Allocution de M. le président d'âge
M. Paul Vergès, président d'âge. - J'adresse mes sincères et chaleureuses félicitations à l'ensemble des sénatrices et sénateurs nouvellement élus.
Je salue la benjamine de notre assemblée, Mme Cécile Cukierman.
Dans cette Haute assemblée se sont illustrés Victor Hugo, Georges Clemenceau ainsi que Victor Schoelcher.
Le Sénat reflète l'histoire de France, avec ses parts de lumière et d'ombre, mais nous devons faire vivre les valeurs républicaines, pour lesquelles nombre d'hommes ont donné leur vie. En tant que cadet de la France libre, j'ai rejoint de Gaulle à Londres, à 17 ans, et je me rappelle ceux du maquis de la Vienne où je fus parachuté en 1944.
Comme Sénateur de La Réunion, je me rappelle que nous devons à Victor Schoelcher l'abolition de l'esclavage. Je pense aussi à Gaston Monnerville, homme noir, président du Conseil de la République, puis du Sénat, de 1947 à 1967.
J'ai fait ces rappels car nous devons nous inscrire dans la continuité historique, même lorsque nous serons -dès demain-, happés par les exigences du présent et de l'action.
Aujourd'hui, nous vivons au Sénat un moment exceptionnel de l'histoire de la Ve République. Nous sommes tous des combattants de la démocratie. Nous voyons se dessiner un Sénat à l'avant-garde des changements attendus. Car la situation l'exige.
La crise sociale, économique et financière se traduit par une augmentation du chômage et de la pauvreté, la diminution du pouvoir d'achat, la dégradation des services publics, toutes les catégories sociales sont fragilisées. La cohésion sociale est mise en cause. Un profond besoin de changement se fait sentir.
Nous devons être capables d'y répondre tout en portant notre regard au-delà de l'immédiat. Il faut être en mesure de discerner les courants profonds qui modifient le monde.
Homme de La Réunion, j'appelle à tenir compte de la situation géographique de mon île comme du continent africain, au même titre que celle de la France, où nous sommes intégrés par la volonté populaire depuis 1946, et de l'Europe. Dans l'Océan indien, on assiste à la plus grande poussée démographique de la planète.
Je pense aussi à nos compatriotes des Caraïbes, d'Amérique du sud et du Pacifique. Ce nous appelons l'Outre-mer doit être au coeur des préoccupations du siècle à venir.
Des évolutions économiques, sociales, culturelles et politiques affectent tout l'environnement de l'humanité. Nous devons adopter un double point de vue global, selon le temps et l'espace. La Réunion est façonnée, comme l'ensemble du monde, par des changements qui nous concernent tous. La population de La Réunion est passée de 240 000 habitants en 1946 à 800 000 aujourd'hui. L'Ined assure que la population mondiale atteindrait 7 milliards d'individus au cours des mois à venir. En 2050, nous serons 2,5 milliards de plus. Soixante ans ont suffi pour que la population mondiale augmente de 4,5 milliards. Dans six mandats de sénateurs, la population mondiale aura autant augmenté qu'elle ne l'avait fait depuis les années 50.
Nous vivons les conséquences de cette transition démographique sur tous les plans : économique, culturel et politique. Saint-Just disait, au XVIIIe siècle, que le bonheur est une idée neuve en Europe ; aujourd'hui, les peuples affirment que l'égalité est une idée neuve dans le monde.
Simultanément, la planète subit un réchauffement, avec tous les phénomènes naturels qui l'accompagnent et le risque d'une raréfaction des ressources.
Dans trois mois, la grande conférence internationale sur le réchauffement climatique se tiendra à Durban, en Afrique du Sud. Saurons-nous donner une suite positive au protocole de Kyoto ?
Avec la mondialisation, nous vivons l'explosion des capacités productives. Nous devrons changer de modèle économique.
Notre siècle est marqué par l'ampleur des découvertes scientifiques, des innovations technologiques et de leur application rapide, qui bouleversent nos sociétés.
Tous ces phénomènes interagissent à un rythme effréné. Comment faire face à ces phénomènes simultanés, durables et planétaires ? Nous devrons changer notre conception du monde.
Nous devrons faire vivre 9,5 milliards d'humains. Nous n'avons pas de planète de rechange. Or notre croissance est construite sur des matières non-renouvelables. Michel Serres nous avertit que le défi que nous avons à relever est le plus grand depuis la révolution néolithique.
Je partage le dilemme des élus nationaux : comment satisfaire les besoins actuels sans compromettre le futur ? Nous devons avoir une vision de l'avenir. Je mesure l'immense responsabilité des élus nationaux qui doivent répondre aux demandes actuelles sans sacrifier les générations à venir. Puissions-nous remplir la tâche qui nous attend pour aujourd'hui et pour demain ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement)