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Table des matières
Organisme extraparlementaire (Candidatures)
Décision du Conseil constitutionnel
Questions prioritaires de constitutionnalité
Violences faites aux femmes (Proposition de résolution)
Exploitation numérique des livres (Conclusions de la CMP)
Mise au point au sujet d'un vote
Organisme extraparlementaire (Nominations)
Ports d'outre-mer (Conclusions de la CMP)
Commémoration de tous les morts pour la France le 11 novembre (Conclusions de la CMP)
SÉANCE
du lundi 13 février 2012
63e séance de la session ordinaire 2011-2012
présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président
Secrétaires : Mme Michelle Demessine, M. Hubert Falco.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Organisme extraparlementaire (Candidatures)
M. le président. - Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer. La commission de l'économie propose la candidature de Mme Anne-Marie Escoffier pour siéger en qualité de membre suppléant ; la commission des affaires européennes propose la candidature de Mme Karine Claireaux pour siéger en qualité de membre titulaire.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. - M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 9 février 2012, le texte d'une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature.
Questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 10 février 2012, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
M. le président du Conseil constitutionnel a en outre communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 10 février 2012, deux décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité.
Violences faites aux femmes (Proposition de résolution)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution relative à l'application de certaines dispositions de la loi du 9 juillet 2010, concernant les violences faites aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - Je remercie Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes d'avoir permis l'inscription de cette proposition de résolution à l'ordre du jour.
Le 29 mars 2005, le Sénat a adopté à l'unanimité notre proposition de loi et celle du groupe CRC tendant à lutter contre les violences faites aux femmes ou au sein des couples. C'était une première au Parlement. Enfin, nous osions regarder la vérité en face ! Enfin, nous osions faire tomber les tabous ! Nous avons érigé en priorité nationale la lutte contre ce fléau. Il était temps. La législation était alors bien lacunaire. Sans doute préférait-on ignorer un mal qui dérange...
Nombre d'associations ont salué la loi du 4 avril 2006. Le voile du silence s'est enfin déchiré ; la parole des victimes s'est enfin libérée ; les victimes osent enfin porter plainte.
En juin 2007, nous avons déposé une deuxième proposition de loi, puis une troisième, en novembre, pour compléter le dispositif. La dernière a abouti à la loi du 9 juillet 2010. L'article 13 de la loi de 2006 dispose que le Gouvernement dépose tous les deux ans un rapport sur la politique nationale en la matière. Ces rapports sont très importants pour mesurer l'évolution de la situation : quels sont les besoins en structures de soins pour les auteurs ou d'hébergements pour les victimes ? La justice prononce-t-elle des mesures d'éloignement ? Six ans après cette loi, nous devrions disposer de trois rapports ; mais le Gouvernement n'en a déposé qu'un seul, en 2009. Les associations manquent de structures, les magistrats ne peuvent éloigner les auteurs de violences faute de logements ; on ne compte qu'une dizaine de centres de soins ! Combien de temps devrons-nous encore attendre ?
La loi du 9 juillet dispose, dans son article 21, que le Gouvernement dépose un rapport avant le 30 juin 2011 sur la formation des acteurs de toute la chaîne des intervenants -qu'ils soient médecins, avocats, personnels ou soignants. C'est vital pour la prévention. Quand le rapport sera-t-il remis ?
Les violences conjugales et sexuelles sont parmi les plus traumatisantes : 60 % à 80 % des victimes développent des troubles psychosomatiques chroniques, parfois leur vie durant. Sous-estimer ces violences et leurs conséquences, c'est abandonner les victimes à leur sort ; sans soins spécifiques, elles sont vulnérables et tentent de se réparer comme elles le peuvent avec des stratégies de survie qui sont souvent facteurs d'exclusion. L'OMS souligne qu'avoir subi des violences dans son enfance est un des principaux facteurs de risque de subir ou de commettre soi-même des violences. Si rien n'est fait, la violence engendre la violence dans un cycle sans fin. La mémoire traumatique est une machine à remonter le temps ; les victimes développent des conduites d'évitement, des phobies, des conduites à risques... D'où l'importance de la formation, pour bien accueillir, bien protéger, bien accompagner.
Mesure phare de la loi de 2010, l'ordonnance de protection est très diversement appliquée. Dans les départements où des partenariats ont été établis entre magistrats, travailleurs sociaux et associations, cela se passe bien. Moins bien, là où les magistrats manquent de moyens... Et certains semblent réticents. Les délais sont longs, de quatre à cinq semaines, alors que la loi de 2010 dispose que le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence une ordonnance de protection. Parfois, le délai n'est que de 72 heures. Mais en Île-de-France, il peut atteindre dans des cas très particuliers cinq à six mois ! Heureusement que les associations prennent le relais ! Il faut informer largement sur cette procédure et raccourcir les délais. Ses effets positifs sont immédiats, tant pour protéger la victime que sur l'auteur des violences.
Pour changer les mentalités, la loi de 2006 devrait être relayée par d'autres dynamiques. Il faut agir en amont, dès l'école. Il faut un vrai travail d'éducation sur l'égalité entre les sexes, le respect mutuel, la lutte contre les préjugés sexistes. Le sexisme, c'est la tendance à vouloir inscrire la différence dans « un rapport hiérarchique de domination où le masculin l'emporte sur le féminin », une construction purement humaine, donc, qui peut et doit être déconstruite ! L'information est dispensée « à tous les stades de la scolarité », dit la loi ; mais les chefs d'établissement n'ont reçu aucune instruction à ce sujet. Quel contenu, quelle fréquence, sous quelle forme ? Ils ne le savent pas. La circulaire du 17 février 2003, par exemple, encadre l'éducation à la sexualité, mais rien pour les violences faites aux femmes, alors que les enfants sont enfermés, dès leur plus jeune âge, dans des représentations stéréotypées.
L'article 24 de la loi de 2010 institue une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes, fixée au 25 novembre. Plus on sensibilisera, plus on alertera et plus vite on fera reculer ce fléau. Mais le dernier 25 novembre est passé presque inaperçu -bien que certains parlementaires aient porté le ruban blanc symbolique et que certaines collectivités et associations se soient mobilisées. Les pouvoirs publics doivent donner à cette journée le relief particulier voulu par le législateur.
Il faut faire évoluer les mentalités. En 2010, 174 personnes sont mortes, victimes des violences de leur conjoint ou partenaire ou ex ; six enfants sont morts en même temps que leurs mères. En incluant les suicides des auteurs et les homicides commis sur des collatéraux, on a déploré 240 décès. Combien d'autres connaissent encore l'enfer ?
Je conclue en saluant l'immense travail des associations.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. - Nous les subventionnons...
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - Attention à ne pas les décourager en lésinant sur les subventions. Sans elles, comment ferions-nous ? (Applaudissements à gauche ; Mme Muguette Dini applaudit aussi)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Je me réjouis que ce débat ait été inscrit à ma demande à l'ordre du jour.
Ces violences ont longtemps été occultées : l'ampleur de ce phénomène de masse n'a été révélée que récemment. En 2008 et 2009, 663 000 femmes ont été victimes de violences conjugales.
La législation, récente, est principalement issue de propositions parlementaires. Il faut voter des lois, mais aussi s'assurer de leur bonne application. (M. Roland Courteau approuve) Je déplore à ce titre que les rapports prévus n'aient pas été déposés par le Gouvernement, qu'il s'agisse de l'application de l'ordonnance de protection aux ressortissants algériens, de la formation des acteurs ou de la création d'un Observatoire national à l'instar de celui qui existe fort utilement en Seine-Saint-Denis.
La loi du 9 juillet 2010 est applicable -les décrets ont été publiés- mais n'est pas véritablement appliquée, faute de moyens. Encore un effet de la RGPP...
Les deux mécanismes de protection de la victime sont peu utilisés, qu'il s'agisse de l'ordonnance de protection, encore mal connue et dont le délai de délivrance est trop long -26 jours en moyenne- ou des dispositifs de surveillance électronique. Le recours au bracelet électronique est trop rare. L'expérimentation du dispositif anti-rapprochement a pris du retard. Le dispositif « femmes en très grand danger », qui repose sur la distribution aux victimes de téléphones portables préprogrammés, est prometteur -on l'a vu à Bobigny. Sera-t-il étendu à l'ensemble du territoire ?
Le nombre de places d'hébergement d'urgence est insuffisant et les structures généralistes sont mal adaptées. Les initiatives locales montrent pourtant que l'on peut aller plus loin -je pense à celle prise conjointement par des maires de la boucle nord des Hauts-de-Seine et l'association Escale. Elles ne dispensent toutefois pas l'État de jouer son rôle.
