Déclaration du Gouvernement sur l'orientation des finances publiques
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'orientation des finances publiques pour 2010.
M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. - Avec la crise, la mission régulatrice de l'État vient de prendre une vigueur nouvelle. Jamais la politique budgétaire n'a été autant au coeur du débat public, jamais elle n'a été autant sollicitée.
Le séisme économique mondial que nous traversons comporte un risque, mais il peut devenir une chance. Le risque est celui de la multiplication des crises, en gigogne, et, avec cet enchaînement diffus et dangereux, celui du développement d'une mentalité de retrait, d'une défausse du souci collectif sur les générations futures. La chance, c'est de comprendre que cette période, avec son lot de bouleversements, peut être l'occasion de moderniser la France afin que notre pays conquière une puissance économique digne de ses talents.
Les choix budgétaires que nous poserons dans les semaines, les mois et les années qui viennent peuvent être fondateurs, et nous sommes fermement décidés à préparer l'avenir et à utiliser cette période difficile pour préserver et préparer notre pays. Préparer l'avenir, c'est d'abord sortir de la crise. C'est aussi amplifier la lutte contre nos déficits structurels, poursuivre nos efforts pour faire de la France une démocratie financière moderne et identifier les domaines stratégiques dans lesquels nous devons investir pour mettre notre pays à l'heure du monde.
En matière budgétaire, il serait aussi irresponsable d'en appeler à une politique de resserrement immédiat qu'à un assouplissement permanent. Notre crédibilité va reposer sur notre capacité à savoir dépenser dans les secteurs qui permettront à la France de conforter sa place dans le concert des nations les plus performantes, tout en tenant le cap de la raison économique. Durant trente-cinq ans, nous avons produit du déficit. Si nous voulons rester crédibles, nous ne pouvons plus nous permettre le moindre relâchement dans notre volonté de maîtriser les dépenses publiques. Dépenser à bon escient, au bon endroit, tout en restant rigoureux et responsables vis-à-vis des générations futures, ce n'est pas, pour nous, hors d'atteinte.
Pour assainir nos finances publiques, il nous faut faire des choix précis et concrets dans les politiques et la gestion publiques. Il ne s'agit pas de procéder à un simple élagage aléatoire qui cumulerait tous les inconvénients : faible efficacité budgétaire et paralysie décourageante pour les administrations. De vrais choix : voilà qui nous ramène à la politique dans sa fonction et sa pratique véritables. Dès 2007, j'ai privilégié les dépenses d'avenir dans la construction du budget. Aujourd'hui, c'est l'ensemble de la dépense publique que nous voulons tourner vers l'avenir.
Je commencerai par un point sur l'année en cours. Si vous ne deviez en conserver qu'une idée, c'est que, si les déficits se creusent, c'est en raison du coût de la crise et du prix de la relance. Le déficit public atteindra de 7 à 7,5 points de PIB en 2009. Cette dégradation d'un peu moins de 4 points d'une année sur l'autre s'explique par la facture de la crise, sous l'action conjuguée de l'énorme baisse des recettes et des mesures de relance. Notre prévision, identique à celle de l'Insee, d'une baisse de 3 % est de près de 5 % en deçà de la croissance potentielle. En temps normal, l'effet de la baisse de l'activité se traduirait par une hausse des déficits d'un peu moins de 2,5 points de PIB.
En fait, la baisse est de quatre points : nous ne sommes pas en temps normal et les recettes fiscales se replient plus vite que le PIB. Les recettes d'impôt sur les sociétés sont passées de 50 à moins de 25 milliards en un an ! Cette sur-réaction à la baisse explique un peu moins d'un point de déficit. L'impôt sur les sociétés pâtit ainsi de la baisse des résultats d'exploitation des sociétés mais aussi de celle des résultats financiers. Nombre d'entreprises ont passé des provisions pour dépréciation de leur portefeuille de participations financières, ce qui réduit leur résultat fiscal.
A ce jeu de stabilisateurs automatiques s'ajoute le coût budgétaire des mesures de relance. Les dépenses ordinaires, « hors crise », sont toutefois parfaitement maîtrisées, comme l'a souligné le président Arthuis hier. Hors mesures de relance, elles sont contenues au niveau voté par le Parlement. Pour la première fois depuis 1997, l'Ondam sera quasi respecté.
Le déficit « hors crise » représente un peu plus de 40 milliards et le déficit de crise environ 85 milliards. Environ 15 milliards ne pèsent pas sur le déficit maastrichtien, notamment les prêts au secteur automobile ou les fonds versés au Fonds stratégique d'investissement. Le déficit du régime général de la sécurité sociale est de l'ordre de 20 milliards, dont 10 sont imputables à la crise.
En comparaison, l'Espagne prévoit 9,5 points de PIB de déficit ; selon l'OCDE, les États-Unis passeraient à plus de 10 points, le Royaume-Uni à plus de 12. Même le déficit allemand se dégrade au même rythme que le nôtre !
En 2010, les recettes de l'État devraient se rétablir avec le retour - modeste- de la croissance et l'amorce d'un retour de recettes d'impôt sur les sociétés. Les dépenses de relance seraient ramenées à 3,5 milliards. Les dépenses « hors relance » respecteront la norme « zéro volume », malgré la baisse de l'inflation.
La loi de programmation des finances publiques a permis de nous concentrer sur les budgets les plus concernés par la crise. Plusieurs budgets ont même été revus à la hausse : l'emploi, mais aussi un certain nombre de dotations sociales, ainsi que le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, car nous sommes relativement moins touchés que nos partenaires. A l'inverse, la baisse de l'inflation réduit certaines dépenses comme les pensions ou les charges de la dette, ou encore la défense qui fait l'objet d'une programmation en euros constants. La baisse des taux d'intérêt a également allégé la charge de la dette. Pour la plupart des autres budgets, les modifications ont été marginales par rapport à la loi de programmation, qui reste une boussole.
Nous poursuivons le non-remplacement d'un départ sur deux, la réduction d'effectifs atteignant 34 000 équivalents temps plein.
Cette amélioration du déficit budgétaire sera toutefois compensée par la poursuite de la dégradation des comptes sociaux, le recul de la masse salariale de 0,5 % en 2010 pesant sur les recettes. Au total, le déficit s'établirait à nouveau entre 7 et 7,5 points de PIB. C'est la traduction du rôle d'amortisseur social de la politique budgétaire. Selon l'Insee, le pouvoir d'achat des transferts sociaux augmenterait de 4,8 % en 2009 -deux fois la moyenne de ces vingt-cinq dernières années. De quoi mettre fin aux disputes entre tenants de la relance par la consommation et ceux de la relance par l'investissement !
