Pacte territorial
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial.
Rappel au Règlement
M. Jean-Pierre Bel. - La situation est un peu particulière : la récente réforme de la Constitution a réaffirmé le rôle du Sénat du point de vue des collectivités locales ; elle a aussi renforcé l'initiative parlementaire.
Nous allons, sur cette base, avoir un débat sur un sujet à nos yeux crucial. Mme la ministre sait tout le respect que j'ai pour elle et sa compétence. Mais elle n'est pas en charge du sujet que nous allons aborder. Je comprends le dépit que peut susciter un remaniement ministériel, pas que le ministre de l'agriculture ne nous honore pas de sa présence.
Le Sénat et son opposition doivent être respectés.
M. le président. - Je vous donne acte de votre protestation.
Discussion générale
M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la proposition de loi. - Les territoires ruraux sont des territoires d'avenir. Je ne ferai pas l'éloge de la ruralité traditionnelle, je prends acte de la modernisation qui a eu lieu et suis optimiste pour le futur des territoires ruraux.
« Trop cher » m'a dit la commission de l'économie. Il faut donc se donner les moyens financiers requis par notre texte. Le rapporteur veut nous empêcher d'agir et, dérobade, renvoyer notre proposition de loi, qu'il juge ambitieuse, en commission. Triste destin pour un texte qui a mobilisé tant de travail. Est-il « démagogique » de vouloir nous préoccuper des 20 % de la population qui vivent sur 80 % du territoire ? Le malaise est ressenti partout ; vous prétendez que tout va bien. Des députés de la majorité avaient pourtant évoqué un plan Marshall pour la ruralité.
Votre gouvernement ne veut envisager l'avenir de la ruralité qu'à travers les questions agricoles, qui sont certes importantes mais pas exclusives. Nous regrettons d'ailleurs la disparition du ministère de l'aménagement du territoire, dont M. Mercier avait dit qu'il devait faire vivre l'espace rural.
Les zones de revitalisation rurale (ZRR) étaient une bonne initiative -la Creuse, qui y est entièrement inscrite, le sait bien- même si elles perdent de leur substance au fil des lois de finances. Nous avons besoin d'un État stratège, qui impulse. Ne laissons pas s'estomper le désir de campagne si largement partagé aujourd'hui.
L'État doit également réagir face à un chômage important, qui pousse à la désertification. Au nom de la RGPP, on porte atteinte aux services publics en secteur rural et, à travers eux, à l'investissement.
Par deux fois, le Conseil constitutionnel a rejeté le texte sur les conseillers territoriaux. Cela ne vous dissuade pas de vous obstiner. Trop de jacobinisme tue la proximité et condamne la ruralité.
La commission n'a pas voulu que soit étudié en séance publique l'ensemble de ce texte, le rapporteur s'en tenant à en connaître l'exposé des motifs.
Une nouvelle politique publique passe par la restauration d'un lien de confiance entre l'État et les collectivités. Le dialogue est une des clés de la confiance et de l'opérabilité. C'est pourquoi le titre premier tend à créer une nouvelle gouvernance des politiques publiques.
L'évaluation des choix faits doit devenir la norme ; il faut favoriser les démarches transversales. Les contrats de projet doivent être sécurisés. Encourageons la coopération rurale, pas la compétition ! Tout comme les zones urbaines sensibles (ZUS), les territoires ruraux connaissent des difficultés spécifiques.
Une grande conférence territoriale jetterait les bases d'un nouvel acte de la décentralisation, trente ans après les lois Mauroy-Defferre. Le nouveau pacte républicain suppose un égal accès de tous aux services publics : c'est l'objet du titre II. Votre logique de marchandisation doit être abandonnée.
Il faut, sur la base du diagnostic partagé, des indicateurs des services publics. On ferme des maternités parce que n'y ont lieu que 590 naissances et pas 600 ! Ainsi 42 établissements de santé ont-ils été rayés de la carte. La question de l'accès aux soins médicaux est devenue centrale. Il faut réagir contre la désertification médicale, ce que ne fait pas la proposition de loi modifiant la loi HPST discutée ce soir.
Un nouveau pacte éducatif doit être passé entre tous les partenaires de l'Éducation nationale. Il n'y a plus d'argent dans les caisses ? Ce n'est qu'une affaire de choix politique ! Nous fixons un temps maximum de transport pour se rendre dans des établissements scolaires.
Nous proposons aussi un nouveau pacte de tranquillité publique. La politique sécuritaire du Gouvernement est à la fois tapageuse et inefficace, comme l'a reconnu le président du conseil général de la Haute-Marne...
Enfin, le titre III est consacré à l'aménagement du territoire et au développement. Dans un département sur deux, l'investissement diminue ! Les pouvoirs publics doivent assurer une bonne maîtrise des investissements.
Le désenclavement des territoires ruraux passe également par la réduction de la fracture numérique. Les milieux ruraux devront-ils attendre 2025 pour accéder au haut débit ? L'État doit s'y mettre, comme l'avait promis le président de la République. C'est un aspect de notre proposition de loi.
Des entrepreneurs locaux ne parviennent pas à emprunter alors même que leurs projets sont solides. À l'image de la loi américaine de 1977, nous demandons que les banques leur viennent en aide. Les PME, trop délaissées, constituent l'essentiel du maillage économique du territoire : des fonds régionaux d'investissement devraient leur être destinés.
La petite hôtellerie rurale doit bénéficier du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), comme le demandait notre collègue Pointereau.
Nous donnons des moyens d'action aux EPCI en matière d'urbanisme commercial.
La ruralité, c'est aussi la forêt : nous sécurisons l'ONF. Enfin, nous rappelons l'importance d'une péréquation solidaire et vraiment redistributrice.
La ruralité mérite toute notre attention. Nous la voulons moderne sur tous nos territoires.
Je vous demande donc de bien vouloir examiner notre proposition de loi, porteuse d'espérance. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l'économie. - Cette proposition de loi est ambitieuse si l'on en croit son titre. Elle se situe à la croisée des relations institutionnelles entre l'État et les collectivités, et de l'aménagement du territoire. Son examen aurait pu justifier la constitution d'une commission spéciale, mais c'est notre commission de l'économie que ce texte concerne principalement.
La majorité de la commission ne se reconnaît pas dans ce diagnostic fondé sur la nocivité supposée de la RGPP. L'excès des critiques en réduit la pertinence. La commission tient à formuler des propositions constructives fondées sur des analyses nuancées. Les rapports sur ces questions sont abondants, depuis quelques années. Le président Emorine a été rapporteur du texte sur les pôles d'excellence rurale. L'opposition s'en prend à ces pôles, bien à tort.
La vision dramatisée d'un retrait des services publics des territoires ruraux n'est pas convaincante. Nos collègues oublient que la loi du 9 février 2010 a imposé le maintien de 17 000 points-Poste ! C'est l'accessibilité au haut débit qui sera le vrai facteur d'investissement dans le monde rural.
Vous proposez le financement par l'État d'un plan d'infrastructures de transport -qui existe déjà ! L'avant-projet de Schéma national d'infrastructures de transport (Snit) a été publié et discuté ; le groupe de suivi de la commission l'a étudié en détail.
M. Claude Bérit-Débat. - Nous ne sommes pas satisfaits.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - La loi HPST a apporté de grands progrès : c'est la première fois qu'une telle loi fait référence à la situation médicale dans les campagnes et les montagnes. Vous tablez sur la contrainte au lieu de laisser les Agences régionales de santé (ARS) mettre en place les dispositifs incitatifs.
Cette proposition de loi manque de réalisme. Tenter de faire croire que les services publics pourraient avoir la même densité à la campagne qu'en ville...
M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la proposition de loi. - Je n'ai pas dit cela !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - ...relève de la démagogie.
La proposition de loi fait preuve d'une grande insouciance financière.
M. Claude Bérit-Débat. - Qui a creusé le déficit ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Beaucoup de dispositions de cette proposition de loi relèvent de la simple déclaration d'intention. À défaut de visées normatives précises, on se trouve devant un programme électoral. Ce sont dix articles, sur vingt-huit, qui relèvent plutôt des lois de programmation. D'autres dispositions se contentent de mentionner dans la loi des institutions déjà existantes. D'autres encore enfreignent le principe de séparation de la loi et du Règlement.
Bref, ce texte est prématuré.
M. Claude Bérit-Débat. - Toujours la même réponse !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Il aurait fallu attendre les conclusions des trois missions communes d'informations sur l'organisation territoriale du système scolaire, sur les conséquences de la RGPP pour les territoires et sur Pôle emploi.
En légiférant dans la précipitation, le Sénat serait-il dans son rôle ? Nous proposerons le renvoi en commission. (M. Gérard Cornu applaudit)
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. - Je dépends du pôle « Intérieur et collectivités locales » et la ruralité concerne aussi l'outre-mer. M. Le Maire accompagne le président de la République dans le Lot-et-Garonne.
La campagne n'est pas le passé de la France mais son avenir. De plus en plus de nos concitoyens s'y installent. Il nous faut accompagner ce choix, ce qui suppose que l'on tienne compte des développements technologiques récents et que l'on modernise nos politiques publiques.
Les socialistes ajoutent des normes aux normes et des dépenses aux dépenses. Ils ne tiennent pas compte de la nécessaire maîtrise de la dépense publique. Nous sommes lucides et réalistes ; nous faisons preuves d'audace et d'imagination. Ce choix de la responsabilité a l'avantage de s'inscrire dans la durée.
Relancer la conférence nationale des exécutifs ? Le Premier ministre s'apprête à la réunir. Et les conférences régionales existent grâce à la réforme des collectivités. Vous parlez concertation mais passez directement par la loi pour imposer ce qui devrait être débattu dans ces instances. Certaines de vos propositions sont contraires à la Constitution, d'autres aux normes européennes.
Vos dispositions purement déclaratives ne passeraient pas le cap du Conseil constitutionnel. Vous voulez imposer les mêmes services publics partout.
Mme Renée Nicoux. - Pas du tout !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Le maintien des services publics sous leur forme ancienne est déraisonnable. La réalité, c'est qu'internet a changé la donne.
Mme Bernadette Bourzai. - Surtout qu'il est inaccessible !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Nous ne vous suivrons pas sur des propositions dont le coût est excessif. Internet rend accessible à tous l'information mondiale, les deux tiers des démarches administratives sont accessibles en ligne. La totalité du territoire sera couverte en très haut débit dès 2025 !
Les services publics de demain, c'est aussi leur pluriactivité. L'expérimentation est en cours de conventions passées avec neuf opérateurs dans vingt trois départements, qui pourra être généralisée.
Mme Renée Nicoux. - Et qui paie ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Déjà 3 000 buralistes sont des points de retrait d'argent.
En matière de sécurité, notre politique ne se réduit pas au recrutement de fonctionnaires. L'efficacité, ce n'est pas la multiplication des fonctionnaires, c'est la complémentarité entre police nationale et municipale. Telle est la politique du Gouvernement.
Mme Renée Nicoux. - Coupée de la réalité !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Il ne peut être question d'un moratoire de la RGPP.
Vous nous reprochez de renforcer des territoires déjà favorisés. Nous revendiquons cette logique du pôle d'excellence, qui rencontre un grand succès. Contrairement à ce que vous croyez, il y a de la créativité et de la modernité dans les territoires ruraux.
Les exonérations fiscales et sociales des ZRR coûtent 520 millions en 2011. Le plan de revitalisation sera doté de 320 millions. La part de la dotation globale de fonctionnement (DGF) consacrée à la péréquation est passée de 11,9 à 16,6 % et la dotation de solidarité rurale (DSR) de 420 à 802 millions.
Vous avez une vision administrative de l'aménagement du territoire, nous en avons une vision moderne. Nos territoires sont un avenir pour la France. C'est seulement en accompagnant leur modernisation qu'ils le resteront. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Bernard Vera. - Cette proposition de loi pointe les manquements de l'État à ses missions régaliennes et dessine des pistes d'avenir. Les principes de liberté, d'égalité et de fraternité sont remis en cause par la politique gouvernementale, qui privilégie la concurrence entre les territoires et la casse des services publics, au bénéfice exclusif des plus fortunés. La RGPP, l'assèchement des ressources locales et les transferts non compensés créent une situation intenable. La perte d'ingénierie publique a des effets avérés.
Les collectivités doivent disposer de ressources adéquates, par le biais d'une réforme de la DGF et de la fiscalité locale. Il faut cesser de déposséder communes et départements, qui sont les échelons de proximité.
La péréquation, nécessaire pour que les mêmes services publics soient disponibles partout, doit d'abord se faire par l'impôt. Il faudra renoncer aux cadeaux fiscaux et se débarrasser des contraintes insoutenables du traité de Lisbonne, celles qui conduisent à l'austérité.
Pour l'école, il faut plus d'enseignants et mieux formés, améliorer leurs conditions d'exercice. L'éducation ne doit pas être uniquement dictée par le marché de l'emploi : elle doit viser aussi l'épanouissement et la citoyenneté.
Pour l'Europe, le droit au logement n'est pas un droit universel, mais une assistance aux plus démunis. Mais la spéculation nourrit l'exclusion sociale.
Dans le secteur agricole, il faut une politique forte de régulation des prix et des échanges, pour garantir des prix rémunérateurs.
Le temps n'est plus à l'accompagnement ni à la régulation du capitalisme : il faut sortir de la financiarisation de l'économie, trouver de nouvelles ressources et non répartir l'austérité.
Oui, il faut combattre la disparition des services publics locaux. La concurrence libre et non faussée mène à une impasse : les opérateurs privés ne s'implantent que dans les zones rentables. Moderniser l'État, ce n'est pas l'amputer de ses missions pour les confier à d'autres -les études montrent que les partenariats public-privé sont coûteux- mais redéfinir l'intérêt de la Nation et se donner les moyens de le servir.
Il faut sortir de la dictature de la finance, s'attaquer à une meilleure répartition des richesses entre capital et travail ; un pôle public financier au service de l'économie réelle est indispensable.
Dans le domaine de la santé, l'offre publique doit être de qualité, partout -mais la loi HPST fait des dégâts.
Aux rapports d'autorité entre État et collectivités, nous préférons la coopération, l'affirmation de l'autonomie des collectivités ; une réforme de la fiscalité locale faisant participer les actifs financiers des entreprises est une nécessité. Nous voulons un nouveau partage des savoirs et des pouvoirs, affirmer la primauté de la politique sur l'économie, celle des peuples sur les marchés.
Nous voterons contre le renvoi en commission. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Pignard. - Au début de mon mandat, il m'est arrivé de me tromper de vote et j'ai suscité des sourires narquois et compatissants... Au début de ce débat, j'ai eu peur de m'être trompé de réunion : nous avons affaire à une fausse proposition de loi, mais à un vrai catalogue électoral présenté par un sénateur du Massif central -non un député de la Corrèze...
Je passerai sur l'outrance verbale... L'intérêt général ne dicterait plus l'action publique. Ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, est-ce de l'indécence ? Ce qui le serait, ce serait de réduire salaires et retraites de 15 %, comme en Grèce, en Espagne, au Portugal, à cause de l'incurie des gouvernements socialistes.
Mme Renée Nicoux. - C'est faux !
M. Jean-Jacques Pignard. - Je préfère l'homéopathie à la chirurgie... Les 27 articles de ce texte forment un curieux patchwork de dispositions pour la plupart dépourvues de portée normative. À quand un 28e demandant le retour des conseillers d'arrondissement, ou un 29e proposant la suppression des sous-préfectures ? La réforme territoriale, le service public postal ont fait l'objet ici-même de dizaines d'heures de débat ! Quant aux pôles d'excellence rurale (PER), ils ont une indéniable efficacité économique -mais ils ont le tort de n'avoir pas été proposés par l'opposition.
Y aurait-il ici des purs qui défendraient services publics et ruralité et des pervers qui en feraient litière ? La modernité, ce n'est pas le maintien sous perfusion de services publics inadaptés. Nous sommes au temps d'internet, plus à celui de Jules Méline et du télégraphe Chappe ! Retirer un paquet chez le fleuriste plutôt que dans un bureau jaune et bleu, quelle différence ? (Exclamations à gauche)
Le groupe de l'Union centriste votera le renvoi en commission. Le débat aura lieu cette année, devant tous les Français. L'avenir appartient à ceux qui prépareront la France à affronter les défis du monde et la dureté du temps ! (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Renée Nicoux. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Mme la ministre a dit que les territoires ruraux étaient un atout pour le pays. Encore faut-il leur en donner les moyens ! Nous ne nous faisions pas d'illusions sur le sort de ce texte mais nous espérions au moins susciter le débat. Mais la commission refuse d'examiner nos propositions, qui ne sont ni archaïques ni déclaratives, mais bien concrètes.
