Sécurité sanitaire du médicament (Nouvelle lecture - Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament.
Discussion générale (Suite)
Mme Françoise Laborde. - En première lecture, le groupe du RDSE s'était réjoui des nombreuses avancées que ce texte comporte ; parmi elles, la pharmacovigilance. Il nous inspirait toutefois des réserves : insuffisante transparence des travaux des comités, multiplication des agences. Notre groupe avait donc soutenu la commission des affaires sociales dans sa volonté de l'améliorer.
A l'heure d'une nouvelle crise sur les prothèses mammaires, l'urgence n'est pas de débattre sur le nom de la nouvelle agence. Nous ne pouvons adhérer au texte qui nous revient de l'Assemblée nationale après l'échec de la commission mixte paritaire. Absence de contrôle réel des liens d'intérêt et d'implication véritable de l'industrie pharmaceutique, retour sur le sort des visites collectives, encadrement insuffisant des ATU. J'arrête là : ce texte est trop loin des préconisations de la mission du Sénat sur le Mediator.
Dans sa grande majorité, le groupe du RDSE votera la question préalable. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Louis Lorrain. - Après l'échec de la CMP, le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, tout en maintenant des apports du Sénat, est plus équilibré et il correspond aux attentes de l'UMP. C'est un texte fondamental pour restaurer la confiance des Français dans le système du médicament. Sur la pharmacovigilance, le texte comble un manque réel. Il apporte également un plus pour la formation des professionnels de santé. Nous le soutiendrons.
Interdire tout lien d'intérêt dans les trois ans précédant la prise de fonctions à la tête de certaines agences ? Cette mesure était inapplicable. L'Assemblée nationale a bien fait de récrire l'article premier. Ne confondons pas liens et conflit d'intérêt. Entretenir un lien d'intérêt ne signifie pas être inféodé à l'industrie.
A l'article 2, le texte de l'Assemblée nationale améliore la transparence. Pourquoi cette suspicion à l'égard des associations de patients ? Celles-ci ont voix au chapitre.
Un renouvellement annuel des ATU ? Cela aurait été au détriment des patients. Inverser la charge de la preuve pour les victimes d'accidents médicamenteux ? Un tel bouleversement de la loi de 1998 exige, à tout le moins, une concertation avec les acteurs.
Mieux vaut un régime d'autorisation encadrée de la publicité sur les vaccins que son interdiction pure et simple.
Sur la visite médicale collective, M. Bruno Gilles avait défendu l'intérêt de maintenir des exceptions. Nous pourrons y revenir lors du bilan de l'expérimentation.
Enfin, la création de l'action de groupe à la française ne saurait être instaurée au détour d'un amendement.
Mme Nathalie Goulet. - Quand, alors ?
M. Ronan Kerdraon. - Aux calendes grecques !
M. Jean-Louis Lorrain. - Parce que ce texte répond aux besoins, nous le voterons ! (Applaudissements à droite)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Le texte est emblématique d'une dérive politicienne que nous ne pouvons pas cautionner. (Marques d'étonnement à droite) La CMP a échoué à cause du refus de l'Assemblée nationale de s'ouvrir au point de vue du Sénat qui avait travaillé dans un esprit non partisan. La base de notre réflexion était le rapport de la mission sur le Mediator, adopté à l'unanimité le 28 juin dernier.
Mme Nathalie Goulet. - Absolument !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je me réjouis du maintien de l'article 9 bis. Cela dit, le texte actuel, sans faire de procès d'intention, est plus restrictif : le dispositif est conditionné à un décret en Conseil d'État. Je ne veux pas croire que ce serait pour en limiter les effets.
Après le rapporteur, je soulignerai trois reculs. D'abord, l'absence d'harmonisation avec le projet de loi Sauvé sur la prévention des conflits d'intérêt. Recul encore sur les ATU, dont les députés ont assoupli le cadre législatif. Concernant l'expérimentation de la visite médicale collective, le détricotage a été minutieux. Le dispositif est vidé de son contenu.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Très juste !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - La visite médicale pour les dispositifs médicaux n'était pas une panacée, mais une première garantie... Sur l'action de groupe, je serai plus réservé : il faudrait créer une action de groupe générale, non sectorielle. Le projet de loi sur les droits des consommateurs devait nous en fournir l'occasion.