Cette dynamique des transferts, c'est notre système social qui joue à plein pendant la crise. Une société avancée se doit d'être solidaire : apporter plus de justice sociale à ceux qui sont touchés par la crise, c'est un devoir autant qu'un bénéfice pour le pays. Plus de justice sociale, c'est l'augmentation du minimum vieillesse et de l'allocation adultes handicapés, la prime exceptionnelle de fin d'année, la prime de solidarité active et, bien sûr, le RSA.
Parmi les autres urgences, il y a le soutien à l'investissement et à la trésorerie des entreprises. Avec M. Devedjian, nous avons mis en marche le plan de relance. Peu de pays ont agi aussi vite et aussi fort. Ce plan n'est d'ailleurs guère critiqué : le FMI et l'OCDE en saluent le ciblage et le calibrage.
La question est plutôt la préparation de l'après-crise. Le calendrier de la reprise est incertain. Quelle en sera la force après une telle récession ? Comment évolueront les prix d'actifs ? Qu'escompter comme croissance potentielle au lendemain d'une telle bourrasque ? Le potentiel de croissance de la France et du monde était surévalué. Il y avait un excès de demande dû à des bulles d'endettement. Nous avons donc révisé à la baisse l'évaluation de la croissance potentielle, à environ 1,75 %. Faut-il dire que le terrain perdu dans la crise ne se reconquerra jamais ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Hélas...
M. Eric Woerth, ministre. - Notre situation n'est pas celle des Anglais. Nous avons moins d'endettement des ménages, moins de prêts risqués, moins de bulle immobilière ; notre secteur financier n'est pas surdimensionné par rapport au reste de notre économie ; enfin, par le jeu des stabilisateurs économiques, du chômage partiel, nous avons mieux conservé notre « capital humain ». Cela prendra du temps mais nous faisons tout pour reconquérir le terrain perdu.
Le Conseil européen des 18 et 19 juin a intégré cette incertitude : le redressement des finances publiques doit se faire au rythme de la reprise. La politique budgétaire devra rester souple et réactive. A vouloir consolider trop tôt au milieu des années 90, et en relevant son taux de TVA, le Japon a tué sa croissance pour dix ans...
Telles sont les grandes orientations de l'après-crise que le Président de la République a indiquées devant le Congrès, et que le Premier ministre a précisées lors du récent séminaire gouvernemental.
Première condition pour assainir les finances publiques : les mesures de relance doivent être temporaires. Le Gouvernement s'y est engagé. Deuxième condition : la hausse des prélèvements obligatoires est exclue. Avec un taux de prélèvements de 43 % -contre 37 en Allemagne et au Royaume-Uni, voire moins de 30 aux États-Unis-, une telle hausse serait tout bonnement inenvisageable, sous peine d'obérer notre compétitivité et notre croissance potentielle et de peser in fine sur la soutenabilité des finances publiques.
Le Président de la République a défini une stratégie en trois axes pour nos finances publiques : sécuriser les recettes ; réduire le poids de la dépense courante ; investir massivement dans les projets d'avenir. Tous doivent être poursuivis avec la même ardeur.
Afin de compenser les pertes de recettes dues à la dégradation de l'activité, le surcroît de recettes qui interviendra au rythme de la reprise sera intégralement consacré à la réduction du déficit.
Deuxièmement, la lutte contre les déficits doit être poursuivie. Depuis deux ans, tout est mis en oeuvre pour infléchir la dépense courante. Le Président de la République nous appelle à mettre les bouchées doubles. La dépense courante, ce ne sont pas seulement les gommes et les crayons, mais aussi les dépenses d'intervention, ou celles des opérateurs. L'année dernière, nous avons contenu la dépense publique à moins de 1 % en euros constants, mais il faut aller plus loin. Avec l'aide du Parlement, dans la lignée des états généraux de la dépense publique, toutes les dépenses inutiles seront identifiées ; la réforme de l'administration sera poursuivie, et en particulier le non-remplacement d'un départ sur deux ; la réforme des collectivités locales sera menée à bien ; toutes les options envisageables pour la réforme des retraites seront examinées, avec des décisions dès la mi-2010.
La maîtrise des dépenses de santé sera amplifiée : compte tenu de la baisse de l'inflation, l'Ondam peut être ramené à 3 % dès 2010. Avec Mme Bachelot, nous y travaillerons pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Les niches sociales feront l'objet d'un examen systématique. Leur montant global s'élève à 42 milliards : 33 milliards d'exonérations de cotisations sociales, 9 milliards d'exemptions d'assiette diverses. Depuis deux ans, nous avons agi sur deux leviers en rationalisant plusieurs dispositifs d'exonérations peu efficients et en mettant à contribution les stock-options, les parachutes dorés ainsi que l'intéressement et la participation, pour le financement de la sécurité sociale. J'entends poursuivre et accentuer cette action en 2010, notamment par une action sur les retraites chapeaux.
Je conduirai, dans les mois à venir, un examen critique des dépenses fiscales. Nous avons déjà réduit certaines niches spécifiques et instauré le plafonnement global. Je souhaite poursuivre dans ces deux voies : continuer de questionner certains dispositifs dont la pertinence et l'efficacité ne sont pas avérées ; réfléchir aussi à une manière plus transversale de réduire le poids de la dépense fiscale globale. Aucune niche prise isolément n'est illégitime mais le dédale qu'elles constituent devient difficilement gérable pour les finances publiques. Il faut donc, là aussi, redoubler d'effort.
Troisième pilier de notre stratégie : réorienter la dépense publique vers des projets d'avenir. Le débat s'est curieusement focalisé sur les modalités de l'emprunt. Mais l'emprunt n'est que le moyen, le but est bien le redéploiement de nos dépenses vers les projets d'avenir. Oui, ces projets seront financés par un emprunt dédié. Il ne pourra financer que des projets d'avenir prioritaires clairement identifiées. MM. Juppé et Rocard y travaillent. Aucune fongibilité ne sera possible avec le financement de la dépense courante, pour laquelle l'objectif est le retour à l'équilibre. Il faudra apporter la preuve de l'intérêt de ces dépenses et de leur rendement pour les générations futures. Ce processus pourrait débuter soit par une loi de finances rectificative soit, le cas échéant, par un débat d'orientation budgétaire, début 2010.
Que doit-on entendre par dépenses d'avenir ? Cela peut être des engagements financiers pour soutenir des entreprises dans des secteurs de pointe, des investissements physiques dans de nouvelles technologies, ou encore certains investissements en capital humain, comme l'enseignement supérieur ou la recherche. Mais à mon sens, des dépenses, même d'avenir, qui se renouvellent chaque année ont vocation à être financées par des recettes qui se renouvellent également : l'emprunt ne doit financer que des dépenses non récurrentes.
Pour être efficace, il faut faire des choix. Il faudra donc hiérarchiser nos priorités. A la demande du Premier ministre, la consultation nationale devra déboucher dans la première semaine de novembre. Les projets devront apporter la preuve qu'ils ont une rentabilité financière et socio-économique élevée et devront associer le plus possible des cofinanceurs pour démultiplier les efforts de l'État.
Mon objectif reste une progression de l'ensemble des dépenses publiques limitée à 1 % par an en volume. A l'horizon 2011, on peut miser sur une reprise de la croissance plus forte et des recettes plus dynamiques lors de la reprise de l'activité. L'impôt sur les sociétés pourrait ainsi, après les 20 à 25 milliards de 2009, retrouver son niveau de 2007, à 50 milliards : ce serait déjà plus d'un point de PIB retrouvé.
Entre la maitrise de la dépense et ce dynamisme des recettes, on peut espérer une amélioration du déficit public de l'ordre de 2 points de PIB en deux ans, à moitié par les recettes et à moitié par la dépense -20 milliards au titre de sa maîtrise. Nous irons plus vite si la reprise est plus forte. Mais l'important est bien de marquer une inflexion forte par la dépense.
Le retour à 3 points de PIB de déficit en 2012 ne saurait être atteint sans un fort rebond de la croissance, sur lequel on ne peut se fonder dans un débat d'orientation budgétaire.
La dette atteindrait 88 points de PIB à l'horizon 2012. C'est un niveau important mais qui resterait encore inférieur à celui que connaissent déjà plusieurs de nos partenaires. Nous ne renonçons pas pour autant au pacte de stabilité : nous en conservons l'esprit. La quasi-totalité des pays européens sont confrontés à cette situation. Même l'Allemagne a annoncé qu'elle ne pourrait revenir sous les 3 points de PIB de déficit qu'au mieux en 2013, voire 2014.
Mme Nicole Bricq. - Belle consolation !
M. Eric Woerth, ministre. - Nous restons donc fidèles à nos choix. Si le renouveau de l'État doit passe aussi par une logique conjoncturelle, notre devoir d'anticipation reste entier. La priorité reste de poursuivre la modernisation de l'État et de reconvertir le modèle économique français. Ce sont les réformes d'aujourd'hui qui créeront la croissance de demain et le pouvoir d'achat d'après-demain. (Ironie à gauche)
Que plus d'un euro sur deux de richesses produites dans ce pays continue d'aller à la sphère publique est impossible. Revenir sous les 50 points de PIB de dépenses publiques, c'est trouver environ 60 milliards d'économies, soit l'ampleur de notre déficit structurel. Maitriser la dépense est bien la voie pour réduire durablement nos déficits. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Je m'exprime devant vous tout à la fois en remplacement du rapporteur général et comme président de la commission des finances. Soyez rassurés, je n'abuserai pas pour autant de mon temps de parole. (Sourires)
Cette séance nous permet de débattre, conformément à ce que prévoit la Lolf, des grandes orientations de nos finances publiques, et je m'en réjouis. Elle nous permet d'entendre les contributions tant de la commission des affaires sociales que de la commission des finances, et de débattre avec le ministre chargé de l'ensemble des comptes publics, sur la base du rapport à nous transmis sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques.
Cependant, je n'ai pas retrouvé, dans le rapport du Gouvernement, la description des grandes orientations de notre politique économique et budgétaire au regard des engagements européens de la France que prévoyait la Lolf. Mais ce n'est peut-être pas plus mal car même si la France fait toujours l'objet d'une procédure pour déficit excessif, de tels développements auraient pu paraître artificiels, voire irréels.
Au vu des chiffres, on est saisi de vertige : un déficit des administrations publiques à 7 ou 7,5 % du PIB, deux fois plus que le maximum autorisé par nos engagements européens, 3 points de plus que l'objectif que nous avons voté en février dans la loi de programmation des finances publiques ; pour l'État, un déficit de l'ordre de 130 milliards en 2009 et 2010, contre 56 en 2008. Côté recettes, le produit de l'impôt sur les sociétés, qui représente théoriquement un cinquième des ressources fiscales annuelles de l'État, sera divisé par deux. Dernier chiffre, enfin, qui illustre la profondeur de la crise : 20 milliards de déficit pour le régime général de la sécurité sociale, alors même que 27 milliards ont été transférés à la Cades l'an dernier.
Dans la tourmente, il nous faut un cap, au-delà de la préparation des textes financiers de l'automne. Nous devons évaluer ce que sera l'impact de la crise une fois l'onde de choc passée et décider d'une conduite.
Pour ma part, mes réflexions vont toujours aux deux mêmes sujets. Avec la crise, notre pays s'appauvrit. Comment inverser la tendance et retrouver compétitivité et attractivité ? Deuxième constat : le poids de la dette risque d'asphyxier nos finances publiques. Comment retrouver des marges de manoeuvre ?
La thématique de la dette a beaucoup occupé nos travaux préparatoires. Mais lorsque son montant dépasse les 1 000 milliards d'euros, lorsque la perspective d'une France qui vivrait durablement avec un endettement stabilisé autour de 100 % du PIB n'est plus scénario de science-fiction, il est légitime que les parlementaires s'intéressent de plus près à son mode de financement. Face à « l'insoutenable légèreté de la dette publique » -pour parler comme notre rapporteur général, lecteur de Kundera-, dette qui atteint des sommets sans que cela provoque la moindre tension sur le niveau des dépenses, il est normal que nous recherchions les instruments d'une meilleure pédagogie sur les conséquences de l'endettement. Ces préoccupations, les membres de la commission des finances les partagent largement, bien au-delà des limites de la majorité sénatoriale.
Sans refaire notre débat sur la loi de règlement, je veux réaffirmer ma conviction qu'il faut assumer les conséquences de ses choix. Nous avons fait le choix collectif -et ce, depuis 1975 et le dernier budget présenté en équilibre par un ministre des finances, notre collègue Jean-Pierre Fourcade-, nous avons fait le choix collectif de dépenser chaque année un montant supérieur à celui des recettes. J'ai la faiblesse de penser que les termes du débat sont un peu faussés. Notre système de financement de la dette favorise la préférence pour le présent et anesthésie l'opinion en repoussant l'heure des vraies décisions.
Or, les décisions seront d'autant plus dures à prendre qu'elles seront plus tardives. Il faut donc intégrer dans le budget de l'État l'amortissement du capital de sa dette, à raison, par exemple, de 2 % par an.