La prévention doit se faire en direction des hommes violents d'abord ; des enfants, témoins ou victimes de ces violences, ensuite, pour éviter qu'ils ne reproduisent ces comportements ; de la société, enfin, en promouvant le respect mutuel dès l'école. (M. Roland Courteau approuve) Il faut aussi veiller à l'image de la femme et aux représentations sexistes dans les médias. C'est en promouvant une culture de l'égalité entre femmes et hommes que nous ferons changer les comportements ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Vincent Placé. - Contre les violences faites aux femmes, tout n'a pas été fait. Tous les deux jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. La situation, dramatique, est due à un manque de volontarisme politique. Quand il est là, on peut agir ; le conseil régional d'Île-de-France a ainsi obtenu qu'un quota de logements sociaux soit réservé aux femmes contraintes de dé-cohabiter pour cause de violence de leurs partenaires. (Mme Isabelle Debré le confirme)
Il faut soutenir le travail remarquable des associations. Menaces, chantages, séquestrations, viols ou tentatives de meurtre concernent deux millions de femmes en France. Strangulation, défenestration, immolation : les mots sont durs, la réalité aussi. La violence conjugale serait la première cause de décès et d'invalidité, avant la route, et même la guerre chez les femmes de 16 à 44 ans. Il y a pire, si je puis dire : quand un homme humilie, insulte, ridiculise ou isole sa compagne, il anéantit sa dignité.
D'où l'importance d'appliquer la loi -j'espère que notre nouvelle commission contribuera à ce qu'elle le soit. D'après une enquête de victimisation, le taux de révélation de ces actes serait limité à 9 % ! (M. Roland Courteau renchérit) C'est dire que le système est encore aveugle à la souffrance des victimes. D'où l'importance de la formation des acteurs, au sein de la police ou des services sociaux, sans oublier les professionnels de la petite enfance et de l'éducation. Des leviers d'action existent pour renforcer l'égalité femme-homme, assurer la sécurité de nos concitoyennes et de leurs proches, protéger les droits humains. Cet engagement est un combat permanent cher à tout écologiste.
« Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits », disait Olympe de Gouges. Moi, je veux dire : « Homme, réveille-toi » pour que l'égalité soit une réalité ! (Applaudissements à gauche)
Mme Muguette Dini. - Merci à M. Courteau pour son initiative. Une circulaire très complète a été adressée le 1er décembre sur la loi de 2010, mais les résultats restent insuffisants.
Il y a trois types de réponse à ce fléau : par la législation, par la mobilisation des professionnels, par l'évolution des mentalités -l'école et les médias jouent un rôle majeur pour faire évoluer les mentalités.
Toute loi restera lettre morte si les policiers, les gendarmes, les magistrats les professionnels de santé et d'éducation ne s'en emparent pas. Beaucoup reste à faire. L'accueil et l'écoute dans la police et la gendarmerie peuvent être considérablement améliorés. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin approuve)
La doctrine sur la loi de 2010 est édifiante : « certaines dispositions laissent perplexe », dit la Gazette du Palais ; « certaines mesures sont excessives » lit-on aussi -visant en particulier le bracelet électronique ou la garde à vue d'office. Ces commentaires démontrent que l'implication des magistrats est loin d'être convaincante.
Quant aux professionnels de santé, ils hésitent trop souvent à poser des questions aux patients ; et ils n'ont que peu de temps à consacrer à une écoute qui peut les déranger.
L'école, enfin, est aussi confrontée à la violence sexiste. Là aussi, le déni existe. Les tensions actuelles entre filles et garçons sont le produit d'un phénomène que l'on n'a pas su ni voulu traiter. La représentation de la femme soumise, femme-objet, persiste et se renforce même chez les adolescents d'aujourd'hui. Comment combattre le déni de la violence sexiste ? Les chefs d'établissements craignent une médiatisation nuisible à leur image... (M. Roland Courteau approuve)
La construction de la virilité passe trop souvent par le dénigrement des filles, ramenées à leur apparence physique. Dans les cours de récréation, la violence est parfois le seul moyen de communication ; la représentation de la sexualité y est caricaturale, en raison de la pornographie mais aussi de la représentation de la femme dans la société. Les filles surinvestissent leur apparence physique au risque de ne pas se construire pour elles-mêmes ; elles ont intégré le rapport de domination, et en viennent à considérer les violences verbales ou physiques comme normales !
Il faut renforcer les initiatives pour promouvoir dès l'école l'égalité entre les sexes. La formation des professionnels de la communauté éducative est indispensable. Toute action permettant d'avancer est bienvenue : le groupe UCR soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Michelle Meunier. - Décidément, il en faut, de la ténacité, pour tenter de faire avancer la cause des femmes dans le pays des droits de l'homme ! Les femmes sont trop souvent enfermées dans un rôle de conjointe ou de mère : les stéréotypes ont la vie dure ! Enfermer la femme dans la sphère domestique permet aux hommes de s'en dégager pour vaquer à des occupations plus plaisantes et plus valorisantes... Il n'y aura pas d'égalité sans effort ni renoncement de la part des hommes. L'éducation produit une transmission de représentation, dans une société de consommation où l'on offre des poupées aux petites filles et des pistolets aux petits garçons !
Condamnées à assurer la bonne marche du ménage, les femmes subissent des violences de la part de conjoints qui les détruisent pour mieux affirmer leur domination. Subir la violence d'un conjoint -et non d'un inconnu- plonge les victimes dans une détresse toute particulière. Oser porter plainte contre le père de ses enfants n'est pas chose aisée... Elles ont le sentiment d'être responsables de la violence et sont plongées dans l'isolement et le doute. C'est un cercle infernal.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - En effet !
Mme Michelle Meunier. - Seuls 8 % des cas de violence débouchent sur une plainte, dit-on. Mais leurs requêtes, souvent premier contact avec la justice, sont encore trop souvent rejetées ! Cela les enferme dans leur prison et les expose à une violence redoublée. La plupart du temps, les violences les plus graves ont lieu au moment de la séparation ou de son annonce : il ne fait pas bon tenter d'échapper aux griffes du tyran !
Pourquoi une si faible application des textes ? Peu de tribunaux se sont emparés du sujet. Les ordonnances de protection sont rarement accordées, sous divers prétextes, complexité, manque de preuves, crainte de se tromper... Le juge aux affaires familiales est dans un rôle qui lui est peu familier. D'où l'importance de la formation.
La sensibilisation est à développer aussi auprès des professionnels de santé, qui accompagnent les femmes et les enfants ; auprès des policiers et gendarmes -en Loire-Atlantique, ils ont été dotés d'une fiche-guide servant à recueillir une plainte pour violence conjugale. C'est une question de moyens, certes, mais c'est surtout une question de volonté politique.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - Les deux !
Mme Michelle Meunier. - Il faut rester vigilants et tenaces, pour construire enfin la société égalitaire que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements à gauche)
Mme Françoise Laborde. - Les violences faites aux femmes doivent faire l'objet d'une lutte permanente. Le silence des victimes ne doit pas conduire à taire ce fléau, qui fait encore tant de morts. La loi du 9 juillet 2010 offre une réponse globale, associant protection, prévention et répression. Elle fournit aux victimes un bouclier contre l'auteur des violences. Cependant, l'apparente réussite de l'ordonnance de protection est affaiblie par les délais : 26 jours de trop, pendant lesquels ces femmes risquent la mort ! Les femmes étrangères victimes ont théoriquement droit à un titre de séjour -les préfectures ne sont pas censées ignorer la loi !
La formation des professionnels est indispensable, notamment à l'école, et s'est révélée efficace. L'entourage a aussi un rôle à jouer pour aider la femme à prendre conscience de son statut de victime.
Les campagnes médiatiques doivent accompagner la prise de conscience des citoyens quant aux politiques publiques conduites en la matière : un meilleur taux de réponse inciterait les victimes à déposer plainte.
Trois rapports auraient dû être déposés au Parlement, mais ils n'arrivent pas vite. Le 25 novembre est journée de sensibilisation -la première en 2011 n'a pas été bien marquante.
Pour neutraliser la domination au sein du couple, il faut construire une société plus égalitaire. Enfin, je veux saluer le travail des associations, qui ne peuvent ni ne doivent toutefois se substituer à nos institutions.
Les membres du groupe RDSE voteront la proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)
Mme Chantal Jouanno. - Le Sénat a particulièrement contribué à briser le silence coupable qui entourait la violence au sein des couples. Pour l'intérêt général, il sait dépasser les clivages politiques. Continuons à ne pas instrumentaliser des sujets aussi graves...
La loi de 2010, grand progrès symbolique, a créé un délit de harcèlement au sein du couple, ce travail méthodique de sape et de négation de la personne qui conduit la femme à assumer la responsabilité de la violence subie.
L'ordonnance de protection rompt la barrière du silence. Il y a bien un double message : le respect de la personne humaine a sa place dans la sphère privée ; les victimes doivent être incitées à déposer plainte. Elles ne sont que 8 % à le faire et seulement 37 % des plaintes déposées sont jugées recevables. Trente-sept pour cent de 8 % ! Comment mettre fin à cette loi du silence ?
Nous ne pouvons voter la proposition de résolution, à cause de son alinéa 9 : comment pouvez-vous prétendre que ce gouvernement n'a pas suffisamment agi, alors qu'il a porté la loi de 2003 contre les mariages forcés, qu'il a imposé en 2004 que ce soit le mari violent qui quitte le domicile et non la victime, qu'il a augmenté de 30 % les moyens de lutte contre ces violences ? Avez-vous oublié la loi de 2006, reconnaissant le viol au sein du couple ?
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - À notre initiative !
Mme Chantal Jouanno. - Comment tenir votre discours devant Mme Bachelot-Narquin ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Tout ce que nous faisons est mal !
Mme Chantal Jouanno. - Vous auriez pu, monsieur Courteau, vous préoccuper de sujets comme les violences sexistes ou la prostitution qu'il faudra bien abolir. N'oublions pas non plus la garde des enfants. Nous aurions pu nous retrouver sur la question de la prévention, sur l'éducation sexuelle à l'école. La circulaire du 2 décembre dernier a demandé que celle-ci ne soit plus présentée de façon purement technique.
M. Roland Courteau. - Vous n'avez pas lu notre proposition de résolution !
Mme Chantal Jouanno. - Les violences contre les femmes résultent d'une idéologie sociale de domination masculine.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - Nous ne disons pas autre chose !
Mme Chantal Jouanno. - J'ai beaucoup travaillé sur l'hyper-sexualisation de ce qui est présenté aux enfants. Le mouvement d'égalité des années 1970 s'est arrêté et l'on fait machine arrière : on retrouve des jouets, des vêtements, des magazines pour enfant hypersexués, dès le plus jeune âge. Le porno chic a vécu mais la publicité reprend les codes de la pornographie. L'image de la femme est dévalorisée, surtout chez les jeunes. Tandis que notre droit pose le principe de l'égalité, la société crée un nouveau corset. Comment éduquer à l'égalité, quand les jeux ou les émissions télévisées vont en sens contraire ? On trouve sur internet un jeu où il s'agit de violer un maximum de petites filles !
Enfin, sur un tel sujet, je regrette la faible affluence dans cet hémicycle.
M. André Dulait. - Très bien !
Mme Bernadette Bourzai. - La loi de 2006 a été un vrai progrès législatif, grâce à l'obstination de M. Courteau. Désormais, la loi concerne toutes les formes de cohabitation ; le domicile conjugal n'est plus un lieu de non-droit. Hélas, la loi n'a pas été soutenue par une volonté politique suffisante.
La principale innovation législative est l'ordonnance de protection, hélas peu et inégalement utilisée, avec des délais allant de quelques jours à plus de trois semaines. Les associations manquent de lieux d'accueil, et la médiation conjugale reste une pratique fréquente. La loi a libéré la parole des femmes, y compris en milieu rural : une association corrézienne qui rayonne sur tout le Massif central reçoit quotidiennement des appels !
Malgré l'article 23 de la loi, aucune instruction n'a été envoyée aux établissements scolaires pour organiser l'éducation à l'égalité : la RGPP est passée par là... Nous attendons aussi l'observatoire national annoncé. Bien que la France ait signé la Convention d'Istanbul, elle n'a pas encore ratifié ce texte qui impose d'aider les victimes et d'organiser une prévention. La France s'honorerait à le faire au plus vite. (Applaudissements à gauche)
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. - Je l'ai dit le 24 novembre 2011, je l'ai réaffirmé devant l'Assemblée nationale le 6 décembre 2011 à propos de la résolution sur la prostitution : les violences faites aux femmes ne sont pas des faits divers, ce sont des faits majeurs ! J'assume cette répétition, quand 3 millions de femmes sont victimes de violences chaque année, que plus de 70 000 sont violées, qu'une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint. Ces chiffres sont insupportables !
Les statistiques ? Nous n'en avons que depuis une dizaine d'années. Les violences se nourrissent des stéréotypes sexistes, ancrés dans la société : les femmes gagnent 20 % de moins que les hommes ; les rôles familiaux sont très déséquilibrés ; la vie politique est principalement masculine -sauf aujourd'hui...
Grâce à l'instance placée auprès du Premier ministre, la réalité est aujourd'hui mieux connue. Monsieur Courteau, le Gouvernement a remis au Parlement un rapport sur la création d'un observatoire qui prône le rattachement à l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale. La demande d'ouvrir l'ordonnance de protection aux personnes de nationalité algérienne fait l'objet d?études complémentaires. L'Institut national d'études démographiques (Ined) vient de lancer une enquête de grande envergure sur les violences interpersonnelles.
La prévention ? Il faut en effet agir en amont. Vous ne pouvez prétendre que le Gouvernement n'aurait rien fait : le projet d'établissement inclut l'éducation à l'égalité ; une campagne nationale a été lancée. Madame Bourzai, l'article 121 du code de l'éducation est précis ; le Bulletin officiel de l'éducation nationale a publié le 21 mai un texte accordant une priorité à la culture de l'égalité entre filles et garçons. Une convention interministérielle porte sur ce sujet.
Mme Jouanno a raison d'insister sur l'image des femmes dans les médias. Je lui ai d'ailleurs confié une mission sur l'hyper-sexualisation des filles dans la publicité. J'ai également pérennisé la commission sur l'image de la femme dans les médias. Contraintes et incitations sont mises en place dans les entreprises pour favoriser l'égalité hommes-femmes, et un label d'égalité a récemment été remis à seize organismes. Nous encourageons la conciliation entre vie familiale et professionnelle. Pour donner l'exemple, un quota de 40 % de femmes sera progressivement appliqué dans les hauts postes de la fonction publique, afin de briser le plafond de verre.
Les ordonnances de protection ? Ce n'est pas 160 mais 600 qui ont été rendues. Faut-il imposer, à marche forcée, un dispositif nouveau au mépris des droits de la défense ? Nous devons tout faire pour raccourcir les délais.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - Quand même !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Mais aussi respecter les droits du défendeur, qui est habituellement informé par lettre recommandée. Le groupe de travail d'aide aux victimes note un raccourcissement de 26 à 21 jours. Cela n'est pas suffisant mais cela montre que les juridictions s'adaptent. Cet outil a créé une rupture sachant, madame Gonthier-Maurin, que les effectifs de la justice échappent à la RGPP et qu'ils sont en constante progression. A Bobigny, un protocole sur la délivrance de l'ordonnance de protection est mis à disposition du public. Nous formons les acteurs de la justice en insistant beaucoup sur les phénomènes d'emprise. En 2012, des coordonnateurs régionaux interviendront à l'ENM.
Le dispositif électronique anti-rapprochements est expérimenté dans trois départements et l'État a financé les téléphones portables préprogrammés. La journée de sensibilisation du 25 novembre est une priorité intergouvernementale : le ruban blanc a été arboré par tous les ministres.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - Cela ne suffit pas !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Je regrette que les députés de l'opposition aient refusé de porter ce ruban, au motif que c'était moi qui le leur demandais...
Mme Michelle Meunier. - Je l'ai porté.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - Moi aussi. Nous sommes au Sénat, ici !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Une campagne d'information a popularisé le numéro de téléphone 39-19, devenu gratuit depuis les portables.
Je salue ceux qui ont dépassé les clivages politiques pour participer à cette journée, au côté des associations. Le Gouvernement a décidé une subvention de 3,5 millions pour aider les associations intervenant dans ce champ et, sur cette somme, 1,2 million concerne spécifiquement les femmes victimes de violences. Je ne puis donc laisser M. Placé -qui n'a pas jugé bon d'entendre ma réponse- prétendre que ce gouvernement manquerait de volontarisme. Nous avons un plan ambitieux de 31 millions d'euros pour des mesures nouvelles comme l'accueil de jour, l'aide au relogement et au retour à ?emploi. Pour la première fois, ce plan vise les agressions sexistes au travail, ainsi que la prostitution, un sujet auquel je suis attachée. Je rappelle que les personnes prostituées sont avant tout des victimes et qu'elles exercent à 90 % sous la contrainte.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution. - C'est vrai !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Au XXIe siècle, femmes et hommes doivent vivre dans l'égalité.
