Débat préalable au Conseil européen du 9 décembre
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen du 9 décembre 2011.
M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. - L'Europe est à la croisée des chemins. Une voie mène au chaos économique, à la fin d'un modèle de démocratie, de paix et de prospérité. C'est celle du renoncement, de l'illusion que nous pourrions nous passer de l'Europe dans la mondialisation, que nous pourrions continuer à financer notre niveau de vie en accumulant les dettes. L'autre voie est celle de la vérité et de la responsabilité, de l'effort commun juste et coordonné. Le temps où chacun pouvait vivre à crédit en profitant de la bonne gestion de quelques-uns est révolu. Entre un monde qui s'éteint et un monde qui se construit, nous avons le devoir de construire une nouvelle Europe. Nous voulons avancer à 27, mais s'il le faut nous avancerons avec les pays de la zone euro et ceux qui voudront nous rejoindre. Le prochain conseil sera crucial, il validera le choix de plus d'Europe et de mieux d'Europe.
Il faut d'abord aller vers plus de coordination des politiques économiques, ainsi que l'ont tracé la France et l'Allemagne. La crise n'est pas celle de l'Europe ni celle de l'euro, mais celle de la dette souveraine : pour renforcer notre crédibilité commune, il faut renforcer notre discipline commune, en inscrivant une règle d'or dans nos Constitutions. Il appartiendra au juge constitutionnel national et non à la Cour de justice de l'Union européenne de vérifier la conformité des budgets à cette règle. C'était une exigence forte de la France : notre souveraineté ne doit pas être altérée ; c'est au Parlement de voter le budget.
Pour aller vers l'avenir, nous devons avoir confiance en chacun : les États qui laisseront leur déficit dériver au-delà de la règle des 3 % seront automatiquement sanctionnés, le Conseil pourra toutefois s'y opposer à la majorité qualifiée. Les investisseurs doivent savoir que tous les États honoreront leur signature -la Grèce fut une exception qui ne se reproduira pas. Les épargnants n'ont rien à craindre d'une éventuelle restructuration de dettes souveraines.
Le mécanisme européen de stabilité (MES) sera mis en place un an plus tôt que prévu : les décisions seront prises à la majorité qualifiée renforcée. Les parlements nationaux et les élus prendront plus de part aux décisions : c'est affaire de démocratie.
Il faut relancer la croissance et l'emploi, renforcer la compétitivité : tel est le but de la discipline associée à la solidarité. Nous entendons approfondir le marché unique, avec des mesures en faveur des PME, développer une politique industrielle européenne qui évite la concurrence entre États membres. Le Conseil examinera les progrès réalisés dans la mise en oeuvre du pacte « Euro plus », notamment en matière de coordination fiscale et d'emploi.
Nous souhaitons l'accord unanime des Vingt-sept pour la révision des traités, nous sommes déterminés à avancer avec les Dix-sept de la zone euro et ceux qui voudront les rejoindre. Le nouveau traité pourrait être finalisé en mars 2012, pour une ratification avant la fin de l'année. Les sommets de la zone euro se tiendront tous les mois tant que durera la crise.
L'énergie est une question centrale. Il faut tenir compte de la catastrophe de Fukushima et des négociations de Durban. D'une vraie politique européenne de l'énergie dépend notre indépendance. Le Conseil examinera également les résultats des tests des centrales nucléaires.
Sur les perspectives financières 2014-2020, la France considère que la priorité, en période de rigueur, est de dépenser mieux : nous voulons une évaluation des différentes politiques -hors la PAC, qui a déjà été évaluée.
L'élargissement... La France défend l'idée d'une ouverture vers les Balkans occidentaux, la Croatie va intégrer l'Union ; elle doit montrer l'exemple. Pour la Serbie, la France considère son statut de candidat, pour encourager ses efforts. Pour le Monténégro, elle demandera un délai de six mois supplémentaires. Les Balkans occidentaux ont vocation à entrer en Europe mais cette entrée doit être exigeante et contrôlée. Il ne peut être accepté qu'à l'intérieur de l'Europe des pays soient en conflits entre eux.
Sur l'Iran, le Conseil condamnera fermement les attaques contre l'ambassade britannique et demandera que de nouvelles sanctions entrent en vigueur en janvier prochain. (Applaudissements à droite)
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - On nous annonce une fois de plus une échéance décisive. Face au « démon de l'endettement », le bon exorcisme aurait enfin été trouvé : la révision des traités. Cela devient une habitude... Après le premier plan d'aide à la Grèce du 21 juillet, qui devait ramener le calme, est venu le second le 26 octobre... Le FESF, apprend-on aujourd'hui, peine à jouer son rôle. Qu'à cela ne tienne ! Voici le mécanisme européen de stabilité qui doit lui succéder. On s'y perd un peu... On nous parle aujourd'hui d'un mécanisme de surveillance budgétaire : que fait-on du Pacte de stabilité et du semestre européen ? Le « paquet gouvernance » a demandé dix-huit mois de négociation...
Qu'y aura-t-il de plus dans le nouveau traité ? Des sanctions automatiques ? La France était contre, elle est pour aujourd'hui...La majorité qualifiée inversée ? Elle était contre il y a à peine un mois... Nous ne savons pas ce qui a changé depuis...
Ce déphasage avec l'urgence de la situation est total. Tous les signes de la récession sont là, et le remède proposé ? Une nouvelle révision des traités. On a mis des années à mener à bien la précédente... Et là, on touche à des points majeurs concernant la procédure budgétaire.
Certes, le problème de l'endettement public est devenu prioritaire, comme aux États-Unis. Mais suffit-il de donner un nouveau gage aux marchés, quand on sait que c'est la récession qui est à l'origine du problème ? En Grèce, en Espagne, en Italie, au Portugal, on voit les effets de la spirale de l'austérité : ce n'est pas en gravant cette politique dans le marbre des traités que l'on s'en sortira. L'Italie, sur laquelle nous nous sommes penchés, n'est pas en situation si mauvaise ; hors charge de la dette, son budget est en équilibre. Pourquoi les marchés lui imposent-ils de tels taux ? A cause de la récession ! C'est pourquoi le plan de rigueur de M. Monti, de 20 milliards d'euros, est assorti d'un plan de relance de 10 milliards : c'est la sagesse, c'est ce qu'il faut faire en Europe.
Il faut, au niveau européen, soutenir de grands projets structurants dans les transports, l'énergie, les communications. La Commission européenne a proposé 50 milliards, avec un effet de levier important, et 80 autres milliards en recherche et développement -Iter, GMES...
Imposer au budget européen les mêmes restrictions qu'aux budgets nationaux, c'est se tromper de combat : il doit être d'investissement, à la hauteur des enjeux. Mais tant que les rapports avec les budgets nationaux seront un jeu à sommes nulles, on n'avancera pas. Il faut au budget européen des ressources propres. Il faut développer les project bonds pour développer la capacité d'intervention de la BEI.
Si les citoyens voient dans l'Europe une interminable purge, si le déficit démocratique se réinstalle, ils s'en détourneront. Il faut qu'ils puissent faire entendre, par la voie parlementaire, leurs préoccupations. J'ai saisi le président du Sénat de propositions. Ils ont besoin de justice dans l'effort, quand nos politiques de rigueur creusent les inégalités. La rigueur ne fait pas une politique, ce n'est pas une fin mais un moyen. Il faut redonner sens à la construction européenne, qui en a plus que jamais besoin. (Applaudissements à gauche)
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. - Je veux insister sur les difficultés économiques de la France, relayer les inquiétudes sur la faiblesse européenne aux négociations de Durban -qui pourrait être un Copenhague bis alors que le protocole de Kyoto arrive à son crépuscule.
Une vraie politique énergétique européenne doit émerger au lieu de ces succédanés de régulation qui en tiennent lieu. Les états moteurs -France, Allemagne, Italie- doivent prendre la mesure de ce qui menace l'euro, et militer pour les euro-bonds, un élargissement du Fesf et un rôle accru de la BCE.
La confiance dans l'économie se dégrade, en même temps que les fondamentaux, qui conduisent la Commission à revoir la croissance à la baisse : 0,5 % en 2012 pour la zone euro, 1,3 % en 2013. Le chômage dépasse les 10 %. Même l'Allemagne subira les conséquences de la crise. Loin de la critique germanophobe, nous invitons à l'instauration d'un Gouvernement économique à l'échelle de l'Union. Nous plaidons pour une recapitalisation des banques qui s'accompagne d'une implication accrue des acteurs publics, assortie d'un renforcement du Fesf et d'une taxe sur les transactions financières. Le rôle de la BCE, aussi, doit évoluer, et la dette partiellement mutualisée.
