Journée de l'Amérique latine et des Caraïbes en France
M. le président. - L'ordre du jour appelle la proposition de résolution relative à l'institution d'une journée de l'Amérique latine et des Caraïbes en France.
Orateurs inscrits
M. Jean-Marc Pastor, auteur de la proposition de résolution. - Notre initiative s'inscrit dans une démarche historique : ce texte marquera, je l'espère, les relations entre la France et tout un continent, auquel nous tendons la main
Les peuples d'Amérique latine célèbrent aujourd'hui leur indépendance. Qu'en sera-t-il demain ? Un combat permanent est nécessaire pour préserver la liberté. Brandissons l'étendard sanglant, pour éviter que le sang ne coule !
Les philosophes français furent les principaux inspirateurs des indépendantistes latino-américains, dès le XVIIIe siècle. Les pères fondateurs étaient pétris de culture française. Miranda, grand admirateur de la Révolution française, fut général de l'armée Dumouriez et Bolivar avait pour précepteur un admirateur déclaré de Rousseau.
La République française se devait de prendre une initiative symbolique et forte. Je remercie les groupes d'amitié du Sénat.
Ces pays ne sont plus en voie de développement ni soumis à des régimes autoritaires mais libres, maîtres de leur destinée. Leur richesse économique, culturelle, leur souci de la liberté chèrement acquise, leurs besoins aussi en font des partenaires tout désignés.
De nombreuses institutions oeuvrent en France pour l'amitié avec ces pays. Mais la célébration du bicentenaire de l'indépendance laisse un goût d'inachevé. Pour lui donner un sens et en laisser une trace, nous proposons que chaque année, le 31 mai soit la journée de l'Amérique latine et de la Caraïbe.
Les anniversaires doivent être aussi l'occasion de se projeter dans l'avenir.
La France retrouve son visage des Lumières : c'est celle que les Latinos aiment. L'homme seul franchit difficilement les obstacles. Scellons l'amitié de la France et de tout un continent. Entretenons la flamme, l'espoir d'un monde meilleur.
La France rassemble et unit. M. Lellouche a apporté son soutien à notre projet au nom du Gouvernement et je l'en remercie. Tous les groupes politiques se sont joints à cette démarche. Je vous invite à voter avec l'enthousiasme qu'elle mérite cette proposition. (Applaudissements sur tous les bancs ainsi que dans la tribune officielle)
M. Roland du Luart. - J'interviens en tant que président du groupe d'amitié France-Brésil. En quelques années, l'Amérique latine a favorablement évolué et il faut y renforcer la présence de la France.
En 1964, le général de Gaulle effectuait une tournée historique en Amérique latine : il avait compris la proximité de ce continent avec la France, par sa culture et sa volonté d'indépendance. Or depuis, avec les vicissitudes de l'Histoire, ces liens se sont distendus et l'image du continent s'était dégradée.
Mais en quelques années, que de progrès accomplis dans cette région !
La France éprouve pour le Brésil une amitié profonde : la civilisation brésilienne est une source d'admiration. Peut-être la France des Lumières et républicaine, celle d'Auguste Comte aussi -dont la formule « Ordre et progrès » est celle du Brésil- fut-elle un modèle. Nous avons en Guyane 700 kilomètres de frontière commune, qu'enjambera bientôt le grand pont sur l'Oyapock.
Le partenariat stratégique lancé par MM. Sarkozy et Lula bâtit d'autres ponts de toute sorte : il a multiplié nos coopérations.
Mais soyons plus entreprenants encore : le Brésil est devenu un acteur incontournable de la mondialisation, qu'il veut mieux maîtrisée et plus juste, comme la France. Je souhaite qu'il devienne membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.
Notre coopération scientifique et technique est exemplaire. Notre coopération culturelle est aussi encourageante : nous comptons 39 alliances françaises au Brésil, premier réseau au monde.
Je suis convaincu que le Brésil ouvrira des marchés aux produits français. Notre coopération sert les intérêts du monde. La France doit se considérer comme partie intégrante de l'Amérique latine. Tous les Français sont-ils conscients des transformations récentes de ce continent ?