La loi de finances rectificative pour 2007 a révélé le service annexe de la dette de la SNCF. En effet, le gouvernement précédent avait placé la dette de cette entreprise publique dans une structure qui n'apparaissait nulle part. En contrepartie de ce tour de passe-passe, l'État devait verser chaque année 677 millions d'euros, soit 400 millions au titre des intérêts et 277 millions pour amortir le capital. En 2007, vous avez fait ce qu'il fallait : l'État a repris la dette de la SNCF. La décision était sage, mais les 277 millions liés à l'amortissement du capital ont disparu ! C'est dire combien ces procédés sont anesthésiants.
Monsieur le ministre, je vous remercie pour l'engagement que vous avez pris hier d'informer le Parlement sur le financement de l'État car si la représentation nationale a conquis ses galons en matière de gestion budgétaire, elle reste confinée dans un rôle marginal dès qu'on aborde le financement de la dette.
La Lolf a posé les premiers jalons avec un vote sur le tableau de financement et sur la variation de la dette à plus d'un an, mais quelle est la portée effective du vote ? Sur le site internet de l'agence France Trésor, la rubrique « textes de référence » mentionne notamment les articles de la Lolf concernant cette agence. Les articles 10, 19, 22, 25 et 26 y figurent mais pas l'article 34, relatif au vote du Parlement sur l'autorisation d'emprunt et le plafond de la dette. Oubli ou acte manqué ? Le rapporteur général, qui a lu Kundera, aurait peut-être parlé de « plaisanterie »... Au-delà de l'anecdote, il faut remédier au déséquilibre institutionnel que ferait apparaître une éventuelle contradiction entre l'intérêt financier du pays -servi avec talent par l'agence France Trésor qui privilégie le financement à moins d'un an- et le vote de la représentation nationale sur la variation de la dette à plus d'un an. Votre proposition va dans le bon sens.
L'obsession de la lutte contre l'endettement n'a rien d'une lubie : elle provient de la conscience aiguë des menaces que la dette fait peser sur notre modèle social et sur les dépenses d'investissement, indispensables à notre avenir. Lorsque le produit de l'impôt sur le revenu ne suffit plus à payer la charge de la dette, on peut s'inquiéter sur notre capacité à relever les défis.
Or, ils sont immenses car la crise suscite des dommages irréparables : selon la commission des finances, la France pourrait perdre 5 points de PIB. Le Gouvernement a ramené de 2,2 % à 1,75 % son estimation du taux de croissance potentiel. Nos perspectives de croissance sont inférieures à la moyenne de la zone euro. Alors qu'elle subit en 2009 une récession deux fois plus sévère que la nôtre, l'Allemagne devrait retrouver le chemin de la croissance dès 2010.
Après la crise, notre pays ne sera plus le même qu'autrefois : des industries auront disparu, le chômage sera plus élevé, la population sera plus âgée, certains comportements économiques auront peut-être changé. La France sait s'accommoder des mutations profondes, à condition d'y voir clair sur la voie à suivre et de prendre les décisions structurelles permettant de reconstituer le potentiel de croissance.
Nous devrons prendre des décisions courageuses dans quatre domaines.
La maîtrise des dépenses publiques vient en premier. Le Gouvernement confirme qu'il tiendra bon et stabilisera les dépenses en volume, dans le cadre d'enveloppes pluriannuelles qui donnent de la visibilité aux gestionnaires. Il envisage de ne pas remplacer la moitié des départs de fonctionnaires à la retraite et annonce une deuxième phase de la révision générale des politiques publiques. Je forme le voeu qu'elle soit très ambitieuse car notre endettement impose de stabiliser les dépenses non en volume mais en valeur. Seule une réforme administrative profonde pourra y parvenir si nous voulons conserver un service public de qualité. En l'état, le besoin de financement des administrations publiques resterait compris entre 5 % et 7 % du PIB à l'horizon 2012.
En période de récession, il faut avant tout obtenir que la machine économique fonctionne. Le plan de soutien au financement de l'économie assure ainsi que les crédits continuent à être distribués. La relance budgétaire a des effets positifs lorsqu'elle prend la forme de dépenses non récurrentes, et à condition de financer des infrastructures permettant de redresser le taux de croissance potentielle. Le plan de relance engagé l'année dernière produira ses effets en 2009 et 2010, avant que l'emprunt national ne prenne le relais. La commission des finances estime que cet emprunt n'aura de sens que s'il concrétise la volonté de la Nation, avec un taux d'intérêt légèrement inférieur aux conditions du marché.
Le deuxième domaine appelant une action structurelle est la réforme territoriale, qui nous occupera cet automne. Je souhaite qu'elle s'accompagne d'une réforme de l'État déconcentré. A ce sujet, j'attire votre attention sur la 13e proposition du rapport Balladur, qui préconise de supprimer des services déconcentrés dans les domaines où les compétences ont été transférées aux collectivités territoriales.
Sur le plan économique, il est impératif de préserver la capacité d'investissement des collectivités territoriales. Lorsque nous avons entendu le ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance, j'ai cru comprendre qu'il préconisait de pérenniser en quelque sorte le versement anticipé des attributions au titre du fonds de compensation de la TVA. Réalisant les trois quarts de l'investissement public, les collectivités territoriales participent indubitablement à la relance. En 2009, elles ont perçu les versements du FCTVA au titre des années 2007 et 2008 ; en 2010, elles pourraient toucher les sommes afférant aux exercices 2009 et 2010.
La protection forme le troisième domaine appelant une action résolue. Mme Dini et M. Vasselle en parleront mieux que moi. La commission des finances aborde dans son rapport le déficit de la branche vieillesse, les effets attendus de la réforme hospitalière et la prise en charge de la dépendance, mais il ne faut pas occulter le fait que les cotisations sociales, véritable droits de douane inversés, fragilisent nos efforts pour améliorer la compétitivité des petites et moyennes entreprises. Cela ne doit pas durer ! Il n'est pas inévitable que le financement de la protection sociale gêne la compétitivité de notre pays.
J'en viens au quatrième domaine que je souhaitais évoquer, le plus important car c'est de lui que dépend notre capacité à endiguer la spirale de la dette : les prélèvements obligatoires. Notre pays dispose de nombreux atouts, reconnus par les agences de notation qui soulignent la diversification de son économie et le rôle mondial de ses grandes entreprises. Mais il est aussi l'un des « champions » européens quant au poids des prélèvements obligatoires, après la Suède, le Danemark et la Belgique.
