Allocution de M. le président du Sénat
M. le président. - Hier, dans cet hémicycle, nous avons vécu un moment fort avec la commémoration, avec Robert Badinter et Pierre Mauroy, du 30e anniversaire de l'abolition de la peine de mort. Pourtant, quelques jours auparavant, un homme a été exécuté -assassinat prémédité, aurait dit Albert Camus. C'est dire que nos combats ne cesseront jamais. Le Sénat doit être en première ligne de celui pour la dignité, le phare qui éclaire l'avenir, comme l'a dit M. Badinter.
Je mesure pleinement la confiance que vous venez de m'accordez ; c'est pour moi une fierté, un honneur et aussi une énorme responsabilité. Monsieur le doyen d'âge, cher Paul Vergès, ce fut pour moi un bonheur et un plaisir de vous voir présider la séance. Je vous félicite pour la profondeur de votre discours. Les outre-mer sont une grande richesse pour notre pays. Ils seront un enjeu fort pour le Sénat. La République reconnaît tous ses enfants, où qu'ils soient ! (Applaudissements à gauche)
J'adresse un salut très sincère au président Larcher, dont nous avons apprécié les qualités et la personnalité. (Applaudissements) Je salue aussi Mme Létard. (Mêmes mouvements) Je dis aussi mon estime au président Poncelet, dont nous avons toujours apprécié la gentillesse et l'humanisme.
J'ai enfin une pensée pour les grandes personnalités qui quittent en ce jour le Sénat, parmi lesquelles Mme Voynet, MM. Mauroy, Badinter, Ralite, de Rohan. J'ai une pensée particulière pour M. Fischer, et j'adresse mon salut fraternel à Claude Estier.
L'exercice d'une responsabilité publique requiert pudeur et retenue. Mon émotion est forte en cet instant. Je veux remercier mes amis socialistes, communistes, radicaux de gauche, écologistes et divers gauche et je salue chacun et chacune d'entre vous, quel qu'ait été votre vote.
Je pense aussi aux miens. L'histoire de ma famille paternelle, ce sont des personnages qui, entre Albi et Carmaux, ont partagé les combats du grand Jaurès, inspirateur de mon engagement. Je pense à mon grand-père maternel, cheminot, mort dans le bombardement de la gare Saint-Charles, à Marseille. A mon père, sa soeur, ses frères, qui furent, très jeunes, en première ligne des combats de la Résistance. A ma mère, employée des P.T.T., qui éleva quatre enfants dans notre petit H.L.M. de la Cité Empalot-Daste à Toulouse.
Je pense à ma femme, qui fait mon bonheur. Je pense à mes trois filles, Julie, Marie, Alyssa, qui sont la fierté de ma vie.
Je pense à mes maîtres, à ces instituteurs de l'école laïque, à mon grand professeur de la Faculté de droit de Toulouse, Jean-Arnaud Mazères, qui, le premier, me fit une grande confiance.
Je veux placer mon propos à la fois sous le signe de la République, dont je suis un enfant, et de la promesse républicaine que nous devons tenir pour les générations futures.
République des territoires dont nous sommes les représentants... Ces territoires dont nous aimons la douce musique mais dont nous avons aussi entendu la colère profonde d'avoir été stigmatisés, désorientés, peut-être aussi abandonnés à leurs difficultés. Je sais votre attachement aux territoires que vous représentez. Vous connaissez le mien, indéfectible, pour l'Ariège, cette terre qui m'a tout donné et où, en permanence, mon coeur bat. Ces territoires font notre fierté ; ils innovent et sont le moteur du développement économique.
République laïque aussi, dont nous devons chaque jour défendre les principes fondateurs, sans outrance, sans exclusive, sans stigmatisation, pour que chacun trouve sa place au coeur du pacte républicain.
République du vivre ensemble enfin, parce que seule la sérénité peut répondre au fracas du monde et seul le devoir de responsabilité doit s'imposer à tous.
Je ne serai jamais là pour servir un clan ou une clientèle, c'est contraire à ma vision politique et à ma nature. Mais notre opposition à toutes les injustices, à toutes les exclusions, aux discriminations, aux inégalités, en particulier celles toujours aussi scandaleuses entre les hommes et les femmes, cette opposition n'en sera pas moins résolue. Et la promesse républicaine... Aucun peuple ne peut vivre sans espoir et sans assurer l'avenir de sa jeunesse. Espoir dans la République, parce qu'il n'y a pas de fatalité à faire subir la charge des efforts toujours aux mêmes, à voir l'état de la planète se dégrader, à mettre en danger les générations qui viennent.
Le Sénat doit prendre sa part à la longue marche vers le progrès social, à la nécessaire mutation écologique. (Applaudissements à gauche) Un autre modèle de développement est possible, un autre monde aussi où la dignité de chacun et l'égalité entre tous ne seront pas de simples incantations.
Nous devons prendre conscience de l'extrême gravité de la situation de notre pays en Europe et de l'Europe dans le monde. Nous savons que la France doit changer pour continuer à faire entendre sa voix, une voix forte et universelle. L'issue ne sera positive que si nous restons fidèles à nos valeurs, celles de la justice sociale, mais aussi en avançant sans frilosité vers notre horizon commun, l'Europe, notamment en resserrant nos liens avec les parlements nationaux et le Parlement européen.
Servir la République : tel doit être le rôle de notre assemblée. Nous ne serons pas ici je ne sais quel bastion. Mais nous allons bâtir une majorité nouvelle qui accueillera tous ceux qui se retrouvent dans notre démarche et notre volonté de faire vivre le bicamérisme. Un bicamérisme rénové dans lequel l'opposition sera respectée.
Si chacune et chacun d'entre nous a ses convictions, infiniment respectables, nous avons en partage la volonté de servir : en un mot, d'être utile. Nous savons pour cela pouvoir nous appuyer, ici, sur un personnel de grande qualité, que je veux saluer, comme je salue l'ensemble des personnels du service public qui est l'une des fiertés de la France. (Applaudissements)
Dimanche dernier, les grands électeurs ont voté pour le changement ; ils en ont confié la mission à la gauche. Mais ils nous ont tous placés devant une triple responsabilité : historique, parce que le Sénat s'est ouvert à l'alternance, preuve de maturité démocratique et de légitimité renforcée ; politique, parce qu'ils ont exprimé un mécontentement, un malaise, le rejet d'orientations dont ils ne veulent pas ; morale enfin, parce qu'ils ont souhaité un nouveau Sénat. Nous avons tous entendu leur appel à confirmer le Sénat dans son rôle de représentant et de défenseur des libertés publiques, des libertés individuelles, des libertés locales.
Même si cela avait commencé, nous devons changer encore l'image de notre assemblée, souvent caricaturée certes, mais qui se doit aujourd'hui à plus de transparence et plus de modestie. Nous devons aller vers une vraie rénovation démocratique, une autre façon de travailler. Nous devrons en débattre ensemble ; et je mettrai en place, dans les semaines qui viennent, un groupe de travail auquel je demanderai de remettre des propositions dans un calendrier resserré.
Cette attente de changement nous engage. A nous d'écrire une nouvelle page, de donner un nouveau souffle à la décentralisation, si nécessaire pour réformer vraiment notre pays. A nous de réunir rapidement des états généraux des élus locaux pour préparer l'avenir. A nous de faire vivre l'alternance au Sénat. A nous d'être les dignes héritiers de Victor Hugo, de Victor Schoelcher, de Georges Clemenceau et de beaucoup d'autres, dont François Mitterrand.
Je reviens sur la responsabilité qui nous échoit, qui m'échoit. La tâche est immense. Je m'y consacrerai sans relâche, avec pour objectif de défendre nos territoires, de faire du Sénat la maison des élus mais aussi celle des citoyens, le lieu du dialogue et du respect de l'autre, en même temps que de décision et d'action.
Permettez-moi de conclure avec le grand poète espagnol Antonio Machado : « Voyageur, le chemin / C'est les traces de tes pas, c'est tout / Voyageur / Il n'y a pas de chemin / Le chemin se fait en marchant ».
Soyez-en sûrs, à partir de cet instant, je n'ai plus qu'une idée en tête : être digne de votre confiance. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement)