Jeux d'argent et de hasard en ligne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.

Discussion générale

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État.  - Nous examinons aujourd'hui un texte qui porte sur le sujet difficile et sensible des jeux d'argent et de hasard.

Pourquoi faut-il légiférer ? Notre législation date du XIXe siècle : elle organise le marché des jeux et elle protège l'ordre public. En somme, la tradition française autorise le jeu tout en le contrôlant. Vous connaissez ces circuits : il s'agit du pôle des casinos et de ceux des paris hippiques, confiés au PMU, et de la loterie d'État confié à la Française des Jeux. Mais cet équilibre, qui a perduré pendant plus d'un siècle, est remis en cause par la présence d'une offre de jeux en ligne qui se développe en dehors de tout cadre légal : internet a changé la donne. Chaque jour, 25 000 sites proposent des jeux dans tous les domaines : 5 % de Français jouent sur internet et le montant de leurs mises oscillent entre 3 et 4 milliards. Ce n'est donc pas la demande qui pose problème, mais bien l'offre pléthorique illégale. Les joueurs n'ont en effet plus besoin de se déplacer dans un casino, ou de se rendre à un guichet de la Française des Jeux ou du PMU : sur internet, ils peuvent parier, n'importe quand, n'importe comment et sur n'importe quoi. Cette jungle n'est plus acceptable, et le Gouvernement doit y apporter une réponse adaptée : il doit faire respecter l'État de droit et protéger nos concitoyens.

Face à cette situation, il est possible de choisir l'interdiction totale ou l'ouverture du marché des jeux la plus large possible. Ces deux attitudes conduisent à une impasse. La prohibition n'a jamais fonctionné, parce que le jeu fait partie de notre histoire. En outre, avec internet, la lutte serait perdue d'avance, comme l'est celle menée par les pays qui refusent de s'ouvrir à internet. D'ailleurs, les pays qui ont fait ce choix n'ont en rien éradiqué l'offre illégale. Ainsi, en Allemagne, depuis janvier 2008, le chiffre d'affaires des opérateurs légaux diminue car les parieurs privilégient les opérateurs illégaux. Les États-Unis ont fait également ce choix : or, le chiffre d'affaires du marché des jeux en ligne illégal a été évalué en 2007 à environ 9 milliards. On peut donc douter de cette stratégie.

Il serait, à l'inverse, irresponsable de choisir la liberté totale. L'absence de régulation conduit à des situations intenables pour les joueurs et pour leurs familles. Il suffit d'écouter les professionnels de la santé qui traitent des cas d'addiction, pour comprendre les ravages du jeu incontrôlé.

Entre ces deux solutions, il nous est apparu préférable de prévoir une ouverture maîtrisée, adaptée à la problématique de l'internet. J'entends dire que cette ouverture nous serait imposée par la Commission européenne, ou par une directive. Comme je l'ai dit en commission, nous n'ouvrons pas le marché des jeux en ligne pour faire plaisir à qui que ce soit. Nous ouvrons pour réguler un marché qui ne l'est plus. Nous ouvrons, car la tradition française est d'encadrer ce secteur, et pas de le regarder se développer sans rien faire. Nous nous inscrivons donc dans une continuité historique en adoptant notre modèle de régulation des jeux à leur évolution.

La réponse la plus adaptée consiste à assécher progressivement le marché noir des jeux en ligne, en créant une offre légale, qui obéit aux règles que vous aurez édictées, et d'y associer la lutte contre les sites illégaux, la lutte contre l'addiction et la protection des mineurs. C'est l'addition de ces outils qui permettra de lutter efficacement contre de tels sites. C'est le pari fait par l'Italie et qui commence à porter ses fruits.

Il y a urgence à rétablir l'État de droit en la matière. Il y a urgence à fixer les nouvelles règles du jeu pour les opérateurs qui souhaiteront accéder au marché français, il y a urgence à constituer des mécanismes de contrôle fixés par la loi. Chaque jour, de nombreux Français, notamment des mineurs, accèdent à ces types de jeux sans aucun contrôle. Mais, pour que ces règles s'appliquent, il faut que l'ouverture du marché réussisse, qu'elle soit suffisamment attractive pour les opérateurs qui souhaitent se conformer à la loi, sans pour autant que nos valeurs, les principes de protection de l'ordre public et de l'ordre social soient remis en cause. Nous prévoyons donc une véritable ouverture du marché des jeux en France, mais pas à n'importe quelle condition. Nous ne transigerons pas sur les risques d'addiction, de fraude et de blanchiment. Nous ferons attention aux mineurs. C'est pourquoi ce texte repose sur deux piliers indissociables : une offre de jeu sécurisée, contrôlée et régulée, et la mise en oeuvre de divers obstacles pour assécher le marché illégal.

J'en viens aux quelques points saillants du texte, sur lesquels nous avons beaucoup travaillé, notamment avec MM. François Trucy, Ambroise Dupont et Jean Arthuis.

L'ouverture sera limitée à certains types de paris : les paris sportifs, les paris hippiques et le poker. Il s'agit des jeux et des paris qui, à la fois, présentent les risques d'addiction les moins importants, et constituent l'essentiel de la demande sur internet. Ainsi, les machines à sous, avec lesquelles le risque de dépendance est très élevé, ne seront pas autorisées sur internet et demeureront sous le monopole des casinos.

Les paris sportifs seront autorisés sous la forme mutuelle, où les joueurs parient les uns contre les autres, mais aussi sous la forme du pari à cote, les joueurs pariant contre l'opérateur. Certains amendements visent à supprimer ce mode de pari. Mais il représente la quasi-totalité des paris sportifs, et ouvrir le marché sans l'autoriser serait assez vain. L'activité illégale perdurerait. Pour prévenir les risques de tricherie et de fraude, les sportifs et les dirigeants de clubs ne pourront parier sur les événements auxquels ils participent, et les paris sur des épreuves virtuelles seront interdits. Surtout, les fédérations sportives donneront leur avis sur les supports des épreuves soumis à pari.

La France, comme de nombreux pays, vit dans la tradition du pari hippique organisé sous la forme mutuelle -l'offre illégale ne concerne que ce type de paris. Nous avons donc écarté, ici, le pari à cote. Le troisième jeu autorisé sera le poker, qui connaît un succès considérable, représente les trois quarts des sommes misées sur internet et suscite moins d'addictions que les autres jeux de casino. Il était indispensable de le retenir.

Le texte définit les obligations des opérateurs et met en place les outils indispensables pour lutter contre l'activité illégale. Les opérateurs qui souhaiteront accéder au marché français des jeux en ligne devront obtenir un agrément pour cinq ans, renouvelable. Nous écartons le principe de reconnaissance mutuelle afin de décider nous-mêmes des critères d'autorisation. Nous voulons rester, si je puis dire, maîtres du jeu ! Mais il n'y aura pas de numerus clausus : tous ceux qui voudront entrer dans la légalité doivent pouvoir le faire. Plus les opérateurs légaux seront nombreux, moins les illégaux prospéreront. Nous créons une Autorité indépendante de régulation des jeux en ligne (Arjel) qui sera chargée d'attribuer les licences, de contrôler le respect des obligations et de lutter contre l'offre illégale. Les licences seront attribuées sur la base d'un cahier des charges très strict, qui reprendra les principes fixés dans la loi et dans les décrets. Les règles porteront sur la solidité financière, la moralité des opérateurs, le contrôle de l'identité des joueurs, la protection des mineurs, la traçabilité des informations de jeu, la lutte contre le blanchiment d'argent et les paradis fiscaux, la préservation de l'intégrité des compétitions. Bref, des obligations lourdes ! Les opérateurs seront tenus de communiquer en temps réel toutes les données de jeu conservées dans un dispositif technique sécurisé et localisé en France. En cas de manquement, l'agrément pourra être suspendu, voire retiré.

Contre les opérateurs illégaux, aucune disposition n'est efficace à 100 %, c'est leur combinaison qui est utile. Les opérateurs agréés -et eux seuls bien sûr- seront autorisés à faire de la publicité. Or, sur internet, l'absence de publicité est mortelle ! La publicité sera très encadrée, elle ne devra pas concerner les mineurs et sera assortie de messages de prévention. (M. Jean-Pierre Raffarin approuve) J'ai beaucoup travaillé sur ce sujet avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) qui vient de se doter d'un code de déontologie et de bonnes pratiques adapté au secteur des jeux.

Un site illégal pourra être bloqué sur injonction du juge, s'il n'obtempère pas après mise en demeure par l'Arjel. Les transactions financières entre les banques françaises des joueurs et les sites illégaux pourront être bloquées. Des cyber-patrouilleurs de la police et des douanes seront habilités à parcourir les sites illégaux et constater des infractions. Des amendes lourdes pourront être infligées. Les opérateurs illégaux aujourd'hui actifs en France ne bénéficieront pas de l'avance qu'ils auraient pu prendre : ils seront obligés de remettre à zéro leurs compteurs, ils ne pourront transférer les comptes existants sur un site agréé. Sur proposition du rapporteur Trucy, le texte prévoit des peines spécifiques, allant jusqu'au retrait de l'agrément, pour l'activité illégale d'un opérateur après l'entrée en vigueur du texte. C'est le juge qui prononcera la sanction, de sorte qu'elle soit juridiquement solide.

