Installations radiographiques et hydrodynamiques (Procédure accélérée)
Discussion générale
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et l'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes.
M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. - Derrière son utilité technique, ce texte traduit les évolutions majeures de notre politique extérieure. Le Royaume-Uni est notre premier partenaire, engagé comme nous dans la dissuasion nucléaire.
Ce traité de défense et de sécurité doit approfondir notre coopération bilatérale. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui illustre concrètement le degré de confiance atteint puisque nos pays vont conjointement construire et exploiter un centre d'étude et de simulation dénommé Epure, situé à Valduc, en Côte-d'Or, destiné à garantir l'efficacité et la pérennité de la dissuasion, sans essais réels, conformément à nos engagements internationaux. Des économies en seront ainsi le bénéfice. Chaque pays conservera la propriété et la responsabilité des résultats et produits ; les coûts seront équitablement partagés. Ce traité illustre notre capacité à produire des synergies : c'est un message d'espoir pour l'Europe. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)
M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Le traité qui nous occupe figure parmi les avancées majeures de l'année 2010. La dimension scientifique et les économies qu'il permettra de réaliser sont remarquables, comme l'est sa dimension stratégique, sachant la relation quasiment exclusive que le Royaume-Uni entretenait jusqu'alors avec les États-Unis.
La France et le Royaume-Uni poursuivent un objectif commun : préserver les capacités militaires et une base technologique de premier plan dans un contexte difficile. Je rappelle que le Royaume-Uni a prévu de réduire son budget militaire de 8 % d'ici 2010 ; sa décision de renforcer la coopération avec la France tient donc aussi à la nécessité, ce qui n'empêche pas les décisions de Londres de soutenir une ambition majeure.
Cette relance de la coopération supposait une ambition à maintenir dans la durée : d'où l'importance d'une structure de pilotage au plus haut niveau.
Pour soutenir cette dynamique de coopération, notre président, Josselin de Rohan, s'est fortement investi pour mettre en place un suivi parlementaire franco-britannique. La première réunion associant les commissions de défense des deux chambres britanniques et françaises a eu lieu au Sénat quelques jours après le sommet de Londres, et la prochaine se tiendra au mois de juillet.
Notre démarche a pu, d'abord, froisser quelques susceptibilité mais j'ai la conviction qu'elle aura un effet stimulant : attestant que des partages de capacité sont envisageables, elle peut avoir un effet d'entraînement. Elle n'est pas exclusive d'autres formes de coopération : nous collaborons avec d'autres pays sur les satellites d'observation, comme avec le Royaume-Uni sur les satellites de communication.
Nos deux pays sont appelés à jouer un rôle de premier plan en matière de défense. Préserver nos capacités, c'est défendre nos intérêts nationaux mais aussi travailler à préserver et dynamiser la PESC. Cette coopération est utile à l'Europe.
Le traité qui nous est soumis touche à la dissuasion, précisément sur les techniques de simulation garantissant la fiabilité des armes nucléaires, via des installations communes préservant la souveraineté de chacun. Nos deux pays ont déposé le même jour les instruments de ratification du traité de non-prolifération. Cela suppose des outils de validation des instruments et installations. La direction des applications nucléaires et son homologue britannique, l'Atomic Weapons Establishment, sont arrivés à la conclusion que des installations communes étaient nécessaires. Restait à définir les modalités pratiques. Ce texte en est la traduction, qui institue le programme Epure, en définit le calendrier, pose les principes de partage des coûts. La France et le Royaume-Uni s'engagent réciproquement pour cinquante ans à autoriser l'accès aux installations communes situées dans leur pays.
Ce traité est l'une des réussites marquantes du traité de Londres. Il permettra d'économiser au total 400 à 450 millions d'euros. Il sera propice aux échanges et entretiendra la motivation de nos scientifiques, tout cela dans le respect de notre souveraineté, tout en témoignant d'un haut degré de confiance. Il marque la volonté commune de maintenir leurs doctrines de dissuasion, très proches l'une de l'autre. Le préambule rappelle que nos deux pays mettent leur force nucléaire par la dissuasion au service de l'Europe, dans un monde où le risque de prolifération subsiste.
Ce projet, d'un intérêt financier évident, donne un nouvel intérêt stratégique à notre politique de défense : au nom de la commission des affaires étrangères, je vous demande de l'adopter.
Mme Michelle Demessine. - Cette discussion est l'occasion d'évoquer notre politique de défense européenne : derrière un titre anodin, il s'agit d'un texte relatif au nucléaire militaire. La question aurait mérité un débat devant le Parlement car ce traité sonne le glas de la défense européenne.
Lors du sommet de l'Otan, à Lisbonne, le président de la République avait modifié la donne : le débat parlementaire n'avait pu que sanctionner les décisions prises. Idem pour le traité bilatéral avec le Royaume-Uni, pris sans consultation préalable, ni du Parlement, ni de notre partenaire privilégié, l'Allemagne.
Ses motivations sont largement financières. À la différence des accords de Saint-Malo, qui pouvaient avoir un effet d'entraînement, ceux de Londres resteront étroitement bilatéraux. Au-delà d'une simple mutualisation, il s'agit d'envisager le rapprochement de nos industries de défense et de ses moyens de recherche. Surtout, le rapprochement en matière d'ogives nucléaires, sachant la dépendance du Royaume-Uni aux États-Unis, peut faire craindre pour l'autonomie de notre défense, et le principe de « dissuasion suffisante », au fondement de notre stratégie de défense, déjà mise à mal par notre réintégration dans l'Otan. Mais le président de la République n'en est pas à une contradiction près ! Car où est la cohérence ? On l'a vu avec sa gestion de la crise en Libye, c'est la fin de toute autonomie des capacités de défense européenne. L'union européenne restera cantonnée à l'humanitaire, se bornera à être « une grosse ONG » ayant l'Otan pour bras armé. Vous comprendrez que nous votions contre ce texte.
M. Jean-Louis Carrère. - Ce texte de ratification est l'occasion de nous pencher sur la coopération franco-britannique. Le sommet de Londres de novembre 2010 devait approfondir notre coopération bilatérale. Ce texte en fait partie, mais en le votant, on ne peut laisser croire que l'on approuve tout de l'association militaire entre nos deux pays.
Quels sont, monsieur le ministre, les différents aspects de cette coopération ? Car il y a loin de l'accord de Saint-Malo à celui-ci. Le premier devait consolider la défense européenne. Au plan industriel, il a fait avancer les choses, bien que les espoirs politiques n'aient pas tous été concrétisés. Mais ici, tout reste bilatéral. Au point que l'on s'en inquiète outre-Rhin.
Monsieur le ministre, envisagez-vous d'ouvrir cette coopération aux pays européens qui manifesteraient leur intérêt ? Où est la vision commune ? Il est vrai que le maintien du principe de dissuasion au sein de l'Otan, alors que l'Allemagne s'y oppose, justifie la coopération franco-britannique. Reste que la politique de défense de la France doit s'inscrire dans une coopération avec tous ses partenaires.
Le programme Epure, en Bourgogne, devait être suivi d'autres coopérations. Mais craignons que ces ambitions ne suivent le même chemin que bien d'autres... Votre Gouvernement, et les précédents, depuis 2002, ne nous ont pas habitués à la sincérité budgétaire. Des économies qui reviendront à la défense, dites-vous ? Je me méfie.
Écarté cet argument, reste celui du maintien de notre dissuasion au niveau de « stricte suffisance ». Or, ce que nous faisions seuls hier, vous admettez que nous ne pouvons plus le faire demain. Et quid des Britanniques ? Nous attendons vos réponses, monsieur le ministre.
Cette réorientation, associée à la réintégration dans l'Otan, n'aura-t-elle pas des conséquences sur notre autonomie ? Allons-nous vers un partenariat élargi ?
Nous voterons le texte car ce projet Epure est indispensable à notre dissuasion, après la ratification du traité d'interdiction des essais. Cela doit aujourd'hui l'emporter mais nous ne pouvons vous donner quitus sur les enjeux d'une coopération bilatérale qui ne sont pas parfaitement clairs.
Le débat doit se poursuivre ; à vrai dire, il ne fait que commencer !
M. Jean Milhau. - A l'université de Zurich, en 1946, Winston Churchill a proclamé : « En avant l'Europe ! ». Je crois, pour moi, en une Europe ambitieuse, cohérente, respectueuse des libertés et innovante.
Cette ambition ne peut se passer d'une défense plus sûre et plus fiable. A cet égard, la coopération britannique en vu de la consolidation de la paix est incontournable. Cette entente cordiale, aux dires de Gordon Brown, est devenue une « entente formidable » à l'origine d'un véritable élan pour l'Europe.
Ce traité doit renouveler notre confiance mutuelle, grâce au partage des équipements et à la coopération industrielle et technologique. Les techniques de simulation destinées à garantir la fiabilité des armes nucléaires seront perfectionnées grâce à une installation commune, Epure, à achever en 2022, dont les coûts seront équitablement partagés. Les règles en matière de santé, de gestion de déchets, de mise en oeuvre de la responsabilité sont précisément définies. Le tsunami qui a frappé le Japon a inquiété, à juste titre, nos concitoyens. En cette matière qui touche au nucléaire militaire, aucun dégagement d'énergie nucléaire ne sera produit, il faut le dire. Cette coopération, source d'émulation et d'économies, témoigne de la volonté de nos deux pays de défendre leurs doctrines, très proches, de dissuasion.
L'objectif de désarmement doit s'accompagner d'un progrès tangible vers un environnement international plus sûr. Le chemin, hélas, est encore long. C'est pourquoi les membres du RDSE approuveront ce traité. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Mes félicitations à M. Pintat pour son rapport, ainsi qu'à M. de Rohan pour son engagement personnel lors du 31e traité franco-britannique qui a abouti, notamment, au traité dont nous débattons aujourd'hui. Je ne m'étendrai pas sur son volet technologique pour observer que douze ans après le sommet de Saint-Malo, qui a montré que l'Europe de la défense avançait, le contexte économique a conduit nombre de nos partenaires à des réductions drastiques de crédits. Pour une fois, nous pouvons nous réjouir : ce traité montre que la contrainte peut aussi nous faire rebondir. A l'heure où la France est engagée, avec le Royaume-Uni, dans nombre de processus de résolutions de crise, la constance en matière de programmation militaire est essentielle. Les parlementaires, en cette matière, ont été largement associés : je m'en réjouis.
Le retour de la France au sein du commandement intégré de l'Otan assoit deux puissances européennes, animées par une même doctrine, et en fait un porte-voix de l'Europe.
M. Jean-Louis Carrère. - Tout faux.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Nous savons que les enjeux ne sont pas les mêmes en Allemagne mais l'Europe doit respecter les choix de chacun.
Dans ce traité, le collectif est primordial. La coopération franco-britannique permettra un partage des savoirs et une mutualisation des moyens, gage d'une extension future. Et en ces temps difficiles, ne négligeons pas l'économie de 500 millions d'euros pour la France qui résultera de la répartition des coûts !
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera en faveur de la ratification de ce texte qui apporte un nouveau souffle à la PESD, qui se construit chaque jour. Enfin, en tant parlementaire, je me réjouis du groupe de travail mis en place afin de suivre les évolutions, notamment financières, de ce projet. (Applaudissements à droite)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - A ceux qui voient dans ce traité la fin de la politique européenne de sécurité et de défense, je réplique, avec Mme Garriaud-Maylam, que la France et la Grande-Bretagne représentent la plus grande part de la dépense européenne au sein de l'Otan. Si l'Allemagne avait la même volonté financière, notre base européenne s'en trouverait renforcée. Pour l'heure, sans mutualisation franco-britannique, ce serait les États-Unis qui donneraient le ton. Nous dépendrions ainsi totalement des États-Unis.
L'Europe sera-t-elle toujours pour eux prioritaire ? On peut en douter, au vu de leurs engagements actuels, tournés vers l'Asie.
Que nous partagions avec la Grande-Bretagne la même vision a permis de maintenir la dissuasion dans le concept stratégique de l'Otan.
Pour conserver notre crédibilité et notre autonomie au sein de l'Otan, nous devons nous appuyer sur le Royaume-Uni.
Ce traité n'empêche pas l'émergence d'une politique de défense commune... à condition que nos partenaires la souhaitent. La porte est ouverte à qui veut entrer ; encore faut-il vouloir se défendre.
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Merci, monsieur le rapporteur, pour avoir souligné la réorientation stratégique des Britanniques, permise par notre retour dans les structures intégrées de l'Otan.
Madame Demessine, ce traité préserve notre indépendance.
Monsieur Carrère, je vous ai écouté attentivement. Oui, ce texte est pragmatique ; il créera une logique d'entraînement permettant de basculer vers une approche européenne. D'ailleurs, nous travaillons également, dans le cadre du Triangle de Weimar, à une approche coordonnée entre l'Allemagne, la Pologne et la France. Enfin, cet accord n'est pas un constat de faiblesse mais la volonté de préserver notre ambition, dans un souci d'économies.
Monsieur Milhau, je vous remercie pour la dimension historique que vous avez donnée à votre propos, tout en rappelant que M. Churchill envisageait alors une Europe de la défense sans le Royaume-Uni. Nous avons un peu progressé depuis lors. Le partage équilibré des coûts est bien la clef de la coopération.
Madame Garriaud-Maylam, le président de la République veut que les parlementaires soient plus associés à la politique étrangère. Je m'associe à l'hommage que vous avez rendu au rapporteur et au président de Rohan qui, par son action, mériterait d'être reçu à la Chambre des Lords ! (Sourires)
La discussion générale est close.
Vote sur l'ensemble
M. Jean-Louis Carrère. - Monsieur le ministre, vous allez vite en besogne en parlant d'un basculement des Britanniques de l'Alliance atlantique vers l'Europe.
Bien sûr, je serais heureux que d'autres pays européens rejoignent la France et le Royaume-Uni.
Sur le plan des économies budgétaires, je ne partage pas l'optimisme de Mme Garriaud-Maylam. On a vu ce qu'il en était de celles promises avec les bases de défense et l'externalisation.
M. Alain Houpert. - En tant que sénateur de Côte-d'Or, je suis préoccupé par l'impact économique du CEA de Valduc. Le nucléaire étant contesté, parfois de façon excessive, on doit prendre aujourd'hui toutes les précautions pour poursuivre ses activités.
Il faut en outre que le CEA s'acquitte loyalement de ses obligations fiscales : 90 % des employés du CEA en Côte-d'Or habitent dans un rayon de 30 km de son établissement. En 1999, le CEA a été condamné pour non-paiement de la taxe foncière, condamnation confirmée en appel et par le Conseil d'État. Qu'il adopte un comportement plus civique pour ne pas obérer son avenir et celui du territoire !
M. Laurent Wauquiez, ministre. - L'élu local que je suis entend bien votre plaidoyer. Le centre du CEA ne doit pas être « hors-sol ». Au contraire, il doit représenter un atout pour la collectivité locale qui l'abrite. Le Quai d'Orsay y veillera.
L'article unique du projet de loi est adopté.