécificité de ses missions. Derrière la T2A se cache une machine complexe et technique ; nos prédécesseurs ont oublié que c'est l'État qui fixe le cap en matière de santé publique et décide ce qui doit être prioritairement pris en charge ! La T2A n'est pas une grille statistique mais un outil au service d'une politique, comme l'a souligné M. Le Menn. Dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, la convergence tarifaire sera supprimée. Elle est injuste et ne tient pas compte des différences fondamentales entre établissements de santé ; son application a inutilement focalisé l'attention et provoqué des crispations. Nous réintroduirons ainsi dans la loi le principe du service public hospitalier, qui avait disparu dans la loi HPST.
Une opération « transparence et qualité » sera lancée, en associant l'ensemble des acteurs, de l'élaboration des tarifs à la répartition des crédits. Mme la ministre étudiera avec vous les conditions particulières outre-mer. Elle vous recevra prochainement. Un chantier partenarial de réforme de la T2A sera lancé dans les prochains jours pour une plus juste répartition des crédits.
Nombre de vos propositions seront reprises, comme l'amélioration de la procédure d'élaboration des tarifs, l'approfondissement des procédures de recueil et d'analyse des coûts, l'instauration de mécanismes permettant une plus grande visibilité et une meilleure stabilité des tarifs, l'objectivation des mécanismes d'attribution des dotations hors tarifs, le renforcement des mécanismes incitant à la qualité et à la pertinence des soins.
Le ministère, madame Meunier, travaille à des dispositifs pour renforcer la qualité des prises en charge -notamment de la périnatalité- et permettre une modulation des tarifs. Le financement expérimental de parcours de santé a retenu toute notre attention. Mme Touraine ne souhaite pas que les soins de suite et de réadaptation ni que la psychiatrie basculent trop vite dans la T2A. Le Conseil de l'hospitalisation sera chargé de synthétiser les propositions.
L'hôpital public aura les moyens nécessaires à ses investissements ; la concertation, madame Cohen, englobera les patients. S'agissant des investissements immobiliers, vos préconisations sont en parfaite adéquation avec l'action du Gouvernement. Mme Touraine connait bien la situation des établissements, notamment outre-mer. En matière de trésorerie, l'arrêté du 18 août 2012 a permis d'éviter certaines ruptures. Une circulaire récente a créé des comités régionaux de veille pour détecter en amont les situations de trésorerie à risque. Le Gouvernement vous proposera que certains CHR puissent émettre des billets de trésorerie ; il travaille avec les banques pour débloquer les fonds nécessaires.
Beaucoup de promesses ont été faites par nos prédécesseurs, alors que nous manquons de moyens... Pour les trente projets identifiés, il faudra 2,7 milliards d'euros sur la période 2012-2020. Désormais, les investissements engageant des aides nationales feront l'objet d'un contrat signé par l'établissement et l'ARS, dont l'exécution sera suivie par le comité de la performance, de la qualité et de l'innovation. Des contacts ont été pris avec le Commissariat général à l'investissement pour le financement de projets innovants liés par exemple aux systèmes d'information nécessaires à la télémédecine.
Près de 40 millions d'euros ont été débloqués pour cinq établissements qui ne pouvaient plus payer leurs agents. Leur situation sera suivie avec attention.
Notre système public, d'une qualité exceptionnelle, doit sortir consolidé et modernisé de la crise actuelle. C'est le sens du pacte de confiance pour l'hôpital.
Les pistes ouvertes par votre rapport accompagneront utilement la réflexion de l'action de Mme Touraine. (Applaudissements à gauche et au centre ; M. René-Paul Savary applaudit aussi)
Organisme extraparlementaire (Nominations)
M. le président. - Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire. La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Gilbert Barbier, Bernard Cazeau et Alain Milon membres du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine.
Débat sur les dispositifs médicaux implantables
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. - Le rapport a été adopté à l'unanimité des membres de la mission, et soutenu pleinement par la commission des affaires sociales. Notre mission commune d'information est née du drame des prothèses PIP. On ne peut que saluer la décision du précédent gouvernement de proposer l'explantation préventive de ces prothèses. Une mission de l'Igas doit dresser le bilan de cette crise sanitaire. Où en est-on, madame la ministre ?
Le champ de notre mission a toutefois été élargi à l'ensemble des interventions à visée esthétique, qui vont du travail des esthéticiennes aux opérations chirurgicales. Il y a un véritable enjeu de santé publique : entre 160 000 et 800 000 références recensées ; un marché de 21 milliards d'euros selon l'Igas ; 300 000 actes de chirurgie et de médecine esthétique par an ; 16 % de la population française fréquente les cabines de bronzage... Il s'agit bien d'un phénomène de société et non d'un choix individuel de prise de risque. Nous avons mené une cinquantaine d'auditions, nous nous sommes rendus aux États-Unis et au Danemark, nous avons correspondu avec l'Australie, interrogé des psychologues, des sociologues, des historiens, pour éclairer les enjeux sociétaux du débat. L'apparence physique est aujourd'hui une norme -qui a même un impact sur le taux d'embauche !
Les règles européennes sont en cours de révision. Le calendrier est donc opportun. Nous pouvons proposer une voie médiane entre le système européen, parfois trop libre-échangiste, et le système américain, qui fait davantage primer la sécurité sur l'innovation.
Les perturbateurs endocriniens, sujet qui me tient à coeur, ont fait l'objet d'un rapport de M. Barbier, éloquemment intitulé Le temps de la précaution. En la matière, les dispositifs médicaux ne sont pas mieux encadrés que les jouets ! L'impact sanitaire du bisphénol A est catastrophique sur le foetus et le jeune enfant. J'y reviendrai lors de l'examen de la proposition de loi sur le bisphénol A, pour proposer de l'interdire.
Un mot sur l'esthétique. Ce que nous avons découvert est assez inquiétant, effrayant même. En la matière, toute moralisation est inutile, injuste. La volonté de modifier le corps a existé de tout temps et se développera inévitablement avec le vieillissement de la population. Mais nous devons éclairer l'opinion, clarifier les frontières entre esthétique et médecine, ne pas hésiter à interdire quand la sécurité est en cause.
Je vous invite à un débat ouvert autour des propositions audacieuses et pragmatiques du rapporteur. Une fois de plus, le Sénat va montrer qu'il a un temps d'avance. (Applaudissements)
M. Bernard Cazeau, rapporteur de la mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique . - À l'origine de cette mission commune d'information, il y a le scandale des prothèses PIP : plus qu'une simple fraude, c'est un désastre sanitaire. Fin juillet, plus de 12 000 Françaises avaient fait retirer leurs prothèses ; des anomalies ont été relevées dans 22 % des cas, bien plus qu'annoncé. Lors de la discussion de la loi sur le médicament, plusieurs de nos collègues avaient prédit que le dispositif médical serait au coeur du prochain scandale sanitaire. Les faits leur ont donné raison.
L'ampleur inédite de l'affaire PIP a montré combien l'apparence et la beauté, même artificielles, devenaient une préoccupation importante de nos concitoyens -ce qui nous a conduit à nous interroger sur la réglementation des interventions à visée esthétique. Nous nous sommes attachés à formuler des propositions concrètes, avec la sécurité pour mot d'ordre dès lors qu'il était question de santé publique.
Un mot des cabines de bronzage, que nous proposons d'interdire : elles sont reconnues comme facteurs de pathologies cutanées, jusqu'au mélanome. On nous dit qu'elles sont moins mortelles que la chasse, la baignade ou le tabac. Mais leur interdiction est légitime -et d'ailleurs toujours en vigueur au Brésil.
