Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Tunisie (I)
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous voudrions d'abord dire notre admiration pour le peuple tunisien qui s'est ouvert à mains nues le chemin de la liberté, pour ses martyrs, pour ceux qui ont résisté aux complices, à la police et aux milices de Ben Ali. Le Gouvernement français n'a pas été à la hauteur, c'est un euphémisme. Des paroles et des silences ont fait mal, très mal.
Mais tournons-nous vers l'avenir.
D'abord, il ne faut plus parler d'un risque de contagion tunisienne, mais d'une chance : la démocratie n'est pas une maladie contagieuse !
Ensuite, il ne faut plus prétendre qu'une dictature est un rempart contre l'islamisme radical : au contraire, la démocratie et la laïcité sont ces remparts.
Le Gouvernement gèlera-t-il les avoirs tunisiens ? Le « contrôle » ne suffit pas. Notre discours changera-t-il ? La France des Lumières, la France de 1789, la France de la Résistance et la France de la décolonisation doit être solidaire des peuples qui luttent pour la liberté ! (Applaudissements à gauche)
M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. - Je vous prie d'excuser Mme Alliot-Marie, qui se trouve en Israël.
Ne sombrons pas dans de petites polémiques ; merci de n'y avoir pas sacrifié. Réjouissons-nous de ce progrès de la démocratie.
S'agissant des avoirs, toutes les mesures ont été prises dans le cadre du droit national, européen et international. La France et l'Union européenne sont à la disposition des autorités tunisiennes pour les aider à achever ce processus démocratique et préparer les élections. La France reconnaît les pays, non les régimes. Il ne saurait y avoir d'ingérence de la politique intérieure de pays souverains.
M. Alain Gournac. - Très bien !
M. Henri de Raincourt, ministre. - Gouvernants de gauche et de droite ont toujours respecté la Tunisie, qu'ils aiment.
Tunisie (II)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je salue le président du parti ouvrier tunisien, enfin sorti de prison.
Jusqu'au dernier jour, le président de la République et le Gouvernement ont fermé les yeux sur la nature du régime de M. Ben Ali, policier et corrompu, censé garantir les intérêts économiques français. Ils prétendent aujourd'hui apporter leur soutien au processus démocratique. Il ne faut pas faire table rase du passé ! Cette volte-face nous fera-t-elle retrouver la confiance du peuple tunisien ?
Quelle était donc la nature de vos relations avec le régime mafieux de Ben Ali ?
Interviendrez-vous pour que l'Union européenne révise sa coopération avec la Tunisie ? Passerez-vous de la promotion des entreprises françaises à une véritable coopération politique, économique et sociale ? (Applaudissements à gauche)
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. - Il faut beaucoup d'audace, une petite dose de mauvaise foi et une amnésie avancée à la gauche pour entrer dans cette polémique. (Applaudissements à droite, vives exclamations à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Provocation !
M. François Baroin, ministre. - A mon tour de poser une question : Madame Borvo, que pensez-vous des propos de M. Jospin, Premier ministre, lorsqu'il a reçu M. Ben Ali en 1997 pour une visite d'État et qu'il a évoqué « la proximité de nos idéaux de tolérance et de solidarité » ? (Rires à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Vous n'avez pas le droit ! Je vous enverrai ce que j'ai écrit à M. Jospin !
M. Alain Gournac. - Tout est dit !
M. François Baroin, ministre. - Respectez plutôt le principe constant de notre politique : la non-ingérence et le soutien à la démocratie. Nous serons aux côtés des Tunisiens pour les accompagner dans ce processus démocratique. (Applaudissements à droite, vives protestations à gauche)
Mediator (I)
M. Jean-Pierre Fourcade. - Je veux interroger M. Bertrand sur « l'affaire Mediator ». La commission des affaires sociales a été à l'origine de la création, en 1993, de l'Agence du médicament, par amendement, devenue l'Afssaps en 1998. Le rapport de l'Igas a souligné l'attitude inexplicablement tolérante de l'Agence au sujet du Mediator.
L'opinion publique s'émeut. En 2006 déjà, le retrait du marché du Viox avait conduit Mme Hermange...