Périurbains ou ruraux, les territoires souffrent de la disparition des services publics de l'État. Constat excessif ? Propos outranciers ? Accusations sans fondement ? Mais vivons-nous sur la même planète ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Pas sûr...
Mme Renée Nicoux. - Demandez donc à nos concitoyens, aux élus locaux, aux petits commerçants et artisans ce qu'ils en pensent !
À la veille des échéances électorales, la majorité préfère esquiver le débat. Le rapport critique longuement la forme de notre texte mais n'en aborde pas le fond. Dressant le catalogue des bonnes actions du Gouvernement, il refuse de considérer les effets dévastateurs de la RGPP. Pourtant, les questions orales des parlementaires le mardi matin ou la proposition de loi déposée par quarante députés UMP pour un « plan Marshall » pour la ruralité témoignent du malaise et du désarroi des élus.
Texte prématuré ? Mais la situation est critique ! Il y a urgence ! La ruralité doit rester une chance pour notre pays : de plus en plus de Français s'y installent ou aspirent à y vivre.
Un nouveau pacte territorial est nécessaire qui restaure le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, qui assure l'organisation des services publics dans le respect des principes d'équité territoriale et de proximité. Seul l'accès aux services publics dans des conditions raisonnables évitera la désertification -mieux, attirera de nouveaux habitants.
Je regrette la surdité de la majorité, visiblement embarrassée. La mission d'information sur la RGPP a confirmé le sentiment d'abandon des élus et des citoyens. On ne peut plus continuer à priver les territoires d'oxygène. Un pacte territorial qui réponde à leurs attentes : voilà ce que nous proposons. (Applaudissements à gauche)
Mme Anne-Marie Escoffier. - « Nouveau pacte territorial » : l'expression sonne heureusement à mon oreille. Ne suis-je pas l'élue d'un département qui, telle une Belle au bois dormant, s'est piquée le doigt au rouet de la réforme territoriale et attend son prince charmant, rêvant d'échapper à sa vie végétative ? Malgré des atouts humains remarquables, il s'étiole et s'abandonne à une paresse maligne.
Le préfet de département a vu ses responsabilités réduites à la sécurité et à la gestion de crise, au profit du niveau régional. Proximité, que n'a-t-on pas dit en ton nom avant de te sacrifier sur l'autel de la RGPP ! Il aurait fallu s'interroger sur les missions de l'État et en déduire les moyens nécessaires, mais la démarche fut inverse.
Des mesures intempestives ont été décidées sans consultation des collectivités locales. La réforme de la carte judiciaire a éloigné les justiciables de la justice. Celle de la carte hospitalière n'empêche pas la désertification médicale. Celle de la carte scolaire aurait mis partout en péril l'égalité d'accès à l'école, sans la vigilance -encore frileuse- des inspecteurs et des recteurs.
Les collectivités sont contraintes de compenser le désengagement de l'État : elles accueillent des séances foraines des tribunaux, financent des maisons médicales, rénovent écoles, collèges et lycées -qui manquent de l'essentiel : des enseignants. La Poste néglige ce qui a fait sa force, le lien social ; la couverture numérique est loin d'être achevée.
Ce ne serait rien si les collectivités étaient riches des concours dont l'État s'est engagé à les doter ; mais l'enveloppe normée a été figée, comme les dotations de base ; les dotations de compensation régressent. Les collectivités ont aussi perdu des ressources fiscales directes -la contribution économique territoriale (CET) a fait passer le pouvoir de modulation fiscale des départements de 36 % à 12 %.
Les dépenses des territoires ne sont que les conséquences de leurs obligations légales : songeons aux dépenses sociales des départements.
J'ai peine à discerner les effets positifs des récentes réformes. On est loin du tableau idyllique dessiné par la ministre. Récemment un vol Paris-Rodez a été annulé alors que les voyageurs étaient tous ceinturés à leur place. L'avion a été réorienté vers Barcelone, et les voyageurs ont dû rejoindre Rodez par Toulouse avec cinq heures de retard et un trajet en bus ! Une telle mésaventure ne s'est pas produite qu'une fois.
