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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Dépôt de rapports

Organismes extraparlementaires (Candidatures)

Mise au point au sujet de votes

Commission (Candidatures)

Rappels au Règlement

Allocations individuelles de solidarité

Discussion générale

Discussion des articles

Article premier

Article 2

Article 5

Article 6

Article 7

Décision du Conseil constitutionnel

Avis sur une nomination

Organismes extraparlementaires (Nominations)

Nomination du président de la Halde (Avis de la commission des lois)

Mise au point à propos d'un vote

Débat sur la défense anti-missile




SÉANCE

du jeudi 9 décembre 2010

49e séance de la session ordinaire 2010-2011

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

Secrétaires : M. Marc Massion, M. Bernard Saugey.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Dépôt de rapports

M. le président.  - M. le Premier ministre a transmis au Sénat le rapport 2009 sur les comptes, la gestion et l'activité de l'Établissement public de réalisation de défaisance, établi en application du décret du 20 février 1996 ; le rapport sur la mise en application de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture de la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, établi en application de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit ; le rapport sur la mise en oeuvre de l'agrément en faveur des investissements réalisés outre-mer dans certains secteurs économiques pour la période 2006 à 2009, établi en application de la loi du 30 décembre 1991 de finances pour 1992, et le rapport sur la mise en application de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, établi en application de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

Acte est donné du dépôt de ces rapports. Les trois premiers ont été transmis à la commission des finances ; le dernier à la commission des affaires étrangères. Ils seront disponibles au bureau de la distribution.

Organismes extraparlementaires (Candidatures)

M. le président.  - M. le Premier ministre a demandé au Sénat de désigner les sénateurs appelés à siéger au sein de trois organismes extraparlementaires.

La commission de la culture propose les candidatures de Mme Françoise Cartron pour siéger comme membre suppléant au sein de l'Observatoire national de la sécurité et de l'accessibilité des établissements d'enseignement et de M. Pierre Bordier et Mme Colette Mélot comme membres titulaires et de Mme Brigitte Gonthier Maurin et de M. Louis Duvernois comme membres suppléants de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence.

La commission des lois propose les candidatures de M. François Pillet comme membre titulaire et de Mme Éliane Assassi comme membre suppléant pour siéger au sein de la Commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

Mise au point au sujet de votes

M. Philippe Dallier.  - Lors du scrutin sur l'ensemble de la loi de finances, M. Fouché a été déclaré votant pour alors qu'il aurait voulu s'abstenir.

Lors du scrutin sur l'amendement n°34, à l'article 4 du projet de loi de modernisation des professions judiciaires, Mlle Sophie Joissains, M. François Pillet et M. Bruno Gilles ont été déclarés comme votant contre alors qu'ils auraient voulu voter pour.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point qui sera publiée au Journal officiel.

Commission (Candidatures)

M. le président.  - J'ai reçu avis de la démission de Mme Sylvie Goy-Chavent comme membre de la commission des affaires sociales et de celle de Mme Béatrice Descamps comme membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

Rappels au Règlement

M. Yvon Collin.  - Les conseils généraux sont dans une situation dramatique pour les allocations individuelles de solidarité. L'incertitude est totale. La mise en place d'un fonds dédié va contre l'autonomie territoriale.

L'ADF unanime a souhaité le dépôt d'une proposition de loi sur ce point. C'est ce que nous avons fait, avec les groupes socialiste et CRC, en déposant le texte que nous examinons aujourd'hui. Cette unanimité semble, hélas, ne pas se répéter ici !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Je ferai une remarque voisine. L'ADF s'est adressée à tous les groupes. Or, on constate aujourd'hui l'intérêt modéré manifesté par nos collègues de la majorité...

M. Didier Guillaume.  - Notre groupe s'associe à ces propos. Nous avons aujourd'hui la démonstration que la majorité se moque éperdument des territoires.

M. Philippe Dallier.  - Est-ce là un rappel au Règlement ?

M. Didier Guillaume.  - L'ADF était unanime, il y a quelques mois, pour résoudre l'important problème posé à tous les départements ; nous constatons aujourd'hui que certains brillent par leur absence, sans doute sur ordre.

M. Paul Blanc.  - Le 26 novembre, lors de la discussion des crédits de la solidarité nationale, vous n'étiez pas là, et nous n'étions que huit en séance... Nous avions avancé quelques pistes.

Quand M. Jospin a créé l'APA, rien n'a été prévu pour le financer. Il en est allé différemment lors de la loi du 4 février 2005, quand nous avons créé la caisse nationale d'autonomie alimentée par la journée de solidarité. J'avais même envisagé d'en créer une deuxième. (Applaudissements à droite)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Nous sommes devant une interprétation bienveillante du rappel au Règlement. Aucun d'entre nous ne peut se prévaloir d'un monopole dans la défense des départements. La contribution que vous proposez de créer augmenterait le déficit de 3,4 milliards... (Exclamations à gauche) La situation s'est apaisée : les DMTO ont augmenté de 1,8 milliard pour les départements et le Sénat a créé un fonds de péréquation doté de 380 millions.

Certains départements ont, dans un esprit visionnaire, augmenté les taxes foncières pour réduire la taxe d'habitation, asséchant ainsi les ressources de leurs communes ; c'est le cas de l'Aisne.

Et pourra-t-on demeurer dans le déni de réalité que traduit la volonté de réduire les déficits tout en gardant une semaine de travail inférieure à 35 heures ? (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Même si j'ai le sentiment que ces rappels au Règlement avaient un avant gout de notre prochaine discussion, je pense que vous ne vous êtes pas totalement exprimés... (Sourires)

Allocations individuelles de solidarité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion des propositions de loi relatives à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements.

Discussion générale

M. Yves Daudigny, cosignataire de la proposition de loi.  - L'heure est grave pour les départements, confrontés aux pires difficultés financières depuis la loi de 1982, malgré ce que M. Arthuis vient d'évoquer.

Cette proposition de loi est le fruit d'un travail approfondi durant de longues années par l'ADF, en particulier par le président Lebreton, présent dans nos tribunes. L'enjeu transcende le clivage gauche-droite. En mars dernier, le bureau de l'ADF a décidé de lancer la réflexion. Plusieurs départements, de gauche comme de droite, ont élaboré un texte susceptible d'être traduit en proposition de loi. Des échanges de grande qualité l'ont ainsi enrichi.

Au 80e congrès de l'ADF réuni à Avignon en octobre, les 102 présidents de conseil général ont approuvé ce texte qui place la solidarité nationale au coeur de la démarche.

Les allocations individuelles de solidarité constituent un droit voté par le Parlement. Ce sont des prestations universelles de même nature que les allocations familiales.

Nous affirmons un principe général : le financement de la solidarité nationale d'une prestation créée dans l'esprit du programme CHCNR. C'est un fondement essentiel du pacte républicain.

Peut-être avez-vous raison juridiquement, monsieur le président de la commission des finances, sur l'absence d'obligation constitutionnelle pour l'État de financer ces allocations. Mais c'est justement la raison d'être de cette proposition de loi. Les finances départementales sont dans un gouffre vertigineux. C'est bien là qu'il y a atteinte à l'autonomie territoriale.

Avec ce texte, c'est à une question de société que nous répondons. Son article premier modifie la loi de 2008 sur le RSA ; les articles 2 à 4 disposent que les charges versées par les départements pour l'APA prennent en compte l'ancienne PSD. L'article 5 concerne la compensation des charges imputables à la PCH. Ces dispositions ont le mérite de la clarté et de l'efficacité.

Les élus qui dirigent les départements ne sont pas des irresponsables, monsieur le rapporteur ! Les conseillers généraux ne sont pas des enfants, ils pilotent l'action sociale depuis trente ans ! Les collectivités ne sont pas responsables du déficit public, comme l'a montré la Conférence nationale sur les déficits. Et nous ne visons pas à faire financer la mise en oeuvre par les départements de ces allocations.

Décentraliser n'est pas se désengager ! Le coût de l'allocation décidée au niveau national doit incomber à l'État. L'apport fondamental des collectivités est à chercher dans leur connaissance de la réalité du terrain.

Selon le rapporteur, cette proposition de loi aurait coûté 3,34 milliards en 2009. Il semble réaliste et juste, ajoute-t-il, que les départements assument cette charge. Nos collègues sauront lui répondre.

Le déséquilibre du financement de ces trois allocations ne date pas de ce gouvernement mais on ne peut attendre 2012 pour que soit traitée -et comment ?- une seule des trois allocations visées.

Aucun autre exemple n'est comparable : ces allocations sont financées par le département, mais le montant en est fixé par loi nationale ! Pour les collèges, c'est le département seul qui fixe le rythme et le montant des investissements. Autre différence : les sommes en jeu sont de plus en plus énormes, et il va falloir mener jusqu'au bout les comparaisons. Le temps est venu de reconstruire un nouveau contrat social, ferment d'un vivre ensemble conforté et durablement fraternel. (Applaudissements à gauche)

M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances.  - Nous avons aujourd'hui trois allocations individuelles versées par les départements, PCH, APA et RSA. Nos collègues ont voulu mettre l'accent sur les difficultés financières qui pèsent sur les départements.

Je sais bien que le droit nous déplait parfois mais un recadrage s'impose. Le transfert du RMI a bien été qualifié comme un transfert de compétence entraînant un transfert de recettes équivalent. La généralisation du RSA n'est pas un « transfert » de compétence mais une « extension des compétences du département ». La compensation du RSA par l'État a été de 5,76 milliards, soit un taux de couverture de 89 %.

Ni l'APA ni la PCH ne sont des transferts de compétence ; le montant de la contribution -1,55 milliard de la part de la CNSA- demeure un reste à charge de 1,43 milliard, soit un taux de couverture de 30 %. Grâce à la CNSA, la PCH bénéficie encore d'un taux de couverture supérieure à 100 % dans certains départements. (On estime à gauche que ce cas de figure est rare)

Avec 3,46 milliards, l'APA représente 77 % du total des dépenses représentées par les allocations individuelles de solidarité. La hausse du coût de la PCH est due à des circonstances destinées à ne pas s'éterniser.

Le coût de l'APA, déjà le plus élevé, est sans doute celui qui devra augmenter le plus, vu l'allongement de la vie. Il est vrai que les départements ont subi un effet de ciseaux entre la progression de leurs recettes et de leurs dépenses de fonctionnement.

M. Didier Guillaume.  - Pas de ciseaux, mais de garrot !

M. Charles Guené, rapporteur.  - Pour le RSA et la PCH, vous demandez que l'État les finance entièrement, ce qui aurait représenté 700 millions pour le RSA et 3,33 milliards pour la PCH. Ce, sans proposer la création de nouvelles recettes !

Cette modification de la prise en charge financière de la dépendance intervient un an avant que ne vous soit présentée une réforme de fond sur la dépendance, qui sera intégrée dans le prochain PLFSS.

L'intérêt financier du département étant d'agir de manière fine, sa gestion est meilleure que la gestion centralisée. Le ticket modérateur de 10 % sur l'APA paraît assez faible. En outre, le coût de 3,34 milliards est excessif vu l'état des finances publiques.

Enfin, ces propositions de loi remettent en cause le principe même de la décentralisation. (Exclamations à gauche)

La commission des finances a toutefois décidé de ne pas élaborer de texte propre et de discuter, en séance publique, sur la rédaction de nos collègues. Elle souhaite donc le rejet de chacun des articles qui composent ces propositions de loi et de l'ensemble des textes. (Applaudissements à droite)

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.  - Je suis heureuse d'avoir à répondre devant vous sur un débat qui honorera la France. Le constat des difficultés est partagé, pas les remèdes proposés.

M. Didier Guillaume.  - Apportez-en d'autres !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - L'évolution liée à l'allongement de la durée de la vie ne touche pas toute la France. C'est un enjeu de société, un défi social, un défi de société.

Nous avons agi, avec l'APA, la PCH et le RSA. En 2009, les dépenses de prise en charge financées par les départements ont atteint 12,4 milliards. L'évolution des recettes et celle des dépenses ont créé un redoutable effet de ciseaux. Cette tendance s'est toutefois inversée, sachant en outre que l'ampleur de l'effet de ciseaux avait été très différent d'un département à l'autre.

Les pratiques et les réalités locales sont hétérogènes, démontrées par le rapport Carrez.

Que recouvre la participation de l'État ? Le régime du RSA est calqué sur celui appliqué au RMI, avec le transfert d'une fraction de la Tipp.

La CNSA compense l'APA, grâce au transfert à la caisse de deux recettes fiscales, mais le montant annuel du concours n'est pas corrélé à la charge réelle. Ainsi, la dépense publique pour la dépendance dépasse le seul financement de l'APA par les départements.

Enfin, le reste à charge pour les départements fait l'objet d'une approche tronquée dans les propositions de loi, qui avancent un chiffre total de 3,8 milliards d'euros en 2008 et 4,5 en 2009, soit un taux de couverture de 63 %.

Or, cette présentation omet les transferts opérés depuis 1984 pour des prestations versées avant la création de l'APA et de la PCH, soit 1,4 milliard d'euros en 2009.Ainsi, le taux de couverture atteignait plus de 70 %.

Au premier abord, la proposition de loi propose une prise en charge intégrale du coût des prestations, selon un dispositif extrêmement complexe pour l'APA.

M. Didier Guillaume.  - Proposez autre chose !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - Les départements n'auraient aucun intérêt à vérifier la situation des allocataires, ils seraient déresponsabilisés...

M. Didier Guillaume.  - Nous sommes responsables ; les départements sont bien gérés.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. - ...alors que l'avantage majeur de la décentralisation est précisément la gestion au plus près des réalités.

M. Mercier, alors rapporteur du texte sur le RSA, avait insisté sur la bonne gestion du RMI par les départements.

M. Jean-Michel Baylet.  - Il a été bien récompensé.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - Je ne peux imaginer que les auteurs du texte souhaitent priver les départements de toute responsabilité.

D'autre part, ces propositions de loi vont au-delà des obligations constitutionnelles de l'État. Le Conseil constitutionnel a estimé que l'État devait transférer aux départements les ressources correspondantes aux compétences nouvelles attribuées. Or nous parlons de compétences étendues.

Le coût pour l'État serait excessif vu l'état de nos finances publiques : il aurait dû débourser 3,35 milliards d'euros en 2009, sans aucune ressource nouvelle.

Enfin, le gage proposé ne procurerait que 400 millions en année pleine.

La compensation des allocations individuelles concerne principalement l'APA, dont l'évolution est tendanciellement la plus dynamique pour des raisons démographiques avérées.

La réponse passe par une véritable réflexion sur la prise en charge de la dépendance.

Le Gouvernement propose d'abord des mesures immédiates : une mission a été mise en place il y a six mois pour apporter une aide d'urgence aux départements qui la sollicitent, dans la plus stricte confidentialité.

D'autre part, le Gouvernement a institué un moratoire aux effets déjà tangibles sur l'élaboration de nouvelles normes.

Enfin, des mesures concrètes structurelles interviendront en 2011 avec deux fonds de péréquation interdépartements.

Le Gouvernement a strictement appliqué la clause de revoyure. Le projet de loi de finances pour 2011 inscrit 975 millions d'euros dont 840 pour les départements métropolitains, cependant que le collectif 2010 crée un fonds de soutien de 150 millions aux départements subissant les plus graves difficultés. Une mission d'appui associant Igas, IGF et IGA apportera son concours.

Le Gouvernement s'est donc engagé dans une action de longue haleine, annoncée par le Président de la République.

M. Yves Krattinger.  - Nous sommes sauvés !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - C'est un enjeu crucial. Les départements de France prendront leur part dans la concertation.

De nombreux rapports ont abordé la socialisation de la dépendance ; un groupe de travail associant tous les groupes politiques formulera des propositions. C'est pourquoi je souhaite que la proposition de loi ne soit pas adoptée.

Notre devoir est d'aboutir à une solution très largement approuvée. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Yves Krattinger.  - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Je salue l'immense travail fourni par l'ADF, dont le congrès d'Avignon fut le point d'orgue. Je salue la présence parmi nous de son président et de son vice-président, qui a accompli une immense tâche en la matière.

Jamais auparavant une telle unanimité ne s'était manifestée. L'effet de ciseaux subi par les départements tient à la non-compensation des trois allocations individuelles, qui doivent être compensées par l'État.

La séance d'aujourd'hui est donc une victoire pour les tenants de la solidarité nationale. Nous devons poursuivre ce combat, pour que les départements puissent concrétiser la solidarité nationale et territoriale.

Seuls les départements subissent un tel décalage entre l'évolution des dépenses obligatoires et celle des recettes. Comme l'a dit notre collègue rapporteur Gilles Carrez, de l'Assemblée nationale, « quelque chose ne va pas ».

La Cour des comptes a observé que les mécanismes n'étaient pas viables à long terme. Or, rien de pérenne n'a été inscrit dans le projet de loi de finances pour 2011. Le reste à charge net atteint 5,3 milliards d'euros en 2010. Un des départements les plus pauvres perçoit une compensation limitée à 53 % de ses dépenses. Quelle injustice !

Le Gouvernement propose de créer un fonds exceptionnel de soutien doté de 150 millions d'euros, dont la moitié d'avances remboursables, alors qu'il manque 5,3 milliards : c'est une goutte d'eau dans l'océan des dettes de l'État. Les conseils généraux ne demandent pas la charité.

L'autre disposition du Gouvernement est l'accentuation de la péréquation horizontale. C'est une bonne orientation, mais son rôle sera marginal.

Enfin, la troisième annonce du Gouvernement est l'ouverture, en 2011, du « chantier sur la dépendance ». Ainsi, le RSA ne serait pas traité, alors qu'il dérape sans aucune capacité d'intervention des départements. J'ajoute que la réforme élaborée l'an prochain n'interviendrait que progressivement.

Enfin, la privatisation ne réduirait pas nécessairement la charge pour la collectivité, ni le nombre de personnes âgées.

La proposition de loi propose une solidarité juste et équitable. Il s'agit d'un choix politique.

Avec M. du Luart, sénateur UMP, j'ai élaboré un rapport sur la compensation des transferts de compétences. Nous avions proposé ensemble une compensation des prestations de solidarité. Quel rapport y-a-t-il entre la Tipp et le RSA ? Aucun. N'attendons pas le chantier sur la dépendance pour prendre des décisions !

Avec M. du Luart, sénateur UMP, je le répète, nous avions proposé d'attribuer aux conseils généraux une part de la CSG ; il suffisait d'ajouter 0,3 point pour obtenir les quelque 3 milliards qui manquent avec un ticket modérateur de 1,7 milliard à la charge des départements.

M. Christian Poncelet a dit son intérêt pour cette suggestion. De même, la Cour des comptes a jugé, en juin, que l'État devait revoir le financement de ces prestations.

En cette période de rigueur budgétaire extrême, cette mesure serait neutre pour le budget de l'État, qui ne veut pas supprimer le bouclier fiscal.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Ça viendra !

M. Yves Krattinger.  - Je plains les collègues UMP que l'on a privés de ce débat. Aujourd'hui et demain, nous faisons le choix de la justice au service du pacte social républicain. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Michel Baylet.  - A l'instar de nos collègues des groupes socialiste et CRC-SPG, la très grande majorité du groupe RDSE demande au Gouvernement de prendre ses responsabilités afin que les conseils généraux aient les moyens de leur action.

La décentralisation réalisée par le Gouvernement de M. Raffarin, prolongeant celle engagée par la gauche, s'est traduite par un recul des libertés locales : l'autonomie financière est garantie par la Constitution, pas l'autonomie fiscale.

Après la suppression de la taxe professionnelle, la contribution économique territoriale n'a fait que réduire l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

Selon M. Carrez, la suppression de la taxe professionnelle coûtera plus de 7 milliards d'euros, au lieu des 6 annoncés, au moment où un effet de ciseaux frappe les départements.

En effet, les compétences attribuées n'ont pas été compensées. Résultat : 27 départements sont en cessation de paiement... Il y en aura le double en 2011.

La Seine-Saint-Denis a été le premier département à devoir voter un budget déficitaire...

M. Philippe Dallier.  - C'était de la communication !

M. Jean-Michel Baylet.  - Trois départements ont posé une question préalable de constitutionnalité fondée sur une carence de l'État. Le Conseil d'État a également condamné la carence de l'État.

A mon tour, je salue le président de l'ADF, dont le congrès d'Avignon a réclamé unanimement des ressources suffisantes et pérennes. Cette unanimité est une première dans l'histoire de notre association !

Cette proposition de loi met l'État en face de ses responsabilités. Les conseils généraux n'ont pas de leçon de bonne gestion à recevoir ! Les radicaux de gauche dénoncent l'aberration que constitue la décentralisation des déficits. (« Très bien ! » sur les bancs RDSE)

Les conseils généraux se mobilisent pour assurer leur mission sociale inscrite dans la loi. Il est urgent de leur attribuer les ressources qui leur font cruellement défaut, alors que les métropoles absorberont les ressources procurées par les territoires les plus dynamiques.

Le rapport Jamet a reconnu que les finances départementales auraient été fragilisées par la PCH et par l'APA. En 2009, l'augmentation du nombre d'allocataires du RMI a porté à 4,5 milliards d'euros la charge définitive des départements. Ce solde pourrait atteindre 5,2 milliards l'an prochain. Par irresponsabilité, le Gouvernement met ainsi dans le rouge les finances départementales. Est-ce pour justifier leur suppression ?

Il n'est pas logique de rendre les départements financièrement responsables de compétences échappant à leur pouvoir de décision ! A terme, les services de proximité indispensables au lien social seront directement menacés.

L'urgence est patente ! La décentralisation a rapproché les citoyens de leurs élus, mais les contribuables locaux ne doivent pas se substituer à l'incurie de l'État ! (Applaudissements à gauche)

Mme Odette Terrade.  - Toujours plus de départements connaissent de graves difficultés budgétaires. D'où l'adoption d'un budget déficitaire en Seine-Saint-Denis l'an dernier. Depuis, le nombre de départements en grande difficulté a fortement augmenté. Leur diversité écarte d'emblée le faux débat sur la qualité de leur gestion. D'ailleurs, M. Guené a évité ce travers, bien que je regrette son observation sur le caractère « déresponsabilisant » des propositions de loi.

Celles-ci se limitent à rappeler à l'État les engagements pris en faveur de dispositifs nationaux de solidarité.

Créations et extension de compétences se sont succédé depuis une dizaine d'années, qui ont attribué aux départements un rôle central dans la distribution d'allocations individuelles de solidarité, conformément au Préambule de notre Constitution.

Par-delà nos divergences politiques, nous devons tout faire pour ne pas priver ceux qui en ont besoin de percevoir les allocations indispensables à une vie digne. D'où la proposition de loi que nous présentons avec tous les groupes de gauche.

Aujourd'hui, nous sommes loin de cette compensation, puisqu'il manque 3,33 milliards d'euros à en croire le rapporteur, M. Guené.

Madame Montchamp, vous êtes bien placée pour savoir qu'il manque 260 millions en Val-de-Marne, soit l'équivalent de la construction de cinq collèges ! Nous ne pourrions accepter que ces prestations perdent un jour leur caractère national.

La proposition de loi déresponsabilise-t-elle les départements ? Le croire serait mal connaître la réalité de leur gestion. Au demeurant, la détermination des normes est une compétence de l'État. Nous ne pouvons accepter le postulat reportant sur le département l'évaluation des prestations après leur transfert ou leur création.

De plus, le financement mis en place n'est pas suffisant à long terme car il dépend soit de l'emploi, soit du marché immobilier. J'ajoute la réforme de la taxe professionnelle, qui divise par deux le pouvoir fiscal du département. L'enjeu équivaut à la moitié des budgets de fonctionnement départementaux.

Faut-il se concentrer sur les seules compétences obligatoires des départements ? Ce ne serait pas satisfaisant : « la solution n'en est pas une » a noté M. Jamet dans son rapport. En effet, l'intervention des départements permet de combler les lacunes de l'État, par exemple dans le logement. Tout est fait pour contraindre les départements dans leurs actions de solidarité.

M. Gérard Larcher a annoncé, l'an dernier, une loi sur la solidarité intergénérationnelle. Or la réforme des collectivités territoriales, celle des retraites et le texte de M. Paul Blanc montrent que la majorité refuse le débat sur la solidarité nationale.

Il est significatif que le Président de la République ait convoqué une conférence nationale sur la dette publique.

Cette déclaration avait conduit M. Accoyer à estimer que l'injonction faite aux collectivités territoriales n'était pas très constitutionnelle.

Cette proposition de loi ne règle ni la question des dettes passées, ni celle des réformes structurelles qui s'imposent.

M. Guené croit voir dans cette proposition de loi une volonté des groupes de gauche de mettre l'accent sur la situation difficile des départements. Il s'agit simplement de garantir sur tout le territoire le financement de ces trois allocations de subsistance.

Vous qui connaissez les besoins de notre population, je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Dallier.  - Il n'était pas très correct d'insister, en détournant le règlement, sur l'absence du nombre de collègues de l'UMP : les conditions climatiques sont ce qu'elles sont. Et sur tous les bancs, ne sont présents que ceux qui interviennent ! Il n'y a pas d'un côté les bons, vous, et de l'autre les méchants, nous ! (Applaudissements à droite)

Nos collègues proposent d'apporter une solution à la situation très difficile des départements confrontés à l'augmentation, largement structurelle, des allocations de dépendance. Il semble que 28 départements soient dans l'impossibilité de boucler leur budget. La collectivité doit agir. Nous le voulons tous.

Vous proposez que l'État compense intégralement ou presque PCH, APA et RSA. C'est simpliste !

M. Didier Guillaume.  - C'est le rôle de l'État !

M. Philippe Dallier.  - J'accorde que le partenariat n'est pas suffisant. Mais ce n'est pas parce que notre système n'est pas le meilleur qu'il faut en reproduire les travers. Les 75 millions de déficit affichés en mars par le conseil général de Seine-Saint-Denis ont disparu comme par miracle ! Ce n'était que de l'affichage. Dans ce département, on appelle l'APA ADPA : allocation départementale personnalisée d'autonomie ! Le conseil général veut faire croire que l'APA serait entièrement financée par ses soins.

Les départements ont accepté ce transfert, malgré les risques, compte tenu des incertitudes qui pesaient sur l'avenir des départements. Fallait-il ce transfert ? Je ne le pense pas.

M. Jean-Michel Baylet.  - Mais il est fait !

M. Philippe Dallier.  - Vous ne voulez plus le financer mais vous voulez en conserver le bénéfice !

M. Yves Daudigny.  - Quel bénéfice ?

M. Philippe Dallier.  - En 2002, l'APA n'était pas financée.

M. Jean-Michel Baylet.  - Si ! A 50 % par l'État !

M. Philippe Dallier.  - Depuis un an, les DMTO ont diminué pour des raisons conjoncturelles. Nous avons voté, en loi de finances, un nouveau dispositif de péréquation qui les mutualise.

De plus, un fonds de soutien aux départements, doté de 150 millions, figurera dans le collectif. Le Gouvernement et le Parlement ne sont donc pas restés l'arme au pied face aux difficultés départementales. Le Président de la République vient d'ouvrir le chantier de la dépendance, ce qui suffit à rendre vaines ces trois propositions de loi.

Soutenant les conclusions du rapporteur, M. Guené, le groupe UMP rejette cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Gérard Miquel.  - A mon tour, je salue M. Lebreton, présent dans la tribune.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Malgré le mauvais temps !

M. Gérard Miquel.  - Ces trois propositions de loi apportent une solution globale et pérenne. Nous sommes unanimes à approuver l'existence de ces allocations qui aident à traiter dignement les processus d'exclusion. Leur gestion par les départements a facilité la prise en charge au plus près des allocataires.

Cela ne s'est pas fait au détriment du rôle de l'État, garant de la solidarité nationale.

Le Lot devra verser 19,9 millions pour les trois allocations. Les conséquences de ces difficultés financières seront les plus lourdes pour les départements déjà les plus en difficulté.

Les départements ne disposent plus d'aucune marge de manoeuvre : les dépenses sont plus dynamiques que les recettes. Faut-il diminuer toutes les lignes ? Relever tous les impôts ? Il n'est pas envisageable de laisser les départements régler seuls une situation intenable. L'octroi d'avances remboursables n'est pas une solution.

Le Gouvernement renvoie habilement la question de la dépendance à l'an prochain. Mais, de toute manière, cela ne résoudra pas la totalité du problème. Les propositions de loi d'aujourd'hui, inspirées du programme du CNR, ont reçu l'accord unanime des présidents de conseils généraux réunis en octobre à Avignon.

La CNSA apporte 2,7 millions dans un contrat avec une société filiale d'Axa. Quel manque de confiance envers les conseils généraux dans cette privatisation des profits, qui va de pair avec une collectivisation des pertes !

La réussite de la nouvelle étape de la décentralisation doit démentir MM. Balladur et Attali, qui n'aiment pas le département. (Applaudissements à gauche)

M. Didier Guillaume.  - L'année 2010 s'achève durement pour nos concitoyens, surtout les plus fragiles. Nous sommes au coeur d'une question cruciale : quelle décentralisation, pour quels services rendus à nos concitoyens ?

Les départements sont adultes mais l'État est loin de les considérer comme tels. Leur gestion est saine, ils assument toutes leurs responsabilité ; leur situation financière est grave mais ils n'en sont pas responsables.

Une dette de 5 milliards a été accumulée pour ces allocations. L'État saura-t-il combler le trou des dettes qu'il creuse ? Le dynamisme des DMTO a permis à certains départements de faire face en 2008 mais depuis lors, les recettes stagnent tandis que les dépenses augmentent. Il y a un vrai risque de recul de l'investissement local.

Au commencement étaient trois belles lois de la République : le RMI créé par M. Rocard en 1988, l'APA créée par M. Jospin en 2001 et financée à 50 % par l'État ; enfin la PCH, créée en 2005 par le Président Chirac, une de ses plus belles lois sociales. (Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État, approuve)

Réduire la dépense publique ? Oui, mais pas n'importe laquelle ! Pas l'investissement des collectivités locales ! L'État n'a pas les moyens de financer ces allocations de solidarité ? Les trois milliards qui manquent sont ceux que vous avez sacrifiés aux restaurateurs !

Notre proposition de loi nous paraît bonne. Si elle ne vous convient pas, proposez autre chose. Nous en discuterons avec réalisme. Nous savons bien que les départements ne pourront pas raser gratis.

Collectivité de proximité, le département est un échelon de gouvernance adapté au territoire pour contribuer à la solidarité et à la cohésion dans notre République décentralisée. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Haut.  - Je salue nos collègues présidents de départements qui suivent aujourd'hui nos débats.

Les problèmes financiers sont graves et appellent une solution durable. Il n'est plus possible de faire face à la stagnation des recettes et à l'explosion des dépenses ; et ce n'est pas l'évolution cyclique des DMTO qui peut apporter une réponse.

Il n'est pas admissible que les contribuables locaux financent la solidarité nationale face à l'exclusion, au handicap, au vieillissement et à la perte d'autonomie.

Il faut préciser les rôles respectifs de l'État et des collectivités. Il appartient au niveau national de garantir le droit des personnes à vivre dignement ; c'est au niveau national d'en assurer le financement intégral par des ressources de niveau national ; aux collectivités locales d'apporter des réponses diversifiées aux personnes les plus fragiles.

Cette proposition de loi devrait recueillir l'assentiment de tous car tous les départements, quel que soit leur bord politique, subissent une même difficulté. Nous devons traiter une vraie question de société.

Il est urgent d'agir ; n'attendons pas une hypothétique loi sur la dépendance... Aidez-nous, madame le ministre, à avancer. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - Je remercie M. Guené pour la qualité et la précision de son rapport. De fait, le coût de l'APA est déjà le plus élevé et est encore appelé à croître.

Une telle proposition de loi s'apparente à une opération de communication, monsieur Daudigny. La nature de vos propositions, politiquement performantes, n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Je répète que le taux de couverture dépasse 70 %. La décentralisation des allocations d'aide sociale ne remet pas en cause le programme du CNR, qui place les bénéficiaires au centre de notre contrat social. La décentralisation a justement permis de proposer à ces bénéficiaires un meilleur accompagnement.

Cinq départements bénéficient de compensations supérieures aux charges qu'ils supportent ; et certains départements opèrent des arbitrages qui s'apparentent à des glissements, comme lorsque l'on utilise la PCH pour des problèmes psychiques.

Le reste à charge augmente chaque année ; ce n'est pas soutenable et le Gouvernement en a conscience : il propose de répondre à cette difficulté dans le cadre de la réflexion plus globale qu'il va conduire en 2011sur la dépendance.

Monsieur Baylet, cette proposition de loi alourdit de plus de 3 milliards les dépenses de l'État ! Et malgré la conjoncture qui a affecté ses ressources, l'État a maintenu son effort en faveur des collectivités à hauteur de 99 milliards.

Monsieur Krattinger, il n'est pas sain de figer les choses par des dispositions prématurées et partielles : nous aurons, l'an prochain, un débat approfondi, comme l'a annoncé le Président de la République, sur la fiscalité et un autre sur la dépendance. Le fonds exceptionnel en faveur des départements, discuté en ce moment par l'Assemblée nationale, est une solution concrète en attendant de traiter globalement le problème dans le cadre du chantier dépendance.

Merci, monsieur Dallier, d'avoir souligné que ces propositions de loi sont dangereuses pour les départements, qu'elles déresponsabilisent. On ne peut faire des collectivités de simples agences de l'État !

M. Jean-Michel Baylet.  - Tout cela est excessif.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - Madame Terrade, je dois souligner vos contradictions avec les propos de M. Krattinger sur la CSG.

M. Didier Guillaume.  - C'est un bouquet de propositions !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - Il serait difficile de suivre M. Miquel. Le fonds dispose bien de 150 millions de dotation.

Il est vrai qu'il y a des situations inéquitables entre départements, monsieur Guillaume. C'est pourquoi le fonds de péréquation que nous mettons en place les combat.

Monsieur Haut, le Gouvernement prend des mesures immédiates et va engager une réflexion pour apporter des réponses à long terme.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Mme Odette Terrade.  - Nous souhaitons que la compensation prévue par l'État ne soit pas calculée sur une base figée mais revalorisée chaque année. Nous contestons que l'existence d'une telle compensation aille contre le principe même de la décentralisation.

Le RMI devrait être compensé intégralement ; vous avez créé le RSA, que vous présentez comme une simple « extension » qui n'aurait pas été compensée comme doit l'être un « transfert ».

Le rapporteur croit que le nombre d'allocataires du RSA diminuera ; nous en doutons d'autant plus que le report de l'âge de la retraite n'augmentera pas le nombre de personnes au travail ! La précarité s'accroît. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Je remercie le rapporteur, les auteurs de cette proposition et les orateurs, qui n'ont pas ménagé leur peine à développer les mêmes arguments ; nous avons bien compris !

M. Didier Guillaume.  - C'est la pédagogie !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Toutefois, le gage fait problème : à une telle hauteur, on risque de faire disparaître l'assiette, en l'occurrence la consommation de tabac ! (Sourires)

J'ai déposé une proposition de loi tendant à ce que l'État ajuste sa participation aux dépenses effectivement réalisées, avec un ticket modérateur de 10 %. Les niches parlementaires sont ainsi faites qu'on ne peut discuter le même jour de propositions de loi différentes...

Je vous donne rendez-vous à la discussion de ma proposition de loi et voterai contre tous les articles.

M. Yves Daudigny.  - Le conseil général de l'Aisne a décidé de délier les taux de taxe d'habitation et de taxe professionnelle pour 2010. Avant de prendre notre décision, nous avons consulté les meilleurs spécialistes ; M. Paul Girod, président de l'Union des maires du département, a demandé une étude aux services du Sénat sur les conséquences éventuelles de cette décision sur les communes du département. Cette étude conclut qu'il n'y a pas le danger que vous avez évoqué, monsieur Arthuis ! Ou alors, cela voudrait dire que l'État n'a pas de parole...

Le département de l'Aisne est habitué à des communications fortes, et parfois un peu caricaturales, de la ville de Saint-Quentin, mais la première bénéficiaire des contrats de fonctionnement et d'investissement mis en place par le conseil général est la communauté d'agglomération de Saint-Quentin, présidée par notre éminent collègue Pierre André. (Sourires)

M. Yves Krattinger.  - Le président Arthuis propose de transférer plus de 3 milliards d'euros de la DGF vers les dotations de solidarité, reconnaissant ainsi, comme nous, le déséquilibre de la compensation, mais vous prenez dans la poche des départements pour verser dans la même poche !

Madame le ministre, vous reprochez à notre proposition de loi d'ignorer l'esprit de la décentralisation mais quand l'État détermine toutes les caractéristiques des prestations et que nous n'avons qu'à payer, est-ce de la décentralisation ? J'en doute !

Le RSA compromet la libre administration des collectivités locales qui ne maîtrisent pas les règles et n'ont pas les moyens annexes nécessaires à leur mise en oeuvre.

La France a été le dernier pays européen à ratifier la Charte des pouvoirs locaux, mais nous disposons désormais de procédures d'appel allant depuis le Conseil constitutionnel jusqu'à la Cour de justice européenne. (Applaudissements à gauche)

A la demande du groupe UMP, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 336
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 154
Contre 182

Le Sénat n'a pas adopté.

Article 2

M. Guy Fischer.  - Les articles 2, 3 et 4 concernent le financement de l'APA. Nous voulons créer un droit universel de compensation à 90 %.

L'APA est une allocation universelle, sociale et individuelle très importante pour les personnes âgées, leur permettant de financer au moins une partie des dépenses engagées pour leur maintien à domicile.

Les gens vivent plus longtemps. Tant mieux ! Mais cela nécessite des mécanismes de solidarité, surtout pour le million de retraités vivant au-dessous du seuil de pauvreté.

Malgré la hausse des dépenses, le rapporteur estime urgent d'attendre jusqu'à la loi de financement pour 2012, après le débat sur la dépendance. Or, ce sujet mérite un projet de loi à lui seul, pour aller au fond du problème. Une nouvelle fois, on retarde la décision tout en sachant que l'accent sera mis sur un système assurantiel, comme l'avait laissé entendre Mme Berra. Les personnes modestes seront donc prises en charge par un mécanisme intégrant la reprise sur succession et faisant prévaloir la solidarité interdépartementale et familiale sur la solidarité nationale.

Agissons dès aujourd'hui, au moins de façon temporaire !

M. Yves Daudigny.  - On nous a reproché de déresponsabiliser les départements alors que pour l'APA, nous demandons l'instauration d'une référence fondée sur le calcul d'une dépense moyenne : seuls les départements dépensant moins percevraient une compensation intégrale ; pour les autres, la dotation serait limitée à la référence instituée. On ne peut donc dire que les départements ne seraient pas responsabilisés.

L'article 2 n'est pas adopté, non plus que les articles 3 et 4.

Article 5

Mme Odette Terrade.  - Mme Pasquet ne peut être parmi nous mais elle suit de près tout ce qui touche au handicap. La PCH est subordonnée à l'élaboration d'un plan de prise en charge pluridisciplinaire, fondé sur un projet de vie.

La hausse des dépenses s'explique par la hausse des besoins constatés, les modalités financières étant fixées exclusivement par l'État. De ce fait, le désengagement de l'État met en cause les prestations elles-mêmes. L'État doit de l'argent aux départements mais aussi aux Maisons du handicap.

Le 6 novembre, le tribunal administratif a condamné l'État à rembourser sa dette envers la Maison de Paris qui avait dû puiser dans le fonds de compensation pour payer les salaires du personnel. Pareil dans le Gers, en Gironde, où 365 demandes de financement ont été enregistrées en 2009, dépassant de 40 % les ressources départementales. En Loire-Atlantique, on va jusqu'à envisager une révision des barèmes pour diminuer le montant de certaines prestations.

La PCH reste plafonnée alors qu'elle devait assurer une compensation intégrale.

L'article 5 n'est pas adopté.

Article 6

M. Michel Magras.  - Je voudrais formuler trois observations. La première pour rappeler que l'auteur d'une proposition de loi ne peut imposer au Gouvernement de délibérer par ordonnance. Tel est pourtant le cas ici pour l'outre-mer. Il est en outre humiliant que dès qu'on évoque l'outre mer, on renvoie par réflexe à un article spécial comme si la loi ne s'applique pas dans les DOM. Enfin, la collectivité de Saint-Barthélemy exerce les compétences du département. Ses contribuables versent des contributions sociales comme tous les citoyens français. Pourquoi l'État ne nous verse-t-il pas de compensation ? Sans attendre de réponse immédiate, je suis prêt à en parler avec la ministre.

M. le président.  - Votre première observation est fondée, si bien que le Conseil constitutionnel annulerait l'article 6 s'il en était saisi.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - Je vous suggère, monsieur le sénateur, de prolonger ailleurs la discussion du cas de Saint-Barthélemy.

L'article 6 n'est pas adopté.

Article 7

M. Didier Guillaume.  - Cet intéressant débat montre une convergence générale sur le constat d'un décalage entre les charges départementales et les financements perçus.

Hélas, nous divergeons sur les réponses. Nous voulons une loi aujourd'hui, pour une solution immédiate, alors que vous voulez attendre un an.

Le reste à charge des départements demeure et freine leurs investissements, pourtant utiles à la relance de la machine économique.

Notre proposition est issue du congrès d'Avignon, tendant à ce que l'État paye ses dettes à partir de 2010. Nous tirions un trait sur les années antérieures. Dommage que vous l'ayez refusé. Le débat sera donc sur la place publique à l'occasion des cantonales de mars.

Merci à tous les participants à ce débat serein et courtois. Nous aurons d'autres rendez-vous, car nous ne pouvons en rester là, sauf à vouloir la mort des départements.

L'article 7 n'est pas adopté.

Aucun article n'ayant été adopté, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État.  - Le débat de cet après-midi a été éclairant à la lumière d'un constat partagé. En revanche, il est inexact que le Gouvernement ne propose aucune solution à court terme.

Je souhaite que vous participiez activement au débat de 2011 sur la dépendance. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 9 décembre 2010, le texte d'une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi de réforme des collectivités territoriales.

Acte est donné de cette communication.

Avis sur une nomination

M. le président.  - Conformément aux dispositions de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre, par lettre en date du 9 décembre 2010, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l'avis de la commission du Sénat compétente en matière de postes et communications sur le projet de reconduction de M. Jean-Paul Bailly à la présidence du conseil d'administration de La Poste.

Cette demande d'avis a été transmise à la commission de l'économie.

Organismes extraparlementaires (Nominations)

M. le président.  - La commission de la culture a proposé des candidatures pour trois organismes extraparlementaires. La Présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mme Françoise Cartron pour siéger comme membre suppléant au sein de l'Observatoire national de la sécurité et de l'accessibilité des établissements d'enseignement ; M. Pierre Bordier et Mme Colette Mélot comme membres titulaires et Mme Brigitte Gonthier Maurin et M. Louis Duvernois comme membres suppléants de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence ; M. François Pillet comme membre titulaire et Mme Éliane Assassi comme membre suppléant de la commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour.

La séance est suspendue à 18 heures 35.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 21 heures 30.

Nomination du président de la Halde (Avis de la commission des lois)

M. le président.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et des lois organiques du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis à l'unanimité un vote favorable à la nomination de M. Éric Molinié aux fonctions de président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

Acte est donné de cette communication

Mise au point à propos d'un vote

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Lors du scrutin portant sur l'amendement n°16 rectifié sexies de M. Martin, le mercredi 8 décembre, M. Jean-Marie Vanlerenberghe souhaitait voter pour

Débat sur la défense anti-missile

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat d'orientation sur la défense anti-missile dans le cadre de l'Otan.

M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste  - Notre débat sur la défense anti-missile balistique arrive comme Grouchy à Waterloo : trop tard ! Notre demande faisait suite à un communiqué de presse de la Présidence de la République en octobre qui contredisait la position défendue ici par M. Morin, ministre de la défense, qui assimilait la défense antibalistique à une nouvelle ligne Maginot. Au sommet de Lisbonne, l'Otan a adopté un nouveau concept stratégique, aux termes duquel « les membres de l'Alliance développeront leur capacité à protéger leurs populations et leurs territoires contre une attaque de missiles balistiques, et en feront un des éléments centraux de la défense collective ». La messe est dite ! Je regrette que le Parlement n'ait pu être saisi avant toute décision, tout en remerciant le président de Rohan, qui a organisé des auditions cet été et publié un rapport d'information.

La défense anti-missile balistique s'inscrit dans une série de décisions qui tournent le dos à la politique française depuis les débuts de la Ve République. Il y eut d'abord la réintégration pleine et entière dans l'Otan, sans que le renforcement de la défense européenne, qui en était une condition, ait eu lieu ; il y eut ensuite les accords de Londres, dont on peine à voir comment ils s'articulent avec une Europe de la défense ; il y a enfin la participation de la France à la défense anti-missile de territoire de l'Otan. Aucune des trois n'a été précédée d'un débat parlementaire.

Chacune a sa logique mais, mises bout à bout, elles dessinent une vision stratégique qui rompt avec ce qu'on a appelé, depuis le général de Gaulle, le consensus national de défense et ressemble fort à un alignement sur les États-Unis.

Que devient le partenariat franco-allemand ? Est-il aussi mal en point qu'on le dit ? La défense anti-missile doit-elle être un complément à la dissuasion nucléaire, comme le pense la France, ou...

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste.  - ...un substitut, comme le semble le croire l'Allemagne ? La défense d'un pays ne se conçoit pas de la même façon avec ou sans dissuasion nucléaire, celle-ci étant le garant ultime de notre souveraineté. Comme nous, l'Allemagne a supprimé la conscription -pour des raisons budgétaires essentiellement. Est-ce le signe d'une politique qui ne serait plus que d'auto-défense ? Thyssen-Krupp signe avec les Émirats plutôt qu'avec DCNS... Et que dire de nos relations avec les Britanniques, dont on peut se demander s'ils ne sont pas avant tout liés aux Américains, industrie de défense comprise ? Notre partenariat a-t-il une chance de prospérer ? Il semble que les Britanniques soient déçus de la façon dont ils ont été traités par les Américains en Irak et en Afghanistan ; mais personne n'imagine que le Royaume-Uni va défaire les liens qui l'unissent outre-Atlantique. Que peut-on espérer des accords de Londres ? Nous verrons si le groupe de travail décidé par le président de Rohan peut aboutir à des conclusions utiles...

À supposer que le partenariat franco-britannique prospère, pourra-t-il se transformer en noyau dur susceptible d'attirer d'autres partenaires, allemands, italiens, suédois ? L'Europe monétaire a eu pour base l'entente entre la France et l'Allemagne. L'Europe de la défense se fera-t-elle autour de l'entente franco-britannique ?

Autre question : quel jeu jouent les Américains ? On dit leurs dirigeants fatigués de payer pour la défense de l'Europe et plus préoccupés par l'évolution des puissances de l'Asie. On peut comprendre qu'ils appellent à l'émergence d'un pilier européen de l'Otan mais ce ne serait pas l'Europe de la défense. Rien n'indique qu'ils soient prêts à admettre une Europe puissance, alliée mais autonome sur la scène internationale.

Quelle Europe voulons-nous ? Les choix faits par les dirigeants européens des personnes appelées à représenter l'Europe montrent qu'ils ne veulent pas d'une Europe puissance. Au Proche-Orient, l'Europe paie mais ne décide rien et n'est même pas admise dans l'antichambre des négociations...

La défense anti-missile permet de diffracter la nouvelle lumière stratégique et d'éclairer nos propres contradictions. Qui défendre ? Contre quelle menace ? Avec quels moyens et quels alliés ? Il ne s'agit pas de construire une défense pour répondre à une menace immédiate contre le territoire national. À supposer qu'un gouvernement aux intentions belliqueuses dispose de missiles nucléaires à longue portée, il est peu probable qu'il s'attaque à la France ou à l'Europe : ses dirigeants savent avec une certitude absolue qu'ils n'échapperaient pas à des représailles massives.

Si menace il y a, elle concerne nos alliés au Proche-Orient et nos forces qui y sont déployées ; elle est alors de logique classique avec des missiles à charge conventionnelle de courte portée. Le fait alors de disposer d'une capacité de défense anti-missile de théâtre étendue pourrait être utile. C'est ce que nous avons commencé à faire avec les SAMP/T et PAAMS. Ces systèmes sont opérants mais il faudra aller au-delà, notamment pour ce qui concerne les radars de conduite de tir.

La défense anti-missile est moins un outil militaire immédiat qu'une locomotive technologique. Les armes technologiques nécessaires utilisées pour les différents domaines -radars, conduite de tir, systèmes de calcul ou de commandement- donneront un avantage stratégique et commercial à terme. Les innovations de rupture d'aujourd'hui feront les systèmes d'armes de demain et les équipements génériques d'après-demain. C'est pourquoi les États-Unis consacrent 160 milliards de dollars à la défense anti-missile balistique alors que la menace balistique directe n'a jamais été aussi faible. Naturellement, l'Europe et la France ont des industries d'armement qui disposent de ces compétences et ne peuvent ni ne veulent rester à l'écart.

La défense anti-missile balistique donne à celui qui la possède un levier stratégique considérable. Elle structure la relation diplomatique entre protégés et protecteurs. La question est de savoir si l'Europe veut exercer, voire développer son autonomie stratégique. Je veux espérer que nous avons encore en France la volonté d'être souverain.

Mon souhait est que notre engagement soit bien mesuré et qu'on en délibère. Hors défense anti-missile, il sera impossible de respecter la loi de programmation militaire. L'effort financier que nous sommes amenés à consentir doit être raisonnable au regard de nos moyens. La contribution française doit se faire en nature et non en espèces.

Cet engagement ne doit pas effrayer notre voisin russe, il doit être conciliable avec les exigences de nos alliés -je pense à la Turquie- comme avec l'approche européenne. Il doit aller de pair avec la promotion incessante d'un désarmement concerté et généralisé.

Toutes ces questions méritent bien un débat ! (Applaudissements)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Le sommet de Lisbonne a marqué une étape importante pour l'Alliance atlantique. Depuis plusieurs mois, notre commission suit attentivement ces questions et plusieurs d'entre nous en délibèrent à l'Assemblée parlementaire de l'Otan.

La France a exprimé très fermement ses positions : le document de Lisbonne en tient compte. Le rôle de la dissuasion nucléaire demeure fondamental ; la contribution des forces nucléaires françaises tout comme leur indépendance sont réaffirmées. L'Otan ne doit pas devenir une ONU bis ni étendre son action au monde entier ni agir dans le domaine civil. La capacité des Européens à prendre des responsabilités croissantes en matière de sécurité est reconnue comme une plus-value de l'alliance.

La France n'a abdiqué de rien en rejoignant toutes les structures de l'Otan. Contributeur important en troupes et en matériel, notre pays ne pouvait rester hors des structures de décision. Je me réjouis qu'un des deux commandements stratégiques ait été attribué à la France.

Nous devons progresser vers une Europe de la défense et de la sécurité, mais nos partenaires semblent frappés d'atonie... Ne cherchons pas à imposer un choix entre Otan et Europe de défense : nous ne serions pas suivis.

Les textes signés à Londres montrent notre volonté commune d'agir de pair pour développer des équipements et des technologies. Cela suppose une confiance, qui n'aurait pas été établie sans retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan.

J'en viens maintenant à la défense anti-missile balistique, question de grande importance. C'est pourquoi nous avons voulu en débattre en commission avec de hauts responsables de la défense, des experts, des industriels. Nous avons publié le mois dernier un rapport d'information ; nous continuerons ce travail au travers d'une mission d'information.

Nous ne connaissons pas la configuration que prendra cette défense anti-missile des territoires, mais il est clair qu'elle intègrera les moyens de détection et d'interception que les États-Unis veulent déployer en Europe -« l'approche adaptative phasée ». La France a donné son soutien de principe à cette nouvelle approche dans le cadre de l'Otan. En 2006, le Président Chirac avait estimé que la défense anti-missile pouvait compléter la dissuasion ; le Président Sarkozy, à Cherbourg en mars 2008, a confirmé cette conception et indiqué que la France disposait « de solides compétences techniques dans ce domaine qui pourraient être mises à profit le moment venu ». Il faut se demander comment et à quelles conditions il peut s'engager dans cette voie.

Les missiles balistiques se perfectionnent bien plus vite que prévu il y a seulement deux ans. C'est un élément que nous ne pouvons ignorer et que nous devons intégrer dans notre stratégie de défense. Nous avons commencé à le faire en développant une capacité de défense anti-missile de théâtre ; nous devons aussi prendre en compte une autre menace, qui ne pourra plus être écartée à terme : l'hypothèse dans laquelle un adversaire potentiel utiliserait des capacités balistiques à moyenne ou longue portée pour frapper directement le territoire national. C'est bien évidemment la dissuasion nucléaire qui constitue notre garantie fondamentale et qui doit le rester ; mais une défense anti-missile peut néanmoins la compléter utilement. Bien sûr, aucun système ne peut protéger à 100 % ; mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire. Nous nous protégeons bien contre la menace aérienne. La protection n'est en rien incompatible avec la dissuasion.

La défense anti-missile tirera vers le haut les compétences des industries appliquées. C'est important pour la France, à cause de nos industries d'armement et ainsi de notre dissuasion.

Enfin, la défense anti-missile devient un élément très visible du paysage stratégique. On oublie souvent que la Russie possède le seul système opérationnel aujourd'hui, hérité de l'Union soviétique et modernisé. La Chine a réussi une interception en vol exo-atmosphérique. Le Japon, l'Inde, Israël y travaillent.

La défense anti-missile est devenue un outil diplomatique majeur ; les Américains l'utilisent sans complexe, c'est un élément clé de la garantie de sécurité accordée à leurs alliés.

La France ne peut rester dans l'expectative, elle doit évaluer les risques, entre le Charybde budgétaire et le Scylla stratégique. Les facteurs de dérives budgétaires sont nombreux ; il faut donc éviter de se lancer dans des investissements hors de portée, au risque de dégrader d'autres programmes.

Il faut en outre parer le risque de voir la dissuasion diluée au profit d'une protection imparfaite. La défense anti-missile ne doit pas diffuser un sentiment trompeur de sécurité absolue. Faire l'impasse sur les développements techniques à venir pourrait compromettre la crédibilité de notre dissuasion. Il s'agit aussi de savoir si nous pouvons rester à côté d'une démarche que les autres auraient empruntée. Si l'affaire devait se résumer à la simple couverture de l'Europe par un système purement américain, sans participation de l'Europe aux décisions, l'Europe renoncerait à assurer par elle-même une part de sa propre défense. A fortiori, elle ne pourrait apporter la moindre contribution aux besoins de protection de ses alliés.

La France est certainement en Europe le pays le mieux placé pour favoriser cette contribution européenne ; son industrie de l'armement est de premier plan avec le démonstrateur Spirale ou le missile de défense de théâtre Aster 30.

Nous devons définir clairement les conditions de notre engagement. La première tient au rôle central de la dissuasion. Nous y sommes attachés, quelque divergence que nous ayons là-dessus avec l'Allemagne.

Avec la Russie, il faut envisager une coopération plutôt que s'engager dans une confrontation ; Lisbonne, sur ce point, a marqué une avancée notable.

Nous devons particulièrement veiller, dans la définition du système de commandement et de contrôle, aux règles d'engagement et aux conditions de raccordement de nos propres moyens nationaux ; insister aussi pour que les ambitions assignées à la défense anti-missile soient réalistes et adaptées à l'évolution de la menace. Le financement commun devra se limiter au système de commandement.

Il faut consolider la contribution française en créant une alerte spatiale dès la deuxième moitié de la décennie. Il faut aussi développer nos capacités d'interception.

Il faut enfin travailler à une réponse spécifiquement européenne. L'Italie est déjà notre partenaire sur la défense de théâtre ; la défense anti-missile pourrait être traitée dans le cadre de notre partenariat stratégique avec le Royaume-Uni. Les domaines prioritaires de coopération au niveau européen pourraient être l'alerte avancée et l'interception.

Telles sont les conclusions que j'ai tirées de notre travail. La défense anti-missile de l'Otan se fera, avec ou sans nous. La question n'est plus de savoir si la France doit s'engager mais comment elle doit le faire. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Le retard avec lequel ce débat est organisé, non à la veille mais au lendemain de Lisbonne, nous met devant le fait accompli. Nous sommes pris dans l'engrenage de la transformation de l'Otan en alliance globale multifonctionnelle contre une menace aussi diverse qu'imprécise, doublonnant l'ONU et plaçant l'Union européenne en situation subordonnée.

« Défense de territoire », c'est la doctrine américaine, pas la nôtre ! La déclaration de Lisbonne s'inscrit pleinement dans la perspective tracée par le Président Obama. Nous sommes en plein dans la nuclear posture review d'avril 2008 !

La réduction de la place du nucléaire a son revers : l'augmentation de la probabilité des guerres conventionnelles.

Le budget américain de défense représente la somme de tous les autres ! C'est le moyen de subordonner tous leurs alliés : le Japon et la Corée par rapport à la Corée du nord, Taïwan par rapport à la Chine, les pays arabes face à l'Iran. Et nous ? L'Iran ? La menace n'est pas actuelle. La Russie n'est plus considérée comme une menace, mais nous ne savons pas ce que seront demain les relations entre elle et les États-Unis...

La défense anti-missile, c'est la volonté des Américains de soumettre leurs alliés à leur hégémonie. Nous devons « partager le fardeau » américain. Comment ? La planche à billet vert ! Nous finançons le déficit du Trésor américain.

N'ayons pas d'illusion sur ce qui est en train de se passer. La France a dit dès 1984 ses réserves sinon son hostilité au bouclier spatial américain. Mais les choses ont récemment évolué. À Cherbourg, le Président de la République a admis que la défense anti-missile pouvait être un complément de la dissuasion française mais qu'elle ne pouvait pas s'y substituer. L'argument est connu : la possession d'un glaive ne dispense pas de la protection d'un bouclier. Ce qui se discute, car la dissuasion bien comprise est autant un bouclier qu'un glaive ; nous voilà placés devant la concurrence de deux boucliers, une arme de non-emploi d'un côté, une arme de défense classique de l'autre. Dans la lutte entre le glaive et le bouclier, il n'y a pas d'exemple que le glaive ne l'ait pas emporté. On sait que les interceptions réalisées par les États-Unis ne réussissent qu'à 80 %. L'étanchéité n'est pas parfaite. L'argument selon lequel la défense anti-missile permettrait de rester en dessous du seuil nucléaire est spécieux : ne pourrait-il passer pour un encouragement à l'agression ? Quant à la chute d'un missile classique sur Aix-en-Provence... Venu d'Iran ? Les Aixois font confiance à la dissuasion... Le souci de sécurité exprimé par nos alliés en Europe ? Encore faudrait-il qu'ils renoncent à contester le principe même de la dissuasion nucléaire, alors qu'ils ne disposent d'aucune garantie fiable en dehors d'elle.

Loin d'être complémentaire avec la dissuasion, la défense anti-missile risque fort de fonctionner comme une ruineuse ligne Maginot. La Corée du nord et l'Iran ont fait des progrès techniques que je ne conteste pas ; mais le territoire national n'est pas aujourd'hui menacé, sauf s'il s'avérait que la Corée du nord a vendu à l'Iran des missiles à longue portée, ce qui demande à être vérifié. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Nos industries de défense veulent rester dans la course, mais à quel prix ? Et pour quoi faire ?

Le Président de la République veut réintégrer l'Otan, devenu instrument de défense de l'Europe. Nous sommes coincés.

Il est question d'une participation de 200 millions, dont 25 pour la France. Sachant que ce sera beaucoup plus, l'étude de faisabilité n'est pas achevée, l'architecture n'est pas définie. La décision restera américaine... Compte tenu de l'état de nos finances, il y aura une responsabilité : la nôtre. Nous n'avons pas les moyens d'une défense anti-missile à l'américaine. Appuyez sur le frein, monsieur le ministre !

Nous n'avons pu faire inscrire dans la déclaration de Lisbonne que la défense anti-missile ne serait que le complément de la dissuasion. MM. Medvedev et Poutine doivent être entendus : le risque de course aux armements n'est pas improbable.

Défense de théâtre, capacité d'alerte spatiale -pourvu qu'on ne se laisse pas entraîner dans des projets d'interception dans l'exo-atmosphérique : voilà les domaines où nous pouvons avancer. Mais ne nous engageons pas dans une course aux armements que nous ne pourrions financer.

Le monde sans arme nucléaire prôné par le Président Obama, qui peinera à faire aboutir le traité de d'interdiction des essais par le Sénat américain, n'est pas pour demain. Ne lâchons pas la proie pour l'ombre. Il serait incompréhensible que la France s'engage dans cette voie. Nous jugerons votre capacité à ne pas vous laisser prendre dans l'engrenage de Lisbonne. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs UMP)

Mme Michelle Demessine.  - Je me félicite de ce débat, mais il a lieu quinze jours après le sommet de Lisbonne. Je suis donc sans illusion.

Dommage que votre ralliement et celui du Président de la République au bouclier anti-missile marquent un revirement majeur pour notre défense et celle de l'Europe.

Jusqu'à une date récente, la France était très réticente face à un système hérité de la « guerre des étoiles » due au président Reagan, jugé incompatible avec notre dissuasion. À nouveau, les États européens seront sous le « bouclier » américain.

À Lisbonne, vous avez accepté de graves conséquences pour notre défense. Vous n'avez aucune garantie sur la chaîne de commandement, ni sur les règles d'engagement. À l'évidence, les Américains décideront de tout.

Le coût annoncé ne sera pas respecté, tout en gênant nos coopérations bilatérales, et sans la moindre garantie de retombées industrielles.

Tout cela éloigne la perspective d'une défense européenne autonome.

La dissuasion repose sur une logique inconciliable avec la défense anti-missile balistique.

Pour des raisons différentes, les participants au sommet de Lisbonne ont accepté le bouclier : les anciens pays du pacte de Varsovie comptant sur une protection, les pays d'Europe du nord espérant obtenir le démantèlement des forces nucléaires britanniques et françaises.

Cette décision risque de relancer la course aux armements, en Russie et dans le monde.

Tout cela est dans la réintégration dans l'Otan. Le Président de la République avait évoqué le soutien à l'Europe de la défense et la confiance de nos alliés. Or, l'alignement atlantiste nous placera dans la dépendance envers les États-Unis.

Nous constatons l'adéquation de l'arme nucléaire aux menaces de notre époque.

Dommage que l'image politique acquise auprès des pays émergeants soit de nouveau ternie par la décision prise.

Pour clarifier les choses, notre pays devrait concrétiser sa volonté de supprimer l'arme nucléaire : convenons avec les autres puissances de ne pas moderniser ces systèmes d'armement, en commençant par abandonner le missile M51. (Applaudissements sur quelques bancs socialistes)

M. Yves Pozzo di Borgo.  - En septembre, les chefs d'État et de Gouvernement de l'Otan ont adopté un nouveau concept stratégique, caractérisé par la défense anti-missile, et invité la Russie à coopérer. Mais beaucoup de questions restent en suspens.

La question n'est pas de savoir si la France doit participer au système anti-missile, car il est indispensable de maîtriser cette technique.

À Lisbonne, le Président de la République a évoqué la menace iranienne, mais il ne faut pas diaboliser ce pays, qui ne nous menace pas. La voie du dialogue ferme doit être privilégiée pour maintenir l'Iran dans la communauté internationale.

M. Didier Boulaud.  - Très bien.

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Le Président de la République l'a déclaré : la défense anti-missile complète la dissuasion, mais elle ne s'y substitue pas. Cette formulation satisfaisante clôt un débat d'arrière-garde.

L'Amérique a rêvé il y a trente ans d'un territoire invulnérable, mais l'Europe n'a jamais partagé ce phantasme.

La mise au point d'une défense anti-missile est source de progrès techniques majeurs pour le domaine de l'aéronautique, de l'espace et de l'électronique militaires ou civils.

Enfin, la nécessité diplomatique s'impose afin que la France puisse proposer ses outils et services à ses partenaires.

Monsieur le président de la commission, vous avez rappelé que les systèmes anti-missile se développent au niveau mondial. Notre pays ne peut rester à l'écart. La question porte donc sur la place de notre pays.

Le premier enjeu est industriel, dans un contexte peu favorable aux revendications européennes de partage des techniques, mais la France dispose de capacités de pointe dans certains domaines, si bien qu'elle pourrait apporter des briques à la construction commune. La fragmentation des marchés de défense européens coûte cher : il importe de les unifier.

Deuxièmement, nous devons veiller au rôle des Européens dans la prise de décision. Les accords « Berlin plus » régissent la mise à disposition de l'Union européenne des moyens et des capacités de l'Otan, mais des désaccords subsistent dans leur application.

Troisièmement, il faut rechercher activement la pleine coopération de la Russie. Si elle y voit une menace, la course aux armements repartira. Le Premier ministre Vladimir Poutine a repris les propos du Président Dimitri Medvedev. Cette tonalité guerrière traduit peut-être le souhait russe d'être associé à l'Otan, ce qui suppose un partage d'information et la définition d'un spectre de menaces communes.

À terme, cela supposerait un système de décision partagée. Où en sont les échanges avec la Russie ? Arrimer la Fédération de Russie à l'Europe présenterait d'énormes avantages.

Dans cette affaire, la France prend des risques. D'abord, un risque budgétaire avec un possible effet d'éviction pour les autres programmes de défense, d'autant que le chiffre d'un milliard sur dix ans est crédible. Ensuite, un risque stratégique certain pour notre souveraineté si l'Union européenne est extérieure à la prise de décision. Enfin, le projet n'est pas sans risque pour l'ordre international, fondé sur l'équilibre de la dissuasion entre grandes puissances.

La France gagnera à s'y engager activement, en faisant valoir ses atouts. Mais veillons à éviter les fantasmes de menaces et d'invulnérabilité, et à avancer dans une éthique de responsabilité et de dialogue. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Didier Boulaud.  - Nous y voilà ! Dommage tout de même que le débat ait suivi la décision de Lisbonne, qu'il aurait dû précéder.

Membre depuis plus de quinze ans de l'assemblée parlementaire de l'Otan, j'y ai noué des contacts et j'entretiens des relations souvent cordiales. Lors du forum transatlantique consacré au bilan du sommet de Lisbonne, j'ai sondé mes homologues pour savoir comment ils en avaient débattu au préalable.

Tous s'étonnent de constater que la France, considérée comme une démocratie exemplaire et souvent donneuse de conseils, n'ait pas organisé de débat parlementaire.

Je dois pourtant dire que notre commission a tenté de ne pas se laisser déposséder, mais de débat en séance publique, que nenni ! C'était d'ailleurs la règle sous le gouvernement précédent. Cela vaut peut-être mieux, si l'on a en tête les contorsions de M. Morin au sujet de l'Otan et notre implication en Afghanistan. Lui et le ministre des affaires étrangères avaient une analyse opposée de notre engagement qui, pour l'un était une guerre et pour l'autre une simple opération de maintien de la paix. Avec votre nomination, monsieur le ministre d'État, le temps est venu que les pantalonnades prennent fin. Nous nous souvenons de votre passage au quai d'Orsay, dont le président Mitterrand lui-même disait le plus grand bien... parole de Nivernais ! (Sourires) Nous comptons donc sur vous, d'autant que vous n'êtes pas resté muet sur tous ces sujets, bien que vos propos lors de la discussion budgétaire m'aient fait craindre votre réintégration dans la ligne suivie depuis trois ans. (Sourires)

Venons-en au fond du sujet.

L'accord sur le système anti-missile comporte un triple risque de contrôles américains sur les alliés, de marginalisation des industries d'armement européenne et de captage des crédits au détriment de la défense européenne. Le très récent ralliement du Président Sarkozy à la défense anti-missile proposée par le Président Obama et son docile missus dominicus, le secrétaire général de l'Otan, mérite à tout le moins quelques explications. Notre conviction est faite : l'affaire a été amorcée dès le processus de réintégration du commandement intégré de l'Otan. Qu'avons-nous réellement obtenu en échange ? J'ose à croire que vous ne nous redirez pas que nous avons gagné de nombreuses étoiles dont, je le crains, la plus en vue est déjà en train de pâlir sérieusement.

On nous explique que l'on accepte le principe de la défense anti-missile de territoire, mais le principe seulement, en ajoutant que celle-ci n'est que complémentaire de la dissuasion nucléaire. Telle n'est pas notre conviction. Il y a selon nous à terme de vrais risques d'affaiblissement de notre capacité de dissuasion et de décision. On nous dit sotto voce : nos industriels y trouvent leur compte... comme acteurs ou sous-traitants ?

Le risque de dérive financière soulève de nombreuses interrogations jusque dans la majorité. L'état de nos finances, dont la majorité est en grande partie responsable, ne nous permet pas de faire tout et n'importe quoi. Et les moyens financiers de l'Otan étant ce qu'ils sont, un tel bouclier anti-missile hypothéquera à coup sûr les autres capacités de l'Alliance alors qu'elle est durablement embourbée en Afghanistan.

Enfin, nous avons lu très distinctement au travers du rapport du président de Rohan qu'il ne faudrait pas se mettre entre les mains des États-Unis. Qui peut croire que la décision sera partagée par les Américains ?

Toujours selon ce rapport, la France est dans l'Otan, la défense anti-missile se fera dans l'Otan, donc la France fera partie de la défense anti-missile. Curieux syllogisme !

Monsieur le ministre, nous voudrions que la représentation nationale soit éclairée face à ce risque de perte d'autonomie dans la décision pour la France. Qu'en est-il de la mise en place d'un outil de commandement et de contrôle, le fameux C2 ?

On nous dit que la décision est prise sur la base d'un projet réaliste, adapté à l'évolution de la menace balistique que font peser certains programmes au Moyen-Orient. Qu'en est-il vraiment ? Les discours alarmistes ont pour première vertu d'inquiéter la population et de justifier l'extraordinaire effort d'équipement militaire de tous les pays de la région.

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Il y a quelques années, j'ai entendu au Sénat un spécialiste affirmer qu'il y avait des armes de destruction massive en Irak. C'était du Bush à la française ! Je rends hommage au Président Chirac de ne pas s'être laissé enfumer par ces beaux esprits : grâce à lui, nous ne sommes pas embourbés en Irak.

Je ne méconnais pas les propos malveillants du président iranien, mais ne négligeons pas la subtilité persane. D'ailleurs, les Américains conduisent des négociations bilatérales secrètes qui pourraient nous laisser sur le bord du chemin.

La France doit préserver sa capacité de défense et son indépendance. (Applaudissements à gauche)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Si j'ai bien compris M. Reiner, il a regretté que la réintégration de la France dans l'Otan ait été décidée sans débat parlementaire. Or, le Premier ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement ! Quant à M. Boulaud, il est trop intelligent pour être de bonne foi ! (Rires) On ne peut faire grief à un gouvernement qui n'existait pas de n'avoir pas organisé un débat !

Le sommet de Lisbonne marque le début d'un processus dont nous ignorons s'il sera conduit à terme : il faut donner du temps au temps. (Applaudissements à droite)

M. Xavier Pintat.  - Je me réjouis de ce débat sur un sujet d'actualité, dont l'importance ira croissante.

Merci, monsieur de Rohan, pour avoir inscrit ce sujet il y a plusieurs mois à l'ordre du jour de la commission.

Nous avons ainsi pu entendre des personnes particulièrement qualifiées. Le rapport d'information de la commission est particulièrement riche.

Je commencerai par une observation préalable : la vivacité des débats a longtemps occulté le débat. Dans les autres pays, l'approche est plus dépassionnée.

Des régions entières du globe voient leur équilibre bouleversé par les progrès balistiques. Certes, la protection anti-missile est très imparfaite. Raison de plus, estime-t-on dans de nombreux pays, pour perfectionner la technique. Il n'en va pas de même en France.

J'estime fondamentalement erronée l'idée que la défense anti-missile serait antinomique avec la dissuasion. Ni les États-Unis, ni la Russie, ni la Chine, l'Inde ou Israël ne se posent la question.

Nous désintéresser de la défense anti-missile serait sans doute dangereux pour notre dissuasion.

La nécessité d'une défense anti-missile n'est pas discutée aux États-Unis. Elle se fera donc. Les Américains privilégient une approche progressive, utilisant des techniques éprouvés : plus réaliste que celle du Président Bush, la politique du Président Obama n'en est que plus crédible.

Je ne reviens pas sur les enjeux militaires mais nous ne pouvons renoncer à l'idée de protéger le territoire et la population sous prétexte de dissuasion nucléaire.

Les enjeux techniques et stratégiques sont liés. De facto, l'Europe sera couverte, mais ne pas s'y engager serait préjudiciable à l'industrie européenne. La France n'est pas mal placée puisqu'elle est la seule puissance européenne disposant d'une industrie balistique. Le centre d'essai de Biscarosse est unique en Europe : il pourrait accueillir des unités de la défense anti-missile de l'Otan.

Enfin, je plaide en faveur d'une approche pragmatique. Il est très difficile de faire obstacle à une décision de l'Otan. L'Europe n'a aucun intérêt à ce que les États-Unis privilégient des accords bilatéraux.

La seule option raisonnable consiste à poursuivre deux objectifs : le premier passe par la clarification de la chaîne de commandement et de contrôle ; le second est d'apporter nos briques à la défense anti-missile. Nous devons poser clairement les conditions de notre engagement.

Cette défense ne peut qu'être un complément de la dissuasion. M. Chevènement vient de rappeler que le glaive l'emporte toujours sur le bouclier. Ayons les deux, mais sans altérer nos relations avec la Russie.

Comme le plan économique, essayons de faire émerger des objectifs communs aux pays européens puisque la défense du continent est en jeu.

La situation budgétaire exerce une contrainte très forte mais les sommes en jeu sont loin du milliard d'euros. Je pense au radar de poursuite M3R de Thalès et à l'alerte avancée grâce aux satellites.

Bien sûr, il faudrait consacrer chaque année quelques dizaines de millions d'euros annuels à l'acquisition des techniques de l'interception.

Nous devons être présents sur quelques créneaux pour valoriser des investissements déjà programmés et obtenir voix au chapitre pour la France, seul pays à disposer d'autant d'atouts. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jacques Gautier.  - Je partage nombre d'analyses déjà formulées, notamment par M. de Rohan et par M. Pintat.

La défense anti-balistique peut protéger des troupes sur le champ d'opérations ou des populations à l'échelle d'un territoire. Depuis des mois, le débat fait rage en France dans le droit fil de l'éternel débat entre « l'épée et le bouclier ». En France, les opposants estiment que la DAMB, coûtant extrêmement cher, générerait l'éviction des autres programmes et qu'elle affaiblirait la dissuasion nucléaire. Or, aujourd'hui, la question n'est que marginalement budgétaire.

Le déploiement d'un système complet serait hors de portée de nos moyens. Pour n'établir qu'un système à couches multiples relié au système américain, le Japon a investi 10 milliards de dollars en dix ans... Il s'agit d'autant moins de suivre cette voie qu'on ne croit pas dans la probabilité d'une attaque massive contre notre territoire. En revanche, la défense de nos forces au Proche-Orient contre des Scud n'a rien d'invraisemblable.

Les Américains font de la défense anti-missile un moyen de développement industriel. C'est pourquoi ils insistent tant auprès des Saoudiens et des Polonais. La défense anti-missile est un instrument de puissance.

Un très grand nombre d'avancées technologiques sont des retombées de la « guerre des étoiles ». Ne pas être dans cette course nous conduirait à réduire encore notre rang par rapport aux États-Unis et à nous placer en position subordonnée. Ce qui importe, c'est d'abord de maîtriser cette technologie.

L'Otan a lancé en 2005 un programme de 800 millions. À Lisbonne, les États-Unis ont plaidé pour un « partage du fardeau » de la défense occidentale. Si les pays européens sont exposés de façon disparate à une menace balistique, ils subissent tous des contraintes budgétaires. Dès lors que l'Otan a pris cette décision, nous devons prendre notre place, à l'instigation de la France, première puissance militaire européenne.

Mais nos programmes ne sont pas suffisamment abondés pour la tâche. À 50 millions, le ticket d'entrée serait supportable. La défense anti-missile augmente la dissuasion et la renforce, en relevant le seuil nucléaire. En cas d'attaque sérieuse sur le territoire, l'attaquant sait à quoi il s'expose.

En nous engageant dans la défense anti-missile, nous préservons nos capacités de recherche et la survie de notre industrie de défense, clé de notre souveraineté.

Mme Dominique Voynet.  - Nous voici réunis pour débattre du nouveau concept stratégique de l'Otan et du ralliement au projet de défense anti-missile, trois semaines après que la décision a été prise, à Lisbonne. Notre débat a été la première victime du remaniement...

Ralliement surprenant que celui de la France au bouclier anti-missile que M. Morin dénonçait en octobre dernier, parlant de « ligne Maginot », après avoir parlé d'« erreur » en avril. Était-ce, de sa part, un dérapage, une erreur ? Vous-même, monsieur le ministre d'État, avez dit votre vérité dans la tribune cosignée avec M. Rocard, appelant à un désarmement nucléaire mondial qui allait dans le même sens que le discours pragois du Président Obama.

Que penser de cette volte-face du Gouvernement ? La décision est prise ; il n'est plus utile d'en débattre, sauf pour entendre la palinodie de ceux qui se sont battus des années durant contre la présence dans le commandement intégré de l'Otan.

On nous dit que la défense anti-missile serait complémentaire de la dissuasion. Cette posture est pour le moins contradictoire avec la précédente. Elle montre en tout cas l'Otan se présentant ouvertement comme une alliance nucléaire. On va vers une militarisation de l'espace.

Pour quelle efficacité ? Aucun bouclier n'est infranchissable. La protection ne sera pas hermétique malgré les 200 milliards de dollars dépensés par les Américains. Quel pays présenterait une vraie menace ? L'Iran, délicatement pointé du doigt par le Président de la République ? Un pays peu enclin à intervenir par ce biais.

Avec cette initiative de défense, les États-Unis donnent une place démesurée à leurs industries.

Comment respecter un temps de décision relevant du politique quand il faudra une décision en quelques instants ? Ce projet aurait un coût exorbitant au détriment des équipements de base. La contribution de la France à l'Otan va déjà passer de 140 à 240 millions. Où trouvera-t-on ces sommes ?

L'Europe a-t-elle vraiment intérêt à ce que sa défense passe entièrement par l'Otan et les États-Unis ?

Ce débat arrive bien trop tard ; s'il avait été conclu par un vote, j'aurais voté contre ce projet politique qui ne va pas dans le sens de l'Europe solidaire et vraie que j'appelle de mes voeux.

Mme Michelle Demessine.  - Très bien !

M. André Vantomme.  - M. de Rohan a le mérite d'avoir fait vivre ce débat dans le cadre de la commission. Il n'a pas réussi à l'imposer dans le cadre du Sénat ; c'est pourquoi le groupe socialiste l'a inscrit dans sa semaine. Ne soyez pas trop cruel avec M. Boulaud, si vous aviez vraiment voulu ce débat, vous auriez pu l'imposer.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Non, c'est plus compliqué que vous ne le pensez !

M. André Vantomme.  - Le nouveau concept stratégique est assez vague pour masquer les désaccords, et ambigu pour faciliter les interprétations.

La défense anti-missile peut-elle compléter la dissuasion ? La question est politique plus que technique. Dans le sillage atlantiste, nous perdons notre autonomie de décision.

M. Sarkozy ayant manqué de volonté politique, nous voici alignés sous le parapluie américain. Son récent ralliement mérite quelque explication. Le 15 octobre, il annonce ce changement de pied trois jours après que M. Morin eut dit son scepticisme sur cette nouvelle ligne Maginot.

Ce revirement nous vient, ce n'est pas une surprise, du « plus proaméricain des présidents de la Ve République », selon les termes du Département d'État. Pourtant, le Livre blanc ne prévoyait nullement cette option, mais, idée intéressante, de compléter notre panoplie de défense par un système d'alerte avancé grâce à nos industries.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Vous ne l'avez pas approuvé !

M. André Vantomme.  - Fallait-il le faire? Oui, mais à l'échelle européenne, et ce n'est pas la même chose que la défense balistique américaine. On admet désormais qu'un Iran nucléaire est envisageable. Un seul missile iranien sur l'Europe et nous riposterions de façon sévère sur le territoire iranien.

Dans le même temps où la lutte contre la prolifération nucléaire marque le pas, on lance une course aux armements balistiques. L'Europe a encore perdu une occasion de jouer un rôle majeur pour définir ses relations diplomatiques avec la Russie. Pourquoi celle-ci semble-t-elle prête à entrer dans le jeu ? Parce qu'elle discutera directement avec les États-Unis de la répartition des missiles antibalistiques.

Le nouveau cheval de bataille de l'Otan semble être l'élargissement vers une défense globale aux aspects à la fois civils et militaires. Il faudra éclaircir un point important : c'est un nouveau défi pour l'Europe qui a bien avancé dans la gestion des crises. L'Otan va-t-elle se lancer dans une concurrence avec l'Europe pour l'action humanitaire? Doit-elle coordonner des moyens civils pour aider Israël à combattre de graves incendies, comme elle l'a proposé ?

L'état de nos finances -dont votre majorité est grandement responsable- ne nous permet plus de faire tout en même temps. On peut se limiter à des déclarations, il faut aussi assumer le coût de ce à quoi on s'engage. Quelle sera la partie laissée aux industriels américains ? Leurs homologues européens ne seront-ils que de simples sous-traitants ?

Selon le très complet rapport du président de Rohan, nous sommes devant un choix très douloureux, entre le Charybde militaire et le Scylla budgétaire, nous risquons le marché de dupes.

Peut-on demander que ce projet devienne américano-européen, pour la réalisation industrielle et pour la décision militaire ?

Je vous concède que cette perte d'autonomie stratégique convient à nombre de nos partenaires européens. Une page se tourne, puissions-nous ne pas le regretter...

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Quel pessimisme !

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.  - Je me réjouis d'être parmi vous ce soir. Vous auriez souhaité que ce débat ait lieu il y a quelques semaines ; le président de Rohan a dit pourquoi cela n'avait pas été possible. L'actualité politique en a décidé autrement.

Je me doutais bien qu'on évoquerait les mânes du général de Gaulle. Je n'ai aucune idée de ce qu'il dirait ce soir mais on ne peut dire que nous tournions le dos à ses choix. Il y a quinze ans que mon gouvernement a amorcé le retour vers l'Otan mais aucune des conditions que nous y mettions : le rééquilibrage des responsabilités et une capacité de défense européenne, n'était honorée. Il y eut le tournant historique de 1998 avec le Royaume Uni, puis la réalisation par l'Union européenne d'une bonne vingtaine d'interventions coordonnées sur des théâtres extérieurs.

Aujourd'hui, un général français détient un des deux postes de commandement de l'Alliance. Le vrai changement est dans l'attitude de nos partenaires européens. Le traité franco-britannique n'est pas une déclaration vague mais un ensemble de dispositions précises et détaillées, saluées à Bruxelles et à Lisbonne comme une avancée dont beaucoup souhaitent qu'elles servent d'exemple.

Il est vrai qu'avec l'Allemagne, nos intérêts divergent souvent, mais nous parvenons toujours à des compromis. Demain, un bataillon allemand sera installé à Altkirch, en Alsace. Le symbole n'est pas mince. Nous préparons une avancée dans le cadre du processus de Weimar.

Je ne lis pas dans les coeurs mais dans les textes et l'article 5 du traité de l'Otan reste valide : la sécurité collective. Il est écrit que l'alliance reste nucléaire tant qu'il restera des armes nucléaires, monsieur Chevènement.

Mon article, Madame Voynet, souhaitait un monde sans armes nucléaires ? Oui, je disais que cela devait se faire quand « le moment sera venu ». Il ne l'est pas.

La France a décidé de prendre part à la réflexion collective tendant à la mise en oeuvre d'une défense anti-missile balistique, en développant notre propre programme. Ce n'est pas une volte-face : relisez le discours de Jacques Chirac, à Londres, en avril 2006, auquel renvoie l'excellent rapport de la commission.

La capacité du radar à très longue portée devrait être effective en 2018. Nous avons déjà une compétence d'alerte avancée spatiale. Le SAMPT commence à être mis en oeuvre. Nous pouvons espérer avoir une défense anti-missile autonome de théâtre en 2020.

Les efforts commencent à porter leurs effets : nous avons montré notre capacité en ce domaine. La prolifération balistique au Moyen-Orient, en particulier en Iran, fait craindre une menace aux Émirats, au Liban, en Afghanistan. D'ici 2025, la question de la vulnérabilité du territoire national peut aussi se poser. D'où notre accord pour une capacité de défense anti-missile de territoire et de population. Mais la participation française au budget de l'Otan sera conforme à la clef habituelle de 12 %. Il n'y a pas d'ambiguïté sur le concept stratégique : la déclaration de Lisbonne confirme bien que nous maintenons une combinaison de forces conventionnelles, nucléaires et anti-missile. « La défense anti-missile renforce la dissuasion ». Il est précisé en outre que la souveraineté de la France sur sa propre puissance militaire est préservée.

Nous avons un enjeu stratégique avec la Russie, un enjeu de souveraineté, un enjeu industriel, un enjeu financier, un enjeu, enfin, d'interopérabilité. Face à ces enjeux, nous respectons trois principes, et d'abord notre autonomie stratégique en faisant valoir la complémentarité de notre armement nucléaire et en cherchant à valoriser notre capacité industrielle.

Nous devons accompagner le développement des relations avec la Russie, dans un « système de défense anti-missile conjoint », comme le dit M. Medvedev. Cette suggestion doit être étudiée en détail.

Deuxième principe : le réalisme. De nombreux travaux vont s'engager, dont nous devons vérifier qu'ils répondent bien aux priorités de l'Alliance sans entrer dans la surenchère.

Troisième principe : le pragmatisme, qui nous fera entrer dans une approche phasée.

Bref, notre vision est claire. Notre priorité est de développer notre défense anti-missile de théâtre, pour peser dans le débat au sein de l'Otan sur l'extension au territoire et sur les relations avec la Russie. À plus long terme nous fixerons nos orientations en fonction des conclusions qui seront tirées de l'expérience.

Ainsi pourrons-nous relever ce défi du XXIe siècle.

Prochaine séance lundi 13 décembre 2010 à 14 heures 30.

La séance est levée à minuit vingt cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du lundi 13 décembre 2010

Séance publique

A 14 HEURES 30 ET LE SOIR

1. Débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010.

2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (n°130, 2009-2010).

Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n°20, 2010-2011).

Texte de la commission (n°21, 2010-2011).

Avis de Mme Françoise Henneron, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°3, 2010-2011).

Avis de M. Pierre Bordier, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n°5, 2010-2011).

Avis de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (n°6, 2010-2011).