Autant de solutions qui tardent à se concrétiser : on est toujours en retard d'un métro par rapport aux attaques des marchés.
Il ne faut cependant pas perdre de vue le défi du changement climatique. La politique d'efficacité énergétique de 2007 a fixé des objectifs aujourd'hui inatteignables. Pourtant, l'économie d'énergie est le meilleur moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle allège, de surcroît, la facture des ménages et limite notre dépendance. Les gaz à effet de serre, c'est une difficulté, ignorent les frontières, alors que nos politiques sont nationales : le champ de l'Union européenne est le plus légitime et le plus pertinent. Il lui faut une vraie politique énergétique, qui se réduit aujourd'hui à la dérégulation des secteurs nationaux. La concurrence ne fait pas baisser les prix, on l'a vu partout.
Il faut une régulation réformée, pour promouvoir le développement d'infrastructures énergétiques à l'échelle du continent. Et une politique qui permette de relever le défi du changement climatique. Ce sera le problème majeur de demain pour la planète. (Applaudissements à gauche)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - L'accord du 11 octobre devait être historique. Conjugué aux décisions du G20, il devait nous sortir de la crise. Las, les désaccords furent tels que l'on en vint même à transposer, pour le financement des États, des techniques sophistiquées, analogues à celles qui ont conduit à la crise des subprimes... Aujourd'hui, l'effet de levier n'a pas été trouvé...
Et voilà qu'il est question de l'entrée en vigueur anticipé du MES qui, au lieu de succéder au Fesf, fonctionnerait en parallèle avec lui. La représentation nationale est en droit de s'interroger sur ce qui est sur la table.
L'annonce d'un nouveau traité dans des délais rapides ? Pas si sûr... On ne sait pas de quoi l'on parle. Traité ? Avenant à un protocole ? Et selon quelle méthode ? Conférence intergouvernementale ? Convention ? Les délais sont-ils tenables ? Il a fallu un an pour arrêter le paquet gouvernance ; et les modifications techniques apportées en mars au Fesf ne sont entrées en vigueur qu'en novembre...
Une autre idée est sur la table : nous pourrions céder à M. Cameron sur la question de l'unanimité en matière de régulation financière en échange de son soutien au processus...
Et négocier un traité en pleine campagne électorale ? Est-ce là stratégie de campagne ? Et même si le traité est modifié, il faudra le ratifier. Les peuples ne peuvent plus être tenus à l'écart ; il faudra organiser des référendums. Imaginez la situation : des États en proie à des difficultés de financement, une situation économique à vocation récessive, des divisions politiques marquées. Il y a tant d'aléas qu'on en vient à se demander si le scénario n'a pas été écrit pour ne jamais être réalisé... Ou alors... Est-ce habileté, monsieur le ministre, pour gagner du temps et autoriser l'intervention de la BCE ? Mais lève-t-elle le doute qui a conduit à la mise sous surveillance négative des États européens, en même temps que la crainte de la récession ?
Le gouverneur de la BCE s'est déclaré favorable à une intervention accrue si les États souscrivaient au pacte budgétaire. Mais il faut s'interroger : les deux maux dont souffre l'Europe, ce sont l'incapacité de ses dirigeants à prendre des décisions, et les perspectives de croissance ; ce sont des symptômes de l'absence d'ambition politique. Alors on se focalise sur la discipline budgétaire. Mais c'est insuffisant pour rassurer les investisseurs : les marchés attendent des avancées en matière de gouvernance. (M. Jean Leonetti, ministre, le confirme) Tant que nous n'aurons ni les euro-bonds, ni la perspective au moins à moyen terme d'une politique budgétaire intégrée, l'horizon ne s'éclaircira bas. Pas plus que si persiste le doute de la gouvernance politique. M. Sarkozy parle d'intergouvernemental, ce n'est pas le langage de Mme Merkel : intégration communautaire, dit-elle...
