Grenelle II (Urgence)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, après déclaration d'urgence.
Discussion générale
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. - (Applaudissements à droite) Avec Dominique Bussereau, Valérie Létard, Chantal Jouanno et Benoist Apparu, nous avons grand plaisir à vous retrouver pour ce troisième acte parlementaire du Grenelle de l'environnement, après la loi de finances qui en traduisait les engagements en termes budgétaires et fiscaux et après le texte fondateur définissant les objectifs partagés, les normes et les outils, pacte fondateur de notre République pour cette mutation vitale pour notre avenir et pour l'humanité.
Aujourd'hui, place au texte des territoires, qui leur apporte les outils nécessaires pour nourrir leur capacité d'action, de coordination, de cohérence. L'indispensable mutation ne peut être dictée par un exécutif ou par une catégorie à une autre : chacun des 62 millions de Français, chaque corps qui exerce des responsabilités sur notre territoire doit se l'approprier.
Cette mutation s'opère déjà dans nos territoires. En matière de mobilité durable, 38 agglomérations ont obtenu les financements nécessaires pour réaliser 400 kilomètres de transports en site propre : 329 kilomètres en trente cinq ans, 400 en dix-huit mois, sur un objectif de 1 500 ! En matière de transport de voyageurs, les accords ont été conclus avec la Bretagne et l'Est, et le seront prochainement avec le sud-ouest. Aux travaux de régénération du tissu ferroviaire s'ajoutent le contournement de Montpellier, de Nîmes, bientôt de Lyon. Nous répondons aussi au grand enjeu du fret ferroviaire.
En matière de mobilité automobile, la logique du bonus-malus a permis de réduire nos émissions de gaz carbonique d'un gramme par mois -contre un gramme par an au niveau européen ! Les constructeurs ont compris que les voitures décarbonées n'étaient pas une niche mais le coeur de leur métier de demain. La réussite du bonus-malus, qui a déplacé 52 % du marché, est telle que l'ensemble du système automobile européen a décidé de jouer la carte du véhicule décarboné. Je présenterai le dispositif français le 23 septembre. Nous avons déjà mis 400 millions d'euros à disposition de la filière, encouragé les synergies pour le stockage des énergies à Chambéry... Bref, la révolution de l'automobile décarbonée est lancée !
L'Insee, les services du ministère, la nomenclature européenne, le Boston Consulting Group : tous relèvent que, grâce aux décisions déjà prises, la France est sur une trajectoire de 24 à 26 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre et a créé 600 000 emplois dans ce secteur, ce qui en fait un leader parmi les pays industrialisés. L'administration américaine envisage pour sa part un engagement d'environ 6 %...
Dans le Grenelle I, les apports du Sénat ont été considérables. Je ne puis citer tous les intervenants, tant ils sont nombreux, mais leur contribution est connue. Mais ce qui m'a plus que tout marqué, ce fut, contrairement à l'idée que les Français ne seraient pas capables de faire le saut, que les portes se claqueraient, cette magie de voir tous les acteurs produire de concert un programme national. « L'argent ne suivra pas » entendit-on alors : la loi de finances l'a apporté. « Le Parlement estompera le projet » objecta-t-on ensuite : il l'a accentué. Alors que l'on a vu accuser le Parlement d'être une institution en retrait, ce n'est que justice de lui rendre ici hommage : il nous a même forcés à aller plus loin que certains compromis du Grenelle.
Nous en voici venus au Grenelle II ; sur ce texte que l'on peut qualifier de territorial, je rends hommage au travail de vos commissions. A vos rapporteurs au fond, MM. Braye, Sido, Nègre et Dubois, comme à vos rapporteurs pour avis, MM. Dupont et de Legge.
Car nous inaugurons le nouveau processus législatif voulu par la Constitution : le texte que nous examinons est celui de la commission. Avec Chantal, Benoist, Valérie, Dominique, nous l'avons accompagnée, non pas pour garantir l'orthodoxie gouvernementale mais pour nous mettre à sa disposition. Plus de 1 000 amendements ont été examinés, 300 ont été adoptés au cours d'un travail de trois mois, de mai à juillet. Les avancées, par rapport au texte initial, sont très importantes. Je pense à la mise en place d'une filière de responsabilité élargie pour les producteurs de produits d'ameublement ou à la gestion des déchets dangereux des ménages, chère à M. Braye ; à l'affichage des performances énergétiques des logements dans les annonces immobilières, à l'amélioration du cadre réglementaire de la concertation locale sur les éoliennes ou à la création d'un comité régional de la trame verte et bleue, voulus par M. Sido, à l'interdiction des portables dans les écoles que nous devons à M. Nègre, à la généralisation d'une gouvernance inspirée du Grenelle, chère à M. Dubois.
En ressort un texte dense, qui nous engage non seulement à poursuivre mais à accélérer le pas. Ce n'est là ni répétition du Grenelle I, ni collection de mesures techniques mais le complément territorial indispensable pour accélérer la mutation et dépasser les 30 % pendant la période impartie.
C'est aussi un texte d'adaptation de notre droit au nouvel environnement juridique né du Grenelle avec le verdissement de tous les outils de planification comme les Scot et les PLU, la possibilité de dépasser les COS jusqu'à 30 %, la création d'un label et d'un statut juridique pour l'auto-partage, l'instauration de la trame verte et bleue, avec la mise en place des outils d'une politique maritime intégrée.
C'est un texte de simplification des procédures tant pour les particuliers que pour les collectivités publiques : possibilité pour les copropriétés de voter à la majorité simple des travaux de rénovation thermique y compris dans les parties privatives ; simplification des DTA ; possibilité d'avoir recours à une procédure d'urgence pour construire des infrastructures de transports collectifs.
C'est un texte qui accélère la mutation : mise en place, au plus tard le 1er janvier 2010, d'une modulation des péages en fonction des émissions de CO2 des camions de transport de marchandises ; adoption par toutes les collectivités de plus de 50 000 habitants d'un plan climat territorial d'ici à 2013 ; réalisation, à compter de 2012, des travaux de rénovation thermique dans le secteur tertiaire.
C'est, enfin, un texte de prévention de la santé et pour la qualité de la vie, qui vise la réduction des pollutions sonore et lumineuse, mais aussi celles qui sont liées aux ondes électromagnétiques ou aux nanoparticules.
Loin d'un texte technique rébarbatif, nous avons là, au vrai, un grand texte législatif. Après le Grenelle I et la loi de finances, il achève le « verdissement » de la société française : villes et campagnes, construction, mobilité, entreprises, emploi et, in fine, croissance et vision du monde.
Ce texte engage le corps social, ensemble avec la représentation nationale, sur la voie de la lucidité et de la responsabilité. En matière de déchets, avec la priorité donnée à la prévention et la création de filiales de responsabilité élargies ; en matière de santé et de qualité de la vie, avec l'interdiction de la publicité sur les produits phytopharmaceutiques grand public, avec la prévention renforcée des zones de captage associée à la sobriété sur les intrants, avec l'intensification des contrôles sur les nuisances sonores, avec le principe de surveillance de la qualité de l'air intérieur. Mais la responsabilité à laquelle il engage est aussi responsabilité à l'égard du vivant, avec la trame verte et bleue, avec le plan de restauration de la faune et de la flore sauvages. Elle est aussi responsabilité sociale et environnementale, avec le renforcement de la responsabilité de la société mère en cas de pollution grave par une de ses filiales, avec l'obligation pour les sociétés de plus de 500 salariés de produire un bilan social et environnemental, avec la généralisation, au plus tard en 2011, de l'étiquetage des produits.
Ce texte engage la mutation énergétique autour d'un double mot d'ordre : réduction des émissions et énergie pour tous. Je pense aux schémas régionaux climat-air-énergie destinés à valoriser le potentiel des énergies renouvelables, à l'extension des certificats d'économies d'énergie, à la généralisation, au plus tard dans cinq ans, des compteurs dans les immeubles fonctionnant en réseaux de chaleur, à la possibilité pour les régions et les départements de bénéficier de l'obligation d'achat pour leurs énergies renouvelables, à l'encadrement des éoliennes, pour un développement contrôlé sans mitage 0 des paysages, à la structuration par région du potentiel des énergies renouvelables de proximité associée à un raccordement efficace au réseau.
Ce texte est, plus largement, un grand texte de gouvernance écologique qui tire les leçons de deux années de responsabilité et de dialogue serein entre tous les acteurs ; un texte qui place la concertation très en amont des projets, quand tout est encore possible, et non plus en aval, lorsqu'il est déjà trop tard, avec les conséquences en termes de coûts ou de délais. Je pense à l'élargissement de la composition de la CNDP sur le modèle du Grenelle en y ajoutant des représentants des syndicats et des acteurs économiques ; à la possibilité pour les préfets de mettre en place des instances de concertation et de suivi associant tous les acteurs sur les projets d'installation classée ou sur les projets d'infrastructures de transport ; à la création des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux.
L'objectif, en somme, est de rendre aux territoires ce qui leur appartient ; c'est-à-dire une certaine idée de la qualité de vie, de la proximité, de la solidarité et des savoir-faire et la capacité à s'organiser démocratiquement pour les réaliser. C'est de rendre aux Français les fruits ou les bénéfices à la fois économiques et sociaux d'une mutation écologique qu'ils ont voulu puissante, massive, rapide. C'est de rendre aux générations futures ce que nous leur empruntons depuis maintenant plusieurs décennies, c'est-à-dire des sols fertiles, une eau de qualité, un air pur, une biodiversité riche, un climat soutenable, des ressources énergétiques. C'est de rendre la mutation écologique non seulement possible mais également heureuse et profitable.
Un texte volontariste enfin, porté par l'énergie du Président de la République qui a su démontrer, avec ses collaborateurs dont j'étais, lorsqu'il assumait la présidence européenne, que le paquet énergie-climat était possible, que 27 pays aux histoires industrielles et énergétiques différentes pouvaient se mettre d'accord, secteur par secteur, année après année, sous le contrôle de la Cour de justice.
Ce débat nous occupera heureusement pendant plusieurs semaines, avant un grand événement, Copenhague, où l'Humanité a rendez-vous avec elle-même, une Humanité qui continue à consommer un tiers de plus qu'elle ne le peut... Est-ce si difficile de réussir ce rendez-vous ? Je suis totalement convaincu que c'est possible et, si l'Europe s'est mise d'accord pour le fixer, c'est que nous en étions tous convaincus. Le présent débat nous aidera à préparer Copenhague.
Nous sommes devant un choix : continuer dans la voie d'un développement irrespectueux de la nature ou emprunter celle d'un développement durable, respectueux de l'avenir, respectueux de l'eau, des sols, de la fertilité, des ressources, respectueux des générations futures, des autres continents, respectueux des plus faibles. Ce texte inaugure une grande politique du respect. (Applaudissements à droite, au centre et sur certains bancs socialistes)