Au-delà du niveau des prélèvements, nous devons restaurer la cohérence de notre système fiscal. La commission des finances réfléchit à un triptyque permettant de revoir totalement l'impôt sur le revenu, l'impôt sur la fortune et le bouclier fiscal.
Plus largement, le financement de nos choix collectifs doit s'adapter à leur évolution. A cet égard, je salue le travail du groupe animé par Mme Keller au sein de la commission des finances, dont le rapport doit servir de base à notre réflexion sur la fiscalité écologique. L'idée de sécurisation des recettes fait son chemin, sans être encore une règle absolue, ce qui fait le bonheur des restaurateurs, alors que, pour ma part, je regrette le passage à 5,5. Cette règle devra s'appliquer lorsque nous réformerons la taxe professionnelle.
A terme, nous devrions mettre fin à la distinction entre les impôts acquittés par les entreprises et ceux qui pèseraient sur les ménages car ceux-ci subissent toujours in fine le poids de la fiscalité.
Il faut donc s'en tenir à cette ligne si l'on veut éviter la poursuite des délocalisations, qui rendrait bien difficile le rétablissement de notre potentiel de croissance. Il faut que le débat ait lieu devant l'opinion publique afin que nous puissions réformer en profondeur et faire émerger des solutions d'avenir.
Nous retrouverons tous ces sujets à l'automne, en particulier lors du débat sur les prélèvements obligatoires et lors de la première partie du projet de loi de finances. Je voulais les évoquer car la stratégie économique de notre pays, dont les finances publiques constituent une composante importante, doit être globale. En dépenses comme en recettes, l'heure n'est plus aux rustines et aux colmatages, elle est aux décisions qui engagent l'avenir.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que vous vouliez que la France sorte plus grande et plus forte de la crise qui l'affecte depuis plus d'un an. Nous aussi, et c'est pourquoi nous devons faire preuve de pédagogie afin que le pays se prépare aux réformes. Pour qu'elles aboutissent, il faudra du courage et de la justice. (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite)
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Le débat d'orientation des finances publiques prend place cette année dans un contexte particulièrement préoccupant pour les finances sociales. Ma première intervention dans cet hémicycle, en tant que présidente de la commission des affaires sociales, sera donc empreinte d'une certaine gravité. Notre débat d'aujourd'hui me paraît en effet crucial : il s'agit de déterminer les meilleures orientations possibles pour nos finances publiques et sociales, compte tenu d'une situation extrêmement dégradée, avec 20 milliards de déficit pour le régime général en 2009 et 30 milliards pour 2010, et des perspectives encore très incertaines pour les années suivantes.
Certes, la crise explique une partie de nos difficultés, mais une dégradation d'une telle ampleur est inédite pour notre pays. Elle signifie que, n'ayant pas réussi à résorber un déficit d'environ 10 milliards par an depuis 2004, nous devrons bientôt faire face à un socle de déficit annuel de l'ordre de 30 milliards. Il s'agit d'un changement d'échelle sans précédent pour nos comptes sociaux. Ni les discours, ni les recettes du passé ne permettront d'y porter remède. Il y a pourtant urgence car notre système de protection sociale ne pourra survivre à de telles dérives.
Nous l'avons souvent dit dans cet hémicycle, en particulier à l'occasion de ce rendez-vous annuel sur les perspectives des finances publiques : il faut cesser de reporter les dépenses d'aujourd'hui sur les générations de demain.
M. Jean-Jacques Jégou. - Eh oui !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission. - Or, nous n'avons jamais dépassé le stade de l'incantation et jamais traduit par de réelles mesures d'assainissement ce que nous pensions être un engagement. Nous ne pouvons plus nous contenter de décisions ponctuelles, que ce soit pour nous permettre de revenir à l'équilibre ou, plus encore, pour faire face à l'enjeu du vieillissement de la population. Or, celui-ci est bien réel : en matière de retraite, de santé et de dépendance, il pourrait se traduire par au moins 3 points de PIB de dépenses supplémentaires d'ici à 2050.
Je vais vous présenter les principaux éléments du diagnostic établi par notre commission. Alain Vasselle, notre nouveau rapporteur général, vous décrira les conditions que notre commission des affaires sociales estime indispensables pour parvenir à un vrai retour à l'équilibre.
La commission des comptes de la sécurité sociale a rendu ses chiffres pour 2008 : le déficit du régime général s'est finalement élevé à 10,2 milliards, en phase avec les dernières prévisions. Les recettes de la sécurité sociale sont restées relativement dynamiques, le ralentissement économique n'ayant commencé à produire ses effets qu'en toute fin d'année. La branche maladie a poursuivi son redressement avec un déficit ramené à 4,4 milliards alors qu'il atteignait 11,6 milliards en 2004. Sa division par quatre en quatre ans est un résultat d'autant plus positif que les dépenses de santé progressent à un rythme toujours supérieur à celui de la richesse nationale.
En revanche, la branche vieillesse a vu son déficit se creuser pour atteindre 5,6 milliards sous l'effet du départ à la retraite des générations du baby-boom et de la poursuite des retraites anticipées pour carrière longue.
Pour 2009, la situation est tout autre puisque le déficit du régime général devrait doubler et s'établir à 20,1 milliards. Si l'on ajoute le déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), ce montant pourrait même atteindre 22,2 milliards. L'essentiel de cette évolution est dû à l'arrêt brutal de la croissance des recettes alors que celles-ci progressaient régulièrement au cours des dernières années : les cotisations sociales devraient ainsi stagner en 2009 et les recettes de CSG diminuer.
Ce constat a suscité deux réflexions : la première, pour rappeler notre scepticisme sur les hypothèses économiques très volontaristes qui sous-tendaient la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Ainsi, elle tablait sur une croissance de la masse salariale de 2,75 %. Or, elle devrait se contracter de 1,25 %. Il y aurait donc au moins 4 points d'écart entre la prévision et la réalité, ce qui naturellement bouleverse les équilibres initiaux.
En second lieu, pourquoi ne pas avoir présenté un projet de loi de financement rectificatif ? N'aurait-il pas été justifié de demander au Parlement de prendre acte, à défaut de mesure correctrice, de la caducité totale des équilibres votés en fin d'année dernière ? D'autant que, dans le même temps, pas moins de deux collectifs budgétaires ont été votés.
Ces pertes de recettes font s'effondrer les comptes de chacune des branches qui, désormais, affichent toutes un déficit, malgré une croissance des dépenses relativement maîtrisée. La maladie pourrait ainsi connaître un déficit de 9,4 milliards, la vieillesse de 7,7 milliards, la famille de 2,6 milliards et les accidents du travail-maladies professionnelles de 300 millions.