La décision du rapporteur est sage : le Sénat n'a pas de temps à perdre. Le groupe UCR ne prendra pas part au vote de la question préalable. (Applaudissements sur les bancs UCR)
Mme Aline Archimbaud. - Je remercie M. Cazeau pour son travail sur ce texte. Je partage ses arguments. Merci également à nos collègues de la commission : nos échanges ont été de qualité. Je remercie également nos collègues de la majorité qui se sont mobilisés pour défendre certains amendements. Après tout ce travail, quelle tristesse, quelle colère ! Le Sénat avait fait des propositions, s'était efforcé de juguler les liens d'intérêts, de défendre les droits des victimes, de promouvoir la sécurité sanitaire, de servir l'intérêt général.
Ce travail a été taillé en pièces par les députés, qui n'ont guère fait preuve d'esprit d'ouverture, annonçant en CMP que certains points étaient « non négociables ». Je regrette cette intransigeance. En tant qu'écologiste, je suis déçue par le manque d'ambition sur les visiteurs médicaux.
M. Xavier Bertrand, ministre. - A qui le dites-vous !
Mme Aline Archimbaud. - Heureusement, le Sénat va constituer un groupe de travail. Quelle déception aussi que l'on revienne sur l'action de groupe ! Vous laissez les malades seuls face à leur souffrance. C'est inadmissible !
Ce texte est un acte de démission : dans la santé comme ailleurs, les lobbies privés savent obtenir gain de cause. Je me battrai toujours contre ces pratiques.
Notre travail n'est pas perdu : ne nous décourageons pas. Il revient à la nouvelle majorité sénatoriale de dessiner ce que nous mettrons demain en oeuvre. Le Sénat aura au moins envoyé un message fort à tous ceux qui ne veulent pas voir se renouveler les affaires Mediator, Distilbène, Vioxx ou hormones de croissance...
Le texte de l'Assemblée nationale n'est que de façade. L'actualité brûlante rappelle combien l'industrie pharmaceutique est encore influente. Servier vous adresse un véritable pied-de-nez à vous et aux victimes du Mediator en demandant le regroupement à Paris des procédures. Et dire qu'un ancien de Servier a failli être nommé à l'Afssaps ! La situation exige autre chose qu'une loi alibi ! (Applaudissements à gauche)
M. Ronan Kerdraon. - Ce texte a vécu de nombreuses péripéties. En juin, monsieur le ministre, vous redoubliez de volontarisme, promettant une réforme en profondeur n'ayant pour seul objectif -louable s'il en est- que de protéger le patient. Nous attendions, peut-être naïvement, un texte ambitieux, courageux et efficace. En août, nous découvrions un projet de loi mièvre, bien en deçà des préconisations des parlementaires de tous bords.
Avez-vous cédé aux pressions des lobbies pharmaceutiques ?
Mme Chantal Jouanno. - Trop facile !
M. Ronan Kerdraon. - Vous vous êtes contenté d'une loi a minima, écartant d'emblée les réformes nécessaires.
Lors de la première lecture au Sénat, il nous a donc fallu réviser en profondeur votre texte pour faire primer les intérêts des patients sur ceux des laboratoires. Obligation de déclaration publique d'intérêts pour les membres des cabinets ministériels...