En matière de dispositif implantable, dès lors qu'il n'y a pas urgence, la sécurité doit prévaloir. L'affaire PIP a montré que les mécanismes de contrôle étaient défaillants. La réglementation européenne est en cours de révision. La négociation a abouti la semaine dernière... Nous nous étions rendus à Bruxelles ; la Commission va dans notre sens -sécurité et innovation- et l'essentiel de nos recommandations sont reprises : surveillance accrue des instances d'évaluation, multiplication des visites inopinées, accroissement des pouvoirs des organismes notifiés, ouverture aux professionnels de santé et au public de la base de données européennes sur les produits, renforcement de la traçabilité par un identifiant unique, intensification des exigences relatives aux preuves cliniques, amélioration de la coordination entre autorités nationales de surveillance, interdiction aux fabricants de changer d'organisme notifié quand bon lui semble -la certification reposerait sur un accord signé par les trois parties.
Mais la réglementation européenne ne sera pas en vigueur avant 2019... Rien en nous empêche d'agir sans attendre ni nous cacher derrière Bruxelles. Nous ne tenons pas de registre exhaustif des dispositifs ; il faut rendre le système de recueil plus simple et rappeler les professionnels de santé à leurs responsabilités. S'il y a des difficultés juridiques, elles peuvent être surmontées. Quelles initiatives comptez-vous prendre, madame la ministre ?
Il faut simplifier la déclaration d'incidents graves et apporter davantage de transparence dans les liens d'intérêt. La loi relative au médicament contient des dispositions intéressantes ; l'affaire récente des sondes de stimulation cardiaque montre que le dispositif fonctionne. À quand le rapport sur les dispositifs médicaux prévu à l'article 41 de la loi ?
En matière de médecine esthétique, c'est la jungle. Le marché est en expansion constante, de nouvelles techniques apparaissent -dernier exemple, la brosse vibrante antirides, censée accroître l'efficacité de la crème de jour...
Mme Nathalie Goulet. - Génial !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Bel exemple de marketing... Pour renforcer la sécurité, nous préconisons de réserver les actes potentiellement dangereux aux seuls médecins -à l'instar de la dépilation par lumière pulsée au-delà d'une certaine puissance. La médecine esthétique ne doit pas être une spécialité, mais suppose une formation adaptée. Un diplôme d'études spécialisées complémentaire serait bienvenu.
Il faut instituer un marquage CE pour ces produits ; il n'y a aucune raison de disposer, en France, d'une centaine de produits à base d'acide hyaluronique, alors qu'une dizaine seulement est sur le marché aux États-Unis. Il faut aussi établir une base de données des dangers que peuvent présenter ces produits ou actes. Enfin, il faudrait instaurer un carnet de soins recensant les interventions subies, pour éviter que certains n'en abusent. Sans méconnaître la réalité économique du secteur, il faut remettre la sécurité au centre ! Comme dit le vieil adage, primum non nocere. (Applaudissements)
Mme Laurence Cohen . - Je suis satisfaite que nous accordions à ce sujet une place qui correspond à son enjeu, fondamental, pour notre système de santé. Les nombreuses auditions de la mission commune d'information ont été de qualité. Je tiens à remercier la présidente et le rapporteur. Le scandale PIP a mis en lumière les lacunes du système : elles ont permis à l'appétit de lucre de se jouer pendant vingt ans de tout contrôle. Il y a eu trois mille cas de rupture et douze mille retraits de prothèses. Les souffrances physiques et aussi psychologiques endurées par les victimes sont très fortes.
Je suis favorable, comme le préconise le rapport, à ce que l'Igas soit chargée de réaliser un bilan de la gestion de cette crise, dans l'intérêt des victimes comme des futures patientes.
Je suis favorable au renforcement des contrôles sur les dispositifs médicaux dès leur mise sur le marché et pendant toute leur utilisation. Contrairement aux médicaments soumis à l'AMM, les dispositifs médicaux implantables sont exempts de textes. Nous attendons encore la parution des décrets de la loi sur le médicament de décembre 2011, qui concerne ces dispositifs.
Nous notons avec intérêt les propositions de la Commission européenne visant à « renforcer sensiblement les contrôles », selon le commissaire à la santé. On peut regretter qu'il n'y ait pas d'AMM pour les dispositifs à haut risque.
Mme Nathalie Goulet. - C'est vrai.
Mme Laurence Cohen. - Il est de notre responsabilité d'anticiper les nouveaux dangers. C'est un secteur économique florissant. Notre rapport au corps, au vieillissement, à la beauté entraîne un recours croissant à des pratiques que l'on croit encadrées mais qui sont dangereuses. Nous ne pouvons ignorer les risques des cabines de bronzage. Leur interdiction -hors usage médical- sera impopulaire, mais elle est nécessaire.
L'autorité de contrôle doit jouer son rôle de gendarme sanitaire ; il faut assurer la formation des professionnels et s'efforcer de faire le partage entre médical et esthétique.
Il est impératif de mettre fin aux conflits d'intérêts et de renforcer les contrôles et les inspections. Les organismes qui en sont chargés doivent avoir les moyens de remplir leurs missions.
Enfin, il est primordial de protéger les lanceurs d'alerte des attaques virulentes dont ils peuvent être la cible. (Applaudissements)
Mme Nathalie Goulet . - Je regrette que notre débat n'ait pas attiré plus de monde -ma confession en sera plus discrète ! Vieillir m'insupporte. Botox, liposuccion, lifting, comblement de rides : toutes ces techniques esthétiques ont trouvé en moi une consommatrice assidue ! Je suis en outre végétarienne et pratique le sport quotidiennement : c'est dire si mon apparence m'importe et on comprend mon appétence pour cette mission !
La chirurgie peut réparer des lésions sérieuses, au-delà du souci de l'apparence qui domine notre société de consommation, avec un marché considérable. Sous le diktat de la mode de l'éternelle jeunesse, la notion de patient s'efface devant celle de consommateur. Nous sommes passés de Faust à l'incroyable famille Kardashian !
En France, en 2009, 300 000 actes de chirurgie esthétique ont été réalisés. La France arrive au quatorzième rang des pays les plus consommateurs en la matière. Les actes de médecine esthétique et ceux des esthéticiennes sont en croissance constante, sans parler des cabines de bronzage dans certains clubs de gym. Je me suis rangée à l'avis du rapporteur quant à leur interdiction. Il est vrai que je ne les utilise pas !
Ce marché se banalise, avec sa loi de l'offre et de la demande, les publicités notamment sur internet, où il y aurait beaucoup à faire. Les bars de blanchiment des dents pourraient réserver de mauvaises surprises à l'avenir.
Vice-présidente de la commission sur le Mediator, j'ai regretté l'absence totale d'attention à des propositions avancées dix ans auparavant, à propos du Vioxx, qui auraient évité des conséquences fâcheuses.
Madame la ministre, une cellule de suivi, pas forcément institutionnelle, des mesures préconisées par ce rapport devrait être créée. L'information doit être complète et cohérente. Une communication à l'égard des médecins et du public est nécessaire, à l'image de la campagne « Les antibiotiques, ce n'est pas automatique ».
Le législateur a confié au pouvoir réglementaire les règles relatives à la formation des personnes habilitées à dispenser des soins esthétiques. Vous avez dans vos cartons un projet de décret relatif à l'article 61 de la loi HPST qui soumet la pratique des actes esthétiques, si elle présente des risques pour la santé, à réglementation : il suffit de supprimer l'incise pour marquer une volonté politique et signifier que les actes esthétiques ne doivent pas être banalisés.