Le but est que les opérateurs légaux assèchent le marché illégal. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut lutter contre l'addiction, protéger les mineurs et veiller à l'éthique des compétitions. Votre rapporteur a fait adopter un amendement fondamental qui vise à créer un comité consultatif des jeux portant sur l'ensemble du secteur des jeux en France. La lutte contre la dépendance aux jeux est un défi majeur. Le texte, de l'avis des professionnels de la lutte contre l'addiction, constitue une véritable avancée en matière de prévention et de soins. Le taux de retour aux joueurs sera plafonné, à la fois pour lutter contre le blanchiment et pour limiter la dépendance. Les opérateurs devront aussi prévoir sur leurs sites des modérateurs de jeu, afin de limiter le temps de jeu, informer les joueurs sur leurs pertes réelles ou potentielles et détecter les joueurs à problèmes. Une partie des recettes sociales sera destinée au financement de la lutte contre l'addiction, à la prévention et aux soins -je vous renvoie aux amendements du président About. Le texte renforce l'éthique des compétitions sportives : désormais, les paris légaux ne pourront porter que sur des compétitions et des types de résultats déterminés de concert avec les fédérations sportives, alors qu'aujourd'hui elles n'ont pas leur mot à dire !

Grâce au droit de propriété, le texte instaure des liens privilégiés entre le monde du sport et les opérateurs de paris ; les opérateurs illégaux seront marginalisés au profit d'opérateurs agréés, qui auront tout intérêt à lutter contre les épreuves ou les pratiques à risques, susceptibles de nuire à leur réputation. Le texte protège les joueurs français, qui prennent aujourd'hui des paris sur des sites appartenant à des réseaux mafieux, où ils peuvent être victimes d'escroqueries. Le texte tend également à empêcher l'accès des mineurs aux sites de jeux.

Enfin, cette ouverture exige une fiscalité à la fois compétitive et de nature à préserver les intérêts financiers de l'État. Deux impératifs difficiles à concilier... Les taux doivent être les mêmes par catégorie de jeux ou de paris, sur internet et dans le réseau physique, le PMU chez les buralistes ou le réseau de la Française des Jeux. Nous avons donc fixé le point d'équilibre à 7,5 % des mises pour les paris sportifs et hippiques et à 2 % des mises pour le poker, avec un plafond de 1 euro par donne. A ce niveau, nous préservons les recettes de l'État, la baisse des taux étant compensée par l'élargissement de l'assiette. J'attire votre attention sur le fait qu'il serait très dangereux pour le budget de l'État de modifier cet équilibre finement pesé.

Le projet de loi prévoit en outre un retour financier vers le monde du sport -sport professionnel mais aussi sport amateur et de haut niveau, par l'intermédiaire d'un prélèvement sur les paris sportifs, affecté au Centre national pour le développement du sport (CNDS).

Le Centre conservera naturellement le prélèvement de 1,8 % sur la loterie et le grattage, qui lui rapporte 163 millions d'euros par an. S'ajoutera un prélèvement de 1,3 % en 2010 -porté à 1,5 % en 2011, puis à 1,8 % en 2012- sur le jeu en ligne, sans aucun plafond.

J'en viens aux paris hippiques. Les opérateurs devront continuer à financer la filière équine, qui emploie 60 000 personnes et joue un rôle considérable dans l'aménagement du territoire. Ainsi, les sociétés mères de course se voient investies d'une mission de service public, financée par une taxe sur les paris hippiques en ligne, avec un taux compris entre 7,5 % et 9 %. Actuellement, les paris illégaux se multiplient, sans aucun retour financier pour les sociétés de courses.

Mais je ne serai pas complet si je n'ajoutais pas que le patrimoine...

M. Albéric de Montgolfier.  - Très bien !

M. Éric Woerth, ministre.  - ...bénéficiera d'une partie des recettes fiscales sur le poker en ligne, ce qui procurera jusqu'à 10 millions d'euros au Centre des monuments nationaux.

Je conclurai avec les délais : notre calendrier est tendu, mais réaliste. Le Gouvernement souhaite qu'une offre légale et compétitive puisse prospérer au détriment de l'offre illégale. Certains ont envisagé des autorisations temporaires, un danger majeur que je ne saurais accepter, car ces dispositions mettent en oeuvre un principe que ce texte contredit expressément : la reconnaissance mutuelle au sein de la Communauté européenne. Autoriser des opérateurs à intervenir sans pouvoir contrôler leur activité serait contraire à notre intention. Comment expliquera-t-on demain aux victimes de l'addiction que des sites ont été autorisés sans que les conditions d'agrément aient été respectées ?

Il n'y a qu'une façon d'ouvrir ce marché : adopter les règles strictes de ce texte, que vous avez enrichi au moyen d'amendements dont la plupart seront acceptés par le Gouvernement. (Applaudissements à droite et au centre)

M. François Trucy, rapporteur de la commission des finances.  - Ce projet de loi traite d'une ouverture du marché aux jeux en ligne, mais il règle aussi de nombreuses questions intéressant depuis longtemps tous les jeux de hasard. Il est important parce qu'il porte sur une activité à part.

Je voudrais en premier lieu faire comme les étudiants respectueux que nous étions au moment de défendre notre thèse : remercier nos maîtres. Je remercie donc M. Alain Lambert pour m'avoir précipité, il y a dix ans, dans cette curieuse marmite des jeux ; je remercie mon président, M. Jean Arthuis, pour son soutien précieux ; je n'oublie pas notre rapporteur général, M. Marini, qui me surveille avec attention lorsque je m'approche trop des champs de course et des intérêts de la sacro-sainte filière équine.

Plus d'un Français sur deux joue à un jeu de hasard ou d'argent. Tout suggère que cette tendance s'accentuera, avec une offre toujours plus pressante. Mesurez les désastres sociaux et personnels provoqués par l'addiction au jeu des individus pour qui un divertissement s'est mué en passion destructrice !

La prohibition n'étant jamais la solution, l'État doit réguler ce marché, mais aussi organiser une prévention efficace et secourir les accidentés du jeu.

Le texte s'attaque à ces problèmes sociaux avec la détermination qu'il emploie à réguler le marché. Les jeux, paris et poker en ligne constituent une véritable révolution pour ce monde, réglementé jusqu'ici au point de ressembler à un monopole. Jusqu'ici, l'État, quelle que soit sa tendance politique, a maintenu l'ordre public en ce domaine, mais a failli à ses missions de santé publique, sujet sensible où nous sommes consternés par l'absence quasi totale de recherche. La prise en compte officielle de l'addiction au jeu est trop molle. Les spécialistes de cette addiction sans drogue ne sont guère soutenus. Il vous appartiendra de juger si cette loi peut changer les choses en ce domaine, ce que votre rapporteur pense.

Ne faisons pas au Gouvernement le mauvais procès de croire qu'il présente cette loi pour avoir croisé le fer pendant des années avec la Commission européenne, qui voulait ouvrir à double battant le marché des jeux, car les difficultés qu'a rencontrées le Gouvernement en voulant convaincre la Commission qu'il fallait protéger l'ordre public et des filières économiques vitales ne sont pas ce qui motive la présentation de ce texte. Sa lecture scrupuleuse permet de constater qu'il traite l'ensemble des problèmes en cours.

Ainsi, le marché illégal des jeux en ligne s'est installé parce que les autorités bruxelloises ont mis en place les règlements permettant de faire observer sur internet les principes de santé publique et de sécurité auxquels tous les États membres sont attachés.

Le projet de loi propose d'organiser ce marché en agréant certains opérateurs via l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), une autorité indépendante qui établira un cahier des charges exigeant, à même d'apaiser toutes vos craintes, qu'il s'agisse des mineurs, de la publicité ou de la lutte contre l'addiction. Sur les sites, des modérateurs de jeu interviendront et un numéro spécifique aidera les joueurs en détresse.

Les opérateurs agréés seront contrôlés en continu. Il en ira de même pour les poursuites contre les opérateurs illégaux.

Ce projet de loi tend à préserver les ressources de l'État, tout comme celles de la filière hippique. Celle-ci est habituée depuis toujours à recevoir du PMU des sommes considérables qui font vivre les sociétés hippiques et les 70 000 emplois directs -90 000 avec les emplois indirects- de cet important secteur économique. La loi conforte aussi les ressources drainées vers le sport amateur et le CNDS. Les sports professionnels bénéficieront d'un droit au pari sportif, que les organisateurs et opérateurs sportifs négocieront sous le contrôle de l'Arjel. Bien sûr, il existe d'autres bénéficiaires des prélèvements sur les jeux. Chacun d'entre eux a son intérêt pour la société et défend âprement ses intérêts.

L'examen des articles fiscaux sera complexe, car telle est la règle du genre, mais ces dispositions nous réservent d'autres difficultés, tout d'abord en raison d'amendements anodins en apparence mais qui peuvent déséquilibrer le dispositif ou conduire à des distorsions de concurrence condamnant cette loi à l'échec.

Vous allez vous prononcer sur un texte difficile, mais réaliste face aux turbulences d'un marché illégal désastreux ! Je ne dis pas comme Cocteau « puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur » ; l'État doit adopter une stratégie de raison et de rigueur.

Mais ce texte est aussi très humain, car il se préoccupe enfin des mineurs et des personnes fragiles. C'est la première fois que l'on aborde officiellement l'addiction et le sort de ces victimes !

J'ai gardé pour la fin une raison supplémentaire qui incite la commission des finances à soutenir ce projet de loi. Monsieur le ministre, vous avez accepté de créer le Comité consultatif des jeux, que nous réclamions avec insistance depuis longtemps. Ainsi, sept ministères en charge du jeu, des parlementaires et des maires pourront travailler ensemble. Le Parlement ne sera plus le croupion du jeu !

L'Observatoire des jeux rassemblera les nombreuses personnes qualifiées indispensables pour lancer des études et conseiller utilement l'État. Quelle avancée ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - Balzac ouvre La peau de chagrin en invoquant la « loi qui protège une passion essentiellement imposable », celle du jeu. Confirmant cette opinion, le présent texte autorise le jeu pour mieux taxer. Mais j'irai plus loin : en ce domaine, la taxation permet de moraliser, en limitant ses effets néfastes, une activité qui dépasse trop souvent le simple divertissement.

Chacun connaît les risques sanitaires et sociaux inhérents aux jeux de hasard et d'argent. Rembourser des dettes de jeux contractées en quelques jours peut prendre des années, avec des conséquences personnelles graves. Le jeu peut aussi devenir une passion pathologique justifiant une prise en charge médicale.

Pourtant, un obstacle considérable gêne l'approche sanitaire et sociale en ce domaine : bien que les premiers diagnostics cliniques de manie ou d'addiction, d'assuétude, remontent au XIXe siècle, on ignore encore le nombre de personnes touchées en France par le jeu excessif. Après les deux rapports d'information que notre collègue, M. Trucy, a consacrés aux jeux d'argent en France, qui dénonçaient notamment ce manque de connaissance, une expertise a été demandée à l'Inserm par M. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé. Bien qu'elle constitue un outil fondamental pour comprendre les enjeux sanitaires, l'étude rendue en juillet 2008 n'apporte aucune connaissance épidémiologique. L'Observatoire français des drogues et toxicomanies a été saisi, mais ne devrait répondre qu'en 2011. En dehors de ce que nous apportent des associations comme SOS-joueurs, nous ignorons donc si le phénomène augmente ou s'il touche certaines catégories spécifiques de la population.

On peut estimer qu'un 1 % de la population est concerné par le jeu pathologique. Nous devons donc faire preuve d'une particulière prudence en abordant ce projet de loi. Il ne faut pas croire que les jeux en ligne suscitent des difficultés sanitaires ou sociales distinctes de celles que nous connaissons avec les jeux légaux existants.

A propos des enjeux sociaux, je souligne que la Française des Jeux et le PMU seront aussi opérateurs en ligne.

Ainsi, le PMU a annoncé son intention de se lancer dans le pari sportif.

Cette évolution va bouleverser la répartition qui existe depuis 1933 : actuellement, les produits des jeux « publics », accessibles aux revenus modestes, financent des projets publics, ce qui justifie le monopole d'État, tandis que le jeu « privé », organisé dans des casinos, s'adressant à un public supposé fortuné, peut être une simple activité commerciale. Avec l'ouverture du jeu sur internet, les opérateurs privés peuvent désormais atteindre la masse des joueurs à faibles revenus. Il est illusoire d'espérer interdire leur implantation ; on peut au mieux essayer de les réguler.

L'exemple américain laisse penser que le poids économique des jeux en ligne atteindra très rapidement celui des jeux actuels, et que leur modèle s'imposera. Or les jeux en ligne sont, pour l'essentiel, des jeux d'émotion, procurant des sensations fortes. Ce sont les plus addictifs, donc particulièrement dangereux pour la santé mentale.

Face à ce danger, le projet de loi prévoit les interdictions classiques -interdiction du jeu des mineurs, du jeu à crédit, des personnes signalées, possibilité de s'auto-interdire- et impose des obligations aux opérateurs en matière de « jeu responsable ». Ces pratiques se sont jusqu'ici développées de manière empirique, avec le Comité consultatif pour la mise en oeuvre de la politique d'encadrement des jeux et du jeu responsable (Cojer), créé en 1996, et, au PMU, une politique de prévention du jeu dit problématique. Il existe aussi des pratiques plus contestables, qui risquent surtout de servir d'alibi...

Le projet de loi oblige chaque opérateur à ouvrir pour chaque client un compte faisant apparaître les gains et pertes cumulés, accompagné de dispositifs de détection du jeu pathologique, messages d'alerte et accès à des services de conseil. En l'absence de critères d'évaluation, la prudence est toutefois de mise...

Le texte de la commission des finances apporte des précisions bienvenues. Le futur Comité consultatif des jeux, dont les compétences s'étendront à l'ensemble des jeux et auquel le Cojer sera intégré, prendra en compte les problématiques sociales et sanitaires. Il se verra notamment confier le contrôle des dispositifs de prévention mis en place par les opérateurs. Le dispositif de l'Assemblée nationale en matière de protection des personnes fragiles a également été précisé. La commission des affaires sociales a toutefois voulu aller plus loin : je défendrai des amendements qui augmentent les freins institutionnels à la pulsion de jouer. Depuis que les fumeurs doivent sortir du casino pour fumer, le chiffre d'affaires des établissements a chuté de 30 % : rompre l'emprise du jeu, ne serait-ce qu'un moment, suffit souvent à revenir à la raison.

Si certaines des mesures que je vous propose paraissent lourdes à mettre en place, elles sont proportionnées au bouleversement qu'entraîne ce projet de loi. Les jeux de hasard et d'argent ne sont pas des loisirs comme les autres ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis de la commission de la culture.  - Ce projet de loi nourrit des incertitudes et suscite une certaine inquiétude. Fallait-il légiférer ? Oui : on ne peut ignorer les possibilités et les risques d'internet. Fallait-il légiférer maintenant ? Le calendrier sportif l'impose. Mais nous jouons un jeu dangereux : un grain de sable suffirait à perturber l'horlogerie législative et réglementaire et à mettre en péril toute régulation crédible. L'Assemblée nationale et notre rapporteur ont fait un travail très approfondi, et je remercie M. Trucy de l'attention qu'il a portée à nos amendements.

La commission de la culture s'est penchée sur deux aspects : l'éthique du sport et les conséquences de la fin du monopole du PMU sur la filière équine. Cette dernière représente près de 90 000 emplois répartis sur l'ensemble du territoire. Nous proposerons de réduire la taxation des paris hippiques, afin qu'ils restent concurrentiels par rapport aux paris sportifs. Le différentiel de prélèvement, lié à l'importance de la redevance en faveur de la filière équine, se répercutera en effet sur les taux de retour au joueur...

Par ailleurs, la commission de la culture souhaite renforcer les moyens consacrés à la lutte contre le dopage.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Très bien !

M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis.  - Toutefois, lors du projet de loi de finances, le Sénat, tenant compte des difficultés du sport professionnel, avait supprimé un article affectant à l'Agence de lutte contre le dopage la contribution sur la cession des droits de diffusion de manifestations ou de compétitions sportives. Un prélèvement sur les mises des paris sportifs, à hauteur de 0,3 % et dans la limite de 4 millions, serait une excellente solution.

Enfin, la commission de la culture propose de renforcer l'indépendance et les pouvoirs de l'Autorité de régulation. L'octroi de la personnalité morale assoirait sa crédibilité vis-à-vis des opérateurs. Sous réserve de l'adoption de ses amendements, elle rendra donc un avis favorable à l'adoption du projet de loi. (Applaudissements à droite)

M. Bernard Vera.  - Les Français ne sont pas de gros joueurs : la moyenne des enjeux en France est inférieure à celle de l'Union européenne, et plus encore de la Grande-Bretagne, où l'on parie sur tout. Le jeu est une activité fort réglementée, avec, d'une part, un régime de droits exclusifs pour les courses hippiques, loteries et paris sportifs, et, d'autre part, un régime d'interdiction, avec des dérogations, pour les jeux de hasard avec mise en numéraire.

Le système de financement des courses hippiques par le PMU a permis le maintien d'une riche filière équine, qui fait de la France la référence en matière de préservation des races chevalines. Sans lui, nous aurions sans doute abandonné l'élevage de certaines races de trait et la plupart des hippodromes de province auraient fermé.

Or, nous avons autant d'hippodromes en France que dans l'ensemble des autres pays de l'Union et chacun de ces champs de courses est à l'origine d'une micro-filière économique dans son environnement immédiat. La force du PMU, c'est donc d'être un système mutualiste où l'on a proscrit le pari à cote fixe -où le joueur joue contre l'organisateur-, et un système désintéressé, puisque le PMU est un groupement d'intérêt économique associant l'ensemble des sociétés d'élevage, sans autre but lucratif que de dégager les moyens de préserver et développer la race chevaline.

Au chapitre des loteries, nous sommes dotés depuis une bonne trentaine d'années de la Française des Jeux qui, en s'appuyant sur la Loterie nationale, a développé, depuis, le Loto et, surtout, une grande quantité de jeux de loterie instantanée. Pour ne pas oublier un segment de clientèle potentielle, elle a aussi créé le Loto sportif, à base de paris sur des compétitions sportives et qui constitue la seule exception de paris à cote.

La clientèle du PMU et de la Française des Jeux est fort différente d'un support à l'autre. Et le Loto sportif intéresse une clientèle plus jeune que nombre d'autres supports proposés par le monopole public. Une loi encadrant ou prétendant encadrer le jeu virtuel vise notamment à repérer et fidéliser la clientèle ayant accès à internet.

Enfin, les jeux de hasard sont interdits en France sauf, par dérogation, dans les casinos des villes touristiques et thermales, cette dérogation ayant été étendue aux agglomérations de plus de 500 000 habitants, moyennant la mise en oeuvre d'un projet culturel associé. Les casinos français, nettement plus nombreux que les établissements équivalents dans nombre d'autres pays voisins, ont connu un surcroît d'activité avec l'autorisation d'exploiter des machines à sous et font l'objet d'une véritable lutte d'influence entre quelques groupes, de moins en moins nombreux, qui se partagent le marché. Nous comptons en effet 197 établissements, dont une cinquantaine dans l'orbite du groupe Partouche, 36 dans le groupe Barrière, 16 dans le groupe Tranchant, 21 dans le groupe franco-canadien Joa et 8 dans le groupe Émeraude. Derrière ces cinq principaux exploitants, restent quelques groupes de taille moyenne et quelques indépendants, gérant le plus souvent un seul établissement.

Les casinos français constituent une source non négligeable de revenus pour les collectivités territoriales où ils sont implantés, puisque les recettes tirées du produit brut des jeux dépassent les 300 millions d'euros pour les communes d'accueil. Somme qu'il convient de rapprocher des 916 millions de prélèvements fiscaux et des 250 millions de prélèvements sociaux. Les casinos, acteurs économiques incontournables des villes où ils sont implantés, y sont souvent l'un des principaux employeurs.

Dans notre pays, l'univers du jeu, particulièrement réglementé, ne souffre que de quelques dérogations, notamment pour des lotos dans le cadre d'activités touristiques locales, tout en constituant une filière économique entière, faisant travailler plus de 100 000 personnes. Cette réalité économique, maintes fois soulignée dans vos travaux antérieurs, monsieur le rapporteur, s'appuie notamment sur une forte filière « cheval », constituant 5 % des emplois dans l'agriculture et sur un réseau des casinos, qui emploient directement plus de 20 000 personnes.

C'est cet équilibre, produit d'une législation mesurée, fondée sur l'interdiction et l'exclusivité, qui est aujourd'hui mise en cause avec l'ouverture à la concurrence du marché des jeux de hasard. Il avait pourtant jusqu'ici évité à notre pays les matchs truqués qui ont perverti le football européen.

Les jeux sont l'objet de prélèvements fiscaux et sociaux : la Loterie nationale a rapidement été le support de prélèvements au profit d'oeuvres caritatives tandis que des prélèvements étaient opérés sur le PMU en faveur de l'aménagement rural ou encore des haras. Le PMU a ainsi financé l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, tandis qu'il est soumis, depuis 1976, à l'instar des jeux gérés par la Française des Jeux, à un prélèvement au profit du Centre national de développement du sport. Enfin, depuis sa création, les gains des joueurs, au PMU comme à la Française des Jeux, sont directement assujettis à la contribution sociale généralisée. Cette manne financière, dont la gestion est d'autant plus aisée qu'elle est gérée par deux entités disposant de l'exclusivité, est directement menacée par l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne.

Nous avons, d'un côté, les partisans d'une ouverture réelle, conforme à l'esprit des textes européens, notamment du sacro-saint principe de concurrence libre et non faussée, qui rendrait possible ce qui est aujourd'hui interdit, moyennant une fiscalité adaptée, c'est-à-dire allégée. Nous en avons largement la trace dans le texte et c'est ce choix que semble avoir fait le Gouvernement, d'ores et déjà à la recherche -déficits publics obligent- de tout ce qui lui permettrait à la fois de diminuer les dépenses publiques et de trouver de nouvelles ressources fiscales, tout en continuant de tenir le discours, usé jusqu'à la corde, de la non-augmentation des impôts.

Et il y a, de l'autre côté, des gens qui ne souhaitent aucunement l'extension du casino national, et la mise en oeuvre d'une concurrence dangereuse pour l'ordre et la tranquillité publics, source d'addiction et d'illusions. Le succès des machines à sous, élément clé du chiffre d'affaires des casinos aujourd'hui, et celui des loteries instantanées, comme le Rapido, montrent que l'addiction intervient rapidement avec la sollicitation du joueur.

Ce risque, l'ont-ils mesuré, ceux qui veulent autoriser les jeux de hasard et d'argent en ligne pour éviter leur développement illégal ? C'est là d'ailleurs l'un des aspects pervers de ce texte : nombre des procédures de jeu qui y sont expressément décrites, nombre des critères d'encadrement qu'il prétend mettre en oeuvre vont rendre légal ce qui est aujourd'hui à la fois illégal et envahissant dans les boîtes aux lettres électroniques. Et plutôt que d'appliquer les textes de loi existants pour poursuivre les contrevenants, que fait-on? On donne un vernis de légalité à l'ensemble, on pose quelques règles minimales et on autorise quelques entités financières, déjà fortement présentes dans le circuit des jeux « en dur », à s'imposer plus encore. La promotion du jeu responsable, la protection de l'éthique sportive, tout cela passe au second plan. Le projet de loi se contente d'encadrer la concurrence, puisque les opérateurs pourront proposer des jeux, dans la limite du respect de l'ordre public et social. Pourtant, c'est justement en fonction de cet ordre public et social que notre pays a privilégié le monopole et non la concurrence, comme c'est d'ailleurs le cas chez nombre de nos voisins européens pour les jeux « en dur ». La Cour de justice des communautés européennes elle-même considère que le monopole public doit être privilégié pour lutter contre la corruption et la fraude. Chacun s'accorde, y compris la commission des affaires sociales, sur les dangers sanitaires et sociaux -addiction et surendettement- que comportent déjà les jeux et paris en ligne et sur les risques supplémentaires que fera naître l'ouverture à la concurrence. Si l'on y ajoute la corruption dans le sport et les courses, le trucage des matchs, le blanchiment d'argent, force est de constater que l'État ne peut se priver du contrôle des acteurs historiques du secteur. Les risques pour la santé et l'ordre publics ne devraient laisser personne indifférent, à commencer par l'État lui-même. Pourquoi ce qui a permis les paris clandestins avant même que n'existe l'internet ne serait plus possible maintenant que les transactions et les échanges sont facilités par l'électronique ?

Tout cela renforce notre opposition à toute autorisation de la publicité en faveur d'un opérateur de jeux ou de paris agréé. L'addiction au jeu peut être considérée comme une pathologie que le développement des jeux en ligne, comme le relève la commission des affaires sociales, tend à aggraver. Comment autoriser la publicité pour les jeux en ligne alors que la publicité a précisément pour fonction d'inciter à consommer ?

Nous ne pouvons pas plus accepter la généralisation des paris à cote. Le bookmaker a intérêt à voir perdre le joueur et, dans tous les cas, garde une marge sur les gains du joueur. La cote fixe augmente les profits et est source de tous les trucages, puisque les gains potentiels sont souvent plus attrayants que dans les paris mutuels. Le pari à cote fixe se résume trop souvent, comme on le voit outre-Manche, à de la fraude, de la corruption et des paris truqués. Dans 46 États des États-Unis, le pays le plus libéral, ce genre de pari est interdit, de même qu'au Japon. En Europe, le Totocalccio est un jeu mutualiste ainsi que La Quiniela, grand jeu espagnol sur le football. Les Pays-Bas ont également pris la sage décision d'interdire le pari à cote fixe. La France, si elle l'autorisait aujourd'hui, deviendrait un paradis pour les mafias et les opérateurs sans scrupules, et les citoyens les plus vulnérables feraient les frais de cette ouverture à la concurrence. Le législateur a le devoir, en raison des risques que la libéralisation fait courir à notre société en termes de santé publique, d'ordre public et de protection des mineurs, d'organiser par la loi, non pas l'ouverture régulée à la concurrence, mais la maîtrise publique de ce secteur. Nous ne suivrons donc pas le Gouvernement et le rapporteur de la commission des finances et nous voterons contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. François Marc.  - Rien n'obligeait à légiférer sur ce sujet aujourd'hui, en tout cas pas l'Union européenne. D'ailleurs aucune étude d'impact digne de ce nom n'a véritablement été menée à ce jour. On peut craindre que, sous couvert de légalisation des jeux en ligne, ce texte, s'il est adopté en l'état, ait de redoutables effets pervers : généraliser une « morale de casino » dans notre pays ; ouvrir les vannes à une déferlante publicitaire particulièrement nocive pour les jeunes ; multiplier les addictions au jeu ; et, en définitive, à faire émerger une France de « perdants » puisque 98 % des joueurs sont des perdants... Après le slogan « Travailler plus pour gagner plus », on pourrait, si le sujet n'était si sérieux, évoquer le très inquiétant slogan : « Jouer plus pour perdre plus ».

L'Italie a précédé la France dans une libéralisation contrôlée. Or beaucoup parlent aujourd'hui d'échec à son propos. Il est encore temps pour nous de surseoir à l'adoption d'un tel projet de loi.

Dans le passé, l'attitude des pouvoirs publics français vis-à-vis des jeux a toujours été limitative, selon le triptyque prohibition-exceptions-exclusivité. Dans notre pays, le jeu n'est autorisé que par exception ; il est organisé dans le cadre de la Française des Jeux, du PMU et des casinos, avec autorisation du ministère de l'intérieur, avis de la Commission supérieure des jeux et protection de la police des jeux. Plusieurs tentatives de libéralisation ont été engagées ; elles ont toutes entraîné des troubles pour l'ordre public et une accentuation des addictions, si bien que l'on est revenu vers la loi restrictive de 1836.

Ce projet de loi prétend maintenir le principe de l'interdit sauf exception mais, en ouvrant vers le jeu de masse, il marquera la fin d'une longue tradition de restriction de l'offre de jeux d'argent. Ceux-ci ne sont pas des produits comme les autres, ils ne représentent pas une activité commerciale inoffensive. La France, nous dit-on, serait avec ce texte l'élève docile de l'Union européenne, elle respecterait le principe de la libre prestation des services et lutterait contre la prolifération des sites illégaux.

La réalité européenne est multiforme : vingt États autorisent les jeux en ligne, contre sept qui les interdisent ; treize États ont un marché des jeux en ligne libéralisé, six un monopole public, un a agréé un monopole privé. Autant dire que le droit communautaire abandonne aux États la fixation des règles. La Cour de justice européenne l'a répété à l'occasion de l'arrêt Santa Casa. La France peut donc soit interdire les jeux et paris en ligne, soit en conférer le monopole à une entité, soit retenir un nombre restreint d'opérateurs, soit encore libérer totalement ce marché. Avec ce texte, la France choisit clairement cette dernière possibilité.

Les arguments invoqués pour cette libéralisation ne sont guère convaincants. On va donner aux plus faibles, aux plus démunis, aux plus surendettés le droit de jouer toujours plus pour perdre toujours plus. (Murmures flatteurs sur les bancs socialistes) Un sondage de décembre dernier montre que, si 40 % des membres des catégories socioprofessionnelles supérieures déclarent jouer à des jeux d'argent, la proportion atteint 62 % chez les ménages modestes. Le hasard et le gain potentiel assorti symbolisent alors une forme de possible vers un quotidien meilleur. Le moral des Français reste faible, cela explique le succès des jeux d'argent auprès des personnes à revenus faibles et majoritairement inactives. La loi n'a pas à suivre ces personnes vulnérables, ni même à les accompagner ; son rôle est de réduire les risques sociaux en limitant la possibilité de perte.

Ce texte vise surtout à servir au plus vite les intérêts des nouveaux opérateurs, afin qu'ils touchent la manne publicitaire de la prochaine Coupe du monde de football. Voilà l'une des obsessions du gouvernement. Il y a des centaines de millions à gagner pour les opérateurs qui attendent impatiemment que le fromage tombe ! Depuis l'annonce de la libéralisation du marché, partenariats, accords et rachats se multiplient dans ce nouvel Eldorado.

L'ouverture à la concurrence des jeux en ligne pose la question de l'ordre public. Les nouveaux opérateurs européens affichent leur honorabilité mais les scandales ont été nombreux en Italie et au Royaume-Uni. Le Gouvernement est-il armé pour mener sérieusement les négociations liées à l'attribution des licences ? Rien n'est moins sûr. Loin de moraliser le capitalisme, vous proposez une économie de casino à mille lieues des soucis de « la France qui se lève tôt ». Un an après le naufrage de la finance spéculative, vous encouragez une économie spéculative qui met en avant les revenus du hasard au détriment des revenus du travail.

Mme Nicole Bricq.  - Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Cela, c'est vrai.

M. François Marc.  - Ce texte met en danger les circuits traditionnels de financement des filières hippiques et sportives. En développant des paris sportifs en ligne, le PMU ne sera plus simplement organisateur de paris hippiques ; les parieurs se concentreront sur les courses les plus médiatisées et les plus rentables, au détriment des 70 000 emplois dans les 250 petits hippodromes et les petites sociétés de courses qui font vivre notre territoire. En Italie, la baisse catastrophique des ressources a mis en péril la filière hippique.

L'ouverture du marché du jeu va entraîner une augmentation de l'offre. La mise en place d'une autorité administrative de régulation, l'Arjel, et la limitation du nombre de licences octroyées auront sans doute un effet limitant. La porte sera pourtant entr'ouverte, avec la légalisation de l'offre aujourd'hui illégale. On évoque une curieuse remise à zéro des compteurs, une amnistie... Le principal changement résidera dans l'envol d'un marché légitimé par la loi et alimenté par une publicité de masse. On évoque un montant de plus de 200 millions d'euros...

Le jeu en ligne crée une dépendance qu'aggravent la disponibilité permanente de l'offre à domicile et la possible répétition des mises. Comparable à la drogue chimique, le jeu en ligne cause un syndrome d'assuétude complet : accélération des mises, addiction à l'écran, augmentation des montants, perturbations personnelles et familiales, syndrome de sevrage en cas de privation. Cette addiction s'ajoute aux autres : 50 % des joueurs sont des buveurs excessifs et 60 % des tabagiques affirmés.

Ce texte est aussi dangereux pour l'équilibre financier de l'État. En l'absence de toute étude d'impact, le Gouvernement espère 5,5 milliards de recettes fiscales. Comme il diminue les taux, il compte sur une augmentation sensible des volumes. L'État aura tout intérêt à un développement accéléré des jeux.

M. Éric Woerth, ministre.  - Les volumes existent, ils sont dans l'illégalité.

M. François Marc.  - Du point de vue de la confusion des intérêts, le texte pose aussi problème. Les mêmes pourront avoir des droits exclusifs de diffusion, organiser de la publicité pour des opérateurs dont ils sont propriétaires ou parties prenantes, le tout à l'occasion de manifestations sportives pour lesquelles ils auraient obtenu des droits exclusifs en matière de paris. Pourquoi prendre de tels risques ? La jurisprudence européenne n'interdit pas la mise en place d'un monopole d'État. La Française des Jeux pourrait réguler le marché et freiner l'offre de jeu. Jusqu'à présent, l'État n'a pas joué son rôle de tutelle. Il a laissé la Française des Jeux et le PMU mener des politiques commerciales contraires à la santé publique. Il serait possible de restaurer cette tutelle défaillante et ainsi d'encadrer le volume et la nature de l'offre de jeux.

En ouvrant à la concurrence un domaine qui avait toujours été soumis au contrôle d'un monopole public, ce texte engage une transformation profonde de notre société et rompt avec la tradition républicaine. Sous la pression des différents opérateurs, on ira vers une dérégulation, un amoindrissement des protections, préjudiciable en premier lieu pour les petits parieurs et les plus faibles. L'État doit être le garant de la protection des citoyens. Dans le contexte actuel de crise financière, sociale, économique, on attend des arbitrages politiques qu'ils visent à favoriser l'intérêt général. Ce n'est pas ce que fait ce texte. Nous nous y opposerons. (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin.  - Depuis plusieurs années maintenant, notre pays doit faire face à une importante offre illégale de jeux d'argent et de hasard sur internet. On dénombre ainsi près de 25 000 sites illégaux de jeux. Ce n'est évidemment plus admissible.

Les joueurs-consommateurs jouent sur des sites n'offrant aucune garantie et présentant des risques avérés de tricherie. Les opérateurs illégaux profitent de la situation au détriment de l'État, bien sûr, mais également des organisateurs de compétitions sportives.

Les jeux d'argent peuvent être dangereux. Ils présentent un risque important d'addiction et servent à blanchir l'argent sale. Mais le jeu existe et nul ici ne le condamne en tant que tel. Il est un divertissement. Ce qui le rend bon ou mauvais, c'est l'usage qui en est fait, et qui dépend de la loi. Tel est donc l'objet de notre discussion.

On évalue à 3 % de nos compatriotes le nombre des joueurs pathologiques ou problématiques. Les mesures de « jeu responsable » mises en place par les opérateurs eux-mêmes sans zèle excessif n'ont pas montré leur efficacité. Ce n'est qu'un droit pour les joueurs de jouer toujours plus pour perdre toujours plus, mais dans un cadre légal ! Reste donc à tenter de canaliser la demande des joueurs vers des prestataires licenciés et responsables, sous le contrôle de l'État. Celui-ci sera confronté à une augmentation légalisée de l'addiction aux jeux comme illusion collective d'améliorer son pouvoir d'achat, ainsi qu'à un renforcement des sites illégaux du fait de la non-compétitivité fiscale du système proposé.

D'autre part, un renforcement des sites illégaux du fait de l'inefficacité du dispositif fiscal retenu. Mieux vaudrait imposer, comme le propose mon groupe, le produit brut des jeux, qui correspond au chiffre d'affaires effectif des opérateurs, de 25 %. Ce mode de taxation, outre sa neutralité par rapport à la forme et au type de jeu, présente l'avantage de mieux lutter contre le marché noir. L'enjeu est, en effet, de mettre fin à l'offre illégale, soit en la réprimant soit en la régulant via les opérateurs nationaux existants. Les exploitants de casinos doivent bénéficier du développement des jeux en ligne, notamment du poker, dont ils pourraient devenir légitimement des prestataires. La fiscalité d'État sur les jeux est légitime, il faut de toute urgence mettre fin à la fraude, réguler. Depuis plus de dix ans, de nombreux parlementaires agissent pour qu'internet ne soit pas un espace de non-droit au prétexte qu'il est un réseau mondial. En s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice européenne, ce texte doit conforter le modèle français d'organisation des jeux et des paris.

A considérer l'article 52 qui reconnaît aux fédérations sportives un droit de propriété en matière de paris, la volonté affichée du Gouvernement de contrôler l'activité illégale cache une inquiétante propension à sous-estimer les méfaits d'une déréglementation excessive. Refusons ce mélange de genre entre sportifs et opérateurs qui augmenterait la tentation du dopage et de la corruption pour truquer les résultats ! D'autant que la mesure ne profiterait, de surcroît, qu'aux équipes sportives les plus puissantes. N'instillons pas le doute sur la sincérité des compétitions sportives ! Cela serait dangereux pour les valeurs et l'image du sport. Le texte ne prévoyant aucune mesure anti-concentration, la chaîne qui aura acquis les droits audiovisuels d'un championnat pourra diffuser, durant le match, de la publicité pour une société de paris en ligne qu'elle détiendrait partiellement ou totalement. L'incitation à jouer sera énorme ! Finies les valeurs éthiques du sport !

Monsieur le ministre, en matière de régulation des jeux en ligne, le groupe RDSE rejette l'immobilisme comme l'aventurisme. Si le texte, certes amélioré par la commission des finances, devait peu évoluer durant nos débats, la majorité de notre groupe, inquiète de l'insuffisante régulation proposée, s'abstiendra lors du vote final. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, ainsi que sur les bancs socialistes)

M. Jean Louis Masson.  - Les jeux d'argent ont un point commun : le joueur est statistiquement perdant. Le jeu prospérant sur la naïveté, les États ont historiquement réglementé les jeux de hasard dans un double but : un but moralisateur pour prévenir l'addiction au jeu, qui menace l'équilibre de la société, et un but plus financier, trouver de nouvelles ressources fiscales. Or, si je suis par principe contre les jeux d'argent, j'approuve ce texte, élaboré en application de la réglementation européenne. Le monopole sur les jeux ne se justifie plus, car il ne repose plus sur un souci moralisateur, le souci de l'intérêt général. On autorise aujourd'hui la Française des Jeux et le PMU à faire de la publicité éhontée ! J'y vois la preuve que le seul objectif poursuivi, c'est se faire de l'argent sur le dos des joueurs. Dans ce contexte, l'assouplissement imposé par l'Europe est tout à fait pertinent.

Avec l'ouverture des jeux à la concurrence, il faudra redoubler de vigilance sur la fraude, les pratiques malhonnêtes. La libéralisation des jeux va avoir des conséquences importantes sur le sport, un secteur déjà gangrené par l'argent. Déjà, des matchs de foot sont truqués en Belgique ou en France, des joueurs sont achetés... Demain, ce sera pire lorsque les sommes en jeu seront décuplées, ce sera la porte ouverte à tous les trafics !

Ces scandales gigantesques à venir seront d'ailleurs dans la continuité de ce que je dénonçais déjà il y a dix ans en tant que député. Même la Française des Jeux n'est pas propre ! Il existe, en effet, une martingale qui repose non sur la probabilité de gagner, mais sur la somme en jeu. Les numéros les moins joués rapportent trois à quatre fois plus que les autres. Pour exemple, de nombreuses personnes jouant leur date de naissance, les chiffres compris entre un et douze divisent par trois ou quatre le montant du gain si le numéro est tiré. Or la Française des Jeux fait la sourde oreille et refuse de publier la liste des numéros les plus fréquemment joués, comptant sur les gros tirages pour attirer les parieurs. Voilà un petit exemple de manque de transparence que je voulais donner dans le temps très réduit qui m'est imparti en tant que sénateur non inscrit. Il donne un avant-goût de ce qui nous attend demain lorsque l'on pariera sur les matchs de foot !

M. Albéric de Montgolfier.  - Ce texte est le résultat d'un long travail de notre commission et, notamment, de son rapporteur M. Trucy, qui n'a pas attendu la mise en demeure de 2006 ou l'avis motivé de 2007 de la Commission européenne pour stigmatiser, dans ses rapports de 2002 et de 2006, l'obsolescence de notre réglementation et la faiblesse de notre législation dans le domaine.

Tout d'abord, la fin du monopole de la Française des Jeux et du PMU.

Aujourd'hui 5 000 sites illégaux accessibles depuis la France proposent des jeux en ligne ; plus de 3 milliards d'euros y sont misés chaque année. Les casinos, qui contribuent au financement des communes, sont soumis à une réglementation complexe et souffrent eux aussi de la concurrence du poker en ligne.

Il est donc nécessaire d'ouvrir ce marché à la concurrence, de légaliser les jeux en ligne tout en les encadrant. Car si le Gouvernement veille à la sécurité publique en luttant contre la fraude, les impératifs de santé publique sont négligés. Les problèmes d'addiction n'ont fait l'objet d'aucune étude spécialisée. Ce projet de loi apporte enfin une réponse à ce problème. A son actif, il faut aussi citer l'interdiction des jeux aux mineurs, la lutte contre le blanchiment et l'encadrement de la publicité. Le groupe UMP s'en félicite et espère que ce texte rencontrera un assentiment général.

Seuls les paris sportifs et hippiques et le poker en ligne seront légalisés. Les jeux les plus addictifs, notamment de pur hasard, demeureront interdits. Une part des recettes fiscales et sociales tirées des jeux servira à financer la lutte contre la dépendance, par le biais notamment de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. La limitation du taux de retour aux joueurs devrait réduire les risques.

Afin d'éviter le blanchiment, le projet de loi interdit aux opérateurs de jeux de s'établir dans des paradis fiscaux et oblige les joueurs à détenir un compte bancaire en France. Une autorité de régulation indépendante sera chargée d'attribuer les licences. Le groupe UMP ne tient pas à ce que la personnalité morale lui soit accordée, car il n'est peut-être pas opportun de la détacher entièrement des services de l'État. Il ne souhaite pas non plus que le taux de prélèvement diffère entre paris hippiques et paris sportifs, car le dispositif proposé résulte déjà d'un compromis. Toutefois, au cas où la filière hippique verrait ses ressources se tarir, une clause de revoyure prévoit le dépôt d'un rapport au Parlement qui pourra procéder aux adaptations nécessaires : M. le rapporteur y veillera. Nous qui représentons les territoires sommes très attachés à la filière hippique qui est un rouage essentiel de l'aménagement du territoire et crée entre 60 000 et 90 000 emplois.

L'arrivée d'environ 30 à 50 nouveaux opérateurs aurait dû se solder par une augmentation des recettes fiscales, à laquelle la commission des finances eût été sensible. Mais le taux de prélèvement sur les mises a été réduit, ce que l'on peut regretter.

Un mot sur le calendrier. Il est impensable que les nouvelles dispositions ne s'appliquent pas à la Coupe du monde de football qui s'ouvrira en juin en Afrique du Sud, ce qui reviendrait à laisser le champ libre aux sites illégaux et à tuer dans l'oeuf ce projet de loi. J'ai donc déposé à titre personnel un amendement prévoyant une autorisation temporaire pour les opérateurs ayant déposé une demande d'agrément auprès de l'Arjel et répondant aux conditions requises. Je sais la commission des finances et le Gouvernement réticents. Mais cet amendement vise à inciter le Gouvernement à publier au plus vite les décrets d'application de cette loi et l'Arjel à faire preuve de célérité dans la délivrance des agréments.

La majorité du groupe UMP soutiendra l'essentiel de ce texte. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Lozach.  - Ce projet de loi comporte bien des incohérences et des dangers. Son objet même est paradoxal, puisqu'il vise à la fois à libéraliser et à réglementer le secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne. En réalité, la libéralisation l'emporte. L'Europe ne l'impose pourtant pas : l'arrêt Santa Casa du 8 septembre 2009 a autorisé le Portugal, au nom du principe de subsidiarité, à restreindre la libre circulation des services de jeux. En février 2009, un rapport du Parlement européen sur l'intégrité des jeux en ligne soulignait déjà que les procédures engagées par la Commission contre les États-membres ne remettaient pas en cause l'existence de monopoles ou de loteries nationales. Il faut cesser de s'abriter sous le parapluie de l'Europe, car il est loin d'être imperméable !

Ce sont les lacunes de notre droit et l'usage de plus en plus répandu des nouvelles technologies qui nous obligent à légiférer. Mais une autre solution était possible. Pourquoi ne s'être pas appuyé sur les deux opérateurs historiques, la Française des Jeux et le PMU, qui gèrent leur domaine à la satisfaction de tous, plutôt que d'ouvrir les vannes à une dizaine d'opérateurs qui se partageront 80 % du marché ? L'objectif affiché de ce texte est de lutter contre l'offre illégale. Pourquoi donc ne pas en donner les moyens aux autorités de régulation ?

Les dispositions relatives à la lutte contre la dépendance sont également insuffisantes. Les grandes fortunes du secteur ont su se faire entendre... Le Gouvernement veut aller vite, pour ne pas voir lui échapper la manne de la Coupe du monde de football : M. le ministre l'avouait lui-même devant la commission des finances de l'Assemblée nationale. Dans ces conditions, les impératifs de santé publique passent au second plan. Chacun sait pourtant que les jeux en ligne sont particulièrement addictifs : face à un ordinateur, un joueur connaît mal ses limites et ne respecte pas les mêmes règles qu'en société. Le professeur Denis Alland rappelait dans Libération le 16 décembre dernier que la dépendance aux jeux se trouve toujours aggravée par la permanence d'une offre à domicile. Stefan Zweig, dans Le Joueur d'échecs, avait su trouver les mots pour décrire la dépendance : « La passion de gagner, de vaincre, de me vaincre moi-même devenait peu à peu une sorte de fureur : je tremblais d'impatience, car l'un des deux adversaires que j'abritais était toujours trop lent au gré de l'autre (...) Cette monomanie a fini par m'empoisonner le corps autant que l'esprit. »

L'addiction a un coût pour la société, plus précisément pour la sécurité sociale. Aujourd'hui les personnes dépendantes au jeu sont environ 300 000. Ce texte risque de les multiplier : le contribuable paiera.

Le monde du sport, représenté par le Comité national olympique, n'a pas non plus été entendu. La pérennité des financements est en danger. Le prélèvement sur les mises des paris sportifs ne rapportera cette année qu'à peine plus de 10 millions d'euros au Centre national pour le développement du sport (CNDS), soit le prix de deux ou trois gymnases... Au total, le budget du CNDS s'élèvera à environ 203 millions d'euros au lieu des 277 millions prévus par la loi de finances. Lors du débat à l'Assemblée nationale, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que le monde du sport demandait plus de moyens. Que ne les lui accordez-vous ! Pourquoi ne pas avoir établi une étude d'impact, conformément aux engagements pris lors de la dernière révision constitutionnelle et à la loi organique du 15 avril 2009 ? Sans doute parce qu'elle aurait mis en évidence les défauts de ce texte. On est loin des objectifs ambitieux affichés le 6 octobre par la secrétaire d'État chargée des sports !

La situation est d'autant plus préoccupante que, compte tenu de l'évolution des pratiques, le produit du prélèvement sur la Française des Jeux risque de diminuer de moitié.

Ainsi, le CNDS deviendrait beaucoup plus dépendant du prélèvement sur les mises en ligne. Pour financer le sport français, les autorités vont-elles inciter nos concitoyens à parier leurs économies en ligne ? Nous nous verrions contraints d'encourager la dépendance pour financer le mouvement sportif, alors que le Gouvernement prétend lutter contre l'addiction !

Ce projet de loi risque de mettre à mal la solidarité au sein du mouvement sportif. Tout d'abord, rien n'est prévu pour la redistribution des dividendes des jeux en ligne entre les différents sports et les différentes fédérations. L'article 52 aurait dû être plus précis sur ce point. Une fois encore, les sports les plus médiatiques, comme le football ou le tennis, vont se tailler la part du lion et ne laisseront que des miettes aux autres disciplines. Une occasion de rééquilibrage entre les activités a été perdue. La possibilité pour les associations ou les sociétés sportives de négocier des contrats avec les opérateurs de jeux en ligne menace la cohésion du modèle sportif français, car elle va semer le trouble au sein des fédérations et du mouvement sportif.

Ce texte risque de multiplier les fraudes et les délits d'initiés. En autorisant les paris à cote et les paris sur les phases de jeux, les rencontres sportives pourront être truquées. Ce risque s'est déjà vérifié à de nombreuses reprises chez nos voisins européens. Ce marché des jeux mobilisant des masses financières considérables, il suscitera bien des tentations d'où l'impérieuse nécessité de garantir aux parieurs l'intégrité des résultats. Ce n'est pas par hasard si Bruxelles évoque la création d'une Agence européenne de lutte contre les paris truqués. Si parier sur la minute d'un match de football à laquelle sera marqué le premier but ne pose pas spécialement de problèmes, parier sur la minute du premier coup franc, par exemple, est beaucoup plus inquiétant. Rien ne nous garantit qu'un joueur ne pariera pas à cinquante contre un sur sa propre faute, à la minute qu'il aura choisie !

En outre, les joueurs, les arbitres et les membres des fédérations ne devraient pas pouvoir prendre part aux paris en ligne, ce que ne prévoit pas le texte. L'article 23 précise en effet que les éventuelles interdictions seront établies par voie réglementaire. De même, les conflits d'intérêts risquent d'être nombreux, notamment entre les diffuseurs, les fédérations sportives et les équipes. A cet égard, TF1 a récemment pris le contrôle du site eurosportBET.com. Or, ces sites sponsorisent souvent les plus grandes équipes de football européennes, et ils ont déjà signé des contrats avec des clubs français. D'éventuels conflits d'intérêt ne sont donc pas exclus. Les pouvoirs conférés à l'Arjel ne nous rassurent pas. Ce texte prétend instaurer une régulation alors qu'il ne prône que la libéralisation.

Dans le numéro de février 2010 de la Revue parlementaire, vous déclariez, monsieur le ministre : « C'est un risque pour la sauvegarde de l'ordre public car la lutte contre le blanchiment n'est pas suffisamment assurée, un risque pour la lutte contre l'addiction car ces opérateurs n'ont aucune obligation à respecter en la matière, un risque pour l'ordre social puisque les mineurs ne sont pas protégés, mais aussi un risque pour les finances publiques puisqu'ils échappent à toute taxation ». Cette phrase définit précisément les défauts de votre projet de loi qui met en danger l'ordre public et qui défend une conception de la société et de l'argent que nous ne partageons pas. Vous exposez nos concitoyens à un risque accru d'addiction aux jeux et les quelques dispositions prévues pour protéger les mineurs ne les dissuaderont pas de jouer en ligne.

De même, ce texte est une aberration en termes de finances publiques. Les nouvelles recettes seront bien loin de compenser les futures dépenses, notamment le financement du sport amateur dont les besoins sont immenses.

Enfin, ce texte nous propose une vision de la société fondée sur une conception très libérale de son économie, avec peu de gagnants et beaucoup de perdants, le tout assorti d'un sens moral plus que contestable. Il n'est pas certain que sanctifier le jeu et la notion d'argent facile soit le meilleur moyen de préparer les jeunes générations aux défis qui les attendent. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Yves Daudigny.  - Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette Haute assemblée, je me suis impliqué dans de nombreux projets de réforme présentés par ce Gouvernement. Dans tous les textes où nos établissements et services publics étaient en cause, j'ai vu des intérêts privés commerciaux profiter de ces réformes sans garantir de retombées positives pour la collectivité. Ainsi en a-t-il été de la mutation du service public hospitalier, de l'abandon du fret de proximité aux opérateurs privés ou de la transformation du statut de La Poste. A chaque fois, ces réformes ont été menées tambour battant, sous couvert de RGPP et d'efficience, pour sauver un organisme public asphyxié par le désengagement de l'État.

Or telle n'est pas la raison d'être de ce nouveau projet de loi. S'il se propose d'ouvrir le monopole actuel des jeux d'argent aux opérateurs privés, il ne répond à aucune nécessité curative pour nos opérateurs historiques : PMU et Française des Jeux se portent bien, alimentent les recettes de l'État, participent au financement de la filière sportive, créent des emplois, contribuent à l'aménagement du territoire.

Vous avez successivement avancé, monsieur le ministre, d'autres raisons pour justifier cette réforme. Vous avez d'abord argué d'un impératif européen de libéralisation du marché. Mais vous avez été démenti par l'arrêt du 8 septembre 2009 de la Cour de justice des communautés européennes qui confirme que les raisons impérieuses d'intérêt général priment celles du marché et autorisent les États à maintenir une organisation monopolistique des jeux d'argent. Changement de pied, vous avez alors estimé que seule l'ouverture serait à même d'assécher l'offre illégale de jeux en ligne. Ceci est mathématiquement impossible : que pèseront 50, ou même 500 opérateurs agréés par l'Arjel face aux 25 000 sites illégaux actuels ? Il est surprenant de prétendre que l'Arjel serait à même de réaliser ce que l'État ne fait pas lui-même. L'argument est donc irrecevable.

De mauvais esprits ont prétendu établir un lien rétrospectif entre les dirigeants de grandes entreprises privées, notamment des médias et télécommunications, qui spéculent déjà sur la manne des paris en ligne, et un groupe de dîneurs anodins réunis autour du Président de la République un soir de mai 2007. Seul le hasard a permis que dirigeants et dîneurs soient les mêmes. Il suffit au surplus de ne plus clairement faire la part entre le domaine public et le domaine privé pour n'y voir aucun conflit d'intérêt.

La représentation nationale mérite de meilleures explications que ces faux-semblants et, hors l'hypothèse farfelue de satisfaire aux intérêts privés de quelques-uns, aucun motif d'intérêt général ne vient expliquer la nécessité que nous aurions de légiférer en faveur d'une libéralisation des jeux d'argent et des paris en ligne. Vous nous servez un discours rassurant d'une ouverture encadrée et ambitieuse qui n'exclue pas de « servir de modèle à une régulation européenne des paris en ligne ». A cet égard, l'article premier A emporterait l'adhésion s'il ne reflétait un double langage. L'encadrement strict qu'il prévoit sur les jeux d'argent et de hasard suffit à inscrire dans la loi le principe du monopole actuel. Strict signifie en effet : « qui ne laisse aucune liberté ». La conséquence nécessaire et logique de cette stricte condition serait de confier l'organisation des jeux d'argent et des paris aux opérateurs historiques. Eux seuls seraient à même de garantir la mise en place d'un encadrement strict. Mais pour l'instant, on en reste à une pétition de principe !

En réalité, les modalités de cette ouverture suscitent de fortes inquiétudes. Elle présente, en premier lieu, le risque évident d'assécher, non pas le jeu illégal, mais bien plutôt la filière hippique et la Française des Jeux. Ce risque est tel que les députés ont ajouté un alinéa destiné à « éviter toute déstabilisation économique des filières concernées ». Mais la régulation prévue par ce projet devra encore être enrichie pour devenir aussi « crédible et équilibrée » que vous le prétendez. Ainsi, il faudra supprimer le pari à cote fixe et l'attribution d'agréments allégés pour la Coupe du monde. En outre, l'entrée en vigueur de la loi ne devra pas être l'occasion d'une ouverture amnistiante pour tous ceux qui opèrent aujourd'hui illégalement.

De plus, la multiplication des opérateurs et la rentabilité des agréments sont conditionnées à l'augmentation constante du nombre de joueurs en ligne, d'où un risque accru d'addiction. De même, baisser le taux de prélèvement implique d'élargir l'assiette, donc le nombre de joueurs. Michel Lejoyeux, chef de service en psychiatrie à l'hôpital Bichat, estime « qu'il existe une règle simple pour toutes les addictions : l'augmentation de l'offre augmente le risque qu'une personne potentiellement dépendante le devienne ». Il se dit particulièrement inquiet de l'impact des nouvelles publicités qui vont apparaître.

Ce projet de loi marque une rupture importante. Une ouverture, même mesurée, abaisse de quelques degrés les impératifs d'ordre public et social que le monopole accordé au PMU et à la Française des Jeux avait permis de faire respecter. Vous devrez céder toujours plus aux opérateurs jusqu'à l'ouverture complète.

Ce projet de loi signe inéluctablement la disparition de nos opérateurs historiques. Est-il besoin d'exposer les conséquences économiques et sociales qu'entraînerait l'étouffement du secteur hippique ? Dans mon département, la filière du trot illustre bien cet ancrage dans le territoire.

Sans rien méconnaître de la nécessité d'avoir recours à l'internet, mais parce que nous en connaissons aussi les méfaits, nous devons en limiter dans certains domaines l'usage. Le net est un plaisir solitaire alors que les jeux d'argent et de hasard en dur obligent encore le joueur à sortir de chez lui pour se rendre au PMU ou au café-tabac. Au-delà des risques de la toile pour la santé publique, une autre question nous sépare : celle du vouloir faire vivre ensemble ! Nous nous opposerons donc à ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Rien ne va plus ! (Sourires)

M. Éric Woerth, ministre.  - M. Trucy a évoqué le nombre d'emplois de la filière hippique. Si j'en crois le rapport 2008 du PMU, elle génère 70 000 emplois directs et indirects, ce qui est considérable. Vous tenez beaucoup au comité consultatif des jeux que vous proposez de créer. Vous avez également évoqué le calendrier de ce texte.

Certains disent « nous travaillons dans l'urgence » ou « vous bradez la discussion pour que le système soit en place lors de la Coupe du monde de football ». Cela est peut-être vrai mais songeons que nous discutons de cela depuis juin 2008, quand le projet de loi a été présenté en conseil des ministres. L'Assemblée nationale a examiné le texte il y a quelques mois, c'est au tour du Sénat à présent. Comment prétendre que nous avançons trop vite ? Le débat a prospéré. A cet égard, je remercie M. Trucy de son travail. M. About a attiré notre attention sur les aspects sanitaires et sociaux : et nous ne nous sommes pas contentés d'en prendre une pincée pour en saupoudrer ce qui serait un pâté de cheval. (Sourires) Nous avons examiné les divers sujets, contrôle, addiction, rapport social au jeu, cas des mineurs ou des personnes fragiles... Le texte reprend les propositions des professionnels familiers de ces questions, c'est pourquoi il est équilibré et protecteur.

Oui, monsieur Dupont, le calendrier est tendu ; mais il est tenable. Le texte sera adopté fin mars, promulgué en avril, tandis que seront publiés les décrets d'application et constituée l'autorité de régulation. Puis, en mai, les candidatures seront instruites -et les agréments octroyés, par conséquent, dans les délais prévus.

En matière de fiscalité, il n'y a pas une vérité. Mais je souligne que le réseau du PMU conservera plus d'argent, le taux de prélèvement étant abaissé. Quant à l'État, il se rattrapera sur le volume, non pas qu'il incite à jouer plus, mais parce que le jeu se fera dans la légalité. Mettons un terme à cette course du gendarme et des voleurs, à laquelle la puissance publique gagne si rarement. Prétendre qu'il existe aujourd'hui un monopole de l'État sur les jeux, c'est se masquer la réalité ! Nous faisons passer une activité de l'ombre à la lumière, rien de plus.

M. François Marc.  - La réalité, c'est la misère des gens !

M. Éric Woerth, ministre.  - Je veux aussi dire à M. Vera que la publicité, émanant d'opérateurs qui respectent les règles, est protectrice ; quant aux contrebandiers, nous en aurons raison. Le pari à cote représente la quasi-totalité du pari sportif et ne pas l'inclure reviendrait à laisser prospérer l'offre illégale sur internet.

Que la France soit l'élève docile de la Commission européenne n'est pas la réalité. Notre pays est depuis longtemps attaqué sur cette question : le contester, c'est méconnaître le sujet. La seule solution raisonnable est de séparer le bon grain de l'ivraie. Vous dites que nous faisons le jeu des opérateurs privés...

M. François Marc.  - Oui !

M. Éric Woerth, ministre.  - ...et de l'argent sale. Ce sont des propos insultants. Comme si les opérateurs de jeu étaient des voyous ! Comme si vous étiez détenteurs de la morale ! Tout cela est agaçant. (On s'offusque sur les bancs socialistes)

Il n'est pas scandaleux d'être entrepreneur ou salarié de droit privé et de travailler sur internet, dès lors qu'on exerce son activité légalement. (Mme Nicole Bricq soupire) J'ajoute que la remise des compteurs à zéro n'est pas une amnistie, c'est un nouveau départ, sur de nouvelles bases.

M. le président.  - Monsieur le ministre, d'impérieuses contraintes techniques m'obligent à interrompre vos réponses.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 heures.