Pour la maladie, le comité d'alerte du 29 mai n'a pas constaté de dérapage de l'Ondam mais seulement un dépassement de l'ordre de 300 à 500 millions. Notre commission estime que tout doit être fait pour corriger cette situation et revenir à un respect strict de l'Ondam pour 2009.
Pour la vieillesse, les charges liées aux départs à la retraite anticipée ont été maîtrisées, du fait d'un meilleur encadrement de cette mesure. En revanche, le FSV, qui avait retrouvé une situation excédentaire en 2007 et 2008, renoue avec un déficit massif en 2009 sous l'effet de l'augmentation du chômage et du transfert d'une partie de ses ressources vers la Cades.
Alain Vasselle vous fera part de notre position sur ces « tuyauteries » qui, si elles apportent une solution à un instant donné, sont rarement de bonnes réponses à moyen terme.
Pour 2010, nous disposons de trop peu d'éléments. Les premières prévisions font état d'un déficit du régime général d'environ 30 milliards. C'est évidemment considérable, sans précédent et très inquiétant.
Ce rapide rappel des comptes sociaux montre l'ampleur des difficultés à résoudre et donne la mesure du chemin qu'il va falloir parcourir pour non pas revenir à l'équilibre mais déjà simplement stabiliser nos déficits. A cet égard, monsieur le ministre, nous regrettons que le document préparatoire au débat d'aujourd'hui soit aussi peu précis sur les finances sociales. Vous ne nous donnez toujours pas la trajectoire pluriannuelle détaillée pour l'évolution de l'Ondam, comme le prévoit pourtant la loi organique relative aux lois de financement. C'est dommage car la définition d'objectifs clairs, que tous pourraient s'approprier, est indispensable. Vous nous apportez néanmoins l'assurance que la nouvelle discipline issue de la loi de programmation des finances publiques en matière de recettes et de niches sociales sera respectée. Nous le souhaitons vivement car elle est nécessaire et réclamée depuis longtemps par notre commission.
Notre commission des affaires sociales fait régulièrement des propositions raisonnables et concrètes et celles-ci ont trop souvent été écartées par le Gouvernement. Ainsi en a-t-il été, il y a trois ans, lorsque nous avons proposé de taxer les stock-options ou, il y a deux ans, lorsque nous voulions instaurer une flat tax sur les niches sociales. Dans les deux cas, vous nous avez contraints à revenir sur ces dispositions pour, un an plus tard, les proposer vous-même dans les lois de financement. En attendant, nous avons perdu une année.
Notre rapporteur général va vous présenter un certain nombre de mesures. Je souhaite que vous les reteniez dans le cadre de la préparation de la loi de financement pour 2010.
En outre, il est indispensable que le Parlement soit pleinement informé en matière de finances sociales. A cet égard, je renouvelle des demandes plusieurs fois formulées par notre commission : un chiffrage précis de l'impact de toutes les mesures nouvelles que vous envisagez et un cadrage pluriannuel plus étayé avec des scénarios d'évolution plus solidement établis à partir d'hypothèses crédibles et différenciées. Nous devons disposer d'éléments aussi transparents et précis que ceux qui sont désormais disponibles en matière de loi de finances.
En 2010, des décisions majeures, peut-être douloureuses, devront être prises pour inverser les tendances actuelles et permettre une stabilisation de nos déficits puis, nous l'espérons, un retour à l'équilibre de nos comptes sociaux. Nous ne pouvons plus repousser encore les échéances. Je souhaite que les décisions du Gouvernement, et cela dès la prochaine loi de financement, traitent réellement et en profondeur l'ensemble des questions qu'Alain Vasselle et moi-même évoquons aujourd'hui devant vous. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Comme vient de le dire à l'instant M. le président du Sénat et comme a bien voulu le faire également M. le ministre, me voilà élevé à une fonction un peu plus solennelle, celle de rapporteur général de la commission des affaires sociale pour la loi de financement sociale. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Jacques Jégou. - Promotion méritée !
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Je ne peux que m'en réjouir mais les propos que je vais tenir ne vont pas pour autant changer, quitte à décevoir certains et à surprendre d'autres.
Le fond de mes observations sera de même nature que les années passées. Le propos aura seulement un caractère un peu plus solennel et je tiens à remercier le Président du Sénat d'avoir, grâce à la réforme du Règlement, permis à la commission des affaires sociales de montrer que la commission des finances n'est pas la seule à être animée par un souci de rigueur.
M. Dominique Braye. - Toutes les commissions le sont !
M. Alain Vasselle rapporteur général. - Il y a moins d'un an, nous espérions encore un retour à l'équilibre des comptes sociaux d'ici 2012. Or le régime général sera en déficit de 20 milliards d'euros fin 2009 et en 2010, peut-être de 30 milliards. Sans réforme structurelle, nous atteindrons fin 2011 un chiffre qui nous glace : 80 milliards d'euros de déficit cumulé.
Cette dégradation massive est due à la crise économique, mais si la sécurité sociale avait affronté celle-ci sans un handicap de 10 milliards d'euros, les choses auraient été différentes. Nous risquons de payer cher notre retard à engager les réformes indispensables. Le retour à la croissance au niveau d'avant la crise stabiliserait tout au plus le niveau du déficit, autour de 30 milliards d'euros. Or, si la sécurité sociale a pu supporter depuis 2003 un déficit de 10 milliards d'euros par an, elle ne résistera pas à un déficit de 30 milliards.
La pérennité du système est menacée. Il faut agir sans attendre, sans compter sur le seul retour à la croissance. Et d'abord, monsieur le ministre, présenter des hypothèses économiques réalistes : la loi de financement pour 2009 était caduque sitôt que votée, bien que vous ayez, en cours d'examen, corrigé certaines hypothèses pour vous rapprocher de la réalité.
On a transféré des ressources du FSV à la Cades ; le fonds qui avait renoué avec les excédents se retrouvera en déficit cette année. M. Fillon, alors ministre des affaires sociales, avait fait le pari que nous pourrions transférer, à partir de 2009, 10 milliards d'euros de cotisations chômage vers le risque vieillesse. La crise est passée par là, balayant cette idée.
Inspirons-nous de certains pays, qui retiennent sagement des hypothèses pessimistes. Le danger de la situation actuelle, c'est le découragement des acteurs -pourquoi, dans ce gouffre de déficit, s'acharner pour économiser 100 millions d'euros ?- et le gonflement de la dette sociale, restée jusqu'alors maîtrisée et qui aurait dû être éteinte en 2021. Que se passera-t-il si le déficit atteint 50 milliards en 2010, alors que la Cades vient de reprendre 27 milliards ? Vous dites, monsieur le ministre, qu'aucune nouvelle reprise de dette ne sera décidée dans l'immédiat et que l'Acoss a les moyens de faire face aux besoins de trésorerie pour 2009 et 2010. Mais la situation sera intenable avant longtemps.
L'Acoss a essentiellement deux sources de financement : la CDC et l'émission de billets de trésorerie. L'Acoss et la CDC négocient un avenant à leur convention de 2006 : la CDC ne prêterait à l'Acoss, aux conditions prédéterminées, qu'à hauteur de 25 milliards d'euros et ne pourrait en tout état de cause pas dépasser 31 milliards. L'Acoss peut émettre jusqu'à 11,5 milliards d'euros, mais elle ne place jamais plus de 5 milliards sur les marchés. A certains moments, l'État lui-même achète des billets de trésorerie. Le plafond, porté à 18,9 milliards d'euros par le Parlement pour 2009, va être relevé de 10 milliards par décret. Mais si l'an prochain, aucune reprise de dette n'est intervenue, le besoin de trésorerie sera de 60 milliards environ. Quelles solutions envisagez-vous ? L'État ou d'autres entités publiques pourraient-ils se porter acquéreurs de billets de trésorerie ? Il est essentiel d'affirmer clairement l'engagement de l'État vis-à-vis de l'Acoss pour éviter que sa crédibilité sur les marchés soit remise en cause. Quoi qu'il en soit, il faudra bien trouver une solution pérenne, soit la reprise de la dette par l'État, soit la création d'une caisse chargée de porter la dette de crise ; soit enfin la reprise par la Cades.
La reprise par l'État mettrait fin au cantonnement de la dette sociale, scrupuleusement respecté jusqu'à présent ; le transfert à la Cades pose le problème des ressources ou de la durée de vie de la caisse. Celle-ci doit achever sa mission autour de 2021. Plus on approche de cette date et plus les transferts devront être compensés par des recettes importantes, afin que le remboursement soit achevé dans les délais prévus. Plus on attendra, plus le coût de la reprise sera élevé...
Pourrons-nous éviter un débat sur une prolongation de la durée de vie de la Cades ? Le risque serait alors très grand d'abandonner toute perspective d'extinction de la dette et de reporter celle-ci sur les générations futures. Quel est l'état des réflexions du Gouvernement ?
Face à cette situation sans précédent, que faire ? Quoi que nous décidions, il faut le mettre en oeuvre tout de suite. Ce que nous ne ferons pas maintenant coûtera plus cher plus tard. La priorité, c'est d'accroître les ressources de la sécurité sociale, qui devront, après la crise, être plus dynamiques que les dépenses. Évaluons les exonérations de charges, certes compensées mais pas à l'euro près. Élargissons l'assiette des cotisations en limitant les niches sociale qui causent une perte de recettes potentielles de 9,4 milliards d'euros. Quelques progrès ont été accomplis, taxation des stock-options, création du forfait social de 2 %. Je souligne qu'en ces matières, les propositions du Sénat, qui avaient d'abord rencontré l'hostilité du Gouvernement, ont fini par être acceptées par lui, une fois reprises sous forme d'amendement à l'Assemblée nationale : nous ne désespérons pas d'être à nouveau suivis, hélas avec un peu de retard.
Nous pouvons aller plus loin en élargissant l'assiette du forfait social, en relevant le taux de ce forfait, en relevant le taux spécifique applicable aux stock-options et aux actions gratuites, en révisant la taxation des indemnités de rupture et des retraites chapeau. Il faudra aussi respecter les nouvelles règles, inscrites dans la loi de programmation des finances publiques. Toute création ou extension de niche fiscale ou sociale doit être compensée par la suppression ou la diminution d'une autre niche pour un montant équivalent.
Il sera inévitable de mobiliser des ressources nouvelles si l'on veut éviter que les déficits demeurent à des niveaux redoutables. Il ne serait pas choquant de taxer davantage les alcools forts. La commission des affaires sociales avait aussi proposé la taxation des produits gras ou sucrés.
Une partie de la contribution climat énergie devrait revenir à l'assurance maladie. Nous ne nous disputerons pas avec la commission des finances sur le partage de cette taxe mais il est légitime de rappeler qu'elle a pour objet de revenir sur des pratiques nuisibles à la santé.
On ne pourra pas non plus échapper à une réflexion sur la CSG, avec ses quatre barèmes et ses exonérations.
Enfin, le rendez-vous de 2008 sur les retraites a été manqué. Souhaitons que celui de 2010 ne le soit pas. Des efforts ont certes été accomplis en faveur des seniors et des plus modestes mais la pénibilité est restée en suspens, de même que la hausse des cotisations vieillesse. En 1960, la France comptait quatre actifs pour un retraité ; le rapport s'établit aujourd'hui à 1,43. Le rendez-vous de 2010 ne doit pas être l'occasion de reporter les réformes structurelles à 2012 -M. Leclerc y reviendra bientôt. Le report de l'âge légal de la retraite impose un changement de mentalité des entreprises sur l'emploi des seniors et ne règlera pas tout. Une réflexion globale est nécessaire.