Les comblements par injections, ou rayonnements ou ultrasons sont des mesures assez lourdes, qui nécessitent une vigilance. Ce ne sont pas des procédés banaux. La formation est aussi une préoccupation importante. L'appétence pour la médecine esthétique, dans un contexte d'aggravation du déséquilibre de la démographie médicale, augmente les risques de désertification médicale.
L'acceptation du risque par un patient n'est pas la même selon qu'il subit un acte à visée esthétique ou à visée réparatrice. Je pense aux rhinoplasties de confort, qui passent ici ou là pour un déplacement de cloison... aux frais de la sécurité sociale.
Le tourisme esthétique à l'étranger entraîne 20 % de soins sur le territoire national, à la charge de la collectivité nationale. C'est anormal. Pourquoi notre système de santé paierait-il les suites d'une intervention malheureuse réalisée au Brésil ou en Thaïlande ?
Sur ce thème, l'introduction dans notre ordre juridique de class actions à la française me paraît indispensable. Vous ne pouvez pas laisser les gens seuls face à des entreprises qui ont beaucoup plus de moyens qu'eux pour se défendre.
Cette mission fut passionnante. Vous savez que je dis ce que je pense. Merci, madame la présidente, pour l'avoir menée à bon port, en espérant que ce ne sera qu'une escale provisoire. (Applaudissements)
M. Gilbert Barbier . - Pour ma part, je ne suis pas utilisateur...
Mme Chantal Jouanno, présidente de la mission commune d'information. - Cela viendra !
M. Gilbert Barbier. - Je tiens à remercier Mme Jouanno pour cet excellent travail. L'affaire PIP a soulevé de nombreuses interrogations. Pourquoi les pouvoirs publics n'ont-ils pris aucune mesure lorsqu'en 2000 l'autorité fédérale américaine a interdit l'utilisation de ces implants sur son territoire ? Pourquoi l'Afssaps n'a-t-elle pas ordonné le retrait des implants plus tôt ? Peu après l'affaire du Mediator, la polémique sur la sécurité sanitaire dans notre pays a été relancée. Certes, il s'agit d'une fraude manifeste que j'espère isolée et qui ne doit pas jeter l'opprobre sur l'ensemble des dispositifs de santé.
Il y a un an nous étions quelques-uns à demander le renforcement de la sécurité sanitaire qui nous paraissait insuffisante. Nos craintes se sont avérées. Le rapport de la mission comprend 38 recommandations.
Les conditions de mise sur le marché des dispositifs médicaux implantables doivent être revues. Certains organismes sont plus conciliants que d'autres. Il est facile à des entreprises peu scrupuleuses d'y avoir recours. Les critères de sélection de ces organismes notifiés doivent être revus. La création d'une liste positive offrirait un gage de transparence et de sécurité. Les contrôles inopinés doivent être multipliés. La question de l'indépendance de l'Afssaps et de ses experts, en cours de restructuration, doit être posée.
Il existe en Australie et dans certains pays nordiques des registres de traçabilité, qui imposent la participation des praticiens et utilisateurs. La France accuse un retard considérable. Le suivi des dispositifs médicaux implantables à l'hôpital doit être favorisé.
J'espère que les propositions de la Commission européenne seront rapidement validées par le Parlement européen.
En France, il existe plus d'une centaine de produits injectables de comblement des rides, contre six aux États-Unis. Ces produits doivent répondre aux mêmes exigences que les médicaments.
L'interdiction des cabines de bronzage est urgente. Agissons sans tarder, madame la ministre ! (Applaudissements)
Mme Aline Archimbaud . - L'automne dernier, le Sénat menait une belle bataille sur la sécurité sanitaire et les produits de santé. Malheureusement notre texte a été mis en pièces par l'Assemblée nationale..
Notre groupe souscrit entièrement aux 38 propositions du rapport de la mission commune d'information. L'Afssaps a clairement dysfonctionné dans l'affaire PIP, sans que les conséquences en aient été tirées. Il a fallu attendre 2010 pour que l'agence exige la suspension puis le retrait des implants PIP.
Ma collègue Marie-Christine Blandin présentera prochainement une proposition de loi qui renforcera la protection des lanceurs d'alerte, soumis à des pressions.
Certaines victimes de PIP, confrontées à des difficultés financières, ne peuvent financer l'explantation. Certains d'entre elles vivent dans l'angoisse, ne connaissant pas l'état des prothèses qu'elles portent. Notre groupe estime que le scandale continue. Cette barrière sociale fait obstacle à l'accès aux soins.
La proposition n°5 relative à l'interdiction des CMR de catégorie 2 dans les dispositifs médicaux destinés aux nourrissons, jeunes enfants et femmes enceintes a retenu notre attention. Il faudrait aller encore plus loin. Le DEHP est particulièrement dangereux. Des risques particuliers d'intoxication aiguë menacent les nouveau-nés en soins intensifs exposés à de fortes doses de ce produit, qui doit être éliminé au plus vite des hôpitaux et de notre paysage de soins. (Applaudissements)
M. René-Paul Savary . - Ce rapport d'information est de grande qualité. Comme l'a dit Mme Jouanno, c'est un enjeu sociétal.
Notre système d'autorisation et de surveillance n'est plus à la hauteur des enjeux. Certaines règles existent : organismes notifiés, études scientifiques, codage des actes, investigations cliniques, information des praticiens, etc. mais elles ne sont plus adaptées à la situation actuelle.
Il s'agit de prendre en compte les préconisations de la mission commune d'information, sans pénaliser la recherche. Les auditions auxquelles j'ai participé montrent combien l'édifice est défaillant. Des registres existent, mais dans d'autres pays. L'un de nos grands défauts est l'absence de réactivité. Les organismes notifiés n'ont pas l'indépendance qui garantirait la neutralité de leur expertise. Les flux financiers ne semblent pas suffisamment transparents. Des contrôles sont prévus, mais les organismes sont prévenus avant leur passage !
J'ai beaucoup appris de ces auditions. Je témoigne du travail accompli. Nul ne détient toute la vérité. Ce rapport replace l'usager dans un cadre réglementaire mieux adapté, sans bloquer l'innovation, tout en conciliant des intérêts divergents. L'exercice sera réussi s'il est suivi. Il en va de la crédibilité de nos institutions. (Applaudissements)
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille . - Veuillez excuser Mme la ministre de la santé, retenue à Matignon pour le séminaire gouvernemental sur la modernisation de l'État.
Votre rapport est riche d'enseignements et précieux pour l'approfondissement de notre réflexion. Vous avez rappelé le contexte de son déclenchement : la découverte des prothèses mammaires PIP, fabriquées de façon contraire aux procédures d'agrément du produit. Cette affaire est entre les mains de la justice, il ne nous appartient pas de la commenter.
Vous avez élargi votre mission aux interventions à visée esthétique. Comme pour le médicament, la sécurité des personnes doit être au centre du processus de maintien ou de mise sur le marché des dispositifs médicaux implantables. Nous ne pouvons pas traiter de la même manière les bandages et les implants. Les fabricants sont des PME, porteuses d'innovations, il ne faut pas contraindre sans un examen minutieux.