M. Guy Fischer. - Et M. Autain !
M. Jean-Pierre Fourcade. - ...à établir un rapport remarquable. Comment comptez-vous rétablir la sécurité sanitaire ? (Applaudissements à droite)
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - La responsabilité première est celle du laboratoire Servier, mais la police du médicament a failli. Des mesures radicales doivent être prises. Un sondage vient de montrer qu'un tiers des Français s'interrogent : c'est beaucoup trop !
Aujourd'hui, la priorité est de prendre en charge les victimes et d'envisager la réparation.
Sur la chaîne du médicament, et la pharmacovigilance, des réformes en profondeur sont indispensables, ainsi que sur les conflits d'intérêt. C'est le prix de la confiance. Dès cette année, nous relèverons le défit. (Applaudissements à droite)
Mediator (II)
Mme Françoise Laborde. - Le scandale du Mediator a révélé bien des défaillances du système de pharmacovigilance : le rapport de l'Igas est clair. Le groupe Servier, par ses agissements, est le premier responsable. Mais le vrai scandale réside dans les multiples conflits d'intérêts au sein des autorités, de surveillance. Comment admettre que l'Afssaps soit financée à 80 % par les laboratoires ? Les travaux de certains experts sont financés par ces laboratoires, sans parler de ceux qui sont membres de cabinets ministériels. Avant même l'achèvement des travaux des missions d'information parlementaires, quelles sont les pistes concrètes que va suivre le Gouvernement pour en finir avec ce mal français, le conflit d'intérêt ?
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - C'est vrai : le Mediator aurait dû être retiré depuis longtemps. Mais aurait-il même dû être mis sur le marché ?
En ce qui concerne l'Afssaps, pour que l'étanchéité soit complète, le budget de l'État devra financer intégralement l'Agence.
S'agissant de conflits d'intérêts, toutes les conventions passées par les laboratoires avec les experts devront être publiques. Ce sera un Sunshine Act à la française. Il est vrai qu'il y a dans mon cabinet des professeurs d'université PUPH, dont les activités de recherche sont financées par les laboratoires ; j'ai demandé à chacun une déclaration d'intérêts et je ferai connaître mes décisions. La confiance implique la transparence : je m'y engage. (Applaudissements à droite)
Réforme des intercommunalités
Mme Nathalie Goulet. - La réforme des collectivités territoriales prévoit le renouvellement des commissions départementales de coopération intercommunale avant le 16 mars. Mais le décret et la circulaire n'ont toujours pas été publiés. Serait-il possible de reporter cette échéance ? Les élus savent que cette réforme est nécessaire et veulent pouvoir y participer. Ils ne sont pas responsables des retards dans la parution des textes réglementaires, alors qu'ils font vivre la démocratie au quotidien sur le territoire. (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite)
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. - La réforme des intercommunalités a été adoptée avec le soutien de presque tous les membres de cette assemblée. (Exclamations à gauche)
La loi du 16 décembre prévoit l'organisation de l'élection de commissions départementales dans un délai de trois mois : la date du 17 mars est donc impérative.
Le Conseil d'État vient de rendre son avis : nous pourrons donc dans les jours qui viennent donner la composition aux préfets ; elle dépendra du nombre d'habitants par département, du nombre d'EPCI et du nombre d'agglomérations, avec un minimum de 40. Le préfet, après les cantonales, préparera une esquisse du schéma départemental en étroite concertation avec les élus : ainsi, au 1er juin 2013, l'ensemble des départements pourra être couvert par les intercommunalités.
Mediator (III)
M. François Marc. - Le scandale du Mediator prend de l'ampleur et l'Igas vient de souligner les défaillances du système français. Pourquoi ce produit interdit ailleurs a-t-il continué à être commercialisé ? Pourquoi les experts de la Haute autorité de santé ont-ils été si défaillants ? Des signaux d'alerte avaient pourtant été envoyés et j'aurais aimé entendre un hommage du Gouvernement à Irène Frachon et à l'équipe du CHU de Brest.
Tirons au plus vite les enseignements de cette catastrophe sanitaire. Les conclusions de l'Igas sont accablantes : on a fait passer l'industrie avant les malades ! Il faut s'affranchir de la pression des lobbies; M. Autain a fait des propositions, dès 2006.
Mais il n'y aura aucune solution tant que le Gouvernement ne renoncera pas à sa doctrine libérale : il n'a inscrit aucun financement pour l'Afssaps dans le budget des trois ans à venir. L'agence sera financée à 100 % par les laboratoires. Comment le Gouvernement va-t-il faire pour rétablir l'indépendance des organismes et pour privilégier l'intérêt des patients? (Applaudissements à gauche)
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - J'ai déjà répondu sur le financement. Il y a trop de commissions à l'Afssaps, avec trop de membres : la responsabilité est diluée. Les associations de patients doivent y siéger, le statut des lanceurs d'alerte être précisé. J'ai cité le docteur Frachon, qui a pris le relais du docteur Chiche qui avait signalé un cas de valvulopathie dès 1999.
La décision d'une commission de l'Afssaps sera nulle si un membre présent est en situation de conflit d'intérêts. Les débats seront enregistrés et diffusés sur internet sous quinze jours. Pourquoi ne pas rendre les auditions publiques, comme aux États-Unis ?
J'ai étudié tous les rapports, celui de M. Autain, de Mme Hermange, en particulier. C'est au Parlement de fixer le calendrier, mais nous devons bâtir un nouveau système. Quant à la justice, elle devra aller jusqu'au bout.
Après l'affaire du sang contaminé, on avait confié la procédure aux experts. Une façon de tirer les enseignements de l'affaire du Mediator, ce sera de mieux informer les politiques pour qu'ils assument leur responsabilités : c'est ma conception de la politique ! (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Hervé Maurey applaudit aussi)
Évaluations à l'école primaire
M. Jacques Legendre. - Le ministre de l'éducation nationale a décidé d'évaluer les connaissances en français et mathématiques des écoliers de CM2, avant leur entrée en sixième.
Leur analyse au niveau national doit servir à remédier immédiatement aux insuffisances puis à infléchir la politique scolaire. Cependant, ces évaluations sont contestées par des organisations syndicales et des associations de parents d'élèves.
Un débat est légitime. Mais nous en sommes au stade du boycott et même du sabotage, par la publication des sujets !
Le classement Pisa n'est pas flatteur pour nous. Quelle suite donnerez-vous aux événements récents ? (Applaudissements au centre et à droite)
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. - L'intérêt de ces évaluations est de comprendre, pour progresser. Nous devons mesurer les performances de notre système. On ne peut déplorer le bilan Pisa et refuser d'améliorer la situation.
Ces tests aideront professeurs et parents à combler les lacunes des élèves, à quelques mois de leur passage au collège.
Une concertation cet été a conduit à améliorer les épreuves. Une minorité d'enseignants et de parents choisissent de les dénoncer, voire de divulguer les résultats des épreuves.
M. Alain Gournac. - Inacceptable !
M. Luc Chatel, ministre. - C'est indigne de l'école de la République. Après consultation de nos services juridiques, j'ai décidé de porter plainte. L'école de la République, ce n'est pas la triche ni la désobéissance mais une chance pour tous. (Applaudissements à droite)
M. Guy Fischer. - Baratin !
Tunisie (III)
M. Jacques Gautier. - Mme Alliot-Marie effectue une tournée importante au Proche Orient pour que la France participe au processus de paix.
La Tunisie est à un tournant de son histoire, porteur d'espoirs mais aussi d'incertitudes.
Soutenons ce printemps en hiver, sans donner de leçon. La mode chez nous est hélas à la critique hâtive ; certains oublient qu'ils soutenaient hier le régime du pouvoir en place et se faisaient décorer par lui...
Faisons confiance au peuple tunisien, gardons-nous de l'ingérence et du paternalisme.
La France est un des premiers bailleurs de fonds et partenaires de la Tunisie. Quelles actions le Gouvernement entend-il mener en ce domaine ? Comment accompagner le peuple dans son cheminement vers la démocratie ? (Applaudissements à droite)
M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. - Les liens sont anciens entre la France et la Tunisie. Vous avez raison, évitons de donner des leçons ! L'humilité est toujours bonne conseillère. Quoi qu'il en soit, pour les démocrates, on ne se trompe jamais en faisant confiance au peuple.
Oui, la France est le premier partenaire de la Tunisie.
L'Agence française de développement (AFD) est un outil formidable à cet égard, en liaison avec l'Union européenne. Tous organismes confondus, plus d'1,5 milliard d'euros ont financé, ces dernières années, diverses actions : soutien aux PME, accès à l'eau dans des zones enclavées grâce à 40 millions de l'AFD, financement d'un train de banlieue à Tunis pour 50 millions, aide aux étudiants -ils sont 2 500 en France chaque année. Nous sommes disponibles pour continuer à aider les autorités constitutionnelles, si elles le souhaitent, en particulier dans le domaine de la gouvernance ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Didier Boulaud. - C'est mieux répondu que M. Baroin !
Expertise sanitaire
Mme Marie-Christine Blandin. . - Dans le Grenelle I, un amendement a été voté à l'unanimité pour créer une instance spécifique de garantie de l'indépendance de l'expertise, pour protéger les lanceurs d'alerte, assurer la médiation en cas d'expertises contradictoires, le contrôle des déclarations...
L'Assemblée nationale avait demandé un rapport avant un an mais dix-huit mois ont été perdus. Pas de réponse, sinon sous forme de plaisanterie, à mes questions : selon Mme Bachelot, il était inutile d'« expertiser les experts », preuve que son cabinet ne l'avait pas informée du contenu de la loi. À l'Afssaps, M. Marimbert avait indiqué que l'agence est la mieux placée pour contrôler ses experts. La courageuse Mme Frachon est bien seule !
Quand le Gouvernement va-t-il respecter le vote du Parlement ? Nombre de substances comme le bisphénol A, l'aspartame et les céramiques réfractaires sont sur la sellette !
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - Le président de la République a souhaité une totale transparence sur le dossier. J'attends de connaître votre calendrier. Une Haute autorité de plus ? Un conseil de plus ? Un renforcement de l'expertise au sein de l'Afssaps ? Un renforcement de la transparence ? En tout cas, il faut aller plus loin, comme je le propose sur les déclarations d'intérêts. Des mesures radicales sont nécessaires.
Notre responsabilité est d'éviter un nouveau Mediator. Sur le bisphénol A, j'ai demandé que le rapport, promis pour le 1er janvier, me soit remis rapidement. Sur l'aspartame, il existe deux études étrangères ; nous devons nous saisir de ce dossier. Dans certains cas, il ne faudra pas hésiter à suspendre l'autorisation de mise sur le marché (AMM) afin que le principe de précaution bénéficie aux patients. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Précarité dans la fonction publique
Mme Catherine Procaccia. - Plus de 16 % des fonctionnaires sont précaires, avec des contrats s'enchaînant d'année en année, dans les trois fonctions publiques où le code du travail ne s'applique pas. L'État, disent les syndicats, est le pire des employeurs !
Le président de la République a annoncé un plan de résorption de la précarité. Un emploi de contractuel n'a pas vocation cependant à devenir un emploi « à vie ». Il faut faire évoluer les emplois en fonction des besoins.
Quelle sera la définition de l'« emploi permanent » ? Avez-vous des objectifs de titularisation ? Les trois fonctions publiques seront-elles à terme concernées ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. - Comment, dans la fonction publique, de telles situations de précarité ont-elles pu se développer ? Le président de la République a souhaité, l'an dernier, que nous étudiions la question, et nous négocions avec les organisations syndicales.
Nous voulons que la loi de 2005 soit appliquée : pas de CDD au-delà de six ans ! Nous réfléchissons à des passerelles, sur la base de concours qui seront précisés dans leurs modalités.
Enfin, nous étudions la possibilité de contrats à durée déterminée. Et nous avons la volonté de régler la question des indemnités de chômage : le temps d'attente est excessif. Une convention avec Pôle emploi pourrait être conclue.
Les discussions se déroulent dans un bon climat. Un texte pourrait être présenté en conseil des ministres avant l'été et examiné par le Parlement à l'automne. Il visera les trois fonctions publiques.
M. le président. - Une pensée pour M. Fauchon dont c'est la dernière participation à une séance du Sénat, après dix-huit ans de mandat et après une riche expérience, à l'image de l'esprit curieux et libre et de l'âme courageuse de l'abbé Grégoire, prêtre citoyen, qui siégea dans cet hémicycle. Je suis heureux qu'il mette ces qualités au service d'une cause chère au Sénat, celle des libertés individuelles et de l'autonomie de l'autorité judiciaire, au sein du Conseil supérieur de la magistrature. (Applaudissements)