Il faut mieux diffuser l'image et la voix de la France et mieux faire connaître l'Amérique latine aux Français : la journée de l'Amérique latine y servira. Je vous demande donc de soutenir cette proposition de résolution. Vivifions ce capital de sympathie ! (Applaudissements sur tous les bancs ainsi que dans la tribune officielle)
M. Jean-Pierre Bel. - Je m'exprimerai aussi au nom de M. Piras, président du groupe d'amitié France-Caraïbes.
Depuis les indépendances du XIXe siècle, les relations entre la France et les pays d'Amérique latine sont marquées par l'admiration pour les philosophes français des Lumières, l'amour de la langue et de la culture françaises. L'Amérique latine est proche de nous. Je suis heureux qu'une journée de l'Amérique latine rappelle ces liens et les renforce. (Applaudissements sur tous les bancs et dans la tribune officielle)
M. Gérard Cornu. - Je salue tous les ambassadeurs des pays d'Amérique latine présents dans la tribune officielle et je remercie M. Pastor qui a souhaité accompagner la célébration des indépendances latino-américaines en déposant cette proposition de résolution.
C'est en 1950 que le premier groupe d'amitié avec l'Amérique fut créé ici : le Parlement voulait s'ouvrir vers des pays qui partageaient avec nous une culture commune. En 2010, notre assemblée a célébré la libération de l'Amérique latine et des Caraïbes. La France fut souvent une référence pour les acteurs de l'émancipation. La devise « Liberté, égalité, fraternité » est aujourd'hui partagée de tous.
Aujourd'hui, d'autres peuples se soulèvent pour la liberté. Dans ce contexte, nous ne pouvons qu'approuver la création d'un grand rendez-vous annuel de joie et d'amitié. (Applaudissements)
M. Philippe Adnot. - M. Pastor s'est exprimé avec un grand talent. En tant que président du groupe d'amitié France-Pays andins, j'ai cosigné cette proposition de résolution.
La célébration du bicentenaire des indépendances en 2010 fut un succès.
Ainsi ont été mis en lumière à la fois nos projets communs et les liens qui nous unissent.
Nous remémorer cette année joyeuse ne doit pas nous empêcher de nous souvenir des événements dramatiques qui ont frappé, en particulier, la Colombie.
Notre amitié est sincère et dénuée de tout jugement de valeur sur les gouvernements car nous devons nous respecter mutuellement si nous voulons nous comprendre. Grâce à ce texte, notre compréhension mutuelle s'approfondira.
La présence en nombre d'étudiants latino-américains en France prépare l'avenir de nos relations fraternelles, basées sur un respect commun. (Applaudissements sur tous les bancs et dans la tribune officielle)
M. François Fortassin. - L'émotion m'étreint, sous le regard attentif d'une forte délégation diplomatique d'Amérique latine.
Ce continent, c'est avant tout des rêves d'enfant et d'adolescent. Ce sont des émigrés du Queyras et de Barcelonnette qui sont allés fonder le marché de Mexico et y faire fortune.
Je salue l'initiative de M. Pastor, attaché à l'Amérique latine dont il est un expert.
Ceux qui, comme moi, pratiquent modestement le castillan et sont attirés par la musique latino-américaine, se sentent chez eux en Amérique latine, quel que soit le pays. J'y ai toujours ressenti cette chaleur, et aussi le bonheur de ces gens simples qui vous donnent l'hospitalité.
Nous avons des relations étroites. Bolivar a beaucoup aimé la France ; il était présent au sacre de Napoléon. Un libertador est beaucoup plus qu'un libérateur : il a brisé les chaînes de l'oppression et en même temps donné l'espoir. La France, patrie des libertés, des droits de l'homme, a des devoirs en Amérique latine.
En Uruguay, naguère encore, on parlait français dans la rue, mais on honore toujours la mémoire d'Isidore Ducasse et de Jules Laforgue.
L'Amérique latine a accompli un énorme pas en avant vers la démocratie. La fin des régimes difficiles s'est faite de façon naturelle, avec le sentiment profond qu'il n'est point de développement hors de la démocratie.
L'Amérique latine est riche de sa culture, riche de sa population, riche de son immensité et de son sous-sol. Nous avons un rôle à jouer, si nous ne voulons pas laisser ces pays à la merci de leur grand voisin du nord, qui n'a jamais rien compris à l'Amérique latine.