La demande de soins esthétiques est en croissance constante. Madame Goulet, vous en êtes un exemple quasi parfait ! La population concernée est de plus en plus jeune, et les hommes y recourent de plus en plus. Pas moins de 13,4 % des Français entre 15 et 75 ans déclaraient en 2010 avoir fait usage au moins une fois des UV artificiels. La simplicité apparente des procédures et les gains qu'ils rapportent attirent des médecins et d'autres personnes vers les soins esthétiques.
Votre mission attire justement l'attention sur les risques encourus. Vous avez conduit un travail approfondi. Nous sommes face à une réglementation européenne davantage inspirée par le principe de libre circulation des produits que par celui de la sécurité des personnes, qui devrait pourtant être privilégié. Le nivellement par le bas est à craindre. À aucun moment, un regard transparent et indépendant n'est porté par les autorités compétentes, qui n'interviennent bien souvent qu'au stade du remboursement ou lorsqu'une alerte est lancée.
Vous avez formulé 38 recommandations argumentées. Elles imposent des actions à plusieurs niveaux : national et européen ; en amont de la distribution et a posteriori. C'est une palette complète de mesures. La protection des patients et la sécurité des procédures sont les préoccupations constantes de la ministre de la santé. La totalité des textes d'application de la loi du 29 décembre 2011 sont signés et seront prochainement publiés.
La loi institue une autorisation préalable des publicités pour les produits les plus à risque et elle permet des contrôles inopinés. Elle instaure les déclarations d'intérêt et la transparence des liens entre entreprises partenaires de la santé. Un groupe de travail sur la publication des liens et des conventions a été mis en place par la ministre. La réglementation sur les cabines de bronzage sera renforcée. Nous attendons un avis de la HAS, qui sera rendu courant 2013 sur ce sujet.
La France portera sa voix au niveau européen. La ministre s'est entretenue avec ses homologues afin de peser sur les discussions en cours sur le projet de règlement européen sur les dispositifs médicaux, qui corrige certaines déficiences signalées précédemment. Il est nécessaire d'aller plus loin dans le contrôle préalable par les autorités nationales des dispositifs les plus à risque. Les propositions de la commission nous semblent encore insuffisantes à cet égard. Il faut accélérer le partage d'informations entre les autorités compétentes pour qu'elles accomplissent leur mission de police sanitaire.
La confiance de nos concitoyens, entamée par de trop nombreux scandales, doit être reconstruite. Vos propositions seront étudiées avec attention. Nous ne devons pas élaborer un arsenal juridique dans la précipitation, après chaque scandale. Nous souhaitons un dispositif stable, solide, qui responsabilise chaque acteur, comportant un système performant de vigilance, afin de traiter avec célérité les dysfonctionnements.
Votre rapport nous indique le chemin qu'il reste à parcourir. C'est par un travail conjoint que nous y parviendrons. (Applaudissements)
La séance est suspendue à 18 h 25.
présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Débat sur la réforme de la carte judiciaire
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la réforme de la carte judiciaire.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois . - Notre commission des lois a souhaité que notre assemblée fût saisie, en séance plénière, de l'important rapport de M. Détraigne et de Mme Borvo Cohen-Seat. Devant la nouvelle présidente du groupe CRC, Mme Assassi, je veux dire combien Mme Borvo Cohen-Seat a marqué nos travaux par sa combativité et son enthousiasme.
Ce rapport s'intitule : La réforme de la carte judiciaire, une occasion manquée. Oui, une occasion manquée car nul ne contestait qu'il fallait revoir la carte judiciaire. En revanche, la méthode a été vivement contestée. Le jour même, a remarqué un syndicat de magistrats, où un grand quotidien du matin publiait la carte de la réforme, des chefs de cour recevaient une lettre de la Chancellerie ouvrant la concertation ! Il y a eu des ratés. Je pense, entre autres, à la suppression du tribunal de Moulins, que le Conseil d'État a annulée au motif qu'elle relevait d'une « erreur manifeste d'appréciation ». Le Parlement n'a pas été saisi, la réforme ayant été menée par décret. Beaucoup s'en sont émus ici. Je vois M. Hyest opiner... Le Parlement doit être associé à de telles réformes.
M. Roland Courteau. - C'est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - La réforme a conduit à la suppression de 178 tribunaux d'instance, soit le tiers, de 21 tribunaux de grande instance sur 181, de 20 % des conseils de prud'hommes, de 30 % des tribunaux de commerce ; quatorze juridictions ont été créées. À la réflexion, ce qui nous frappe est la réduction des effectifs du ministère, malgré les besoins croissants de la justice : d'après le rapport, entre 2008 et 2012, 80 postes de magistrats et 480 postes de fonctionnaires ont été supprimés. Dans le projet de loi de finances pour 2013, le budget de la justice est d'équité (M. Roland Courteau approuve) avec la création de 500 postes. Je salue cet effort accompli dans une situation dont nous connaissons la difficulté, alors que le Gouvernement s'apprête, avec beaucoup de courage, à augmenter de 20 milliards les impôts et à réduire les dépenses de 10 milliards. Le moins que l'on puisse dire est que ce n'est pas là le chemin de la facilité.
M. Détraigne va présenter dans quelques instants les pistes envisagées par la commission des lois. Certaines mesures n'ont pas rencontré les résultats espérés : les audiences foraines, les maisons de la justice et du droit ne sauraient suppléer l'absence de magistrats. Je veux insister : des créations de postes sont nécessaires.
Autre point important, la réforme des cours d'appel. (M. Roland Courteau approuve) Leur ressort n'a aucune cohérence avec la carte administrative. La cour d'appel de Paris a ainsi compétence jusqu'à Auxerre...
Notre commission devra y travailler, comme elle devra creuser la question de savoir comment assurer la justice de proximité, après la suppression des juges de proximité. Le tribunal de première instance ainsi que l'idée d'un guichet unique de greffe sont à examiner.
Notre commission des lois a examiné huit rapports d'information au cours de l'année précédente. M. Hyest en avait défini les sujets, je l'en remercie. Nous avons beaucoup travaillé, en associant un rapporteur de la majorité et un rapporteur de l'opposition. Cette méthode nous assure une crédibilité : le constat, au moins, est partagé. Le travail de M. Détraigne et de Mme Borvo Cohen-Seat contribuera, j'en suis sûr, à alimenter la réflexion du Sénat et de la Chancellerie. (Applaudissements à gauche et à droite)
M. Yves Détraigne, rapporteur du groupe de travail sur la réforme de la carte judiciaire. - Ce rapport est le fruit d'un travail conjoint avec Mme Borvo Cohen-Seat, qui a quitté le Sénat. Si je me réjouis de l'organisation de ce débat en séance publique, j'aurais aimé qu'il fût programmé à une heure où l'hémicycle est plus garni...
Depuis 1958, la carte judiciaire avait peu évolué, la réforme était donc une nécessité. Celle-ci a abouti à la réduction de plus d'un tiers des implantations judiciaires en France : il en reste 819, sur 1 206.
M. Roland Courteau. - Hélas !
M. Yves Détraigne. - La méthode employée, M. Sueur l'a dit, est contestable : la concertation a été menée au pas de charge. Qu'il suffise de rappeler que le comité consultatif de la réforme a été réuni une seule fois, le 27 juin, jour même de l'annonce des décisions. Les concertations locales ont été riches mais la Chancellerie n'en a pas tenu compte. D'où une vive opposition : quelque 200 recours ont été déposés devant le Conseil d'État.
Réformer par décret et durant l'été avait un avantage : aller vite. Mais la réforme n'a pas été coordonnée avec celle des implantations administratives liée à la RGPP, renforçant dans les villes moyennes le sentiment d'un abandon de certains territoires, déjà frappés par la fermeture d'autres services publics. En outre, la réforme n'a pas été menée en coordination avec d'autres réformes de la justice, comme celle des pôles de l'instruction. Surtout, et c'est la critique majeure, certains territoires y ont perdu la dimension de proximité, de la justice. La qualité a été sacrifiée à l'exigence de quantité. Certes, une borne de visioconférence a été installée à Saint-Gaudens ou à Hazebrouck. Pour autant, celle-ci est difficile d'accès pour des publics précaires qui ne manient pas le langage du droit.
Je ne m'attarderai pas sur le volet immobilier de la réforme. Le coût est de 340 millions, contre 900 millions envisagés. Mais quid des éventuels surcoûts ? Les palais de justice étaient souvent mis à disposition gratuitement par les collectivités territoriales ; les regroupements ont nécessité la location de nouveaux locaux. L'accompagnement, notamment financier, du personnel a laissé également à désirer.
Quel est le bilan ? Certes, il y a eu rationalisation. Mais pourquoi avoir supprimé le tribunal de Guingamp, par exemple, dont l'activité était suffisante ? Il aurait fallu une réflexion globale. Bordeaux, l'un des tribunaux les plus surchargés, a absorbé trois des quatre tribunaux d'instance supprimés en Gironde, ce qui n'a fait qu'aggraver son engorgement. Souvent, le critère comptable a prévalu.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : dans certains cas, les suppressions étaient amplement justifiées. En revanche, pourquoi avoir créé des déserts judiciaires en Bretagne intérieure ou entre Clermont-Ferrand et Le Puy-en-Velay ?
Bref, avec Mme Borvo Cohen-Seat, nous pensons que le monde judiciaire a besoin d'une pause pour digérer les réformes qu'il a subies avant toute nouvelle réforme, qui devrait être soumise au Parlement. Nous proposons, entre autres pistes, de se donner les moyens d'organiser des audiences foraines, voire avec des chambres détachées. L'audience foraine peut être une bonne chose si ses modalités sont améliorées. Surtout, nous préconisons la clarification des juridictions de première instance. Cela pourrait passer par la création d'un tribunal de première instance, formule qui semble emporter l'adhésion de la majorité des acteurs. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ? (Applaudissements)
Mme Éliane Assassi . - À mon tour de me réjouir de ce débat. La Haute assemblée peut remercier Mme Borvo Cohen-Seat de son travail remarquable. Sans cesse, elle s'est battue pour l'accès au droit, sans lequel il n'est plus de libertés fondamentales, pensait-elle avec raison.
La réforme de la carte judiciaire, menée par la précédente majorité sous la houlette de Nicolas Sarkozy, est caractéristique de la destruction méthodique du service public, dans une logique purement comptable. Elle se solde par un échec. Les économies escomptées n'ont pas eu lieu, les concentrations de juridictions ont été faites à l'aveugle et ce en période de croissance de l'activité judiciaire, au détriment de la proximité.
Ce rapport examine des pistes, dont chacune présente des inconvénients que ce soient les audiences foraines, difficiles à organiser, ou les maisons de la justice et du droit. Il faudra des solutions plus pérennes, en concertation avec les professionnels de la justice, qui ont été malmenés, méprisés, sous la précédente majorité. En audition, beaucoup l'ont dit et je veux rendre hommage à leur dévouement.
Nous serons attentifs à la politique du Gouvernement, en espérant que la création de 500 postes se confirme dans le prochain budget. Une réflexion d'ensemble est nécessaire. En matière de justice, il n'y a pas lieu de faire des économies ! (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jacques Mézard . - Oui, il fallait réformer la carte judiciaire mais pas à la hussarde. Nous avons eu un simulacre de concertation, je le dis d'autant plus simplement que je l'ai vécu. Ce ne fut qu'une déclinaison de la RGPP dans le domaine de la justice.
La justice est rendue par les magistrats au nom du peuple français. Le peuple français a-t-il trouvé son compte dans cette réforme ? Non, pas plus que les magistrats, les greffiers ou les avocats. Le peuple français a besoin d'une justice de proximité, de professionnels connaissant le droit et accessibles. C'est la garantie de régler rapidement les conflits, voire d'en éteindre les feux.
Qu'une cour d'appel soit à 100 kilomètres, peu importe, on s'y rend tout au plus une fois dans sa vie. En revanche, le tribunal d'instance joue un rôle primordial. C'est lui, le premier conciliateur. Et on a oublié l'accumulation des dossiers de tutelle...
Ce fut une politique de Gribouille : après la suppression des tribunaux d'instance, celle des juges de proximité pour inventer les citoyens assesseurs. Ce n'était pas raisonnable, je l'avais dit.
Réduction du nombre des magistrats, des greffiers dont nous avons tant besoin, tout cela a diminué la justice de proximité. Madame la ministre, épargnez-nous les audiences foraines. Nous ne somme plus au Moyen Âge ! Ce dont la justice a besoin, c'est de moyens ! (Applaudissements à gauche)
Mme Hélène Lipietz . - Je salue la qualité de ce rapport, même si je regrette l'absence de comparaisons internationales.
La réforme de la carte judiciaire, purement matérielle, n'a pas été pensée : dans l'Yonne, la justice civile dépend de la cour d'appel de Paris, la justice administrative, de celle de Dijon ! Absence de concertation, n'en déplaise au garde des sceaux de l'époque, primat des considérations financières, cette réforme n'a pas atteint l'objectif annoncé : renforcer la qualité de la justice. La justice n'est pas fille de petite vertu. Des palais où elle se rend, on ne peut se contenter d'évoquer le coût.
Le maillage des transports en commun n'a pas été pris en compte dans les regroupements de juridictions. Si bien que les habitants de l'Yonne déposent moins de recours. Voilà un bon moyen de réaliser des économies ! On impose une heure de voiture à un Seine-et-Marnais, ce qui alourdit le bilan carbone, à moins qu'il ne préfère prendre le train, ce qui le fera passer par Paris.
M. Jean-Jacques Hyest. - Allons ! Il y a le Seine-et-Marne-express !
Mme Hélène Lipietz. - Ce n'est pas le train.
On a imaginé des palliatifs comme les maisons de la justice et du droit ou les points d'accès au droit, l'État se déchargeant de ses responsabilités sur les collectivités territoriales. Cette situation appelait un bilan. Heureusement, les personnels au ministère de la justice sont dévoués !
Dans un rapport publié fin septembre, le Conseil de l'Europe notait que la France consacre 60,50 euros par an et par justiciable à la justice, soit moitié moins que les Pays-Bas, hors budget pénitentiaire. Nos procureurs ont à charge 2 533 dossiers par personne et par an quand la moyenne européenne est de 615 ; il ne faut donc pas s'étonner qu'il y ait tant de classements sans suite.
Madame la ministre, je sais pouvoir compter sur vous pour remédier à cette situation, et réformer notre justice ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest . - Certes, le rapport a été adopté à l'unanimité, mais cela signifie simplement que nous avons autorisé sa publication !
La réforme de la carte judiciaire ? Nous n'en sommes pas à notre coup d'essai. Il y a eu, avant ce rapport, de nombreux excellents travaux sénatoriaux, le rapport Haenel-Arthuis, le rapport Fauchon-Jolibois.
La concertation ? M. Jospin était résolu à revoir la répartition des forces de police et de gendarmerie. Il a consulté les élus. Moyennant quoi il a dû renoncer à cette réforme à laquelle il tenait : chaque élu voulait garder ce qu'il avait.