Le Gouvernement a toujours refusé que les hypothèses de croissance soient déterminées par un organisme extérieur ; en revanche, la règle d'or revient sur le tapis. Mais si l'on applique une règle sur des hypothèses délibérément optimistes, où est le progrès ? Le modèle allemand a deux inconvénients : allez expliquer à vos électeurs ce qu'est le solde structurel... et il est inapplicable : aucun économiste ne s'accorde sur les dates de début et de fin cycle.
M. le président. - Il faut conclure !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - Le Gouvernement doit inventer autre chose ; mais comme il n'a pas d'idée, il demande leur avis aux socialistes... La meilleure règle, c'est une trajectoire crédible. Avec la règle d'or, majorité et Gouvernement jouent avec le feu. Ils se sont mis tout seuls dans une impasse et auront du mal à en sortir. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Billout. - Un fois de plus, on dramatise : c'est le sommet de la dernière chance. Après le meeting électoral de Toulon, la présentation devant le Bundestag des tractations franco-allemandes par Mme Merkel, qui a dit qu'elle ne céderait sur rien et que les sanctions s'abattraient sur les États qui refuseraient l'austérité... Puis ce fut l'annonce commune d'un accord, une fois de plus a minima. Au reste, il n'a pas suffi à satisfaire les marchés ; à peine dévoilé, Standard and Poor's a mis les États européens sous surveillance négative. Cela augure mal des résultats du Conseil à venir. Sommet après sommet, la situation se détériore et les marchés restent aussi agressifs. Preuve qu'austérité et autoritarisme, c'est faire fausse route, c'est entrer dans la spirale de la récession et du moins-disant fiscal et social.
Pas d'autre solution que l'union sacrée autour du président de la République, nous dit-on. On sait bien qui a cédé devant qui... Les différences d'appréciations sont montées en épingle à des fins électorales. Les euro-bonds sont oubliés, comme l'accroissement du rôle de la BCE et la solidarité financière. En revanche, ce sera la révision des traités, avec des sanctions automatiques et un contrôle des budgets nationaux. Autant dire un carcan empêchant toute politique alternative. Des politiques autoritaires, qui dessaisissent les États de leur souveraineté budgétaire au profit d'instances non démocratiques : nous ne pouvons l'accepter.
Nous soutenons la création d'un fonds de développement social, solidaire et écologique. Pour se dégager de la tutelle des marchés, il devrait être soutenu par la BCE. Les banques ? Il y faudrait une prise de participation majoritaire des États dans certaines d'entre elles. Quelques pistes encore, depuis l'interdiction des ventes à découvert jusqu'à la taxation des transactions financières. Faute d'un changement de logique, les propositions franco-allemandes vont aggraver la situation économique et sociale des peuples d'Europe. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Plancade. - De sommets décisifs en sommets de la dernière chance, rien n'avance. Entre la perte désormais possible du fameux triple A de certains pays et les besoins de refinancements immédiats d'autres, la monnaie commune est exposée à des heures agitées ; certains se demandent même si l'euro sera encore là en janvier.
Comment en est-on arrivé là ? L'Union européenne hésite et doute, elle a toujours décidé -de façon technocratiques et lointaine- sous la pression des circonstances plutôt que dans l'enthousiasme d'un projet tourné vers l'avenir. Elle ne cesse d'être en retard d'une ou plusieurs batailles. Le décalage est total entre la violence des attaques spéculatives et les réponses des institutions européennes.
La politique ne peut plus être à ce point en décalage avec l'économie et la finance. On doit en revenir à ce principe qui n'aurait pas dû être oublié : c'est au politique d'imposer sa loi. (Marques d'approbation)
Pourtant, malgré les plans de rigueur, les attaques continuent. Ce qui est en cause, ce ne sont pas les États, pris individuellement, mais l'Europe et son intégration, qui est incapable de s'imposer. Le seul mérite des agences de notation est d'en appeler à une gouvernance commune. Pout tenter d'éteindre l'incendie, le président de la République propose un nouveau traité. Cet objectif ambitieux se traduit par l'accord franco-allemand -dont on ne connaît pas la teneur. Discipline budgétaire ? Pourquoi pas, mais on ne répond pas à la crise : toujours trop peu, toujours trop tard !
