Compensation outre-mer des accords commerciaux européens (Proposition de résolution européenne)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion d'une proposition de résolution européenne tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement.
Discussion générale
M. Serge Larcher, co-auteur de la proposition de résolution. - Le 24 septembre 2010, la Commission européenne a proposé de refondre le programme mis en place il y a des années pour soutenir l'agriculture ultramarine. Ce régime Poséi a fait la preuve de son efficacité.
La proposition de Règlement élaborée par la Commission modifie indirectement l'économie locale de la banane puisqu'elle feint d'ignorer les conséquences désastreuses des accords conclus par l'Union européenne, notamment avec la Colombie.
C'est pourquoi nous avons déposé, le 10 janvier, cette proposition de résolution.
Bien que les accords négociés par l'Union européenne n'aient pas été communiqués au Parlement, nous savons qu'une ouverture plus large aux produits industriels européens a pour contrepartie un nouvel abaissement des droits de douane prélevés sur l'importation de la banane provenant des pays andins. La Colombie et le Pérou exporteront en outre plus facilement le sucre et le rhum vers l'Union européenne.
Ainsi, la France, avec ses départements d'outre-mer, supportera le déséquilibre entre concessions faites et avantages obtenus. Le commerce extérieur de la Guadeloupe par exemple est très dépendant de la banane, du rhum et du sucre ! Que deviendront nos agriculteurs ?
Faut-il rappeler la différence entre nos conditions sociales et celles qui prévalent en Amérique latine ? J'ajoute que la banane française est, eu égard à ses modes de production, la plus propre au monde : moins de dix traitements par an contre 60 en Colombie.
Ne pourrait-on protéger le marché en limitant dans le temps la hausse annuelle des importations de bananes et de sucre ? Sans parler des compensations financières. Le Parlement européen en est d'accord.
L'Union européenne consacrera plus de 200 millions d'euros pour accompagner l'évolution des pays ACP dans la culture de la banane. Or, seulement 4 millions seraient en même temps versés à la filière française, quand elle aurait besoin de 40 !
Je vous invite à voter cette proposition de résolution, dont l'objet n'a rien de marginal : elle montre que la France ne veut renoncer ni à son agriculture ni à son modèle social ! (Applaudissements)
M. Éric Doligé, co-auteur de la proposition de résolution. - L'heure tardive du débat permet peut-être, grâce au décalage horaire, qu'il soit suivi en direct les départements d'outre mer...
Les accords signés par l'Union européenne avec les pays andins et l'Amérique centrale sont potentiellement dévastateurs pour notre agriculture ultramarine, ce que la Commission européenne reconnaît.
Face à ce danger, la présente proposition de résolution demande une compensation au profit des régions ultrapériphériques, ainsi que M. Serge Larcher vient de l'évoquer.
Je m'attarderai donc sur la prise en compte par l'Union européenne de la situation spécifique des régions ultrapériphériques.
Les propositions n°62 et n°35 de la mission commune d'information insistaient sur ce point, auquel la Commission européenne est largement indifférente.
Le programme Poséi institue un régime spécifique, à préserver. La proposition de résolution demande que la particularité des DOM soit prise en compte par la Commission européenne lorsqu'elle négocie des accords, sur le fondement de l'article 349 du Traité.
Concrètement, des études d'impact devraient systématiquement être conduites.
Le 14 juin 2010, le Conseil européen a demandé la réalisation de ces études d'impact, qui pouvaient justifier des mesures de compensation.
L'incidence des accords doit être appréciée a priori, mais aussi en cours d'application.
Je souhaite l'adoption unanime de cette résolution pour montrer une fois de plus l'attachement du Sénat à nos outre-mer. (Applaudissements)
M. Daniel Marsin, rapporteur de la commission de l'économie. - Il est rare d'examiner une proposition de résolution européenne en séance publique. Le dernier exemple remonte à 2009.
Cette proposition de résolution a été déposée le 18 janvier 2011, dans la droite ligne de la mission d'information dont MM. Serge Larcher et Doligé ont été président et rapporteur.
