Journée nationale de la laïcité
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion d'une proposition de résolution instituant une journée nationale de la laïcité.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. - Quand j'ai déposé cette proposition de résolution, je ne savais pas encore qu'aurait lieu le triste débat du 5 avril. La laïcité ne se débat pas, elle est consubstantielle à la République. (Marques d'approbation à gauche)
La laïcité n'est ni l'oecuménisme, ni l'athéisme, ni l'agnosticisme. Elle est tolérante par essence, son histoire le montre.
« Laïque » signifie, en substance, communauté nationale. La Révolution lui a donné portée universelle par la Déclaration des droits de l'homme de 1789. En 1801, le Concordat l'a remise en cause. En 1850, la tristement célèbre loi Falloux met l'éducation sous la tutelle de l'Église, s'attirant une vive réplique de Victor Hugo qui voulait que l'on ne mêlât point le prêtre au professeur : « je veux l'Église chez elle et l'État chez lui ». On parlait alors de la guerre des deux France.
Le mot « laïcité » a été employé pour la première fois sous la Commune en 1871. Vinrent l'affaire Dreyfus, puis les « hussards noirs » de la IIIe République, républicains, souvent protestants, libres-penseurs, francs-maçons. La loi du 9 décembre 1905, pilier de nos institutions, est le résultat d'un long débat qui a duré du 31 mars au 3 juillet, à quoi il faut ajouter le travail de la commission de 33 membres qui a siégé plus de dix-huit mois sous la présidence du libre-penseur Ferdinand Buisson. Soit, comme l'a dit Jaurès, le plus long travail parlementaire de la législature, des législatures passées et peut-être à venir. Aristide Briand, rapporteur du projet de loi, arrivera, grâce à ses talents de conciliateur, à faire adopter un texte d'équilibre, qui pose le principe de la liberté de conscience et de la liberté de l'exercice des cultes, supprime la rémunération du clergé par l'État et confie à celui-ci la propriété des édifices cultuels.
Cette loi a donné satisfaction à tous, en consacrant la séparation de la sphère publique et de la sphère privée, en laissant à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire. La laïcité repose sur l'égalité des citoyens, c'est pourquoi le mot est, comme dit Jaurès, « identique » à celui de démocratie.
Or, voici que le principe de laïcité est bafoué. Face à ces tentatives, une certaine confusion est entretenue. Pourtant, le principe de laïcité ne devrait pas diviser mais rassembler. Ciment de notre démocratie et du vivre-ensemble, il complète la devise « liberté, égalité, fraternité ». Il doit être réaffirmé pour les jeunes générations.
Comment ne pas comprendre le profond attachement à la laïcité des associations qui en ont fait le fond de leurs réflexions ? Durant la première moitié du XXe siècle, les protestants peinaient encore à se faire reconnaître, à l'heure du mariage ou de l'inhumation. La récente décision du président de la République de demander au Premier ministre d'assister à la béatification d'un pape est inadmissible, une très grave entorse au principe de laïcité. La France n'est pas « la fille aînée de l'Église », elle est une République laïque. (M. René-Pierre Signé approuve)
Nos concitoyens en difficulté sociale méritent un meilleur respect de la République, qui leur fera la mieux respecter. Il ne faut pas modifier la loi de 1905. Jean-Louis Debré déclarait, lors du centenaire de celle-ci, qu'elle était la « clé de voûte » de notre modèle républicain, un « équilibre » qu'il serait « irresponsable » de remettre en cause. La loi de 1905 parle bien des Églises, au pluriel.
Faut-il vraiment une journée de la laïcité, une journée de plus ? Rappeler chaque 9 décembre la loi de 1905, satisferait les 80 % de jeunes enseignants qui y sont très sensibles. Cela donnerait un peu plus d'oxygène à la liberté de conscience. Un jour par an, le principe de tolérance pourrait être fêté dans les associations et les établissements scolaires. Je ne doute pas de la créativité de nos concitoyens, enseignants ou non, pour animer cette journée.
Je soumets à votre réflexion ce propos d'Aristide Briand, parlant de la loi de 1905 : la réalisation de cette réforme affranchira notre pays de conflits stériles, qui dispersent les forces de la Nation.
La laïcité, garante d'une coexistence pacifique des habitants de notre pays, vaut bien qu'on lui consacre une journée par an, pour la promouvoir et la défendre. Un groupe de la majorité a déposé une proposition identique, preuve que le consensus existe sur ce point. (Applaudissements à gauche ; Mme Sophie Joissains applaudit également)
Mme la présidente. - Nous n'achèverons pas ce matin l'examen de cette proposition de résolution ; je dois suspendre à 13 heures.
Mme Roselle Cros. - La laïcité est un des principes fondamentaux de la République. C'est une évidence que nous partageons : elle a valeur constitutionnelle. La loi de 1905 est une des plus fondatrices de notre législation.
Depuis 1789, depuis 1905, les temps ont changé : la laïcité est désormais heureusement un acquis que nul ne veut vraiment remettre en cause, n'en déplaise aux auteurs de cette proposition de résolution. Il est vrai que certains débordements ont pu être observés à l'occasion d'occupations d'espaces publics ou de repas dans les cantines scolaires -et montés en épingle par les médias. La faible mobilisation du dernier débat sur la laïcité montre que la question n'est plus au centre des préoccupations des Français. Avons-nous à souffler sur des braises qui n'arrivent plus à s'enflammer ? Ce n'est pas de cela dont parlent nos concitoyens, mais du chômage, de la dette, de la mondialisation et des fermetures d'usines, de la révolution dans le monde arabe.
Le débat sur l'identité nationale a été détourné de son sens. Une journée de la laïcité ? Pourquoi pas de la liberté ? De l'égalité ? On ne commémore pas les fondements de la République, on les fait vivre et on s'attache à les sauvegarder. Il revient à nos autorités publiques de garantir le respect de la laïcité dans la sphère publique et des croyances religieuses dans la sphère privée.
L'Union centriste ne votera pas cette proposition de résolution qui relève du faux débat, de la fausse bonne idée. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Claude Bérit-Débat. - Cela ne nous étonne pas.
Mme Bariza Khiari. - Chacun de nous a une identité propre, plurielle, qui fait la richesse du pays jusque dans ses contradictions. Il faut un socle partagé pour permettre l'échange ; c'est l'office de la laïcité, ciment du vivre-ensemble.
Certains souhaitent modifier la loi de 1905 à la suite de comportements marginaux de certains musulmans, comportements qui dérangent la grande majorité des musulmans eux-mêmes et auxquels on peut mettre fin, par exemple par le prêt de salles. Ils savent que la laïcité est un bien pour nous tous. Récipiendaires des valeurs laïques comme chaque citoyen, les citoyens musulmans ont rejeté le débat faussé qu'on proposait. Comme le dit un grand maître soufi, les hommes sont les ennemis de ce qu'ils ignorent.
La laïcité doit être expliquée plutôt que débattue. Certains enseignants, certains hommes politiques, assignent des identités particularistes à certains citoyens, aujourd'hui musulmans, hier juifs. Une approche mobilisatrice de la laïcité n'en facilite pas l'appropriation par les jeunes. Dans un pays métissé, la laïcité sera de plus en plus nécessaire, pour que prime ce qui rassemble sur ce qui divise. La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. (On renchérit sur les bancs socialistes)
La laïcité a ceci de merveilleux qu'elle permet d'être Français au sens de Raymond Aron : être Français en conservant ses propres fidélités. La laïcité, fêtons-là ! (Applaudissements à gauche)
M. Yvon Collin. - La laïcité est, depuis 1905, consubstantielle à la République française. Pour autant, elle est trop souvent contournée. Les radicaux, qui ont largement contribué à forger l'histoire de la République, déplorent les atteintes qui lui sont portées. La laïcité est le rempart de la liberté de conscience contre les religions. Principe intangible, elle ne souffre pas le moindre compromis. La loi de la République protège non les religions mais le libre choix de chaque individu. La laïcité est fille de la raison qui, contrairement à la foi, s'applique à douter.
Les options confessionnelles ne doivent pas peser sur les délibérations publiques. Les radicaux de gauche sont membres fondateurs, et très actifs, de l'Observatoire de la laïcité. Tous les membres du RDSE sont favorables à ce qui favorise le respect de la laïcité. D'où notre position lors de la loi sur le port du voile à l'école.
Nous refusons de céder à des pratiques d'une infime minorité décidée à imposer son sectarisme en foulant au pied les principes fondamentaux de notre démocratie. Bien que nous soyons réservés sur les principes de la journée commémorative, nous voterons cette proposition de résolution. Mais en insistant sur le fait que la laïcité doit se vivre chaque jour. Le président de la République doit afficher la neutralité religieuse la plus absolue, ce que ne fait pas l'actuel qui, par certains de ses comportements, s'écarte de son rôle, de sa mission et de sa fonction. Les convictions personnelles sont respectables, mais ne doivent pas s'immiscer dans le débat public.
Les Radicaux ont été à la pointe du combat qui a conduit à l'adoption de la loi de 1905. Nous ne sommes pas leurs héritiers passifs, mais les protecteurs vigilants du principe de la laïcité. (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Agnès Labarre. - Notre groupe frissonne devant tant d'audace... Une journée de la laïcité ? Est-ce à dire que 365 jours par an ne suffisent pas ? Sur ces bancs, que d'illustres tribuns se sont battus pour faire reconnaître le droit de ne pas croire, sous la protection vigilante d'un État désintéressé ! Ici, la guerre civile pour imposer une religion ; là, une étiquette de « franco-musulman » ou de « franco-juif »...
Cette résolution ne saurait suffire. La laïcité est un des ingrédients de l'air que nous respirons, l'un vient à manquer et c'est la société toute entière qui devient irrespirable. C'est à nous, chaque jour, de nous lever pour faire vivre ces valeurs, la laïcité, comme la liberté, l'égalité, la fraternité.
L'État et les Églises sont presque séparés, mais pas tout à fait : les privilèges de certains cultes subsistent en Alsace-Moselle. La départementalisation de Mayotte a mis fin au droit coutumier, preuve que la laïcité peut être étendue à tout le pays. « L'Église chez elle, l'État chez lui », proclamait le catholique Victor Hugo, du premier rang de nos bancs. A la, puissance publique de s'occuper de l'intérêt général. Déshabiller Marianne pour habiller Marie, c'est chercher noise à la communauté des citoyens, qui est une et indivisible.
Le président de la République porte le titre de « chanoine du Latran ». Ce n'est qu'un symbole ? Mais quel symbole ! A quel titre demande-t-il que les étudiants juifs passent les concours un autre jour que les autres ? Assez de mélange des genres.
La République ne doit plus céder aux exigences des Églises. Plus de 500 villages ont été privés d'école publique au profit d'écoles confessionnelles. Défendre la laïcité, c'est l'appliquer sans trêve. Par exemple en débattant de bonne foi de la proposition du parti de gauche. « Il faut apprendre à vivre avec ses différences dans l'horizon de l'universel », comme l'écrit Pena-Ruiz. Si vous tenez à une commémoration, célébrez l'école laïque le 28 avril ; ce sera l'occasion de se souvenir de cet hymne à l'école laïque : « Honneur et gloire à l'école Laïque / Où nous avons appris à penser librement / A défendre à chérir la grande République / Que nos pères jadis ont faite en combattant. »
Mme la présidente. - Il reviendra à la Conférence des Présidents de voir quand poursuivre ce débat.
La séance est suspendue à 12 h 55.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 15 heures.