M. Xavier Bertrand, ministre. - Nous n'avons pas attendu la loi pour le faire !
M. Ronan Kerdraon. - ...entre autres avancées, dont l'action de groupe.
Mais les députés UMP ont fait avorter, et même capoter, la CMP : chronique d'un échec annoncé... Est-il possible d'aller trop loin dans la protection sanitaire et dans la réparation du préjudice des victimes ? Dans un pays normal, non. En Sarkozie, oui. (Soupirs à droite)
Il nous faut nous en remettre au décret -ce n'est guère rassurant. Exit les apports sur les liens d'intérêt, régression sur la gouvernance du médicament, reculade sur l'octroi des ATU, suppression des mesures visant à protéger les droits des patients, recul sur la formation des professionnels médicaux. Au total, toutes les avancées du Sénat ont été supprimées. Pourquoi une telle défiance ? C'est une grande déception, une grande frustration, une colère mêlée d'amertume qui m'animent aujourd'hui.
Les conclusions de la mission sur le Mediator étaient pourtant consensuelles. Nous pouvions restaurer la confiance de nos concitoyens dans le médicament. Au lieu de cela, vous culpabilisez les victimes, comme me l'a encore confié hier une victime dans ma commune. Nous ne nous prêterons pas à un simulacre de débat démocratique : nous voterons la motion. (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Cazeau, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat,
Considérant que l'Assemblée nationale n'a retenu aucune des rédactions approuvées par la commission mixte paritaire sur les articles relatifs aux liens d'intérêts, aux avantages consentis par les entreprises et à la gouvernance des produits de santé ;
Considérant que les dispositions tendant à renforcer les droits des victimes d'accidents médicamenteux ont été supprimées et que, tant l'Assemblée nationale que le Gouvernement, ont manifesté leur volonté de reporter sine die toute avancée dans ce domaine ;
Considérant que les dispositions du texte, par leur imprécision ou le renvoi à des textes d'application réglementaire, le vident en grande partie de sa portée ;
Considérant que cette entrave à l'application directe des mesures votées par le législateur porte en particulier sur l'obligation d'essais contre comparateurs actifs pour l'admission au remboursement des médicaments prévue à l'article 9 bis ;
Considérant que toute réflexion sur la question de la création d'un corps d'experts indépendants, sur le financement des associations d'usagers et sur l'avenir des visiteurs médicaux a été écartée ;
Considérant, dans ces conditions, que ce projet de loi n'est pas de nature à empêcher la survenance d'une nouvelle affaire comme celle du Mediator alors que des conclusions unanimes avaient été adoptées en mission sénatoriale d'information ;
Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Lorsque l'Igas a remis, en janvier, son rapport sur le Mediator, le ministre de la santé disait : « Notre responsabilité, ma responsabilité, mon devoir, c'est de rebâtir un nouveau système du médicament, un nouveau système de sécurité sanitaire pour qu'il n'y ait pas demain un nouveau Mediator ». Belle et vigoureuse ambition. Vous avez semé l'espoir, vous récoltez la déception. L'occasion était pourtant là pour trouver un consensus. Vous avez préféré l'affichage. Le Sunshine Act à la française ? « Sans transparence totale, point de confiance totale » disiez-vous, monsieur le ministre. Mais l'Assemblée nationale en a décidé autrement -renvoyant au décret et ne jugeant pas la déclaration utile sur des avantages... tels que les cafés et les stylos.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Mensonge ! C'est tout le contraire.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Nous essayons de dire la vérité.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Difficile quand on n'a pas l'habitude !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Soyez poli ! Vous n'arriverez pas à me faire déraper. Vous avez accepté sans broncher que dès leur formation initiale, les praticiens reçoivent des cadeaux des laboratoires.
Après l'échec de la CMP, l'Assemblée nationale n'a repris qu'à la marge nos propositions. Nous prenons acte de l'échec de la navette avec cette motion.
Sur les articles 1 à 5, la CMP était parvenue à un accord : l'Assemblée nationale n'en a rien retenu et préféré revenir à son texte initial. L'article 9 bis aura des conséquences importantes : l'Assemblée nationale avance sa mise en oeuvre à 2012 -tout en s'en remettant au pouvoir réglementaire ! La position du Sénat était plus honnête.
