Débat sur les lignes à haute tension
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur les effets sur la santé et l'environnement des champs magnétiques produits par les lignes à haute et très haute tension.
M. Daniel Raoul, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. - Notre collègue Jean-Claude Etienne, qui était encore il y a peu vice-président de l'Office parlementaire, a été nommé au Conseil économique, social et environnemental et a quitté la Haute assemblée. Frappé par un grave accident de santé, il nous a impressionnés par sa volonté de retrouver le plein exercice de ses capacités. Il s'était fait une joie de participer pour la première fois, au nom de l'Office, à la Conférence des Présidents à l'invitation de M. Gérard Larcher.
Ce problème concerne surtout les départements de la Manche et de la Mayenne, mais constitue aussi un sujet de questionnement voire d'inquiétude dans beaucoup de lieux traversés par ces lignes. L'Office a été saisi par la commission de l'économie ; j'ai tenté d'aborder la question sans a priori, malgré mon passé professionnel, et en étudiant les publications scientifiques d'experts reconnus, validées par leurs pairs, sans pour autant exclure de ma réflexion les opinions divergentes avec le consensus scientifique.
Sensible ainsi aux sciences humaines, j'ai tenu à conjuguer une démarche éthique avec l'approche scientifique du problème. J'espère être ainsi parvenu à des conclusions claires et utilisables.
Premier constat : la France a le plus important réseau européen de lignes à haute tension, avec plus de 100 000 kilomètres. Avant même le parc nucléaire, la France avait l'un des plus importants réseaux du monde. Celui-ci va continuer à se développer, car il répond à la demande, tant en quantité qu'en qualité. Il répond ainsi à plusieurs exigences fondamentales ; ainsi, l'électricité ne peut être stockée. Le réseau doit aussi garantir la redondance des moyens d'accès à l'électricité. Nous avons vu l'hiver dernier ce que pouvait avoir de périlleux la situation de péninsule électrique de la Bretagne.
RTE s'est engagé à ne pas étendre ce réseau aérien. Depuis 1979, les lignes hautes tension sont mises en cause pour leurs effets sur la santé. Il est abusif de parler en l'occurrence du champ magnétique pour une ligne électrique de 50 hertz. Les pollutions magnétiques et électriques sont, à cette fréquence, nettement distinctes. Ce point est important car, pour la santé humaine, c'est le champ magnétique qui est incriminé, tandis que pour les élevages et la santé animale, ce sont plutôt des problèmes électriques qui sont identifiés.
Les lignes électriques sont loin d'être les seules émettrices du champ magnétique : sèche-cheveux, portiques électromagnétiques des magasins ou radioréveils en génèrent...
Plus généralement, les enfants sont moins exposés que les parents, car ils utilisent moins les transports en commun. Une étude a été conduite en 2004. Il en résulte que 375 000 Français pourraient subir un seuil supérieur à 0,4 microtesla, qui pourrait devenir dangereux pour de jeunes enfants.
Un consensus international s'est dégagé pour affirmer l'innocuité des champs magnétiques statiques et pour estimer que les champs magnétiques à basse fréquence n'ont pas d'effet à court terme.
Sur le long terme, presque tous les effets possibles sont aujourd'hui exclus sauf dans trois domaines : électrohypersensibilité, certaines maladies neurodégnératives et certaines formes de leucémie de l'enfant. Nous savons encore peu de choses de l'hypersensibilité électromagnétique, mais il nous faut prendre au sérieux les malades et leur proposer une solution thérapeutique.
En ce qui concerne les maladies neurodégénératives, les experts français et européens ne sont pas en accord pour estimer le niveau de risque.
Ces pathologies pourraient concerner beaucoup de personnes, mais une étude de la RATP s'est révélée négative. Il est vrai qu'elle utilise du courant continu... Je regrette que la SNCF se soit abstenue de conduire une étude. L'Office préconise la vigilance.
Existe-t-il un lien avec les leucémies des jeunes enfants ? L'hypothèse a été évoquée en 1979 ; l'OMS estime qu'il y a un lien probable, malgré l'absence de toute confirmation pour les études in vivo et in vitro. La classification utilisée par l'OMS n'a pas été mise en cause depuis dix ans. Le risque existe, mais quelle est son importance ? Les leucémies touchent surtout des enfants de moins de 6 ans ; leurs causes sont multifonctionnelles. En France, seuls 2 % des enfants malades subiraient des champs supérieurs à 0,4 microtesla. Au total, la mortalité imputable aux lignes électriques s'établirait à un ou deux cas annuels.
Nous devons considérer l'inquiétude légitime des familles. Il faut donc approfondir la recherche, en prenant sur le plan local des mesures évitant si possible d'exposer les petits enfants à des champs supérieurs à 0,4 microtesla. En revanche, j'exclus tout couloir de protection, trop contraignant et coûteux. Que décidera le Gouvernement ?
J'en viens au deuxième volet : l'impact sur la faune et la flore. C'est un terrain défriché par nombre d'études nord-américaines ou scandinaves : presque aucun effet n'est perceptible, même à proximité de lignes à un million de volts. Cependant, j'ai demandé à RTE d'approfondir les recherches dans le cadre de partenariats scientifiques.
Les pylônes servent souvent de perchoirs à des rapaces ou à des cigognes, mais nous manquons de données scientifiques d'ensemble.
Plus généralement, j'ai proposé que RTE, EDF et ERDF fassent émerger un organe large de dialogue et de recherche sur l'impact des lignes sur l'environnement sauvage, dont le noyau pourrait être le Comité Avifaune.
Les plaintes concernant principalement l'élevage bovin laitier, mais on ne compte que 24 problèmes depuis 1998. Si les causes sont connues, elles ne sont pas pour autant aisées à diagnostiquer et à résoudre. Le rôle du GPSE doit être conforté : j'ai donc proposé de nouvelles modalités de fonctionnement, avec une intervention locale transparente évitant toute suspicion de collusion.
Nous abordons là les relations de la société avec la science marquée par une méfiance avec les experts. Cette césure doit être comprise pour être dépassée. Les recherches des sciences humaines devraient permettre de surmonter les réticences actuelles.
Les lignes à haute tension offrent une opportunité formidable. J'espère que nous nous en saisirons !
Beaucoup a été fait, mais le dialogue doit encore se développer, notamment avec la mis en place d'un ferme témoin. Un diagnostic commun passe par un processus participatif.
Progresser dans l'information et le dialogue, mener les recherches nécessaires, être prudent quand cela s'impose et fonder nos décisions sur les recherches validées, voilà les quelques préconisations de votre Office parlementaire, convaincus que nous sommes que dans ces débats entre la science et la société, il nous faut faire preuve d'honnêteté intellectuelle, de transparence, d'ouverture mais aussi de responsabilité. (Applaudissements)
Mme Anne-Marie Escoffier. - Je m'exprime avec humilité, n'ayant que peu d'expérience avec les lignes à haute tension et aucune compétence scientifique, contrairement à M. Raoult.
Le débat d'aujourd'hui a le mérite de nous faire aborder un sujet sérieusement étudié. Merci, monsieur le rapporteur, pour l'excellence de votre rapport, que j'ai essayé de comprendre autant que j'ai pu. La France possède le plus grand réseau de lignes à haute tension et l'un des plus anciens. Le premier secrétariat d'État à l'électricité remonte à 1936. Il fut confié à Paul Ramadier, député de l'Aveyron...
Nous connaissons la contribution de l'électricité au développement du territoire. Certes, la transformation d'EDF en société anonyme change la donne, mais sans incidence sur l'éventuel effet sanitaire des lignes à haute tension.
Il semble que trois groupes de pathologies soient identifiés, mais sans certitude. La recherche doit donc se poursuivre, sans négliger aucune piste.
Les préconisations de l'État tendent à protéger nos citoyens.
Nous n'avons guère d'études sur l'effet des champs magnétiques sur l'environnement.
En attendant les résultats des enquêtes épidémiologiques, nous devrons définir une politique.
L'enfouissement est tentant. J'en ai fait l'expérience avec des lignes qui devaient traverser le vignoble de Marciac. Toutefois, il ne règle pas le problème magnétique et coûte 40 millions d'euros le kilomètre. De plus, les agriculteurs n'y sont pas favorables...
Il me semble difficile de nous prononcer en l'absence d'informations complémentaires. Je souhaite simplement que l'État ne se désengage pas à l'occasion de la libéralisation du marché de l'électricité.
La wifi, le wimax ou le téléphone mobile soulèvent des interrogations analogues. Décédé l'an dernier, Claude Lévi-Strauss, ce savant exceptionnel, a inventé le concept d'humanisme écologique, insistant dans Tristes tropiques sur le fait que nous devons faire passer le monde avant la vie, la vie avant l'homme et nos semblables avant nous-mêmes. (Applaudissements)
Mme Mireille Schurch. - Je félicite M. Raoul pour son rapport de l'Office, dense et complexe. Il est juste que les parlementaires bénéficient d'une information complète pour répondre à l'inquiétude de nos concitoyens.
La lecture du rapport est particulièrement enrichissante : le passage sur le paradigme de Paracelse, la toxicologie intuitive de Slovic et les travaux de Paul Rozin est très éclairant sur la représentation du risque dans nos sociétés.
Le rapport insiste sur la nécessité d'informer les élus et la société civile. Cela passe par l'engagement des services de l'État, outre la mise en place de procédés démocratiques. Il est essentiel que les élus locaux soient à même de se prononcer sur l'aménagement du territoire. Éleveurs, agriculteurs et citoyens sont tous sources de connaissances.
Pour agir, nous avons besoin d'une expertise scientifique indépendante, alors qu'ERDF jouit d'un quasi-monopole sur les courants électriques basse fréquence. Nombre de questions restent en suspens quant à l'effet des champs électriques ou magnétiques. Nous verrons de quels crédits disposera l'agence créée par la fusion de l'Afset et de l'Afssa.
RTE doit s'engager à garantir l'indépendance des chercheurs, ce qui permettrait d'éviter les polémiques comme celle provoquée par la déclaration de huit experts estimant que « l'Afset a trompé délibérément le public et bafoué l'expertise scientifique ».
La lecture des rapports disponibles conduit à un doute sur l'effet des lignes à haute tension pour les jeunes enfants. L'Afset a donc formulé des recommandations justifiées.
Enfin, au moment où le Gouvernement brade une partie de la production électrique et où la facture énergétique des Français s'alourdit, comment imaginer que RTE puisse enfouir les lignes à haute tension ? Le passage en souterrain présente des avantages, mais l'enfouissement à un coût. Les communes éprouvent des difficultés financières...
Il faut faire appliquer le droit existant, notamment en respectant les servitudes de 30 mètres prévues par le décret du 19 août 2004 et en interdisant l'attribution des permis de construire sous des lignes à très haute tension. Il faut également réfléchir à limiter à 0,25 microtesla l'exposition du public. (Applaudissements à gauche)
M. Antoine Lefèvre. - Les lignes électriques sont-elles dangereuses ? La question date des années 80, malgré l'absence de certitude scientifique. La simple poursuite d'un débat entre scientifiques induit le doute. Quelque 400 000 personnes sont exposées à des champs électro-magnétiques de 50 hertz. En 1994, un colloque organisé à l'Assemblée nationale n'a pas permis d'exclure toute incrimination de ces champs dans certaines pathologies.
La circulation du courant peut-elle induire des champs à l'intérieur de l'organisme vivant ? Un éventuel effet cancérigène est envisagé. Le Crired de Normandie conclut à une dégradation des conditions de vie des riverains, sans qu'il s'agisse nécessairement de cancers. Indéniablement, les rayonnements électro-magnétiques soulèvent des interrogations.
En 2004, des chercheurs d'Oxford avaient mis en évidence une hausse des risques de leucémie pour les enfants vivant à proximité des lignes à haute tension. Le RTE a reconnu en février 2009 que les préoccupations des riverains étaient légitimes, malgré l'absence de certitudes scientifiques. L'Afset a formulé des recommandations au nom du principe de précaution.
Selon l'Opecst, les champs électriques et magnétiques n'ont aucun effet avéré sur la santé.
L'agriculture et l'élevage constatent certaines baisses de fertilité et des cas de troubles thyroïdiens, voire de cannibalisme.
Le Tribunal de grande instance de Tulle a retenu une présomption de dangerosité de l'ouvrage électrique. Mais la cour d'appel a pris une position inverse.
L'Opecst propose des domaines de recherche précis. RTE de son côté propose de choisir quelques fermes-témoin à proximité de lignes de 400 000 volts. RTE mettra un guide de mesures à disposition des maires.
Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, un dispositif de surveillance doit être instauré. Le décret devrait paraître avant la fin de l'année. Le Parlement européen a demandé à la Commission un rapport annuel sur le niveau de rayonnement et les sources de celui-ci en Europe. Les assurances ont déjà adopté leur version du principe de précaution : elles refusent d'assurer les dommages imputés aux lignes à haute tension. Notre principe de précaution, c'est de ne pas sacrifier la santé au profit.
Vous qui êtes sensible au risque que font courir les nanotechnologies et les antennes relais, madame la ministre, nous vous faisons confiance ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. - La notion de risque majeur concernant une large proportion de la population devient envisageable en raison des progrès techniques.
A ce titre, la contribution de l'Opecst, après celle sur les radiofréquences, est empreinte de bon sens et de pragmatisme. Avec votre rapport, qui fera date, nous disposons d'une base solide de discussion, complétant le rapport de l'Anssaet et ceux des deux conseils généraux.
Les lignes à haute tension sont nécessaires au pays, mais suscitent de véritables questions. Heureusement, les zones d'ombre sont maintenant éclairées.
Il faut connaître plus précisément le nombre de personnes exposées à des champs excédant 0,4 microteslas. Le Grenelle de l'environnement autorise désormais l'accès à des mesures objectives ; les collectivités locales et les associations pourront demander une mesure à la charge de RTE. Tous les résultats seront transmis à l'Anssaet.
Je vais demander à RTE un bilan précis des établissements dits sensibles exposés à des champs importants, pour savoir par exemple combien de crèches ou d'écoles sont à moins de 100 mètres d'une ligne ou exposées à plus de 0,4 microteslas.
Parallèlement, nous devons progresser sur la recherche. Une importante étude de Supélec est en cours. Je vais en lancer une autre sur une cohorte de 20 000 enfants, qui seront suivis jusqu'à l'âge adulte.
Le risque de maladies dégénératives n'est pas avéré, mais il fait l'objet d'investigations spécifiques. Il en va de même pour l'hypersensibilité électrique dont l'origine est inconnue même si la souffrance est réelle. Un protocole de prise en charge a été élaboré par l'hôpital Cochin.
Les études épidémiologiques font apparaître une corrélation entre exposition au-delà de 0,4 microteslas et leucémies aiguës de l'enfant. Mais la relation causale reste inconnue. D'où le classement des lignes à haute tension en agents cancérigènes de catégorie 2B. Contrairement aux ondes émises par les téléphones portables, il y a une grande convergence des études sur le sujet.
Bien sûr, la recherche sur les lignes à haute tension ne doit pas relever exclusivement de RTE. L'AMR a été sollicitée, de même que l'Anssaet.
L'enfouissement des lignes est souvent présenté comme la solution, mais l'incidence sur la santé en surplomb peut être supérieure à celle d'une ligne aérienne. S'ajoute le coût, dix fois plus élevé. Enfin, il n'est pas toujours techniquement réalisable. La loi Nome organise la participation financière de RTE à l'enfouissement ; des objectifs lui ont été fixés.
Votre principale suggestion consiste à ne pas exposer davantage de personnes sensibles. Le Luxembourg, l'Allemagne et la Suisse imposent déjà un certain éloignement des bâtiments. Vous avez raison de plaider pour une recommandation, privée de valeur véritablement contraignante.
Les deux conseils généraux sont sur la même ligne. Le principe est que l'État émette une telle recommandation pour éviter l'installation de bâtiments dans les zones sensibles ; comme nous avons encore un doute sur le bon critère -les 100 mètres ou les 0,4 microteslas-, nous allons réunir un groupe de travail avec les collectivités locales concernées. Toute nouvelle ligne devra en tout cas éviter les établissements sensibles.
Vous soulignez que la nécessité de construire des lignes à haute tension doit être l'effet d'un choix collectif. Les procédures de consultation des élus et du public peuvent sans doute être simplifiées. RTE a un site internet sur le sujet. Le ministère en a créé un autre, « Ondes-info ».
Enfin, votre rapport a abordé la question de l'impact des champs magnétiques sur l'environnement -en cette année internationale de la biodiversité. Sur les animaux, on a bien identifié un problème électrique. Le rôle du GPSE va être renforcé. RTE travaille en étroit contact avec le ministère de l'agriculture et avec la profession agricole. Une association verra le jour dans les prochains mois.
J'aborde ce sujet avec beaucoup d'humilité. Il y a des zones d'ombre que l'on doit assumer avec pragmatisme, en évitant les surenchères. Je vous remercie une fois encore pour votre rapport qui va largement nous inspirer. (Applaudissements)