Les suppressions de postes sont dues à la revue générale des politiques publiques, pas à la réforme de la carte judiciaire. Le budget de la justice s'est quand même bien accru depuis mon entrée au Parlement, en 1986. Les chefs de cour ont été à peu près consultés.
Je pourrais épiloguer sur le tribunal d'instance de Bazas. Vous savez où c'est ? Non, bien sûr. C'est en Gironde, un département bien loti en tribunaux, celui de Montesquieu et de l'École nationale de la magistrature. Je ne vais pas pleurer sur tous les tribunaux disparus. Certains ne fonctionnaient qu'à peine. En revanche, j'ai été fort surpris par le faible nombre de TGI supprimés.
Et puis, pourquoi avoir évacué la question des cours d'appel ? Le ressort de celle de Paris va jusqu'à l'Yonne. Celle d'Aix-en-Provence a des délais invraisemblables. Sans doute y avait-il dans certaines une marge de productivité...
La réforme était nécessaire et utile. Les moyens ont suivi. Le président de la première cour d'appel de Douai souligne les difficultés de fonctionnement de son tribunal -dont les jeunes magistrats fraîchement nommés ne cherchaient qu'à se sauver. Souvenons-nous de l'affaire d'Outreau : un trop petit tribunal ne rend pas forcément bien la justice.
En revanche, les rapporteurs le notent objectivement, tout le monde est satisfait de la réforme de la justice consulaire -pour laquelle nous ne voulons pas trop de proximité, afin d'éviter les conflits d'intérêts. Les suppressions de conseils de prud'hommes étaient bienvenues.
La suppression du juge d'instruction ? Une idée qui a fait hurler ! Les pôles de l'instruction n'ont jamais vraiment fonctionné.
Les juges de proximité ? J'y étais favorable, mais pas aux juridictions de proximité. Le président de la République de l'époque, pas le dernier, les voulait et personne n'a osé lui dire pourquoi ce n'était pas à faire. L'association des juges d'instance n'était pas d'accord avec les juridictions de proximité mais n'avait rien contre l'idée d'un juge spécialisé. On aurait pu, dans ces conditions, charger les juges de proximité des petits contentieux.
En fait, l'institution judiciaire est rétive au changement... Et souvenez-vous des magistrats à titre temporaire ! Ils n'ont jamais passé la barre ; or tout le monde se satisfait des conseillers référendaires dans les plus hautes juridictions. Des assistants à l'allemande pourraient être fort utiles aux magistrats. Ou alors, acceptons que les greffiers deviennent ces assistants.
Le tribunal de première instance ? Pas facile -et pas seulement à cause de l'inamovibilité des juges. D'ailleurs, cela ne favoriserait pas la proximité mais faciliterait la rotation des juges.
Le vrai problème, c'est la judiciarisation de notre société.
M. Alain Néri. - Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. - Je l'ai dit : à multiplier les procédures, on ne pourra plus suivre. Regardez le contentieux du surendettement. Attention à ces phénomènes inquiétants. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Henri Tandonnet . - La réforme de la carte judiciaire a réduit du tiers le nombre d'implantations judiciaires en France. Je salue ce rapport de grande qualité : de fait, le justiciable n'a été que trop peu pris en compte dans cette réforme purement comptable. Le gouvernement de l'époque n'a pas saisi le Parlement, se privant d'un champ de réflexion élargi. Il fallait distinguer le contentieux de masse du contentieux spécialisé.
L'organisation des tribunaux ne donne jamais la parole au justiciable. Leur donner la parole, directement ou via les avocats, aurait facilité les choses, notamment dans l'organisation des chambres détachées.
La fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance dans un tribunal de première instance apporterait de la lisibilité pour le justiciable et les moyens pourraient être utilement mutualisés.
Le guichet unique du greffe simplifierait les démarches du justiciable. Un problème toutefois : la représentation des justiciables n'est pas la même devant le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance. Il faudrait envisager une représentation simplifiée.
Dans mon département du Lot-et-Garonne, les suppressions de tribunaux, de Marmande et Villeneuve-sur-Lot notamment, ont été vivement contestées. Les cours d'appel n'ont pas été touchées par la réforme, regrettent certains. Celle d'Agen est l'une des plus petites de France ; elle pourrait donc être visée par une suppression...
La carte des cours d'appel ne coïncide pas avec celle des régions et serait, dit le rapport, incompréhensible pour le citoyen. La cour d'appel d'Agen couvre avant tout un bassin de vie, celui de la moyenne Garonne ; pourquoi devrions-nous nous rattacher tous aux grandes métropoles -en l'occurrence à Bordeaux- dont les juridictions sont déjà surchargées ? Les personnels, en particulier les agents de catégorie C, qui vivent bien à Agen, n'auraient pas la même qualité de vie à Bordeaux ou Toulouse. L'implantation de l'École nationale d'administration pénitentiaire à Agen a d'ailleurs été un succès. Rappelons-nous que la réforme des cours administratives d'appel a été jugée inefficace par la Cour des comptes. Il n'y a que 28 cours d'appel en France, alors que le contentieux explose. Plutôt que d'en supprimer, mieux vaut envisager des redéploiements et des spécialisations. La justice doit rester proche des justiciables ; proximité rime souvent avec aménagement durable du territoire (Applaudissements au banc de la commission)
Mme Virginie Klès . - Réforme de la carte judiciaire, ou plutôt réduction comme on dit à raison sur le terrain... Ma plaidoirie sera à charge.
M. Jean-Jacques Hyest. - ça s'appelle un réquisitoire !
Mme Virginie Klès. - Personne ne conteste la nécessité de la réforme. Pourtant... Elle est intervenue dans un contexte particulier, marqué par la multiplicité de réformes souvent inutiles et coûteuses, comme celle des avoués, celle des citoyens assesseurs, de l'application des peines, de la garde à vue, des tribunaux de proximité. Toutes ont aggravé l'éloignement du citoyen et augmenté les charges et les délais de traitement des affaires. Le tout dans un contexte de recours croissant à la justice, d'annonces et de promesses non tenues du précédent gouvernement. La concertation n'a été qu'un mot, les moyens pour les audiences foraines et les MJD n'ont pas suivi. Idem pour les postes... « Rien, ce n'est pas grand-chose, mais trois fois rien, c'est encore moins que rien », disait Raymond Devos...
La méthode retenue, purement cartographique et quantitative, a oublié la nature des dossiers traités, le citoyen, la fragilité des publics, les spécificités territoriales, les réticences argumentées des professionnels. D'où des incohérences. Le TGI de Saint-Malo, a été rapproché de Dinan ; résultat, un imbroglio récurrent entre l'Ille-et-Vilaine et les Côtes-d'Armor. Où est la simplification ?
Ce que nous avons vu apparaître, ce sont des déserts judiciaires, en Bretagne intérieure comme ailleurs. Les moyens de la justice ont diminué dans les secteurs ruraux plus que dans les secteurs urbains. Décidément, le gouvernement précédent avait un curieux sens de l'arithmétique ! Il a oublié la mise à disposition gracieuse de locaux par les collectivités locales et contraint la justice à payer ailleurs des loyers... Le patrimoine de l'État est géré à l'aveugle...
Bref, le délai de traitement des dossiers a augmenté, on a éloigné le personnel et le justiciable du lieu où la justice est rendue. Or pour les plus fragiles, il faut une justice à proximité immédiate du citoyen. On a aussi constaté, notamment en Bretagne, une augmentation des personnels à temps partiel, justifiée par les nouveaux temps de transport. Le tout pour un coût gigantesque ! Cette réforme, j'en prononce ici l'acte de condamnation !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - C'est Robespierre !