Nous ne pouvons cautionner le mauvais coup porté aux droits des patients par l'Assemblée nationale qui supprime trois articles majeurs, dont l'action de groupe, préférant l'immobilisme au dialogue. Je vous demande donc d'adopter cette motion.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Chassez le naturel, il revient au galop ! A l'Assemblée nationale, le groupe socialiste n'a pas voté contre. Pourquoi ? Parce que ce texte propose des avancées incomparables. Faut-il voir dans ce refus un mouvement de mauvaise humeur, ou le retour à un vieux réflexe politicien ? (Vives exclamations à gauche)
M. Jean-Jacques Mirassou. - Allons, allons !
Mme Chantal Jouanno. - Vous avez exigé du respect ; écoutez le ministre !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Ce texte protecteur, issu du rapport de l'Igas, sera la loi de la République. Vous instillez le doute car, en définitive, vous n'en avez pas été à l'initiative. Ceux qui nous regardent n'ont qu'une préoccupation : la sécurité des médicaments ! Certains points, vous le savez parfaitement, relèvent des articles 34 et 37 de la Constitution. D'où le décret sur la déclaration des avantages. Que chacun prenne ses responsabilités.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Nous le faisons, plus que vous !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Reconnaître les avancées, même quand on est dans l'opposition, cela donne de la crédibilité, messieurs. A l'Assemblée nationale, des socialistes ont eu la bonne attitude. Mais au Sénat, la gauche a retrouvé ses vieilles postures politiciennes. Tout cela ne fait pas du bien à la démocratie ; ce texte, lui, fera du bien à la santé des Français ! (Applaudissements à droite)
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Il est vide !
Explications de vote
M. Dominique Watrin. - C'est avec regret que nous nous apprêtons à voter la motion. Le choix des députés UMP ne nous laisse pas d'autre choix. Le texte n'est pas à la hauteur des enjeux. Sur les conflits d'intérêts, nous étions pourtant d'accord à l'issue de la mission sénatoriale ! L'ancienne majorité était sans doute pour des mesures qui seraient restées lettre morte...
La majorité présidentielle a vidé notre travail de toute substance. Je regrette que l'Assemblée nationale soit revenue sur nos amendements, qui renforçaient les droits des patients, et l'indemnisation des victimes. Enfin, la procédure d'action de groupe était elle aussi une préconisation de la mission de l'Assemblée nationale sur le Mediator !
M. Roland Courteau. - Stupéfiant !
M. Dominique Watrin. - L'Assemblée nationale refusant le débat, nous en tirons les conséquences et voterons cette motion. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Jacques Mirassou. - Monsieur le ministre, pourquoi tant d'agressivité envers les sénateurs, qui ne font que leur travail ? Ne méritent-ils pas le respect ? Mais il est vrai que vous avez superbement ignoré le travail de notre mission sur le Mediator en convoquant une conférence de presse avant qu'elle rende son rapport. Il n'y a pas l'épaisseur d'un papier à cigarette entre vous et votre majorité à l'Assemblée nationale qui a fait et défait sans rien vous refuser. Mais les sénateurs n'ont accompli que leur devoir.
Qu'en est-il, objectivement, de la formation, initiale et continue, des médecins, notamment généralistes, en zone rurale ? Je regrette que le texte fasse l'impasse sur ce sujet majeur. En toute légitimité, nous sommes fondés à voter, sans appréhension, cette motion. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Louis Lorrain. - Je me félicite que la pharmacovigilance devienne une véritable préoccupation. La France sera exemplaire en la matière.
La refonte des institutions était indispensable. Les résultats de la mission du Sénat sur le Mediator -j'y ai participé- n'ont pas été ignorés, loin de là.
Il faut affiner la définition du lien d'intérêt, en évitant la diabolisation. Lisez donc le livre de M. Hirsch, qui dit certaines vérités.
C'est vrai qu'il y a du mésusage, mais aussi des avancées. Le médecin généraliste de campagne, à l'écart de tout, c'est un mythe. J'ai été ce médecin de campagne, rat des champs, je ne crois pas avoir porté préjudice à mes patients !
M. Claude Léonard. - Oui, ces propos étaient inadmissibles !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Je n'ai jamais dit ça !
La motion n°1 est adoptée.