Et, surtout, ce nouveau traité prendra des mois, des années. Aucune réponse immédiate. Certes, les règles du pacte de stabilité doivent être respectées, mais l'austérité, la rigueur aveugles ne règlent rien. C'est de l'investissement et de la croissance que dépend l'avenir de l'Europe. Il faudrait parler mutualisation de la dette souveraine, euro-obligations. Les Européens n'accepteront pas une révision comptable des traités. L'inflexibilité de Mme Merkel est critiquée en Allemagne même, par l'ancien chancelier Helmut Schmidt et le commissaire Oettinger, pourtant issu de la CDU.
Les Radicaux de gauche plaident pour un véritable gouvernement économique, pour une harmonisation fiscale, pour un budget de l'Union à la hauteur des enjeux, pour une capacité d'emprunt avec une approche sociale volontariste. Et plus largement nous appelons de nos voeux la formation d'une Europe fédérale, forme de gouvernement sans laquelle les égoïsmes nationaux prendront toujours le pas sur la solidarité européenne. Espérons que les chefs d'Etat et de gouvernements fassent montre d'une telle vision globale et prospective.
Dans la guerre, selon le mot célèbre, des gens qui se connaissent font se battre des gens qui ne se connaissent pas. Nous sommes aujourd'hui dans une guerre économique avec des financiers qui se connaissent, des spéculateurs qui se fréquentent et qui font payer leur avidité sans mesure par des millions de gens qui ne se connaissent pas, qui n'ont rien demandé, et qui ont envie de vivre honnêtement de leur travail. (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)
M. Jean Bizet. - Le Conseil européen va se réunir : nous attendons depuis six mois une solution miracle. Certes, il faut faire face à l'urgence mais, comme l'a dit Mme Merkel, des efforts sont indispensables, sur le long terme.
A court terme, nous souffrons d'une crise de confiance, tant entre les banques qu'entre les États. Des mécanismes plus contraignants sont donc nécessaires. L'euroscepticisme s'est réveillé. Face aux conséquences de l'endettement, nous sommes obligés d'avoir une réponde commune. Les États ne peuvent plus continuer à creuser leur dette : la souveraineté partagée est donc indispensable. Si ce point est accepté par tous, la confiance reviendra.
L'éternel débat entre les solutions étatiques et européennes doit céder le pas devant cette crise. D'où l'importance du couple franco-allemand : c'est dans le rapprochement des points de vue de nos deux pays que s'élaborent des solutions consensuelles. L'Allemagne a fait des efforts alors que nous n'avons fait qu'une partie du chemin. Nous constatons un écart de dix points de PIB entre la France et l'Allemagne en matière de dépenses publiques. Le système de santé allemand est en équilibre ; le nôtre connaît un déficit de 20 milliards. Le système scolaire allemand coûte moins cher que le nôtre et qui pourrait prétendre qu'il soit moins bon que le nôtre ? L'Allemagne a un million de fonctionnaires de moins que nous et est aussi bien gérée. Pourquoi aurions-nous honte de nous inspirer du modèle allemand ?
Le rôle de la BCE ne devrait pas être tabou. Elle est indépendante mais les parlementaires le sont aussi. Ils ont leur mot à dire sur la politique qu'elle mène. Voyez la FED : elle est indépendante mais elle dialogue avec le politique ; elle n'accepte pas d'injonctions mais elle ne refuse pas la coopération. Bref, elle ne voit pas son indépendance comme un splendide isolement. Sa politique monétaire est plus favorable à la croissance que celle de la BCE. Certes, cette dernière a assoupli sa politique, mais de façon exceptionnelle. Il faudrait plus de pragmatisme de sa part. Bref, je souhaite qu'on réfléchisse aux missions de la BCE. (Applaudissements à droite)
M. Aymeri de Montesquiou. - Michael Fuchs, de la CDU, voit dans l'annonce de Standard and Poor's un calcul d'ordre politique pour détourner l'attention de la situation déplorable des Etats-Unis. Goldman Sachs a certifié les comptes falsifiés de la Grèce puis elle a encouragé à spéculer contre les dettes souveraines. Si cette responsabilité était reconnue, quels dédommagements pourrait demander l'Europe ?
L'Union européenne est la première puissance économique mondiale -virtuellement. Elle doit le devenir réellement, ce qui signifie d'indispensables sacrifices de souveraineté. Jacques Delors a souligné dans The Telegraph que les imperfections innées de l'euro, parmi lesquelles la plus importante, une banque centrale sans État correspondant, n'ont pas été traitées à temps et que leur ampleur a été révélée et amplifiée par la crise.
En matière énergétique, la diversification est nécessaire. L'Union européenne est trop dépendante de la Russie pour son pétrole et son gaz. Des gazoducs relient désormais directement ce pays à l'Union européenne. Nous devons faire du gazoduc Nabucco une priorité européenne car il évite la Russie et permet ainsi à l'Union de diversifier utilement ses sources à partir du Caucase et de l'Asie centrale. Si les hydrocarbures de la Caspienne n'y suffisent pas, l'Irak et surtout l'Iran seraient des fournisseurs potentiels. Le problème iranien est sensible en raison du régime actuel mais ce grand pays aura un rôle majeur à l'avenir. Le régime en place n'est pas éternel.
J'en viens au nucléaire, qui est le principal élément du bouquet énergétique français. Si l'on réduit la production nucléaire française, on ne pourra respecter les 3 x 20 prévus. Où en est l'élaboration de la directive de progrès ? Si l'Union européenne ne parvient pas à parler d'une même voix, c'est que ses entreprises sont concurrentes en Russie.
M. Jean Bizet. - C'est vrai.
M. Aymeri de Montesquiou. - Les conclusions du Conseil européen du 4 février dernier ont démontré l'intérêt d'un partenariat commun en Europe pour pénétrer le marché russe. Depuis dix ans, nous renforçons les partenariats avec la Russie mais les déboires sont nombreux. Il faut encourager l'émergence de consortiums entre l'Europe et la Russie.
Européen convaincu, je ne suis pas favorable à son élargissement. En 1995, je m'étais abstenu contre l'élargissement aux pays du nord et à l'Autriche. Certes, les Balkans occidentaux ont vocation à entrer en Europe mais il nous faut des institutions opérationnelles à trente. (Applaudissements à droite)
M. Michel Delebarre. - Le Conseil de demain examinera la situation économique en Europe. Vaste programme !
L'accord du 26 octobre, présenté comme historique, et de la dernière chance par le président de la République, était déjà insuffisant et n'a pas encore été mis en oeuvre. C'est toujours le même scénario. On dramatise, puis les Français et les Allemands se réunissent et disent : « La crise est derrière nous ». Une nouvelle fois, on nous présente comme plan de la dernière chance, un plan qui serait le seul possible. Pour affronter une telle situation, il eût fallu une vraie volonté politique. On en est loin !
M. Sarkozy veut faire entériner par l'Union européenne sa « règle d'or », qu'il ne peut faire adopter en France. Il est maladroit et inopérant de présenter l'Union européenne comme une suite de directoires à deux. Il est regrettable que la BCE n'assouplisse pas ses interventions. Dès 1983, Jacques Delors appelait de ses voeux des euro-obligations.
Un autre projet politique est possible. L'Union européenne ne se résume pas à une union monétaire ni même à la solidarité budgétaire. Il y a quelques années, on appelait de ses voeux une Europe sociale ; plus personne n'ose afficher une telle ambition.
Je crains que Durban ne soit plus bas encore que Copenhague et que l'Union européenne ne parvienne pas à s'y faire entendre.
Le pacte évoqué par François Hollande donnerait un nouvel élan. Tous les pays de l'Union européenne ont intérêt à sauvegarder l'euro. Il serait vain de nous recroqueviller derrière les limites engoncées de nos frontières nationales. On ne peut, cependant, imaginer un gouvernement des juges sans le soutien des peuples. Le sursaut de l'Europe passe par un approfondissement de sa légitimité démocratique. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Leonetti, ministre. - Je me réjouis de ce débat apaisé, riche. Je partage avec vous cette vision d'une Europe de l'après, qui se consacrerait à la recherche, aux grands travaux. Le président de la République appelle de ses voeux une taxe sur les transactions financières et sur le carbone. Que dire de la BCE ? Elle est indépendante. Nous ne pouvons l'inciter à agir, mais nous observons avec beaucoup d'attention ce qui vient de se produire ces derniers jours : elle commence à prendre ses responsabilités.
Oui, nous sommes inquiets pour Durban. L'Union européenne est responsable de 11 % des émissions mondiales. Va-t-elle poursuivre ses efforts alors que les autres pays ne le veulent pas ? Nous devons entamer les négociations avec détermination. L'abandon du protocole de Kyoto serait très mal vu par les pays émergents. En cas d'échec, le développement durable devra devenir un argument déterminant.
« Les yeux du monde sont tournés vers l'Europe avec inquiétude ! ». Qui a dit cela ? Le secrétaire américain au Trésor. De fait, l'euro peut exploser, ce qui aurait des effets dommageables pour le monde entier.
M. Billout a dit son exaspération à l'égard des agences de notation. Nous ne pouvons effectivement pas vivre sous la pression permanente. Ce sont des prophètes de malheur, comme disait La Fontaine. Nous ne pouvons apprécier leur objectivité et leur indépendance. Elles pratiquent beaucoup la prédiction auto-réalisatrice.
Non, la règle d'or n'est pas un carcan. Elle illustre ce que disait Rousseau de la liberté : elle est obéissance à la règle que l'on s'est soi-même prescrite. C'est pourquoi une règle voulue par tous est nécessaire. D'ailleurs, nous sommes tous d'accord pour nous imposer une discipline budgétaire. Si nous nous donnons des règles démocratiques, nous pourrons nous battre contre les marchés.
« Trop peu, trop tard », monsieur Plancade ? Oui, les spéculateurs vont plus vite que les démocraties. Nous devons arrêter le premier incendie, après avoir mis le premier garde-fou pour sauver la Grèce. Maintenant, il faut se méfier des incendiaires fous.
Certes, monsieur Bizet, la crise ne s'arrêtera pas après un sommet européen. Comment envisager de défendre des intérêts nationaux contre d'autres intérêts nationaux ? Les nationalismes aboutissent à des reculs, à la guerre. Notre grande réussite, c'est d'être passé à la paix, à l'amitié avec l'Allemagne.
Pourquoi ne pas se comparer à l'Allemagne ? Pourquoi ne pas comparer nos comptes de santé ? M. Delebarre estime que la crise n'est pas finie. De fait, l'Union européenne ne se réduit pas à l'union monétaire, qui est un moyen et pas une fin. Nous devons viser plus loin, plus haut. Il s'agit d'un projet de liberté, de croissance, de solidarité. Certes, le rêve européen n'a pas à être réenchanté, mais nous avons le devoir de faire revivre l'espoir. Non, il n'y a pas de vainqueur et de vaincu avec l'Allemagne. Nous sommes dans le compromis et nos amis allemands ont fait une grande partie du chemin vers nous.
L'angoisse est là, mais l'espoir aussi : cette crise peut être salutaire. Nous serons obligés d'aller vers une intégration plus forte. Cette co-souveraineté sera positive pour les peuples. Aller vers moins d'Europe, sortir de l'euroi ? Ce serait une absurdité, une folie, comme de croire qu'on pourrait démondialiser le monde. « Le nationalisme, c'est la haine des autres ; le patriotisme, l'amour de ses concitoyens » ? Cette crise, je veux le croire, va nous faire passer d'une Europe à l'autre. (Applaudissements à droite)
M. le président. - Nous allons maintenant passer au débat interactif et spontané.
M. Jean-Yves Leconte. - Avant chaque Conseil européen, l'enjeu est dramatisé, on nous dit que c'est celui de la dernière chance. Cette fois, on nous parle de modifier le traité, comme si cela pouvait se faire dans l'urgence. Mutualiser la politique monétaire, soit, mais sous le contrôle des peuples. Aller vers un fédéralisme radical, pourquoi pas, pourvu que ce soit sous le contrôle exclusif des peuples et pas d'une cour de justice. Sinon, nous risquons de devenir une nouvelle Union soviétique.
Les premières élections du printemps arabe ont eu lieu. Quelle sera la politique de l'Union européenne à l'égard de ces jeunes régimes ? La Serbie frappe à la porte de l'Europe. Comment l'Union compte-t-elle réagir ? L'Ukraine et l'Union européenne ont négocié un traité d'association qui n'est pas encore signé. Signons-le avant de nous interroger sur la crise démocratique que ce pays traverse.
M. Jean Leonetti, ministre. - Sans sommet européen, la Grèce serait en faillite. Preuve que les sommets européens servent bien à quelque chose.
Un fédéralisme radical a vos faveurs. Nous sommes 27 : il faut franchir les étapes ensemble.
L'Union européenne accompagnera les pays du printemps arabe. La France est favorable à la candidature de la Serbie mais celle-ci doit encore faire des efforts, notamment avec le Kosovo.
Nous sommes prudents pour signer des traités avec l'Ukraine. Des progrès démocratiques doivent encore avoir lieu.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le Conseil de la dernière chance aura lieu demain, mais comment entendez-vous sortir de la crise actuelle si vous refusez un fonds de développement social ? Vous avez dit votre attachement à la démocratie, monsieur le ministre. Consulterez-vous les Français par référendum sur le nouveau traité ?
M. Jean Leonetti, ministre. - Personne n'a dit qu'il s'agissait du dernier Conseil de la dernière chance. Mais la zone euro pourrait exploser si un grand pays de la zone devenait défaillant. Bien évidemment, rien ne sera définitivement réglé après le 9 décembre.
Le référendum n'est pas la solution la plus adaptée. En revanche les représentants des peuples doivent être consultés. Personne ne conteste la légitimité démocratique de Mme Merkel et de M. Sarkozy. Que le Parlement européen devienne un jour le Parlement de la zone euro, ce serait une évolution démocratique. Comment imaginer de court-circuiter les parlementaires en posant une question simpliste sur un problème complexe ?
M. Yannick Vaugrenard. - Il faut, en ces temps troublés, un langage de vérité, avez-vous dit. Mais celui du Gouvernement est à géométrie variable : M. Sarkozy, après avoir été favorable aux euro-bonds, ne l'est plus, à une intervention de la BCE n'en dit plus mot, et tout à l'avenant. Une nouvelle aventure européenne, dites-vous ? Oui, mais dans le respect des peuples et pas sous la seule tutelle du couple franco-allemand.
M. Delebarre a parlé de l'Europe sociale, ce que vous n'avez pas fait. J'enfonce le clou. Si l'on ne répond pas à la détresse de tous ceux, et les plus faibles d'abord, qui souffrent de la crise, on n'arrivera à rien. Quid des initiatives pour un accompagnement social ? Quid de la perspective de l'agence de notation européenne ? Le pire serait la récession et le repli, mais il faut partager l'effort.
M. Jean Leonetti, ministre. - La nouvelle aventure européenne ? Elle peut porter sur les valeurs de l'Union, sans frontières, l'Europe de Schengen, la relance de la croissance. Les volte-face de la France ? Les euro-obligations, elle l'a toujours dit, sont une bonne solution ... à la fin, pas en préalable. Si une mutualisation de la dette était décidée demain, croyez-vous que les efforts nécessaires seraient faits et que ne reviendraient pas les vieux démons du laxisme ?
La BCE, indépendante, a la capacité de prendre des responsabilités et vous l'avez vu, est intervenue récemment pour que les banques européennes puissent s'approvisionner en dollars. Elle agit donc, et de façon satisfaisante.
La France et l'Allemagne ne peuvent agir seules, mais elles sont le moteur nécessaire de l'Union. M. Monti a été invité : preuve de la volonté fédératrice.
L'Europe sociale ? Oui, comme nous l'avons plaidé au G20, il faut un socle de sécurité pour les peuples. Grâce à l'action de la France, l'aide aux plus démunis a pu continuer à s'exercer. M. Le Maire et moi-même y avons travaillé.
M. Simon Sutour. - Provisoirement.
Avis sur une nomination
M. le président. - En application de la loi organique du 23 juillet 2010 et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, et en application de l'article L.5312-6 du code du travail, la commission des affaires sociales a émis un vote favorable, par quatorze voix pour, zéro voix contre et dix-huit bulletins blancs, en faveur de la nomination de M. Jean Bassères aux fonctions de directeur général de Pôle Emploi.
Prochaine séance demain, jeudi 8 décembre 2011, à 9 heures.
La séance est levée à 20 h 40.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du jeudi 8 décembre 2011
Séance publique
DE 9 HEURES À 13 HEURES
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif (n° 255, 2010-2011).
Rapport de M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 149, 2011-2012).
Texte de la commission (n° 150, 2011-2012).
DE 15 HEURES À 19 HEURES
Proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 329, 1999-2000).
Rapport de Mme Esther Benbassa, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 142, 2011-2012).
Texte de la commission (n° 143, 2011-2012).
À 19 HEURES ET LE SOIR
Suite de l'ordre du jour de l'après-midi.