La lutte contre les violences faites aux femmes est politiquement consensuelle. Le bilan du Gouvernement est bon. Je ne peux souscrire aux affirmations fallacieuses figurant dans l'exposé des motifs. Pourtant, la gravité du sujet invite à dépasser les clivages : je m'en remets donc à la sagesse de la Haute assemblée. (Applaudissements)
La proposition de résolution est adoptée. (Applaudissements à gauche)
La séance, suspendue à 16 h 45, reprend à 16 h 55.
Exploitation numérique des livres (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle.
Mme Bariza Khiari, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. - Nous sommes fiers du texte examiné aujourd'hui, qui permettra d'exploiter un vaste pan du patrimoine écrit du XXe siècle. Théoriquement, il faudrait revoir les contrats d'édition, pour chaque oeuvre, afin d'exploiter de façon numérique les oeuvres écrites non disponibles sur papier mais encore sous droits.
Ce texte est d'origine sénatoriale. J'en félicite l'auteur, M. Legendre, car la renégociation de tous les contrats d'édition était matériellement inenvisageable. Sur le fond, la France sera le premier pays à rendre accessibles tous les livres écrits au XXe siècle, grâce à cette réponse alternative à Google books.
Cette proposition de loi est consensuelle, car elle reprend l'accord-cadre signé par tous les acteurs de l'édition. Je suis donc heureuse de présenter une proposition de loi sénatoriale innovante, rassembleuse et aboutie. En première lecture, la mention de « recherches avérées et sérieuses » des titulaires de droits avait disparu à l'Assemblée nationale. La présence d'un commissaire du Gouvernement avait été écartée, ainsi que la proposition du Sénat organisant la mise à disposition gratuite dans les bibliothèques des oeuvres dont aucun ayant droit n'aurait été retrouvé.
Le texte qui nous vient de la CMP est très proche de celui du Sénat, grâce au compromis trouvé sur la plupart de ces points. Mme Gillot, avocate des bibliothèques, a défendu avec succès l'extension de la dérogation dont elles bénéficient. Si un ayant droit se manifestait dans les dix ans, l'oeuvre perdrait son statut d'oeuvre orpheline. Le Parlement est à l'écoute d'aspirations contradictoires : il défend le droit d'auteur, renforce la promotion de la lecture publique et précise le statut des oeuvres orphelines qu'il fallait définir, sachant que le dispositif pourra évoluer avec la directive à venir.
Ce texte concilie deux objectifs contradictoires : la protection des auteurs et l'accès de tous au livre. Je ne doute pas que vous adopterez la rédaction élaborée dans l'écoute et la concertation. Je remercie M. Gaymard, rapporteur de l'Assemblée nationale, et les députés, dont l'attitude a été conciliante. Au nom de l'intérêt général, de la culture pour tous, je vous invite vivement à voter ce texte. (Applaudissements)
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. - Le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi, telle qu'elle ressort de la CMP, dont l'importance culturelle et patrimoniale n'est plus à démontrer. Développer une offre légale abondante en ligne, tout en respectant le droit d'auteur, encourager le développement durable du livre numérique : tels sont les objectifs de mon ministère. L'esprit de conciliation et d'ouverture qui a prévalu aboutit à un texte équilibré.
Je remercie le président Legendre, auteur de la proposition de loi, ainsi que Mme Khiari pour son important travail. Cette loi est emblématique de notre capacité à faire vivre les droits d'auteur à l'heure du numérique, domaine où la France a un rôle précurseur. Le texte résout le problème de la titularité des droits, qui entrave la diffusion de plus de 500 000 oeuvres, tout en préservant la place des ayants droit au premier plan de l'exploitation numérique des oeuvres.
L'apport si novateur de cette proposition réside également dans l'articulation entre une réforme du code de la propriété littéraire et un volet financier, lié aux investissements d'avenir, sous l'égide de Monsieur René Ricol, le commissaire général à l'investissement. En effet, la gestion collective ne suffit pas à garantir à elle seule l'accès à ce corpus : encore faut-il que les livres puissent être numérisés, ce qui nécessite des moyens financiers et humains tels qu'il faut un partenariat public-privé.
Le débat sur la place des bibliothèques publiques a été très intéressant. Je me réjouis que ce texte fasse de la Bibliothèque nationale de France la cheville ouvrière du dispositif et, plus largement, conforte le rôle des bibliothèques.
Je retrouve dans vos débats et travaux le même esprit positif qui a présidé depuis deux ans, de manière remarquable, aux discussions entre auteurs et éditeurs et qui explique que ce texte est, aujourd'hui, consensuel entre ces parties et surtout très attendu.
Vous l'avez compris, le Gouvernement est en complet accord avec cette proposition de loi qui recueille mon plein soutien. (Applaudissements)
Mme Catherine Morin-Desailly. - Notre Haute assemblée montre une fois de plus son attachement à la culture. Face à la numérisation sauvage, il nous revient de sécuriser ce procédé. En octobre 2009, nous débattions de la numérisation par Google des fonds de la BNF. La promesse était alléchante, mais on ne pouvait confier le contrôle d'une bibliothèque universelle à des intérêts privés...
Si nous voulons rivaliser avec le marché américain, le livre ne doit pas reproduire le retard pris dans le domaine de la musique. Ce texte est le fruit d'un travail parlementaire consensuel et abouti. La proposition de loi de M. Legendre a été améliorée par notre rapporteure, Mme Khiari. La CMP a trouvé un équilibre entre protection du droit d'auteur et accès du public aux écrits.
Ce texte permettra de lire des oeuvres quasi-introuvables, tout en sanctuarisant les droits des auteurs et des éditeurs. Je suis satisfaite de l'accord trouvé sur la répartition des droits, qui protège les auteurs.
Sur l'article premier, j'étais plus réservée, la Commission européenne préparant une directive sur le sujet.
Le compromis élaboré par la CMP est satisfaisant s'agissant des oeuvres dont les ayants droit n'auraient pas été trouvés après plus de dix ans, mais qui peut dire que les choses n'auront pas changé d'ici là ? Il faut approfondir la réflexion sur la place des auteurs, des libraires et des bibliothécaires, qui doivent se réinventer.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. - Très juste !
Mme Catherine Morin-Desailly. - L'oeuvre elle-même va se transformer. Aujourd'hui, nous nous bornons à passer de l'imprimé au format PDF ; quel sera le format demain ? Les changements à venir exigent des évolutions, notamment dans la rémunération des auteurs. Et il faudra intensifier les efforts afin d'éviter l'explosion du piratage.
Je veux conclure en remettant un peu d'humain dans la réflexion : le médiateur, le maître, le libraire, le journaliste seront plus que jamais nécessaires. Pour s'y retrouver dans le grand vrac qu'est internet, il faut développer l'esprit critique !
J'espère que ce texte sera voté à l'unanimité : l'UCR se prononcera pour. (Applaudissements)
Mme Cécile Cukierman. - Un tel texte est utile pour éviter que des livres ne sombrent dans l'oubli. Alors que les droits d'auteur sont fragilisés, l'exploitation numérique doit protéger les créateurs contre la spoliation à laquelle se livrent certains grands groupes...
En première lecture, nous avions voté pour la création d'une gestion collective de ces oeuvres, tout en formulant quelques critiques. Les garanties apportées aux auteurs semblaient en effet insuffisantes : ils n'ont que six mois pour s'opposer à la numérisation de leur oeuvre, mais leur information -facultative- ne reposera que sur la Société des gens de lettres. Après les procès intentés à Google, des accords de numérisation ont été conclus entre les éditeurs français et le géant américain.
Je me réjouis que ce texte définisse la notion d'oeuvre orpheline : la France doit jouer un rôle précurseur.
La gratuité de reproduction et de diffusion des oeuvres pour les bibliothèques publiques est limitée aux seuls abonnés et aux oeuvres orphelines. Cette disposition est critiquée par la Société des gens de lettres, car elle y voit un affaiblissement du droit d'auteur. Il faut agir avec prudence, ouvrir le débat sur la numérisation des livres des bibliothèques et médiathèques. En réalité, la rédaction retenue n'ouvre pas de brèche dans le droit d'auteur.