Sans doute le texte mériterait-il des aménagements, mais il suscite une prise de conscience, et je salue l'initiative du groupe socialiste, au nom de tout le groupe RDSE. (Applaudissements à gauche)
M. Dominique de Legge. - Quelle portée normative ce texte a-t-il ? Il n'est qu'une succession de pétitions de principes. L'intention générale est claire, on la voit à l'article 8 : instaurer un moratoire sur la RGPP.
Mme Renée Nicoux. - Nous ne nous en cachons pas !
M. Dominique de Legge. - Or notre mission commune d'information a montré l'impérieuse nécessité de la réforme de l'État. Oui, nous devons améliorer les services publics, rationaliser leur organisation, maîtriser la dépense publique.
M. Jean-Jacques Lozach. - Généralités !
M. Dominique de Legge. - Nul ne nie les difficultés rencontrées par les territoires. Mais vous seriez plus crédibles si vous ne faisiez pas porter à la RGPP tous les maux de la société. Commencée bien auparavant, la désertification médicale est liée aux évolutions et à la sociologie de la profession. L'évolution du service public postal garantit la présence territoriale. Faut-il maintenir partout les perceptions, alors que plus personne ne paie ses impôts en liquide ? Les agents, autrefois isolés, s'en trouvent mieux.
Croyez-vous les grands électeurs, que vous voulez séduire, si naïfs et si peu au fait des réalités de la France, de l'Europe, du monde ? La France ne peut vivre dans une bulle. Nos voisins européens qui veulent maîtriser la dépense publique ont-ils tous tort ? Vos amis anglais, lorsqu'ils étaient au pouvoir, ont augmenté l'âge de la retraite et diminué la rémunération des fonctionnaires ; l'Espagne de Zapatero, après l'Allemagne de Schröder, conduit des politiques analogues. Le Premier président Migaud ne déclare-t-il pas que l'essentiel du chemin reste à faire ?
Une mission du FMI, après une visite en France en mai, a estimé adaptée la politique menée par le Gouvernement. Et vous proposez rien moins qu'interrompre la modernisation de l'État. Vos deux grandes erreurs furent les 35 heures et l'abaissement de l'âge de la retraite.
Mme Renée Nicoux. - Et l'augmentation du chômage, ce n'est pas une erreur ?
M. Dominique de Legge. - Si un jour vous revenez aux affaires, vous aurez le choix entre exposer la France à la même situation que la Grèce ou renoncer à vos promesses démagogiques -et décevoir ceux qui auront voté pour vous.
La RGPP doit se poursuivre. Elle ne peut pas n'être que l'affaire du Gouvernement et c'est en cela qu'elle a péché, madame la ministre : il faut plus de dialogue et de transparence. Mais lorsque le Gouvernement en appelle au consensus, le parti socialiste fuit le débat, par exemple sur les retraites ou le plan de relance. Vous avez reconnu la justesse du diagnostic et des propositions de la mission commune sur la RGPP, mais voté contre le rapport par fidélité au programme du parti socialiste.
Pour la majorité, il ne saurait être question de pause dans la réforme de l'État. Le groupe UMP partage la position de la commission sur ce texte immobiliste. (Applaudissements à droite)
M. Alain Houpert. - Monsieur Lozach, vous avez raison de parler de la ruralité, mais votre diagnostic n'est pas le bon. Je n'ai pas été élève à la maternelle, parce qu'il n'y en avait pas dans mon village ; j'ai été élève à la communale, puis au collège du bourg voisin -mais il n'y avait pas de transport scolaire. Mon fils est aujourd'hui à la maternelle, qui existe désormais.
Nous accueillons aujourd'hui des néoruraux qui n'ont pas les moyens de vivre en ville. Faisons en sorte que ce soit un choix plus qu'une contrainte ! Vivre dans un village de 300 habitants, c'était vivre entre l'église et le cimetière, entre Dieu et les ancêtres. Aujourd'hui la ruralité est devenue plus attractive. Les enfants y sont heureux. J'ai voulu y vivre pour que mes enfants aient le bonheur de ne pas être anonymes, qu'ils puissent construire des cabanes, refaire La guerre des boutons... Ils ne passent pas leurs journées devant la télévision.
La ruralité ne peut être la banlieue de la ville, le lieu du ban. Elle ne doit pas devenir une Brasilia entourée de ses satellites.
L'État doit faire en sorte que les territoires ruraux soient un lieu de vie et de rencontre, que l'activité économique s'y relocalise afin d'éviter les mouvements pendulaires. Les services publics viendront ensuite. Il s'y emploie avec les pôles d'excellence rurale, le programme « très haut débit », les maisons de santé... Ne mettons pas la charrue avant les boeufs.
Quant à la réforme territoriale, elle était nécessaire pour mettre fin à l'empilement insupportable des structures.
Il reste du pain sur la planche. Calquer le rural sur l'urbain serait une grave erreur ; les ruraux n'ont pas les mêmes besoins que les urbains. Il faut en particulier se soucier des déplacements, l'un des problèmes tenant à la disparition des stations-services à cause du dumping pratiqué par les grandes surfaces en ville. Peut-être faut-il un maillage plus fin de la TIPP...
La campagne peut accueillir nos aînés : il faut y songer à l'heure de la réforme de la dépendance. Quant à l'hôpital, ce n'est pas la RGPP qui l'a tué mais les 35 heures. (Exclamations sur les bancs socialistes)
Les campagnes commencent un essor démographique, mais la CET bénéficie aux villes ; taxe d'habitation et taxe foncière ne suffisent plus. Une commune de mon département a dû vendre un bâtiment de la mairie pour agrandir son école !
Il faut faire naître de nouvelles solidarités, un monde équilibré, juste et équitable. La campagne appartient à nos origines. Faisons que demain dans nos villages soit un jour de fête ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Bernadette Bourzai. - La majorité pratique la méthode Coué. J'ai adressé un questionnaire aux élus de Corrèze et transmis la synthèse à M. de Legge pour son rapport sur la RGPP : le sentiment d'abandon et le désarroi sont réels et profonds. La colère aussi, quand il faut élaborer le SDCI en trois mois, sans disposer des documents nécessaires. Vous verrez ce qu'ils en pensent lors des élections sénatoriales ! (Marques d'approbation sur les bancs socialistes)
Nous faisons des propositions. S'agissant de développement économique, les territoires ruraux ne doivent plus seulement être des fournisseurs de matières premières, d'une jeunesse bien formée ou d'épargne ! Pour être attractifs, pour se développer, ils ont besoin de services publics performants, d'une organisation qui tienne compte des conditions locales. Il faut certes des moyens. Pour financer le très haut débit par exemple, nous proposons de mettre à contribution les opérateurs de jeux en ligne.
L'horizon 2025 est bien lointain...
Nous favorisons une épargne locale en mettant en place un dispositif inspiré du Community Reinvestment Act de 1974. Vous la jugez pourtant pas assez libérale !
Dans mon canton, le montant d'épargne déposé chaque année est très supérieur au montant des crédits octroyés ! Des ressources de financement existent donc, mais les banques exigent de plus en plus de garanties des porteurs de projets : elles veulent la ceinture, les bretelles et le parapluie ! Nous proposons donc de créer une banque publique d'investissement déclinée territorialement.
Il faut aussi favoriser la commande publique, propre à raccourcir les circuits agricoles. Nous proposons une caisse de mutualisation chômage, pour le cas de défaillance des entreprises ou des exploitations. Qui peut en nier l'utilité ?
Les perspectives financières en cours de négociation à Bruxelles suscitent l'inquiétude. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Yves Daudigny. - Cette proposition de loi aurait mérité meilleur sort que celui que la majorité lui réserve. Le débat n'aura pas lieu ; tant pis pour les 30 000 communes concernées.
Nous revient sans cesse la trop fameuse « raréfaction générale des politiques publiques » qu'est la RGPP. Le constat est sans appel si la France vend à la découpe nos services publics. Bien sûr, les temps changent, mais il reste essentiel de garantir un socle des services publics.
La RGPP porte aussi atteinte à l'ingénierie publique. Cette cassure brutale, où la concurrence est le nouveau dieu, laisse désemparés de nombreux maires ruraux. Il faut pourtant bien une ingénierie performante si l'on ne veut pas perdre la mémoire du terrain local ni s'interdire de travailler à l'avenir.
Un certain nombre de départements ont créé des agences pour remédier à cet effacement de l'État. C'est là un transfert de compétences déguisé et non compensé ! L'ingénierie publique de demain sera locale ou disparaîtra, puisque l'État abandonne sa mission d'expertise.
« Si l'État est fort, il nous écrase ; s'il est faible, nous périssons » disait Paul Valéry. (Applaudissements à gauche)
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Hérisson, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Le Sénat travaille de façon approfondie. C'est pourquoi la commission de l'économie a créé trois missions communes d'information, dont les présidents appartiennent au groupe socialiste. Quand cette proposition de loi a été déposée, les rapports de ces missions n'étaient pas connus : d'où cette motion.
Deux des trois rapports viennent de paraître ? Sans doute, mais très tardivement et comment aurais-je pu lire leurs 558 et 516 pages en quelques jours ? Les propositions formulées méritent d'être étudiées en détail et pourraient faire l'objet de textes législatifs.
Nous ignorons encore tout du futur rapport de la mission sur Pôle emploi.
Il serait incohérent d'étudier cette proposition de loi dès aujourd'hui : ce serait tenir pour négligeable le travail de ces trois missions. Le Sénat n'a pas l'habitude de travailler ainsi. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Pierre Bel. - Le sujet dont nous débattons n'a rien d'abstrait : il ne s'agit pas du sexe des anges ! Nous assistons à une crise structurelle ancienne, aggravée par la politique gouvernementale.
Cette motion est incongrue : le Sénat aurait tort d'esquiver les enjeux en renvoyant à des jours meilleurs -quand ?- l'examen de nos propositions.
Le malaise est grand, quand les habitants se sentent abandonnés par la « France d'en haut ». Plus aucun service public n'est à l'abri des réductions de moyens. On crée ainsi des déserts. La ruralité est confrontée à plusieurs défis substantiels : PAC, aménagement du territoire en temps de difficultés budgétaires, démographie... Face à cela, la péréquation n'est pas au rendez-vous. La désindustrialisation, qui frappe le site France, touche d'abord des territoires déjà fragilisés.
La réforme, ratée, des collectivités territoriales ne simplifie rien et devra être reprise de fond en comble.
La suppression de la taxe professionnelle, engagée dans la précipitation et l'incertitude, ajoute à la fragilité des collectivités : perte d'autonomie fiscale, menaces d'augmentations spectaculaires des impôts ou du coût des services rendus.
C'est la conjonction de tous ces éléments que nous appelons « malaise des territoires ». La ruralité n'est jamais abordée que sous l'angle de l'agriculture -dont la crise est lancinante mais qui n'incarne pas à elle seule toute la réalité. Voilà contre quoi nous proposons d'instaurer un « bouclier rural », qui doit à la fois protéger et rentabiliser les campagnes.
Nous avons dénoncé le flagrant désengagement de l'État et insisté sur l'importance de la ruralité pour l'équilibre de notre société.
Nombreux sont ceux qui s'inquiètent. Nous avons écouté et entendu les élus locaux, avant de proposer un dialogue institutionnalisé et plus régulier avec les contacts ruraux.
La prétendue modération des services publics fondée sur la RGPP est purement dogmatique. Cette restructuration comptable n'est qu'un coup budgétaire sans vision d'ensemble.
Nous proposons d'instituer un droit d'accès maximum aux services publics. Nous prônons un aménagement équilibré de l'espace. C'est un encouragement à l'activité économique.
La ruralité est un atout. Il faut accompagner le retour vers nos campagnes ! La péréquation est de première importance.
Les enjeux sont nombreux, immenses. Ce ne sont pas des questions abstraites : elles concernent des femmes et des hommes qui vivent dans des lieux bien réels. Souvenons-nous de l'ambition qui fut celle du général de Gaulle, avec Olivier Guichard, en créant la Datar !
La motion de procédure qu'on nous oppose va à l'encontre de l'idée même d'initiative parlementaire. C'est d'autant plus regrettable que le sujet est au coeur des préoccupations du Sénat.
Attendre des rapports ? Il y en a déjà eu beaucoup, qui ont nourri notre réflexion. Je regrette que des arguments de procédure interdisent un débat de fond.
C'est pourquoi je demande le rejet de cette motion. (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Favorable à la motion.
M. le président. - Aucune explication de vote n'est admise, selon l'article 44, alinéa 8, du Règlement.
À la demande du groupe socialiste, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l'adoption | 187 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté. En conséquence, la proposition de loi est renvoyée en commission.