Cette proposition a été adoptée à l'unanimité par la commission de l'économie.
Monsieur le ministre, vous avez souligné à juste titre qu'il était inutile de défendre la PAC si l'on négligeait les négociations internationales et qu'il fallait refuser tout marché de dupes aux dépens de notre agriculture. Or une étude d'impact réalisée par la Commission européenne sur l'accord avec le Mercosur établit qu'il pourrait aboutir à une baisse du revenu agricole de 3 % en France.
Les productions agricoles ultramarines sont essentielles pour les DOM, dont elles représentent plus de la moitié des exportations.
La filière banane est le premier employeur privé dans nos DOM, la filière canne-sucre-rhum occupe le tiers de la surface agricole utile.
Le droit européen permet des mesures d'aides à la production dans les DOM. Mais plusieurs accords compromettent l'agriculture ultramarine. Je pense notamment à la baisse de 35 % en six ans des droits prélevés par l'Union européenne sur les importations de banane.
Je regrette qu'il m'ait été impossible d'obtenir la version française de l'accord négocié avec l'Amérique centrale, il y a un an.
M. Jean-Paul Virapoullé. - C'est scandaleux !
M. Daniel Marsin, rapporteur. - En effet. Je précise que de nouvelles baisses des droits de douane sont programmées pour la banane, qui s'ajoutent au contingent exonéré de droits pour l'importation de sucre.
La proposition de résolution demande au gouvernement français d'intervenir auprès de la Commission européenne pour obtenir des compensations ; elle invite cette même Commission à prendre en compte la spécificité des outre-mer lorsqu'elle négocie des accords commerciaux.
Aujourd'hui, la politique commerciale européenne contredit son soutien à l'essor des régions ultrapériphériques. J'ajoute que le plan d'agriculture durable lancé en 2007 a déjà réduit de 70 % l'usage de produits phytosanitaires. La commission de l'économie a donc ajouté à la résolution l'exigence de cohérence de la politique commerciale avec les autres politiques communautaires.
Enfin, la commission de l'économie a demandé l'application de mécanismes de sauvegarde. Cette proposition de résolution est-elle trop franco-française ? Non, puisque le Parlement européen a déjà voté une résolution semblable, demandant que la Commission européenne cesse de faire prévaloir les intérêts de l'industrie et des services sur ceux de l'agriculture.
La commission de l'économie souhaite l'adoption unanime de la résolution, qui aidera le Gouvernement, en manifestant l'attachement du Sénat aux intérêts de nos outre mers. (Applaudissements)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. - Tous les orateurs ont rappelé que l'agriculture était stratégique outre-mer. Le président de la République l'avait déclaré lors de son voyage aux Antilles, où j'avais pu mesurer personnellement les premiers résultats de notre politique de développement de l'agriculture.
Il reste pourtant un chemin considérable à parcourir, face à une forte pression foncière, à un marché local saturé, à des coûts de production élevés, à un éloignement qui renchérit les coûts de transport.
Votre proposition de résolution arrive à point nommé. Après avoir signé en décembre 2009 des accords réduisant les droits de douane sur la banane, l'Union européenne a conclu des accords qui ont un impact sur la banane, le sucre et le rhum. Elle s'apprête, enfin, à signer des accords commerciaux avec le Mercosur qui auront des conséquences dramatiques pour l'agriculture de l'Europe et de ses régions ultrapériphériques.
La cohérence interdit d'édicter des normes environnementales et sociales très exigeantes, tout en négociant l'ouverture du marché à des productions ne subissant aucune contrainte en matière de traitements phytosanitaires. Songeons que quand une banane martiniquaise subit deux à dix traitements, une banane andine en reçoit soixante !
Nous voulons que l'agriculture respecte des normes uniques au monde, imposant par exemple d'investir 350 millions d'euros dans nos élevages porcins pour assurer le bien-être animal. Dans la pêche aussi, la France applique des mesures strictes préservant la ressource halieutique.
En septembre 2010, le président de la République avait obtenu que le principe de réciprocité s'applique réellement.
Je rentre du Brésil, avant de me rendre en Argentine. Les Brésiliens s'inquiètent des conséquences sur leur industrie et sur leurs services que pourraient avoir l'accord Mercosur-Union européenne. Et c'est le moment choisi par la Commission européenne pour annoncer de nouvelles concessions, au détriment de nos éleveurs bovins par exemple qui pourraient perdre le quart de leurs revenus ! Des milliers d'exploitations risquent de disparaître.
J'ai demandé à la Commission européenne qu'elle réalise une étude d'impact portant sur l'agriculture d'outre-mer. Le président de la République est déterminé à ne pas sacrifier notre agriculture à quelque accord commercial que ce soit.
Au-delà du Mercosur, je reste vigilant sur l'ensemble des accords commerciaux, en faisant pression, avec un groupe de douze États membres, sur la Commission. Lors du cycle de Doha, l'Union européenne est allée au maximum des concessions. Il convient de le dire et de le répéter. Pour l'accord sur la banane, la cohérence fait défaut. Quant à la compensation, la commission en refusait le principe jusqu'à une date récente ; grâce aux efforts du président de la République, les choses évoluent. C'est un progrès.
Il est indispensable de continuer à soutenir l'agriculture outre-mer. En Guadeloupe, la production ne couvre que 60 % des besoins alimentaires. Il ne peut y avoir de développement des départements d'outre-mer sans développement de l'agriculture. Je crois aux capacités de nos territoires, qui ont tous les atouts pour réussir leur développement endogène : sur la base solide d'une agriculture traditionnelle, la diversification pourra se poursuivre. Les départements d'outre-mer ont besoin d'une agriculture de proximité ; 40 millions d'euros ont été débloqués à cette fin. La diversification est une chance pour l'emploi, pour les entreprises, pour le tourisme, pour l'environnement et la biodiversité.
Une circulaire du Premier ministre est en cours de signature pour favoriser l'approvisionnement en produits locaux de la restauration collective et du bois dans la commande publique.
Vous pouvez compter sur ma détermination pour soutenir le développement durable dans nos territoires ultramarins, pour défendre leurs intérêts dans les négociations commerciales, pour obtenir que la politique de cohésion continue de prendre en compte leurs spécificités, pour que le Poséi reste un instrument efficace. Le Gouvernement soutiendra sans réserve votre proposition de résolution. (Applaudissements)
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. - Cette proposition de résolution a pour origine la signature, par l'Union européenne, d'accords commerciaux ayant un impact direct sur l'agriculture outre-mer. La spécificité des RUP leur vaut un programme, le Poséi, qui allie un régime spécifique d'approvisionnement pour alléger les coûts et des mesures d'aide à la production, à la transformation et à la commercialisation locales. Créé au début des années 1990, le programme Poséi a été modifié en 2001 et en 2006, date à laquelle la France a élaboré un programme spécifique pour promouvoir une agriculture durable dans les départements d'outre-mer. Ceux--ci ont ainsi perçu, en 2009, 273 millions de crédits Poséi, sur une enveloppe globale de 628 millions.
Les accords conclus par l'Union européenne représentent pour nos agricultures un énorme danger car les prix de production dans les pays latino-américains sont très inférieurs à ceux des DOM. Pour faire face, cette proposition de résolution s'appuie sur une proposition de règlement du Parlement et du Conseil du 24 septembre 2010, qui visait à refondre le régime du Poséi en réaffirmant la nécessité d'un soutien communautaire à l'agriculture des RUP.
Notre proposition demande la négociation de compensations et la conduite systématique d'études d'impact des accords commerciaux négociés par l'Union européenne.
Mayotte est doublement concernée : comme PTOM aujourd'hui et comme RUP demain. L'agriculture mahoraise compte 15 500 ménages pratiquant une agriculture de subsistance essentiellement vivrière ; la pêche fait appel à une flotte de 1 000 pirogues à balancier et 300 barques motorisées ; l'aquaculture se développe, qui bénéficie des mesures d'aide à l'investissement instituées par la Lodeom et du soutien de l'Ifremer.
L'agriculture doit faire face à un défi alimentaire, mais aussi environnemental, économique et social méritant un accompagnement soutenu de l'État comme de l'Union. En l'absence de compensation, les accords commerciaux européens, au premier rang desquels ceux conclus avec les pays ACP, risquent de déstabiliser l'économie de Mayotte. Si ces accords visent à renforcer l'intégration régionale sud-sud, ils présentent des risques pour les économies insulaires des PTOM et des RUP, en raison de coûts de production plus élevés dans celles-ci. Les accords avec les pays ACP doivent faire l'objet d'études d'impact systématiques. De surcroît, la transformation de Mayotte en RUP exposera les entreprises mahoraises à une forte concurrence.
Sous le bénéfice de ces observations, je soutiendrai la proposition de résolution. (Applaudissements à droite)
M. Georges Patient. - La proposition de résolution se polarise sur les dangers des accords de Genève et des autres accords commerciaux signés par l'Union européenne, sur d'éventuelles mesures de compensation et sur la systématisation d'études d'impact.
Le programme Poséi a fait ses preuves : il doit être maintenu. Cette proposition de résolution est l'occasion de dénoncer les effets néfastes de la politique commerciale européenne. Mais la Commission a fait le choix, sous couvert de libéralisation et de disette budgétaire, de gommer les différences de traitement. Les récents accords sur la banane le prouvent.
L'article 349 du traité doit rester le socle juridique principal sur lequel s'appuient les dispositions en faveur des RUP. Des études d'impact doivent être systématiquement conduites avant tout accord. La réduction des droits de douane doit être conditionnée au respect de certaines normes sociales ou environnementales. Les mesures de compensation financière, enfin, doivent être à la hauteur du préjudice. Le Gouvernement doit être vigilant sur ce point.
Je partage donc les objectifs de cette résolution. Il appartient aux gouvernements français, espagnol et portugais de trouver de nouveaux appuis en Europe.
Si la banane, le rhum et le sucre assurent l'essentiel de nos productions outre-mer, si les filières traditionnelles doivent continuer à être soutenues, les financements du Poséi doivent aider à une diversification des productions. Le partage de l'enveloppe française, enfin, mériterait d'être revu : la Guyane, qui n'en reçoit que 2 %, a pourtant vu le nombre de ses exploitations augmenter de 20 %. C'est dans le développement endogène qu'est l'avenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes et CRC)
Mme Gélita Hoarau. - Au nom de sa stratégie de cohésion, l'Union européenne s'est employée à débloquer des moyens financiers en faveur des régions les plus en retard, les départements d'outre-mer et plus tard les îles espagnoles et portugaises. Le Poséi poursuit un triple objectif : soutien aux filières traditionnelles, diversification de l'agriculture, régime spécifique d'approvisionnement. Cependant, la diversification ne doit pas pénaliser les cultures traditionnelles. Les OCM destinées à protéger celles-ci sont contraires aux règles de l'OMC, qui exige sous peine de sanctions l'ouverture des marchés de l'Union aux productions mondiales. Sous la pression, l'Union a signé en décembre 2009 un accord multilatéral avec des pays d'Amérique latine, prévoyant, pour la banane, une réduction des droits de douane de 176 euros la tonne métrique à 114 euros d'ici 2017.
Cet accord a été signé sans concertation aucune avec les producteurs, qui réclament compensation. En mars 2010, de nouveaux accords avec la Colombie et le Pérou ont encore abaissé les droits à 75 euros la tonne. Les conditions de production n'étaient pas les mêmes, la compensation devient une nécessité.
L'Union européenne doit assumer ses responsabilités, en accordant des compensations en sus des crédits du Poséi. Il n'est pas question d'entamer ces derniers, au risque d'affaiblir les actions du programme. D'autant que la signature d'un nouvel accord avec le Mercosur entraînerait de nouvelles baisses de prix et des volumes de production. La Commission met en avant les gains à obtenir pour l'industrie européenne : c'est dire que notre agriculture est sacrifiée.
Je félicite mes collègues pour leur initiative, occasion de dire avec force à l'Union européenne ce que sont, chez nous, les conséquences des accords signés et d'exiger, pour l'avenir, des études d'impact. J'espère que cette proposition de résolution recueillera l'unanimité du Sénat. (Applaudissements)
M. Denis Detcheverry. - Au cours des deux dernières années, plusieurs accords commerciaux aux effets potentiellement dévastateurs pour les économies ultramarines ont été signés par l'Union européenne. Les élus d'outre-mer n'ont cessé de tirer la sonnette d'alarme pour réclamer une compensation, en vain. Bruxelles en a accepté le principe mais ses premières propositions ne sont pas acceptables. D'autant qu'est en vue un nouvel accord global avec le Canada, qui pourrait être fatal à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les produits canadiens de la pêche transformés sur notre territoire sont aujourd'hui exportés sans droits de douane vers l'Union européenne ; avec cet accord, le Canada n'aurait plus aucun intérêt à faire transiter ses produits par Saint-Pierre-et-Miquelon. Pire encore est le projet d'accord avec le Mercosur.
Où est la cohérence de la politique commerciale de l'Union européenne ? Certes, le Parlement a vu ses prérogatives renforcées en matière de négociation commerciales par le traité de Lisbonne mais la Commission est encore réticente à lui transmettre les informations pertinentes ; et aucune étude d'impact n'est réalisée. Où est la cohérence de cette politique avec les politiques de l'Union en matière sociale, environnementale ou sanitaire ? Ne sacrifions pas l'intérêt de nos agricultures sur l'autel de l'industrie européenne. Plutôt que le libre-échange, le juste échange, selon le mot d'Emmanuel Todd.
Dans la perspective du renouvellement de l'accord d'association de 2014, j'appelle à une réflexion sur l'articulation des futurs accords avec la double logique des PTOM et de RUP.
M. Jean-Paul Virapoullé. - Je partage les analyses de tous les orateurs qui m'ont précédé. Mais je souhaite, monsieur le ministre, que nous nous mettions d'accord sur la méthode.
L'histoire montre que les « confettis de l'empire » sont les mal-aimés des partenaires de la France. Souvenons-nous que la politique de la chaise vide du général de Gaulle s'explique par le refus de l'Allemagne d'accepter un traitement privilégié pour les bananes de nos départements d'outre-mer. Selon le traité de Rome -l'Algérie était encore un DOM-, la France avait dix ans pour proposer des mesures d'adaptation ; elle ne l'a pas fait. En conséquence, la Cour de justice a, sur saisine privée, jugé, en 1978, que tous les mécanismes européens devaient s'appliquer intégralement à l'outre-mer. Ce n'est qu'ensuite que le Poséi a vu le jour puis qu'à la demande des élus ultramarins, le président François Mitterrand a obtenu qu'une déclaration fût annexée au traité de Maastricht prévoyant des adaptations spécifiques aux économies des départements d'outre-mer.
Le traité d'Amsterdam, devenu aujourd'hui celui de Lisbonne, a été adopté sous la présidence de M. Chirac. L'intégration des départements d'outre-mer est ainsi le fruit de la volonté des élus conjuguée à une décision de justice et à la volonté des plus hautes autorités de l'État...
Mais voilà que trois ouragans nous menacent, trois accords commerciaux qui mettent en péril la pêche et l'agriculture ultramarines. Sans riposte, c'est la mort ! Vous me direz qu'avec 2 millions d'habitants dans un marché de 300 à 400 millions d'habitants, nous sommes des nains que la libéralisation du commerce s'empressera d'écraser. Aujourd'hui, le marché européen devient une passoire et la France se vide de son sang industriel, comme le dit le président de la République. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas réciprocité. Les Chinois trouveront toujours un défaut à nos produits ; mais les leurs, fabriqués sans normes environnementales ni sociales, nous inondent. Si l'on ne fait rien, on va tuer l'identité culturelle de notre pays, faite de notre agriculture, nos paysages, de notre gastronomie.
Je soutiens cette résolution mais en ayant conscience que, condition nécessaire, elle est largement insuffisante. La barrière, c'est vous, c'est le président de la République, qui l'opposera en disant à ces technocrates surpayés et irresponsables devant le peuple : assez !
Nous sommes là pour sauver notre agriculture. « A quoi sers-tu ? » me demanderont mes électeurs. Que répondre, quand tous les efforts consentis par l'Union européenne vont être anéantis ? Je vous demande, comme en 1957 le général de Gaulle, comme lors de Maastricht puis d'Amsterdam, de mettre en oeuvre cette résolution. Je proposerai par amendement qu'une clause de sauvegarde puisse être mise en oeuvre dans les six mois.
Nous savons, monsieur le ministre, que vous combattez le libre-échangisme irresponsable. Car si nous sommes pour la liberté, ce n'est pas celle qui asservit les populations. Mon vote sera un acte de foi et d'espérance. Mais je reste vigilant : démocrates, nous avons été élus pour bâtir, non pour détruire, pour servir, non pour laisser asservir. (Applaudissements)
M. Jacques Gillot. - Nos produits agricoles se caractérisent par leur qualité, et leur authenticité -voilà nos atouts. Un tiers de la surface de la Guadeloupe est consacré à la banane, premier secteur d'exportation et premier employeur agricole. Viennent ensuite la canne et le sucre. C'est dire le poids économique d'un secteur déterminant pour notre société.
L'ouverture du marché de la banane à la suite des accords de 2010 font peser de rudes menaces sur ce fragile équilibre. Les pays d'Amérique latine bénéficient de coûts de production très inférieurs aux nôtres. Et de nouveaux accords sont en vue. Tout se passe comme si l'Union européenne nous sacrifiait en faisant miroiter des succès industriels. Et ceci, en faisant entrer sur son marché des produits qui ne répondent pas aux normes sanitaires et environnementales qu'elle s'impose. Je m'interroge sur la cohérence des différentes politiques européennes, dont les objectifs semblent contradictoires... L'Union a inventé le Poséi, mais multiplie les accords potentiellement dangereux pour les RUP...
Je souscris donc pleinement à la demande de compensation, propre à renforcer les filières agricoles et à les préparer à faire face à l'afflux de produits étrangers.
La Commission devrait être plus souple dans les négociations sur l'octroi de mer. Elle doit intégrer que l'agriculture n'est pas un secteur comme les autres, car sa richesse est faite d'hommes.
Les régions d'outre-mer sont un atout à valoriser, non une monnaie d'échange dans les négociations commerciales ! (Applaudissements)
M. Jean-Étienne Antoinette. - L'intérêt de cette résolution est démontré, car les conséquences des accords commerciaux doivent être évaluées. S'ajoute la prise en compte des spécificités parmi les RUP.
La Guyane est relativement indifférente aux accords commerciaux car son économie ne repose guère sur l'exportation de bananes ou de sucre : son agriculture privilégie la production vivrière de légumes, de tubercules et de fruits. Au demeurant, la contribution de l'agriculture guyanaise au PIB départemental est proche de ce que l'on constate en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion.
Malgré ses mérites, le programme Poséi n'échappe pas à certaines faiblesses car il soutient principalement de grands secteurs, comme la production de bananes. Seules les quantités produites sont prises en compte.
Pour le sucre, les mesures visent à compenser la baisse des prix sur le marché international. Or les aides européennes ne suffisent pas, malgré les quelque 80 millions d'euros consacrés dans les fonds de l'Union, pour garantir le prix de vente d'une production sujette aux aléas extérieurs. Les aides nationales sont toujours nécessaires pour maintenir cette activité.
La Cour des comptes européenne a constaté qu'il fallait évaluer le régime spécifique d'approvisionnement (RSA).
Nous pourrions atteindre l'autosuffisance mais la Guyane subit la concurrence de produits surgelés issus du Brésil mais en provenance de l'Union européenne.
La France, surtout, doit tenir compte de la spécificité du secteur guyanais en assurant la conception et la gestion des Poséi. La détermination des éligibilités aux aides en est l'illustration, d'autant que la situation qui exclut nombre d'agriculteurs guyanais des aides des Poséi est largement du fait du Gouvernement.
Aujourd'hui, 50 % à 70 % des agriculteurs guyanais exercent sans titre de propriété. Il n'est guère étonnant, dans ces conditions, que le secteur des fruits et légumes soit si peu organisé.
Dans un contexte international de volatilité des prix des denrées alimentaires, les objectifs du Ciom visant à un développement endogène et durable des territoires ultramarins sont toujours d'une inquiétante actualité. La proposition de résolution qui rappelle à l'Union européenne sa responsabilité ne doit pas masquer celle de la France qui doit autant soutenir la compétitivité des grandes industries agro-alimentaires ultrapériphériques que le secteur agricole traditionnel et durable de proximité.
La discussion générale est close.
Discussion du texte de la proposition de résolution
M. le président. - Amendement n°3, présenté par MM. Detcheverry et Collin.
Alinéa 3
Après la référence :
43
insérer la référence :
, 198
M. Denis Detcheverry. - Cet amendement vise à étendre le champ de la proposition de résolution aux pays et territoires d'outre-mer (PTOM), dont fait partie notamment Saint-Pierre-et-Miquelon. Contrairement aux régions ultrapériphériques (RUP), ces pays et territoires ne font pas partie de la Communauté, bien qu'ils soient constitutionnellement rattachés à des États membres de l'Union européenne. Malgré la diversité qui les caractérise, les PTOM ont de nombreux points communs : ils sont vulnérables aux chocs venant de l'extérieur et dépendent en général d'une base économique étroite. Ils dépendent fortement des importations de biens et d'énergie. À ce titre, compte tenu du lien particulier qui les unit à l'Union européenne, ils bénéficient d'un traitement privilégié dans le cadre de la coopération économique et commerciale. Alors que la décision d'association de 2001 doit faire l'objet d'une révision, cet amendement rappelle l'indispensable solidarité de l'Union européenne à l'égard des habitants des PTOM -qui sont en principe citoyens européens. Les PTOM font partie de la « famille européenne ». C'est pourquoi leurs intérêts doivent être pris en compte dans la définition de la politique commerciale de l'Union européenne, notamment lors de la négociation d'accords commerciaux.
Cette explication s'applique à l'ensemble des amendements que j'ai déposés.
M. Daniel Marsin, rapporteur. - L'Union européenne distingue les RUP et les PTOM, ces derniers ne faisant pas partie du territoire de l'Union.
Je comprends les préoccupations de M. Detcheverry, que M. le ministre pourrait peut-être rassurer.
J'ajoute que les députés ont déjà adopté, en 2010, une résolution européenne insistant sur la prise en compte des PTOM par l'Union européenne dans ses négociations commerciales.
Pour toutes ces raisons, la commission ne souhaite pas inclure les PTOM dans le champ de la résolution, axée sur les RUP, le Poséi, la banane, le sucre et le rhum.
J'espère que les propos rassurants du ministre permettront à M. Detcheverry de retirer ses amendements.
M. Bruno Le Maire, ministre. - En effet, il convient de maintenir la cohérence de la résolution.
Au demeurant, le Gouvernement veille à l'accord commercial négocié avec le Canada pour préserver le développement de Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. Denis Detcheverry. - Les accords négociés dans la Caraïbe sont source de difficultés analogues à celles qui se poseront bientôt à Saint-Pierre-et-Miquelon. Mieux vaut prévenir que guérir. Je retire les amendements à contrecoeur.
Les amendements nos3 à 9 sont retirés.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par Mme Hoarau et les membres du groupe CRC-SPG.
Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
Considérant que l'accord conclu en décembre 2009 à Genève par l'Union européenne avec les pays d'Amérique latine, puis les accords de libre échange conclus en mars 2010 par l'Union européenne avec la Colombie et le Pérou, font courir un risque important à l'agriculture des régions ultrapériphériques françaises,
Mme Gélita Hoarau. - En décembre 2009, l'accord multilatéral de libre-échange entre l'Union européenne et les pays d'Amérique latine a organisé une réduction de 35 % des droits de douane sur la banane latine entrant sur le marché européen. Cette baisse progressive fera passer ce droit de douane de 176 euros en décembre 2009 à 114 euros par tonne au 1er janvier 2017.
La Commission a prévu un fonds de 200 millions d'euros pour soutenir les pays ACP, mais rien pour les régions ultrapériphériques.
Quant aux accords bilatéraux de mars 2010 signés avec la Colombie et le Pérou, ils visent à réduire davantage les droits de douane, sur la banane notamment. Les préjudices sur l'agriculture des RUP seront considérables.
M. Daniel Marsin, rapporteur. - Cet amendement apporte une précision utile.
L'amendement n°10 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme Hoarau et les membres du groupe CRC-SPG.
Alinéa 16
Compléter cet alinéa par les mots :
, en abondant en conséquence, par le budget de l'Union européenne, l'enveloppe du programme d'options spécifiques à l'éloignement et l'insularité (POSEI).
Mme Gélita Hoarau. - La proposition de règlement de la Commission européenne portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des RUP fixe une dotation financière qui s'élève annuellement à 771,74 millions d'euros.
Cette somme est affectée à des opérations déjà arrêtées. Toute compensation rendue nécessaire à la suite d'accords commerciaux conclus entre l'Union européenne et des pays tiers et portant atteinte aux productions des RUP ne peut être prise sur l'enveloppe initiale du Poséi, sauf à l'abonder en conséquence à partir du budget de l'Union européenne.
M. Daniel Marsin, rapporteur. - Cet amendement pertinent est cohérent avec la position du Gouvernement. Avis favorable.
L'amendement n°2, accepté par le Gouvernement, est adopté.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Virapoullé.
Compléter la proposition de résolution par un alinéa ainsi rédigé :
Souhaite que soit précisé par un règlement procédural spécifique, le dispositif de sauvegarde à mettre en oeuvre lors de tout accord économique entre l'Union Européenne et un pays tiers, emportant des conséquences sur les économies des régions ultrapériphériques.
M. Jean-Paul Virapoullé. - En décembre 2009, la Commission a adopté des clauses de sauvegarde, sans les organiser. C'est comme un médecin qui prescrirait un médicament sans donner sa posologie ! Il serait donc hautement souhaitable de préciser ces modalités dans un règlement procédural spécifique. Ce dispositif pourrait également être appliqué pour tout accord commercial impliquant les régions ultrapériphériques.
M. Daniel Marsin, rapporteur. - Nous abordons un sujet important, mais délicat, qui avait été abordé en mars 2011 à l'occasion des questions cribles thématiques : le ministre s'en était expliqué.
Cet amendement de bon sens va plus loin que la proposition de résolution. J'y suis favorable.
L'amendement n°1 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.
Vote sur l'ensemble
L'ensemble de la proposition de résolution est adopté.
(Applaudissements)
M. le président. - Cette résolution sera transmise à l'Assemblée nationale et au Gouvernement.
Je me félicite que l'outre-mer donne un bel exemple d'unanimité nationale !
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 4 mai 2011, à 14 h 30.
La séance est levée à 1 h 55.
René-André Fabre,
Directeur
Direction des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du mercredi 4 mai 2011
Séance publique
DE 14 HEURES 30 A 16 HEURES 30
1. Proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l'existence du génocide arménien (n°607, 2009-2010).
Rapport de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois (n°429, 2010-2011).
DE 16 HEURES 30 A 18 HEURES 30
2. Proposition de loi relative aux expulsions locatives et à la garantie d'un droit au logement effectif (n°300, 201062011).
Rapport de Mme Isabelle Pasquet, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°463, 201062011).
A 18 HEURES 30 ET LE SOIR
3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer (n°267, 2010-2011).
Rapport de M. Georges Patient, fait au nom de la commission de l'économie (n°424, 2010-2011).
Texte de la commission (n°425, 2010-2011).
Avis de M. Serge Larcher, fait au nom de la commission de l'économie (n°464, 2010-2011).