Le groupe CRC votera en faveur de ce texte. (Applaudissements à gauche)
Mme Françoise Laborde. - Cette proposition de loi essentielle justifie le travail constructif du Sénat, de l'Assemblée nationale et de la CMP. Cette avancée majeure fera référence au plan mondial, a dit M. Bruno Racine, président de la BNF. L'accès de tous à la culture ne peut nous laisser indifférents ! Grâce à ce texte qui comble un vide juridique, les oeuvres indisponibles pourront enfin être découvertes, sans compromettre les droits des auteurs.
Mais le seul accès aux oeuvres ne suffit pas à une véritable démocratisation culturelle : je me félicite des mesures en faveur de la lecture publique. La numérisation massive est un enjeu de démocratisation, mais risque de se traduire par la confiscation d'un patrimoine littéraire par des intérêts privés -je ne reviendrai pas sur le cas de Google books. Il faut accroître les efforts entamés dans le cadre des investissements d'avenir et accompagner le processus de numérisation. L'accord du 1er février 2011 entre le ministère et les principaux acteurs organise la numérisation de 500 000 oeuvres en cinq ans : c'est un grand projet !
L'Assemblée nationale était revenue sur certains points votés par le Sénat, supprimant des dispositions auxquelles nous tenions. Je me félicite que la CMP ait trouvé un compromis et qu'elle ait prévu l'utilisation gratuite, pour les abonnés des bibliothèques, des oeuvres dont les ayants droit n'ont pas été retrouvés. La directive européenne mentionne une « recherche avérée et sérieuse » des ayants droit, sans limitation de durée. Mais l'heure n'est pas à la controverse : le groupe RDSE approuvera les conclusions de la CMP. (Applaudissements)
M. Jacques Legendre. - Aujourd'hui s'achève le parcours d'une proposition de loi déposée en termes identiques par M. Gaymard à l'Assemblée nationale. L'accès à la littérature est indispensable pour garder vivante la littérature du XXe siècle, qui n'est pas tombée dans le domaine public.
Certaines oeuvres ne sont plus éditées, soit 500 000 écrits auxquels le public n'a pas accès ! Nous ne pouvons limiter l'accès de nos bibliothèques virtuelles à la production du XXe siècle. Il fallait moderniser notre droit pour assurer la survie de textes parmi les plus vivants de notre littérature.
M. Robert del Picchia. - Très bien !
M. Jacques Legendre. - Le dispositif préserve le droit de propriété, en garantissant la possibilité de sortir à tout moment du dispositif. La numérisation de ces oeuvres bénéficiera des investissements d'avenir.
La CMP a pris en compte nos préoccupations. Sensibles à l'action des bibliothèques, nous voulions qu'elles jouent pleinement leur rôle et qu'elles puissent exploiter les oeuvres dont elles détiendraient une édition particulièrement rare. Grâce à cette proposition de loi, la France sera bientôt le premier pays au monde à régler, de façon moderne et efficace, la question des oeuvres indisponibles.
Je remercie Mme Khiari pour son rôle dans le dialogue constructif, qui a permis ce texte d'équilibre et important que nous adoptons ce lundi. Pour la culture, le rayonnement de la culture française, la démocratisation de la lecture, l'amour du texte écrit, je m'en réjouis ! (Applaudissements)
Mme Dominique Gillot. - Le groupe socialiste se réjouit du succès de la CMP. L'Assemblée nationale n'a pas altéré l'esprit du texte adopté à l'unanimité au Sénat. Sa rédaction garantit la préservation d'une partie de notre patrimoine, tout en protégeant le droit d'auteur. Il encadre les pratiques commerciales et donne une base juridique à l'accord-cadre de février 2011. Le législateur devait intervenir pour mettre fin aux atteintes aux droits d'auteur. Avec cette loi, nous garantissons la sécurité juridique de l'exploitation numérique des oeuvres indisponibles du XXe siècle. Les auteurs qui pourront ainsi être lus à nouveau auront le droit de s'opposer à la gestion collective de leur oeuvre. Les lecteurs pourront découvrir ou redécouvrir des oeuvres dont ils sont actuellement privés.
Mais il faut aussi nourrir le désir de lire. D'où l'autorisation donnée aux bibliothèques de diffuser certaines oeuvres sans ayants droit. Ce n'est nullement une entorse aux droits d'auteur. Il s'agit simplement de permettre une gratuité de licence, au bout de dix ans, sans exclusive, à destination des abonnés uniquement. Cette avancée pour la lecture publique ne touchera qu'une partie des oeuvres.
Je me félicite que l'Assemblée nationale ait maintenu le dispositif en faveur de la lecture publique : les bibliothèques sont des lieux précieux pour promouvoir la lecture : elles favorisent la rencontre et la mixité. Il faut conforter leur rôle irremplaçable.
La loi définira désormais les oeuvres orphelines : c'est une grande avancée. L'Assemblée nationale a appuyé la volonté du Sénat de garantir le suivi de l'application de ces dispositions.
Le Sénat a su comprendre son époque et les enjeux liés au modernisme. Il a su porter la voix des collectivités, responsables des bibliothèques. Notre volonté d'aboutir a permis un résultat très satisfaisant. Je salue la contribution de Mme Khiari et l'esprit d'ouverture de M. Legendre. La CMP a adopté unanimement un texte d'intérêt général. C'est avec enthousiasme que le groupe socialiste votera ses conclusions !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. - Notre commission se félicite de cette initiative, qui prend en acte l'évolution des pratiques culturelles. Nous sommes restés prudents, en faisant primer l'intérêt général et en dépassant les clivages. Le dialogue entre la majorité et l'opposition, entre le Sénat et l'Assemblée nationale a été fructueux, pour ne pas laisser le droit d'auteur subir une numérisation sauvage, qui défigure les oeuvres ! Je me félicite de la définition de l'oeuvre orpheline : c'est une étape.
C'est pour les oeuvres visuelles, et en particulier la photographie, l'aboutissement d'un texte auquel nous tenions, et que l'Assemblée n'avait pas eu le temps d'inscrire à son ordre du jour, un premier pas pour mieux protéger les photographes des spoliations que leur inflige la presse papier avec la scandaleuse et abusive utilisation de la mention DR.
Nous soutiendrons donc ce texte en votant sa version finale. (Applaudissements)
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
M. le président. - A l'unanimité ! (Applaudissements)
Mise au point au sujet d'un vote
M. Jacques Legendre. - Lors du scrutin du 9 février 2012 sur la proposition de résolution sur la filière nucléaire française, M. Saugey souhaitait voter pour.
M. le président. - Acte vous est donné de cette mise au point.
Organisme extraparlementaire (Nominations)
M. le président. - Je rappelle que la commission de l'économie et la commission des affaires européennes ont respectivement proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire. La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement. En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mme Anne-Marie Escoffier, membre suppléant et Mme Karine Claireaux, membre titulaire de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer.
Ports d'outre-mer (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant réforme des ports d'outre-mer relevant de l'État et diverses propositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports.
Mme Odette Herviaux, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. - Le 26 janvier, la Haute assemblée a adopté le projet de loi en confirmant ses grandes orientations. La CMP est parvenue à un accord. La procédure parlementaire suppose le compromis : je me réjouis du maintien de dispositions introduites par le Sénat, et salue l'excellente ambiance qui a prévalu lors de nos travaux. Les échanges ont été fructueux avec mon homologue de l'Assemblée nationale.
Deux apports importants du Sénat ont été maintenus, liés à la problématique des prix, qui est à l'origine de la crise sociale de 2009. D'une part, la CMP a maintenu une disposition introduite à l'initiative de M. Serge Larcher, qui institue la présence d'un représentant des consommateurs au sein du Conseil de développement des ports d'outre-mer. D'autre part, l'article 2 bis, introduit à mon initiative, a été maintenu. Cette disposition concernant la transparence a une portée symbolique.
D'autres dispositions votées par le Sénat n'ont cependant pas été retenues, ainsi de la modification de la composition du Conseil de surveillance qui aurait renforcé la représentation des collectivités territoriales ; je regrette cette interprétation restrictive de l'article 73 de la Constitution. Ainsi également de la demande de rapports sur la maîtrise des coûts et le port de Mayotte, et de la disposition imposant que les membres du Conseil de développement puissent être choisis le cas échéant parmi les professionnels. La suppression de cette disposition ne remet toutefois pas en cause les initiatives très intéressantes lancées en Martinique.
Cette réforme essentielle est très attendue. Je me réjouis qu'elle entre en vigueur avec plusieurs éléments introduits par le Sénat. Pour organiser sans tarder le transfert du personnel des chambres consulaires et des services de l'État, il convient de désigner les préfigurateurs aussi vite que possible.
Sénateurs et députés se sont agacés de la méthode du Gouvernement, consistant à introduire six articles l'habilitant à transposer par ordonnance six textes européens ; la commission de l'économie du Sénat les avait supprimés, la CMP les a rétablis. Il n'est pas acceptable que le Gouvernement invoque l'urgence alors qu'il est lui-même responsable du retard. Je rappelle que MM. Emorine, Bizet et Longuet avaient dû déposer une proposition de loi pour accélérer la transposition des normes européennes. Par esprit de responsabilité, car nous ne voulons pas exposer la France à de lourdes sanctions financières, nous avons décidé de ne pas nous opposer aux ordonnances de transposition.
Mais des questions de fond demeurent. Pouvez-vous nous confirmer que des dispositions seront prévues pour l'adaptation à l'outre-mer des dispositions relatives à la formation des transporteurs routiers ?
En votant ce texte à l'unanimité, le Sénat montrera une fois encore son attachement à l'outre-mer. (Applaudissements à gauche)
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Kosciusko-Morizet et de M. Mariani.
Cette réforme fait consensus et je m'en félicite. Je remercie votre Haute assemblée et son rapporteur pour la qualité des débats. On ne peut tout obtenir en CMP, chacun doit faire un pas. Je remercie le président Raoul pour sa participation constructive à la recherche du consensus.
Cette réforme marque une étape cruciale pour la compétitivité de nos ports ultramarins ; elle est essentielle pour leur meilleure intégration dans leur environnement régional et pour leur développement. Les échanges sur ce projet de loi ont principalement porté sur la gouvernance des ports, le contrôle des prix et les ordonnances. La CMP a abouti à une vision partagée qui soutient l'équilibre de la réforme voulue par le Gouvernement.
Un représentant des consommateurs siègera au sein du conseil de développement ; les observatoires des prix et des revenus sont consacrés ; les collectivités territoriales accueillant un port sur leur territoire formuleront un avis sur la nomination de personnalités qualifiées au conseil de surveillance. Sur ce dernier point, je relève que les chambres consulaires sont des établissements publics nationaux qui ne peuvent être soumis à la tutelle des collectivités territoriales : il y a là un risque d'inconstitutionnalité.
Président de commission, je me suis battu pendant 25 ans contre les rapports, je comprends que celui portant sur l'évolution du port de Mayotte ait été refusé. Mais le Gouvernement sera vigilant ; et votre commission sur l'application des lois peut jouer son rôle.
Le travail des préfigurateurs permettra de mettre en oeuvre la réforme au plus tard le 1er janvier 2013, ce qui suppose la rédaction de sept décrets.
Je me félicite de l'attitude responsable des membres de la CMP, qui ont réintroduit les six articles de transposition. La France pourra ainsi honorer ses engagements européens et éviter de lourdes sanctions financières. Le Gouvernement va ainsi pouvoir publier très rapidement ces ordonnances, notamment celle étendant aux conducteurs routiers indépendants les règles en matière de temps de travail applicables aux travailleurs salariés.
Je souhaite enfin, sur la base des éléments présentés par M. Jean Leonetti lors du conseil des ministres du 27 juillet 2011, que soit renforcée à l'avenir la participation du Parlement au processus d'intégration du droit européen. (Applaudissements à droite)
Mme Catherine Morin-Desailly. - En 2008, la réforme des ports a laissé de côté les ports d'outre-mer, en raison de la disparité de leurs statuts. À l'heure où 90 % du commerce mondial se fait par voie maritime, la France méconnaît les atouts dont elle dispose. Il n'est pas trop tard pour les faire valoir, le déclassement des ports français n'est pas une fatalité. Le groupe UCR approuve l'extension de cette réforme aux ports ultramarins. On a attendu quatre ans pour mettre les ports d'outre-mer au diapason ; il eût été possible d'aller plus vite, sans négliger les spécificités locales, comme le permet l'article 73 de la Constitution. Le choix du maintien des établissements publics nationaux illustre ces spécificités. Pendant quatre ans, la compétitivité de ces ports s'est dégradée, alors que le trafic transitant par Panama ne cesse de croître.
Je salue la réforme de la gouvernance et la clarification des missions de ses organes. Je me félicite que la CMP ait soutenu la consécration de l'Observatoire des prix et des revenus, dont les missions sont étendues à l'analyse des coûts de passage portuaires.
Ce texte autorise en outre le Gouvernement à transposer six directives par ordonnance. Ces cavaliers législatifs avaient été supprimés par la commission de l'économie. Je salue leur rétablissement par la CMP, car les directives conditionnent la création d'un espace européen des transports. C'est une opportunité pour nos services logistiques. Les transports de marchandises représentent un enjeu économique et écologique crucial. En outre, la France n'a pas les moyens de verser à Bruxelles des amendes pour non-transposition de directives.
Le groupe UCR votera ce texte. (Applaudissements au centre)
M. Patrick Ollier, ministre. - Très bien !
Mme Cécile Cukierman. - M. Paul Vergès aurait aimé être présent. La benjamine que je suis s'exprimera au nom du doyen de notre assemblée.
Cette réforme est impatiemment attendue, notamment à la Réunion. Comme l'a souligné la rapporteure, le désengagement de l'État a entraîné l'application de tarifs portuaires sans rapport avec la réalité et en conséquence un renchérissement des prix outre-mer.
L'article proposé par la majorité sénatoriale sur l'Observatoire des prix et des coûts a été maintenu, c'est essentiel. À la Réunion, les compagnies pétrolières engrangent des bénéfices colossaux, mais le prix de l'essence à la pompe ne cesse d'augmenter. Professionnels comme particuliers en sont victimes, en l'absence d'un réseau de transports collectifs développé ; l'abandon du projet tram-train par la présidence régionale sera lourd de conséquences.
La question du coût de la vie outremer est un chantier encore à déblayer ; il faudra bien démanteler les monopoles et les rentes de situation.
Il y a dans ce texte des articles inacceptables, ceux qui visent à transposer par ordonnances des directives européennes. N'ayant rien à voir avec les ports ultramarins, ils tendent seulement à éviter des sanctions financières. Ce n'est pas superflu vu l'état de nos finances, mais il incombait au Gouvernement d'agir plus tôt ! La cohérence du texte est ainsi compromise.
Il aura fallu quatre ans pour voir naître ce projet de loi. Que de retards accumulés ! Nous voterons ce texte, car il est très attendu par les professionnels et les partenaires sociaux. Mais nous tenons à redire qu'il appartient au Parlement de se prononcer sur le processus décisionnel européen. Il en va du respect du Parlement ! (Mme la rapporteure applaudit)
M. Robert Tropeano. - L'objectif de compétitivité affiché par la réforme de 2008 est encore loin d'être atteint. Je salue l'esprit constructif qui a prévalu pour élaborer ce texte très attendu. Je remercie notre rapporteure, guidée par la volonté d'aboutir, qui l'a amenée à revenir sur certaines positions adoptées au Sénat en première lecture. Ces sacrifices étaient le prix à payer pour porter cette réforme essentielle sur les fonts baptismaux.
Des points très importants de notre vote ont été retenus par la CMP : la présence d'un représentant des consommateurs au sein du conseil de développement, introduite à l'initiative de Serge Larcher, et l'article 2 bis qui consacre les observatoires des prix. Je comprends que M. Daniel Raoul et Mme Odette Herviaux aient choisi de s'abstenir sur les articles 3 à 8 afin de ne pas faire échouer la CMP, mais le Gouvernement ne peut invoquer l'urgence pour dessaisir les parlementaires de leurs droits, alors qu'il est le seul responsable des retards pris dans la transposition du droit européen. L'article 9 est aussi un cavalier, qui porte un enjeu important, celui des pollutions marines orphelines.
Le rapport de la mission sur les ports d'outre-mer concluait à l'urgence de ces réformes il y a déjà deux ans. Le groupe du RDSE votera ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Patrick Ollier, ministre. - Merci !
Mme Leila Aïchi. - Ce texte ne concerne qu'en partie la gouvernance des ports d'outre-mer : deux articles seulement lui sont consacrés ! La réforme qu'il engage est tardive et insuffisante ; elle ignore les enjeux d'un développement durable et concerté, le respect de l'environnement, l'économie locale. Les ordonnances sont en outre inacceptables.
Chaque département d'outre-mer a ses spécificités, mais tous dépendent de l'Hexagone, pour la consommation comme pour l'énergie. La gouvernance des ports était obsolète ; la direction bicéphale diluait responsabilité et efficacité. Il est aberrant que les concessionnaires aient utilisé les excédents d'exploitation des ports pour financer des aéroports... L'État s'est désengagé. Les ports sont devenus des concessions autonomes sans qu'il s'en offusque. La présence de représentants des consommateurs et l'intégration des collectivités territoriales sont des avancées importantes.
Nous, écologistes, réaffirmons qu'il est nécessaire de penser une autre politique des ports, écologique et solidaire. Les transports maritimes assurent une alternative à la route. Il faute mettre un terme à la dualité État-chambres de commerce et d'industrie.
Cette réforme aurait pu être plus ambitieuse. Il y manque une réforme de la manutention, les enjeux du transfert du personnel ne sont pas traités et on n'y trouve aucun projet stratégique de développement et d'investissement. Nous sommes loin d'une réforme portuaire globale.
L'accord en CMP était cependant nécessaire, mais la réinsertion des articles relatifs à la transposition des directives pose problème. L'urgence européenne est un prétexte pour dessaisir le Parlement, parce qu'il a été incapable d'agir à temps -ou pour éviter le débat... C'est un acte de mépris à l'égard du Parlement.
Les avancées acquises par le Sénat méritent d'être appliquées. C'est pourquoi nous voterons ce texte. N'y voyez, monsieur le ministre, aucun satisfecit quant à votre méthode. (Mme la rapporteure, applaudit)
M. le président. - Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction adoptée par la CMP.
M. Robert del Picchia. - Ce texte répond aux exigences de performance et de compétitivité internationale, ainsi qu'aux attentes de l'outre-mer. Je salue l'attitude responsable de la CMP, qui a estimé qu'il y avait bien urgence à respecter nos engagements communautaires dans le domaine des transports maritimes, routiers et aériens.
Le groupe UMP apporte son soutien entier à ce projet de loi.
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
Commémoration de tous les morts pour la France le 11 novembre (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la CMP sur le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
Discussion générale
M. Pierre Charon, en remplacement de M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. - Réunie le 31 janvier, la CMP est parvenue à un accord sur le texte que le Sénat avait adopté le 24 janvier. L'alinéa 2 de l'article premier précise que l'hommage rendu le 11 novembre ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationale ; l'article 3 est présenté comme le souhaitait le Sénat. Ce texte est porteur de sens.
Je tiens à remercier le président Carrère, ainsi que vous-même, monsieur le ministre.
La question de la mémoire, l'hommage, la reconnaissance de la Nation doivent transcender les polémiques politiciennes. Tous ceux qui sont tombés pour la France ont mérité que la Nation leur rende hommage ; ils méritent notre vote unanime. (Applaudissements à droite et au centre ; M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères applaudit aussi)
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. - Je vous prie d'excuser M. le ministre de la défense, qui est à Singapour, ainsi que le secrétaire d'État chargé des anciens combattants.
Ce projet de loi avait été annoncé par le président de la République le 11 novembre sous l'Arc de triomphe. Sa promesse est en passe d'être tenue à la satisfaction des anciens combattants, des familles et des militaires d'active. Je vous remercie pour votre mobilisation et votre vote unanime de première lecture. Je tiens à remercier particulièrement MM. Cléach, Charon et le président Carrère qui a contribué à faire progresser le consensus.
Cette version précise que le texte s'applique sur tout le territoire et que le 11 novembre ne se substitue pas aux autres commémorations ; il n'a jamais été question de les supprimer ni de les hiérarchiser. En outre, le 11 novembre demeure le jour anniversaire de l'Armistice. La disparition du dernier Poilu et le centenaire de la Grande guerre exigeaient une nouvelle approche. S'ajoute la nécessité d'honorer la quatrième génération du feu, pour laquelle il n'est pas question de créer une journée commémorative spécifique qui ferait courir le risque de la division et de l'oubli.
L'esprit nouveau de commémoration du 11 novembre est un appel à l'unité. Il met en avant le sens de l'engagement de nos soldats pour les valeurs qui nous sont chères, dans des combats dignes de leurs aînés, en Lybie ou en Côte d'Ivoire pour soutenir l'aspiration des peuples à la liberté, ou en Afghanistan pour combattre l'obscurantisme et pour la paix. Plus un mort pour la France ne sera menacé par l'oubli. Parce que la France se fait une certaine idée de son rôle dans le monde, elle doit être exemplaire.
Le Gouvernement vous engage à adopter unanimement ce projet de loi. (Applaudissements)
M. Alain Néri. - Ce projet répond à une préoccupation ancienne et légitime : pérenniser le 11 novembre au-delà de la disparition du dernier Poilu, après la disparition récente du dernier ancien combattant de la Première guerre mondiale, un Australien. Le dernier soldat français de la Grande guerre, Lazare Ponticelli, est décédé en mars 2008.
Nous avions approuvé le principe du texte, mais un seul point nous chagrinait : nous appréhendions de nous voir diriger vers un Memorial Day risquant de diluer la mémoire des autres conflits au sein d'une commémoration unique. Prudence est mère de sûreté : le 8 mai 1945 est passé aux oubliettes...
M. Roland Courteau. - Oh oui !
M. Alain Néri. - ...sous la responsabilité d'un président de la République. Nous avions entendu les propos de Nicolas Sarkozy, ceux du ministre des anciens combattants, mais mieux valait écrire ce qui semblait aller de soi... Les paroles s'envolent, les écrits restent !
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Alain Néri. - Ainsi sera gravé dans le marbre de la loi le respect de toutes les journées commémoratives, par un amendement adopté à l'unanimité sur mon initiative, suivi à l'unanimité par les députés. Nous allons donc voter le texte incorporant cet amendement de précision, de garantie, et de précaution.
« Honorer la quatrième génération du feu », avez-vous dit : vous avez raison. Pour ceux qui sacrifient leur jeunesse à la République, c'est toujours avec crainte, c'est toujours un déchirement que de partir au combat. Retrouvera-t-on son village, sa famille ? Si nous ne créons pas de journée spécifique, la mémoire se dilue...
M. Roland Courteau. - C'est sûr !
M. Alain Néri. - Première génération : les Poilus ; deuxième génération, celle de 39-45 : hommage soit rendu aux Résistants et aux combattants qui ont rétabli la République, Vichy c'était l'État français ! Vous êtes passé de celle-ci à la quatrième : n'oublions pas la troisième !
M. Robert Tropeano. - C'est nous !
M. Alain Néri. - Comme les deux premières, elle a répondu à la mobilisation générale, mais fragmentée tous les deux mois par l'appel régulier du contingent envoyé en Algérie. Elle mériterait une journée de recueillement, de mémoire et d'hommage. Je souhaite que l'on se rappelle rapidement le sacrifice de ceux qui ont eu 20 ans dans les Aurès et ceux qui ont restauré la République en s'opposant au putsch des généraux félons d'Alger... (« Très bien ! » sur les bancs socialistes) On parlait de pacification, de maintien de l'ordre. On parlait d'événements : il a fallu attendre le 10 juin 1999 pour que l'Assemblée nationale reconnaisse enfin la réalité de la guerre d'Algérie. Il est temps que la Nation crée enfin une journée de commémoration qui devrait être fixée au 19 mars : nous approchons du 50e anniversaire du cessez-le-feu. Le plus jeune des survivants a 70 ans, le plus ancien 95. Il est temps de leur rendre un hommage avant qu'il ne soit posthume ! (« Très bien ! » sur les bancs socialistes)
Dès lors que la commission mixte paritaire a retenu mon amendement, nous voterons ses conclusions par un vote que j'espère unanime. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Cécile Cukierman. - Le 24 janvier, nous n'avions pas voté le texte en raison d'un désaccord de fond. La précision apportée par la CMP pour conserver les journées existantes était indispensable ; elle ne saurait suffire. Il aurait fallu un débat plus approfondi sur les conflits. Rendre hommage à tous les morts de toutes les guerres entretient la confusion. Tous les conflits n'ont pas les mêmes causes ni la même signification. Il ne s'agit pas pour nous de faire un tri entre de bonnes et de mauvaises guerres, de les « hiérarchiser » selon une démarche chère au ministre de l'intérieur dans un autre domaine : tout soldat envoyé à la guerre par le gouvernement de la République est mort au nom de la France. Mais l'amalgame entre des engagements multiples et de nature variée empêche de réfléchir.
Nous refusons une mémoire collective qui fonderait tout sur la dénonciation abstraite de toute guerre. Peut-être cette vision aseptisée est-elle le but recherché : une journée de commémoration basée sur une méconnaissance organisée de l'histoire par les jeunes générations. Pendant que le président de la République présente ce texte, il diminue la place de l'enseignement de l'histoire, au point d'en faire une discipline optionnelle dans les filières scientifiques.
Le problème est donc moins simple que ce que l'on nous dit et la méthode franchement inadéquate. Nous refusons d'amalgamer tous les conflits, toutes les interventions extérieures. C'est pourquoi le groupe CRC s'opposera à l'adoption de ce texte.
M. Robert Tropeano. - La CMP s'est prononcée sur un mode consensuel, approuvant le texte du Sénat. Dès notre première lecture, nous avions enrichi le texte d'un alinéa pérennisant les autres journées commémoratives. Nous avons ainsi écarté le risque du Memorial Day. Il y aura désormais la journée de tous les morts pour la France, mais aussi la journée pour les morts de la Seconde guerre mondiale, pour l'Indochine, pour l'Afrique du nord. Comme M. Néri, je souhaite que le 19 mars soit institué jour commémoratif pour la guerre d'Algérie.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
M. Robert Tropeano. - Rendons aussi hommage aux harkis, aux civils tués, aux femmes et enfants assassinés dans la barbarie.
Le calendrier commémoratif est très chargé ? Nous sommes certes passés en quelques années de six journées commémoratives à douze, mais cela n'a rien d'excessif : la reconnaissance ne se marchande pas. Il serait malvenu d'opposer ces commémorations, toutes inspirées par l'idéal de liberté. En outre, le devoir de reconnaissance est un instrument d?unité nationale. La Grande guerre reste symbolique du sacrifice pour la patrie. C'est à ce titre qu'elle constitue le point d'orgue de la mémoire nationale, sans diminuer les autres souvenirs. Chaque 11 novembre, nous partageons la douleur de ceux dont un proche est mort pour la France, pour la paix et la démocratie. Ainsi, « ceux de 14 », comme disait Maurice Genevoix, ne seront pas oubliés ! (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)
Mme Leila Aïchi. - Nous examinons aujourd'hui un texte identique à celui que nous avions adopté : le 31 janvier, le bicamérisme a montré ses vertus démocratiques. Ce succès est d'autant plus remarquable que la nouvelle majorité du Sénat a connu bien des déboires.
Comme écologiste, je suis plutôt favorable à ce texte qui fait oeuvre de pédagogie. Il ne s'agit pas de célébrer une boucherie qui massacra 1,4 million de Français et 20 millions d'Européens, une barbarie d'État qui a nié l'individu transformé en chair à canon. La « Der des der » fut aussi monstrueuse que stérile ; vingt ans après un traité inique, la longue nuit retombait sur l'Europe. Il s'agit de témoigner notre reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui sacrifient leur propre existence afin que les autres puissent vivre.
Le 11 novembre, nous saluerons la mémoire des soldats tombés en opérations extérieures, car nous sommes très attachés au principe de non-discrimination des morts pour la France et nous approuvons les interventions qui visent au maintien de la paix. Ce doit aussi être l'occasion de reconnaître le courage et la lucidité des désobéissants qui ont refusé d'être sacrifiés sur l'autel des nationalismes. Et ainsi, de méditer sur le sens du devoir et de l'engagement. Nous avons longtemps commémoré ceux qui se sont sacrifiés pour la victoire. Commémorons aujourd'hui ceux qui se sacrifient pour la paix, la démocratie et les droits humains dans les régions les plus chaotiques. Au cours des années 1990, quelque 700 travailleurs humanitaires ont sacrifié leur vie. Récemment, la mort de Gilles Jacquier illustre le prix de la liberté d'informer. Ces morts aussi méritent une journée ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. Ronan Kerdraon. - Depuis la loi du 24 octobre 1922, la France commémore le 11 novembre. Nous n'avions aucune opposition de principe à honorer ce jour tous ceux qui sont morts pour la France. D'ailleurs, nous nous retrouvons pour assurer la fidélité indéfectible à tous les anciens combattants. Toutefois, nous craignions de priver chaque commémoration de sa spécificité : nous refusions un Memorial Day. C'est le sens de l'amendement déposé par M. Néri. Dès lors qu'il a été retenu par la commission mixte paritaire, le texte de celle-ci nous satisfait. Nous témoignerons ainsi notre reconnaissance envers les femmes et les hommes morts pour la France.
Lorsque nous avions critiqué l'urgence déclarée sur ce texte, on nous avait opposé le centenaire de la Grande guerre... qui devrait n'intervenir qu'en 2014, dans plus de deux ans ! Dommage que nous ayons été privés d'une réflexion de fond sur notre politique de la mémoire. On se souvient des polémiques suscitées par la décision de Jacques Chirac de fixer la commémoration de la guerre d'Algérie au 5 décembre plutôt qu'au 19 mars comme il serait logique.
La politique de mémoire doit s'adapter. Grâce à l'implication de tous, la cohésion sociale aurait pu être confortée. Commémorer, c'est se remémorer ensemble et ainsi construire une conscience collective. Les professeurs d'histoire ont un rôle majeur à jouer pour rendre l'histoire intelligible, pour situer les dates et les lieux, comme Oradour-sur-Glane ou Péronne.
Dans l'immédiat, nous nous contenterons de ce texte incomplet. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du groupe RDSE)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Madame Aïchi, la commission a décidé de créer un groupe de travail sur l'hommage dû aux non-militaires. Elle déposera une proposition de loi en ce sens. Monsieur Charon, merci d'avoir suppléé M. Cléach, empêché.
Le Sénat s'apprête à confirmer son vote du 24 janvier, ce dont je me félicite en saluant l'esprit d'écoute grâce auquel nous avons abouti à un large consensus. Ce texte équilibré inscrit dans notre mémoire collective le rôle des valeurs républicaines et patriotiques auxquelles nous sommes attachés. Il était impensable que la représentation nationale se divise sur un texte de cette nature. Peut-être qu'une préparation plus approfondie aurait apporté un consensus plus large encore. Nous devons conserver l'état d'esprit des commémorations devant le monument aux morts : aucun enfant n'y est mis de côté avec sa brassée de fleurs ! (Applaudissements)
Vote sur l'ensemble
M. Jean Boyer. - M. Tropeano a payé de son sang dans les Aurès. Moi aussi je suis parti sur la Grande Bleue à 20 ans. Là-bas, nous ne regardions pas ce qui pouvait nous diviser ; nous portions les couleurs de la France
Tout a été dit et bien dit. Une commune est symbolisée par la mairie, l'église, l'école -et le monument aux morts. La commémoration doit être un message de paix ! Comme l'a dit Victor Hugo, « tous ceux qui glorieusement sont morts pour la patrie ont droit que la foule vienne et se rassemble ». Ce qui pourrait nous diviser doit nous réunir. Il est bon qu'une journée rappelle que tous sont morts pour la France. (Applaudissements)
M. Robert del Picchia. - Je n'étais pas en Algérie, mais ma famille a eu beaucoup de combattants.
Le texte de la commission mixte paritaire est bien le résultat d'un consensus qui honore le travail parlementaire. Il crée un rendez-vous de la Nation avec son histoire pour rendre un hommage collectif à tous ceux qui se sont sacrifiés pour les valeurs de la France. Cette commémoration ne se substitue pas aux autres.
Au delà des polémiques sur le calendrier, ce texte renforcera l'unité nationale, notre bien le plus précieux, l'héritage que nous devons transmettre. L'UMP le votera.
M. Pierre Charon, rapporteur. - Très bien !
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
Prochaine séance demain, mardi 14 février 2012, à 14 h 30.
La séance est levée à 19 h 35.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du mardi 14 février 2012
Séance publique
À 14 HEURES 30
Proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire (n° 118, 2011-2012)
Rapport de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (n° 321, 2011-2012)
Texte de la commission (n° 322, 2011-2012)
DE 17 HEURES À 17 HEURES 45
Questions cribles thématiques sur l'indemnisation des victimes de maladies et d'accidents professionnels
DE 18 HEURES À 19 HEURES 15, LE SOIR ET, ÉVENTUELLEMENT, LA NUIT
Suite de l'ordre du jour de l'après-midi
EN OUTRE, À 19 HEURES
Désignation :
- des vingt-sept membres des missions communes d'information :
sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique
sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement
sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011
sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation
- des vingt et un membres de la commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques