Crise financière européenne (Questions cribles thématiques)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la crise financière européenne. Le débat est retransmis sur la chaîne Public Sénat et le sera ce soir sur France 3. J'invite chacun à respecter son temps de parole.

M. Bernard Vera.  - La crise financière de 2007 a montré que plusieurs décennies de libéralisation avaient déréglé le secteur, multipliant les produits dérivés et les services payants, réduisant l'accès au crédit pour les plus vulnérables, accroissant le coût des services bancaires. Ce bilan est globalement négatif.

Ces vingt cinq ans sont marqués par la stagnation de l'emploi dans le secteur, le surendettement des ménages, la nation étant privée des moyens de la relance.

Depuis, grâce à un plan de sauvetage sans contrepartie, les banques ont privilégié leur redressement, sans venir en aide aux entreprises. Le plan d'aide à la Grèce a obéi à la même logique.

Même si nos établissements s'en sont peut-être moins mal sortis, quand le secteur bancaire et financier passera-t-il sous maîtrise publique ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur.  - Je vous prie d'excuser Mme Lagarde, retenue à l'Élysée.

Je pense comme vous que la dérégulation mondiale a eu des effets déplorables et que notre secteur financier a plutôt bien résisté.

Destiné à rendre du souffle au crédit, le plan de sauvetage des banques a rapporté 1,4 milliard d'euros au Trésor public. Grâce au médiateur du crédit, les entreprises ont échappé à l'asphyxie.

Pour la Grèce aussi, la France a pris l'initiative pour préserver l'euro, l'emploi et l'activité.

M. Bernard Vera.  - Vous ne m'avez pas répondu.

En mai, la Cour des comptes a estimé que l'État avait perdu 6 milliards d'euros pour ne pas avoir intégré le capital des banques, un montant estimé à 13 milliards par la commission des finances de l'Assemblée nationale.

La maîtrise publique du secteur financier est légitime ! (M. Guy Fischer applaudit)

M. François Zocchetto.  - Un test de résistance a été décidé au niveau européen : les résultats, publiés en juillet, devraient rassurer les marchés financiers. Très bien, mais les États doivent communiquer des informations sincères et crédibles.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Très bien !

M. François Zocchetto.  - La France doit réduire son déficit et sa dette mais aussi présenter des hypothèses sincères. Or les prévisions de croissance retenues -2,5 % !- sont optimistes...

M. Guy Fischer.  - Nul n'y croit.

M. François Zocchetto.  - ...et même fantaisistes.

Quand le Gouvernement va-t-il revoir ses prévisions et articuler les lois de finances avec les lois de programmation ?

M. Guy Fischer.  - Pas avant la fin de l'année.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Pour 2011, nous allons attendre comme toujours les résultats du deuxième trimestre pour fixer les prévisions de croissance. Parler de prévisions fantaisistes est très exagéré. Certains experts indépendants avancent les mêmes chiffres, ainsi Goldman Sachs.

M. Guy Fischer.  - Quelle référence !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - On a pu parler de chiffres « volontaristes, voire audacieux » mais il y a de bons signes comme la création nette d'emplois au premier trimestre, au lieu des destructions prévues. Enfin, le rebond est toujours d'autant plus puissant que la crise a été profonde.

L'articulation entre les programmes de stabilité et les lois de finances renvoie à l'exigence de meilleure gouvernance économique, posée par le conseil européen et à laquelle réfléchit le groupe de travail présidé par M. van Rompuy. Le Conseil est favorable à la présentation des propositions de stabilisation et de convergence au printemps, en accord avec les procédures budgétaires nationales, ce qui renforcera la transparence et le rôle des parlements.

Mme Nathalie Goulet.  - La transparence exige aussi une visibilité des actifs toxiques, qui sont sans doute loin d'être purgés !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Les marchés ont montré que l'euro était une monnaie orpheline, faute de gouvernance commune. Les 27 chefs d'État et de gouvernement ont défini de nouvelles orientations pour le pacte de stabilité et de croissance. Ces mesures sont bienvenues mais insuffisantes et tardives.

Quelles sanctions seront appliquées aux pays ne respectant pas le pacte ? La suspension du droit de vote ? Que préconise la France ? Le choix de l'Union à 27 au lieu de l'eurogroupe rend toute décision difficile. Le défaut de convergence ne fait que des perdants : il fragilise l'euro et condamne l'Europe à demeurer un nain politique.

Que proposez-vous pour une véritable gouvernance économique ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Vous êtes pessimiste car la France a obtenu des résultats historiques, notamment en matière de gouvernance économique.

Le Conseil a fait preuve de réactivité et de solidarité -mécanismes de stabilité financière, aide à la Grèce, préparation de positions communes avec l'Allemagne pour le prochain G20.

Les premières pistes de réforme comportent un renforcement du pacte de stabilité et de croissance, avec un semestre européen à compter de 2011, l'adoption de sanctions, y compris politiques.

A cela s'ajoutent la transparence des comptes et un tableau de bord pour suivre les écarts de compétitivité. Il faut améliorer notre convergence vis-à-vis des pays tiers. Nous sommes ambitieux et pragmatiques : le Conseil européen est l'instance décisionnaire mais les chefs d'État de la zone euro pourront aussi agir en cas de nécessité.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Je suis pessimiste ? Je vous trouve bien optimiste... Une Europe à 27 ne pourra décider à l'unanimité mieux qu'une certaine équipe de football. (Rires)

M. Philippe Marini.  - Nous venons d'évoquer des incertitudes sur la croissance, puis la gouvernance de la zone euro. J'en viens au taux de change avec le dollar.

Pour nombre de macro-économistes, la baisse de l'euro soutiendra sans doute la croissance, mais les modèles fournissent des résultats très variables. Pourriez-vous décrire l'incidence du taux de change sur les exportations et le coût des importations ? Les entreprises vont-elles améliorer leur rentabilité ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Le taux de change de l'euro par rapport au dollar est aujourd'hui encore supérieur à ce qu'il était lors de sa création. Mais il faut tenir compte aussi des autres monnaies, comme le yen. L'incidence concurrentielle est limitée, puisque nos principaux concurrents utilisent aussi l'euro, mais sa baisse sera favorable à certains secteurs comme l'aéronautique ou la pharmacie. On estime généralement que le point d'équilibre se situe à 1,20.

Le gain de compétitivité est évalué à quelques dixièmes de points en 2010.

Le repli de l'euro est en partie imputable à des tensions financières qui dépriment l'activité. Au cours du premier trimestre 2010, la baisse du cours de l'euro a globalement soutenu l'emploi.

M. Philippe Marini.  - Il faudra que la commission des finances suive cette évolution mois par mois. Il y a des références historiques mais il faut aussi se demander comment sont construits les modèles mathématiques qui donnent des résultats très divers. Selon M. Gallois, la bonne parité pour Airbus se situerait à 1,20 dollar. Nous y sommes. J'espère que cela aidera à l'exportation des fabrications de ce secteur stratégique !

Mme Nicole Bricq.  - L'Union européenne n'a ni vision, ni projet, ni stratégie, ni leardership. La stratégie de Lisbonne est morte avant d'avoir été appliquée. Les divergences entre Mme Merkel et M. Sarkozy sont patentes.

La BCE, qui a renoncé à ses dogmes, ne sait plus où elle va ; le commissaire au marché, M. Barnier, devrait formuler des propositions à l'automne tandis que la groupe van Rompuy ne s'occupe que des sanctions à appliquer. L'Union européenne sera donc très affaiblie à Toronto, lors de la réunion du G20 qui devait introduire une taxe sur les banques et une autre sur les transactions financières, dont il ne sera sans doute pas question à en juger d'après la lettre de M. Obama. Que fera le gouvernement français si rien n'est décidé à Toronto ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ?

Nous finalisons des étapes, à petits pas ambitieux, avec nos partenaires allemands, et même britanniques. Qui aurait pu rêver, il y a quelques mois, des progrès accomplis dans la zone euro en matière de gouvernance ? Nous n'avons pas de stratégie ? Nous travaillons dans la perspective 2020, avec pragmatisme, pour améliorer notre compétitivité.

La France et l'Allemagne plaideront en faveur d'un prélèvement sur les institutions financières et pour une taxe sur les flux. Les Britanniques se sont ralliés à ce projet ambitieux. Nous ne désespérons pas d'une décision au moins européenne.

Mme Nicole Bricq.  - En matière de gouvernement, ou de gouvernance, économique, ne demeurent au plan européen que deux chiffres et une date : les critères de stabilité de 3 % et 60 % en 2013.

Il n'y a même pas d'amorce d'un gouvernement économique. La France et l'Allemagne ne sont d'accord sur rien ! Le gouvernement conservateur anglais a décidé une taxe bancaire. Que fait la France ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Bizet.  - La nécessité de réformer la gouvernance économique européenne semble admise. On a envisagé de suspendre les droits de vote pour les États en infraction, mais les traités ne mentionnent que des violations graves des principes démocratiques ou des droits de l'homme. Faudra-t-il réviser les traités sur ce point précis, ce qui exigerait l'unanimité ?

Je comprends que toutes les hypothèses soient envisagées, mais sommes-nous prêts à revenir sur les traités ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - L'article 7 du traité sur l'Union européenne n'autorise pas les sanctions pour motifs budgétaires.

Le Président de la République a proposé, à Bruxelles, d'agir avec pragmatisme : dans un premier temps, les États membres pourraient conclure un accord politique à propos de ceux qui ne respectent pas le pacte. Mais si une révision du traité s'imposait, la France et l'Allemagne pourraient la proposer. Le groupe de travail décidé par M. van Rompuy formulera sans doute des propositions.

M. Jean Bizet.  - Pour faire respecter les textes, il faudra sans doute un jour revoir le traité. Mais pourquoi ne pas commencer par un simple accord ?

M. François Marc.  - La lenteur de la réaction des autorités publiques en matière de régulation financière a de quoi inquiéter puisque les déclarations n'ont guère été suivies d'effet, après trois G20 et cinq conseils.

La liste des paradis fiscaux ne signifie pas grand-chose. Qu'en est-il du projet de supervision, cher à M. Barnier ?

Pour les banques, nous attendons que M. Obama donne le la. Les journaux annoncent que le G20 s'apprête à enterrer l'idée d'une taxe bancaire. Après les déclarations sur la moralisation du capitalisme, nous attendons que les engagements se concrétisent. Nous avons vu les réactions apeurées du Gouvernement quand l'Allemagne a décidé d'interdire les ventes à découvert à nu de certains produits spéculatifs. Que ferez-vous pour accroître la régulation ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Instaurer une régulation financière mondiale est ardu ; des résistances existent : elles ne nous empêchent pas d'être volontaristes et imaginatifs.

Au niveau européen, la France a pris des initiatives variées sur les hedge fonds, les paradis fiscaux, les produits dérivés. Ne préjugeons pas de ce que le G20 décidera ; nous avons bon espoir de convaincre car la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne sont unies.

Au plan national, la France a le meilleur niveau de régulation.

M. François Marc.  - Les ministres des finances du G20 ont déjà renoncé à toute taxe. Nous déplorons cette résignation.

M. Guy Fischer.  - Ce renoncement.

M. François Marc.  - La France paraît être à la remorque de l'Allemagne, qui a interdit les ventes à découvert à nu. Notre pays tarde à agir alors qu'il devrait mener une action vigoureuse.

M. Michel Sergent.  - Un fonds de stabilisation doté de 440 milliards d'euros a été créé il y a quelques semaines. Depuis, les plans d'austérité se succèdent, pénalisant les citoyens. La stratégie 2020 se réduit à un assainissement des comptes. L'austérité est élevée au rang d'objectif politique commun alors qu'une politique de croissance s'impose.

La stratégie 2020 se contente d'énoncer des réformes structurelles subordonnées à l'assainissement. Le pacte de stabilité n'est pas une fin en soi. Il n'y aura pas de stabilité si la croissance est brisée. Il faut maintenir les politiques de soutien. C'est d'ailleurs ce que préconise M. Obama.

Quelle réponse le gouvernement français portera au président américain à Toronto ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Les ventes à découvert à nu sont interdites en France depuis septembre 2008. Nous ne sommes donc pas en retrait sur l'Allemagne.

Le chemin est étroit entre le rétablissement des finances publiques et le retour à la croissance. Le cas de la Grèce n'est pas unique : le Portugal et l'Espagne ont connu aussi une situation dangereuse ! Notre gouvernement tient à respecter ses engagements, pour ne pas alourdir le coût de la dette, ce qui briderait l'activité.

Mais les mesures prises en France préserveront l'avenir et la compétitivité.

M. Michel Sergent.  - Tentant de faire face à la crise, l'Union européenne n'a pas opté pour une solidarité accrue. Le gouvernement français non plus et de nouvelles mesures d'austérité sont déjà promises en France à l'automne, par le secrétaire général de l'Élysée.

M. Guy Fischer.  - Bien avant !

M. Michel Sergent.  - Il faudrait consolider la dette publique au sein de l'Union européenne et relancer l'investissement. Les citoyens européens n'ont pas à payer le coût de la crise ; ils ont besoin de solidarité. Paul Krugman, prix Nobel d'économie en 2008, ne dit pas autre chose en constatant qu'il n'est plus à la mode de créer des emplois mais qu'il est à la mode d'infliger de la souffrance. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La séance est suspendue à 17 h 45.

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

La séance reprend à 18 heures.