Mme Virginie Klès. - Attention cependant aux réouvertures qui désorganiseraient à nouveau la justice.
Oui à la réforme des cours d'appel, qui doit être transparente. Oui, surtout, à la concertation, à la réflexion. Faisons une pause, écoutons, réfléchissons. Pour les professionnels de la justice, je vous en remercie. (Applaudissements à gauche)
M. Stéphane Mazars . - Je me réjouis que la justice bénéficie d'un effort budgétaire, comme je me réjouis des changements annoncés depuis mai dernier. La réforme de la carte judiciaire, menée à la hussarde, fut une occasion manquée, cela a été dit et répété ; le critère de la taille suffisante, le seul alors retenu, ne suffit pas à garantir une justice de qualité.
Mon département de l'Aveyron a été le plus frappé de France : cinq juridictions y ont été supprimées. Là comme ailleurs, la réforme n'a pas plus pris en compte le critère de proximité que la fragilité des publics concernés. La distance ainsi créée entre le justiciable et le juge est préjudiciable à une bonne justice. Le nombre de recours au tribunal d'instance est d'ailleurs en baisse. Les droits de la défense sont mis à mal, notamment pour les plus faibles, à cause de l'éloignement des cabinets d'avocats. Les MJD, les audiences foraines ne sont pas des réponses adaptées.
D'autres réformes ont aggravé les choses, comme la création des pôles d'instruction. La victime d'un crime devra faire 350 kilomètres aller et retour pour rencontrer son juge, soit dans mon département, quatre heures trente en voiture et huit à douze heures en train jusqu'à Montpellier...
La création de juridictions départementales de première instance ou de nouveaux pôles peut répondre à l'exigence de rationalisation et de maillage judiciaire cohérent. Autant de pistes à explorer. À l'heure où vous restaurez l'image de notre justice, elle doit être plus visible, partout et en tout lieu ! (Applaudissements à gauche)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Personne ne conteste la nécessité de la réforme de la carte judiciaire. Engagée en juin 2007 sur commande du président de la République, elle s'est achevée le 1er janvier 2011, après la suppression d'un tiers des juridictions. Est-ce un succès pour autant ? Animée par une ambition exclusivement comptable, elle a en réalité porté un mauvais coup au service public de la justice. Le passage en force, sans concertation, par décret, ne laissait rien augurer de bon. Les acteurs de la justice ont critiqué le manque de cohérence, les critères retenus. Les pressions politiques locales semblent d'ailleurs avoir pesé davantage que les considérations objectives...
L'accès à la justice des plus vulnérables a été restreint, les zones rurales ont été plus pénalisées que les grandes villes. Les délais de jugement ont augmenté. L'implication des personnels, via les audiences foraines, a permis de faire face à l'accroissement de l'activité, mais au prix d'une dégradation de leurs conditions de travail et de vie. Et si le coût de l'immobilier doit diminuer à terme, aujourd'hui des locaux mis gracieusement à disposition sont abandonnés pour la location de nouveaux locaux...
Je regrette que les territoires d'outre-mer aient été largement oubliés -ou, vu le bilan mitigé de la réforme, peut-être était-ce une chance ? (Sourires) Dans nos territoires, ce sont parfois des milliers de kilomètres qui séparent le justiciable du tribunal ! Parfois, le seul moyen de transport est l'avion. Je veux une justice pour tous. Je vous sais sensible à la question, madame la ministre.
Oui, il faut réformer les cours d'appel. La Guyane dispose d'une cour d'appel depuis le 1er janvier 2012 : il était temps ! Mais Mayotte attend toujours la sienne. Mamoudzou est distante de Saint-Denis de 1 500 kilomètres...
Nous attendons du Gouvernement actuel qu'il repense l'architecture judiciaire du pays en revoyant certaines incohérences. L'institution judiciaire ne pourra remplir sa mission sans créations de postes, ni réhabilitations de nombreux bâtiments judiciaires. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Camani . - La réforme était nécessaire, on l'a dit. Mais elle aurait dû s'inscrire dans une refonte globale de l'institution judiciaire. Or on sait comment Mme Dati l'a menée : sans concertation, avec brutalité, dans la seule perspective comptable. Quelles mesures de correction apporter pour en atténuer les effets pervers ? Telle est aujourd'hui la question. Il faut en attendant saluer l'implication des personnels qui ont fait en sorte que l'institution fonctionne de la meilleure façon possible, malgré les conditions extrêmement difficiles qui leur étaient faites.
Le rapport de Mme Borvo Cohen-Seat et M. Détraigne dresse un constat sévère, sur la méthode d'abord. Les avis des tribunaux d'instance n'ont pas été suivis. Aucune étude d'impact n'a été réalisée. Sur le fond ensuite : le critère de la taille suffisante a conduit à de nombreuses fermetures et suppressions de postes, surchargeant certains greffes, allongeant les délais au détriment des justiciables les plus fragiles et des parties civiles. Les Français finissent par ne plus croire en la justice de leur pays...
Le budget de la justice est trop faible : moins de 60 euros par an et par habitant, le double en Allemagne, qui compte deux fois et demi plus de juges que la France à population équivalente.
Les précédents gardes des sceaux affirmaient qu'une justice de proximité, ce n'était pas un tribunal à côté de chez soi. Mais saisir la justice est pour certains une démarche très difficile, lourde de conséquences, la distance peut être un obstacle insurmontable. Et les nouvelles technologies ne résolvent pas tout ; au contraire, la visioconférence risque de conduire à une déshumanisation de la justice.
Le Lot-et-Garonne, que je préside, a vu nombre de ses tribunaux rayés de la carte. Celui de Marmande, qui rendait 1 500 jugements à l'année pour 100 000 habitants, est l'un d'eux. Il était logé gratuitement par la commune. Le juge aux affaires familiales se caractérisait par sa diligence, la délinquance était traitée rapidement. Le délai de traitement des affaires était, en moyenne, de sept mois maximum avec un taux de réponse pénale de 90 %. Aujourd'hui, chacun doit se déplacer -le bilan carbone de la réforme doit être édifiant ! La création des chambres détachées pourrait améliorer les choses. Le maire de Marmande le demande ; allez-vous lui répondre favorablement ?
La cour d'appel d'Agen rend avec célérité et efficacité les appels d'Agen, Auch et Cahors. La fermer conduirait à surcharger les cours d'appel de Bordeaux et de Toulouse, déjà débordées. Si tel était le cas, comment justifier la présence de l'École d'administration pénitentiaire d'Agen ou celle du centre pénitentiaire ?
Notre département rural tient à conserver ses services publics. La justice au quotidien est une attente de nos citoyens. À nous d'y répondre. (Applaudissements à gauche ; M. Henri Tandonnet applaudit également)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - J'ai grand plaisir à participer à cette séance de débat -j'en ai apprécié l'ambiance. J'ai reçu avec intérêt vos rapporteurs à la Chancellerie pour une séance de travail. Je salue leur façon d'empoigner la question de la carte judiciaire, la qualité de leur travail, la méthode employée. Je regrette l'absence de Mme Borvo Cohen-Seat, tout en adressant mes voeux à la nouvelle présidente du groupe CRC.