Je voterai avec enthousiasme cette résolution. (Applaudissements sur tous les bancs et dans la tribune officielle)
Mme Marie-Agnès Labarre. - L'institution d'une journée de l'Amérique latine nous aidera à resserrer nos liens. Les sociétés latino-américaines sont imprégnées du sens du droit, comme toutes celles qui sont issues du droit romain.
L'influence des Lumières à conduit nos amis latino-américains à interroger leur relation à la monarchie. Le premier texte sur les droits de l'homme est arrivé en Amérique latine grâce à des Espagnols déportés à Caracas. Le directeur de la prison, franc-maçon comme les déportés, a aidé ceux-ci à le recopier ! En 1794, Victor Hugues a libéré les negros franceses, les « noirs français », qui sont partis à l'assaut du Venezuela pour y établir ce qu'ils appelaient « la loi des Français » : la République et l'abolition de l'esclavage.
Il y a bien une relation organique entre le Nouveau Monde et la France de 1789. Les révolutions démocratiques qu'a connues le continent depuis vingt ans touchent le Parti de gauche car elles rompent dans la liberté avec le libéralisme. Ce mouvement s'est prolongé en Islande avec le référendum contre les banques, puis en Tunisie et en Égypte. La contagion des mouvements populaires nous concerne et nous réjouit car ici aussi, nous avons une oligarchie à combattre, celle qui fait le tri entre les bons Français et les autres, qui verrouille les débats.
La révolution citoyenne d'Amérique latine est la bienvenue pour tous ceux qui souffrent, elle nous montre le moyen d'emprunter par les urnes le même chemin contre le libéralisme et les banques. Le pays de la Révolution de 1789 en est à abandonner son autonomie budgétaire...
Cette résolution tombe à point nommé pour célébrer notre lien avec l'Amérique latine. (Applaudissements)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. - Cette résolution souligne la volonté de la France de s'appuyer sur notre lien exceptionnel pour construire une relation fructueuse.
Nous mesurons la richesse des échanges entre nos pays. Des liens géographiques, intellectuels, politiques et juridiques très forts ont été tissés au fil des années.
Hélas, ces liens se sont distendus et la France a tardé à les resserrer. Resserrons-les. Il y a l'actualité, que l'on ne peut oublier, et c'est aujourd'hui celle de Florence Cassez. (Deux diplomates quittent la tribune officielle)
Nous avons amitié et respect pour le Mexique et le peuple mexicain. Nous savons la gravité de la situation en matière d'enlèvements. Nous respectons l'indépendance de la justice, au Mexique comme partout.
Notre mobilisation en faveur de Florence Cassez se fonde sur les valeurs de justice et d'attachement à l'état de droit que nous avons en partage.
Encore une fois, elle ne remet pas en cause notre amitié à l'égard du peuple mexicain. Elle n'entame en rien notre volonté de conforter nos liens avec les peuples d'Amérique latine et des Caraïbes.
La zone Amérique latine-Caraïbes s'affirme comme un acteur majeur de l'univers multipolaire qui se dessine sous nos yeux. Nos pays partagent la même vision de la mondialisation.
Un multi-libéralisme renommé doit nous conduire à apporter des réponses globales à des questions globales. L'Amérique latine doit occuper toute sa place à l'ONU et le Brésil devenir membre permanent du conseil de sécurité.
Le développement économique et social, condition de la stabilité, appelle des relations approfondies. Nos exportations ont augmenté de 20 % en cinq ans. Notre part de marché est bien modeste, à 2 %.
La France doit assurer davantage sa présence économique et son rayonnement culturel. Cette résolution est donc bienvenue. La journée du 31 mai fera honneur à notre histoire commune et nos idéaux partagés.
Elle accompagnera les efforts de la diplomatie française en direction de cette région du monde. Elle sensibilisera nos concitoyens à la solidarité qui nous unit et à la volonté qui nous rassemble face aux défis de la modernité. (Applaudissements au centre et à droite)
A la demande du groupe socialiste, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l'adoption | 338 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements unanimes et prolongés, ainsi que dans la tribune officielle)