La qualité des interventions était de haute tenue ; rien d'étonnant dans cette Haute assemblée, maison de grande franchise et de grande rigueur. La modération de M. Hyest, qui a tenu à défendre la réforme, montre surtout sa lucidité ! (Sourires) Ici, je le sais, on évite les polémiques. Mon cabinet est à votre disposition pour répondre aux questions locales. Nous voulons parler avec vous, trouver avec vous les meilleures solutions.
Cette réforme, qui s'est déroulée de 2007 à 2011, a concerné un tiers de nos implantations judiciaires, frappant particulièrement les tribunaux d'instance. Sans ménagement, alors qu'il s'agit de tribunaux de proximité. L'attachement des citoyens et des élus à leur égard méritait qu'on prît davantage de précaution. Or la concertation a été pauvre, le comité consultatif n'a été réuni qu'une seule fois. Des déserts judiciaires ont fait leur apparition -sans que le Parlement ait été consulté sur une réforme d'une telle ampleur. Incontestablement, le gouvernement d'alors pouvait agir par décret...
M. Jean-Jacques Hyest. - Article 34 !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Notre Gouvernement souhaite, pour sa part, consulter les parlementaires et bénéficier de leur expérience. Les consultations effectuées sur le terrain n'ont pas été appréciées à leur juste valeur, malgré les efforts des personnels.
La réforme était nécessaire : il n'y en avait pas eu depuis la création, en 1958, des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance. Entre-temps, certains aménagements ont été apportés : des créations de TGI dans les grandes villes de banlieue, dont Nanterre, dans les années 1960, puis de trois cours d'appel dans les années 1970, la création des juges de proximité. N'oublions pas la réforme des tribunaux de commerce menée par Mme Guigou en 1999, qui ne donna lieu à aucun recours en Conseil d'État. Pourquoi ? En raison de la méthode utilisée : la concertation et la consultation de spécialistes. Il y avait donc lieu d'agir autrement pour la réforme de la carte judiciaire. Nous devons aux personnels judiciaires de l'avoir absorbée.
Cela dit, il faut reconnaître à cette réforme quelques vertus, encore que...
M. Jean-Jacques Hyest. - La vertu est toujours relative ! En politique, du moins !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Moi qui avais encore des illusions ! Je pense que vous feignez le désenchantement, monsieur Hyest ! (Sourires)
Une nouvelle réforme ? Elle serait mal vécue par les magistrats, les greffiers, les fonctionnaires et les justiciables, qui ont été fort bousculés. En revanche, nous procéderons à des ajustements, ressort par ressort, pour assurer une présence judiciaire adaptée à chaque territoire. Le Conseil d'État a fait de nombreuses observations. De fait, le principal défaut de cette réforme était de procéder d'un diktat comptable et non d'une réflexion sur l'organisation judiciaire. Raisonnons autrement : la proximité n'est pas toujours une obligation absolue, a bien dit M. Mézard ; en revanche, elle est nécessaire pour les contentieux du quotidien, le surendettement, les affaires familiales et sociales, le logement. Il faut réfléchir à la forme qu'elle peut prendre là où les tribunaux d'instance ont été supprimés.
M. Mézard a exprimé son aversion pour les audiences foraines, soit. Elles donnent pourtant largement satisfaction dans certaines juridictions. Pour autant, elles ne sauraient être la panacée. Il existe d'autres outils comme les MJD, dont il faudra repenser les critères car elles n'ont pas vocation à se substituer aux tribunaux -je vois que M. Hyest approuve. Bref, il faudra réfléchir aux formes de la présence judiciaire ?
La réforme a conduit à un allongement des délais de traitement de 10 à 20 % dans les cours d'appel, tandis que la demande de justice diminuait de manière significative, parfois jusqu'à 20 %. Nous ne pouvons pas l'accepter. La justice de proximité est structurante pour la démocratie. Organiser des déserts judiciaires, c'est fragiliser le lien social.
La bonne méthode serait de réfléchir à la répartition du contentieux. Nous associerons pleinement le Parlement à la réflexion, sous quelque forme que ce soit -auditions, séances de travail... L'option du TPI, sans faire de passéisme, n'est pas écartée. Toutes les options sont sur la table. Faut-il se contenter de réunir tribunal d'instance et tribunal de grande instance ou aller jusqu'à inclure les tribunaux des prud'hommes et de commerce ? Trouvons des réponses adaptées à chaque territoire. Peut-être devrions-nous avoir des tribunaux de conciliation dans certains endroits...
En effet, l'Aveyron a été durement frappé : sept suppressions de tribunaux. Nous en tiendrons le plus grand compte.
L'extension du réseau informatique et celle des guichets uniques de greffe sont également des questions sur la table.
Monsieur Hyest, nous discuterons bientôt très précisément du budget de la justice. Sans attendre, je rappellerai simplement que s'il a crû dans le passé, c'était surtout celui du volet pénitentiaire, à une époque où la politique pénitentiaire était déconnectée de la politique pénale. Cette époque est révolue. La Protection judiciaire de la jeunesse a perdu 600 emplois ces cinq dernières années !
Les assistants et assistants spécialisés ? Je m'y intéresse, j'ai confié une mission à l'Institut des hautes études sur la justice (IHEJ), qui doit réfléchir à l'équipe qui entoure le magistrat.
La judiciarisation de la société est effectivement un sujet. Nous travaillons au développement de la médiation et de la conciliation, dès lors que les libertés ne sont pas en cause, par exemple pour les divorces par consentement mutuel sans enfants ni patrimoine, afin de désengorger les tribunaux. Cela promet de beaux débats...
Les juges de proximité ? Leur travail est d'une grande utilité, la Chancellerie cherche les moyens de redéfinir leur place.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Information importante ! Certains d'entre nous pensaient qu'ils seraient supprimés.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Il faut reconnaître le travail effectué.
Monsieur Tandonnet, la collégialité à l'instruction sera effective en 2014, elle est nécessaire. La proximité, soyez-en certain, est une de mes préoccupations. Nous en reparlerons. Mme Klès s'est inquiétée de la réforme des avoués : elle a été difficile et coûteuse. Monsieur Mohamed Soilihi, une concertation est en cours à Mayotte. La création d'une cour d'appel n'est pas envisagée pour l'heure... Cela dit, je suis sensible à cette question de la distance, connaissant la situation guyanaise -nous sous sommes battus pendant vingt ans pour notre cour d'appel ! On ne peut arguer d'un faible volume d'appels pour refuser la création d'une cour, l'éloignement fait régresser la demande de justice. Travaillons ensemble pour examiner dans quels délais cette cour d'appel pourrait être créée. En attendant, la visioconférence pour les audiences de procédure améliore les conditions d'accès à la justice.
Pour conclure, mes services et moi-même sommes à votre disposition. Nous devons avancer sur la démocratie interne dans les tribunaux en mettant en place des conseils de tribunaux associant tous les acteurs, y compris et surtout les justiciables.
Nous avons quelques grands défis devant nous : la dématérialisation des procédures, la signature électronique. Je ne doute pas que nous les relèverons en utilisant la bonne méthode : la concertation. Le débat de ce soir, original et fécond, est de bon augure ! Je vous en remercie. (Applaudissements à gauche et au centre)
Prochaine séance demain, mardi 2 octobre 2012, à 9 h 30.
La séance est levée à 23 h 55.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du mardi 2 octobre 2012
Séance publique
À 9 heures 30
1. Questions orales.
De 14 heures 30 à 17 heures
2. Débat sur l'application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
De 17 heures à 19 heures 30
3. Débat sur l'économie sociale et solidaire.
De 21 heures 30 à minuit
4. Débat sur l'application de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.