Un mot encore du régime de retraite des exploitants agricoles. Ce volet doit être traité dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Comment maîtriser des dépenses de santé qui ont tendance à croître plus vite que la richesse nationale ? Il faudra faire preuve de plus de volontarisme. Les progrès sont insuffisants sur les normes de déficit et d'importantes marges de manoeuvre, des gisements de productivité demeurent à l'hôpital. Nous venons de voter la loi hôpital que Mme Bachelot-Narquin a défendue avec ténacité. On nous a présenté les ARS comme la solution miracle mais les ARH n'ont pas montré toute leur pertinence. J'espère enfin que la ministre avancera sur la convergence et que les études complémentaires seront menées suivant un calendrier précis. Mais le projet de loi de financement de la sécurité sociale sera l'occasion de préciser les solutions à retenir pour l'avenir de notre système de protection sociale. (Applaudissements à droite et au centre)
présidence de M. Roland du Luart,vice-président
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. - En concentrant mon propos sur des dépenses inéluctables, j'ai bien conscience de ne pas être tout à fait dans l'esprit de ce débat mais, rassurez-vous, je ne dispose que de cinq minutes... (Sourires)
Notre politique culturelle extérieure d'abord. Elle est aujourd'hui illisible. Dans un rapport d'information commun aux commissions des affaires étrangères et de la culture, adopté à l'unanimité des deux commissions, nous avons formulé dix propositions opérationnelles afin de réunir les conditions d'un sursaut de notre diplomatie culturelle. Nous souhaitons un document budgétaire unique et un seul opérateur afin de sanctuariser les moyens du réseau et d'éviter qu'il serve de variable d'ajustement. Compte tenu de la baisse sans précédent de ses crédits, le réseau, en profonde restructuration, navigue à vue ; il est démobilisé. Cette baisse n'est-elle pas surprenante au moment où nos partenaires intensifient au contraire leur effort ? Au-delà d'un certain seuil, les diminutions de crédit sont contreproductives car ce qui reste n'est plus efficace. L'ouverture de 40 millions de crédits annoncée début 2009 apparaît insuffisante et les réformes annoncées par M. Kouchner en mars 2009 seraient compromises sans un effort financier substantiel.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Ce n'est pas possible ! Il n'y a pas d'argent !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. - L'enseignement agricole ensuite. L'an dernier, nous nous étions entendus après des discussions longues mais fructueuses sur une augmentation de 38 millions du programme 143. Ce geste s'est pourtant révélé insuffisant car il ne comportait aucun emploi et la situation de l'enseignement agricole public s'est dégradée. Il a fallu un mouvement d'ampleur dans les lycées agricoles pour que, prenant la mesure du problème, on rétablisse 132 équivalents temps plein et que l'on débloque 90 000 heures supplémentaires. Cela doit permettre d'apaiser les tensions mais les acquis du budget 2009 représentent un étiage pour l'enseignement agricole. Toute suppression d'emploi dans le public ou tout report de charge dans le privé aggraverait le problème. L'enseignement agricole, s'il est mal considéré à Paris, fait pourtant l'unanimité dans les régions parce qu'il fait merveille pour la remédiation comme pour l'insertion durable des jeunes. C'est de l'argent bien placé.
L'entretien du patrimoine monumental a reçu 100 millions dans le cadre du plan de relance. Ces engagements se poursuivront-ils en 2010 ? Depuis la loi de 2001 sur l'archéologie préventive, de fortes tensions se sont fait jour et nous en avons régulièrement débattu. Le dispositif expérimental des contrats d'exploitation ne vaut que pour les fouilles et ne résout pas les conditions du diagnostic. Or le rendement de la redevance d'archéologie préventive conditionne les moyens d'intervention de l'Inrap ainsi que la mutualisation du coût des fouilles. Le Parlement a déjà décidé une hausse progressive du taux de la redevance pour un rendement de 20 millions en année pleine et prévu une subvention exceptionnelle de ce montant pour 2009. Cependant, entre la suppression de la subvention du ministère de la culture et la non-reconduction des crédits du plan de relance, les moyens de l'archéologie préventive vont reculer de 15 millions. Il faut sortir définitivement de ce débat par un financement pérenne. La réforme de la taxe locale d'équipement devrait être l'occasion d'une révision de l'assiette de la redevance d'archéologie préventive. Il faut lever ce frein à la réalisation des travaux inscrits au plan de relance.
L'audiovisuel enfin. L'an dernier, nous avons garanti un financement pérenne de 450 millions à l'audiovisuel public. Or il semble que ces sommes ne soient pas versées, faute de réponse de la Commission européenne. Qu'en est-il ? Quant à l'audiovisuel privé, une taxe devait compenser l'effet d'aubaine que représentait la suppression de la publicité sur les chaînes publiques mais le marché publicitaire s'est effondré. La loi de finances apportera-t-elle des adaptations ? Notre commission est attachée à l'équilibre de l'audiovisuel. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Thierry Foucaud. - Nous abordons un nouveau volet du triptyque des finances publiques avec ce débat d'orientation qui s'ouvre sous des auspices contraints. Rien ne change : ni vos orientations, ni la norme de progression de la dépense publique, ni le choix des recettes fiscales. Le paquet fiscal continuera à s'appliquer malgré la sensible détérioration des finances publiques.
Pour tenir la norme de dépenses, pas de surprises ! Encore une fois, vous recourez à une saignée d'emplois publics et à une judicieuse compression des dépenses sociales pour financer la dette publique, ce poids mort dans les comptes publics qui fait obstacle à toute politique de réduction des déficits, à toute politique fiscale et budgétaire originale... Cette dette, dont s'inquiètent quelques collègues de la majorité, représente un bon placement pour une certaine épargne, et pas toujours celle des ménages les plus modestes et des PME. Parmi les manières de faire croître et embellir la dette publique, la vôtre consiste à gager le coût des réductions de recettes fiscales par l'émission de nouveaux titres de dette publique ; ce qui ne contribue pas au développement économique et social de la Nation puisque les initiatives privées, libérées de l'impôt, ne se substituent pas à l'intervention publique. Si vous réalisiez les infrastructures de transport nécessaires pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et favoriser le développement harmonieux de nos territoires, si vous renforciez l'équipement éducatif, développiez le logement social ou assuriez l'égal accès aux soins, cette politique pourrait se comprendre. Mais ce n'est pas le cas. Nous nous endettons pour payer la facture des cadeaux fiscaux (M. Jean-Pierre Fourcade s'exclame) et l'importation de la récession américaine à cause d'entreprises françaises de moins en moins responsabilisées. En un mot, se développe un mal-endettement de l'État.
Il en va de même pour la sécurité sociale, victime d'une sensible réduction de ses recettes du fait de l'accroissement du chômage et du choix fait, en dépit du bon sens, de satisfaire les revendications corporatistes des syndicats de médecins. Les prestations servies par l'assurance vieillesse et l'assurance maladie continuent de diminuer, ce qui n'a pas empêché la Cour des comptes de refuser de valider leurs comptes au motif de leur insincérité.
Le budget et la loi de financement pour 2010 sont bâtis sur le même principe, qui consiste à demander toujours plus aux ménages modestes pour moins de service en retour, mais le cadre est d'autant plus contraint que la prévision de croissance de 0,5 %, qui relève de l'incantation, est déjà consommée. De fait, il faudra supporter les effets du paquet fiscal de 2007, la réduction de la TVA sur la restauration et la réforme de la taxe professionnelle. En revanche, la création d'une taxe carbone est annoncée. Nous sommes contre, car elle va taxer une consommation qui l'est déjà fortement plutôt que l'entreprise, lieu de la création de richesses. La Tipp, principale composante de la fiscalité environnementale qui rapporte aujourd'hui environ 50 milliards, ne sert aucunement la cause écologique : elle est reversée au budget général ou aux collectivités territoriales pour financer les charges transférées. Nous voulons rénover notre système de prélèvements fiscaux, remettre en cause le bien-fondé du transfert des compétences depuis la décentralisation à la sauce Raffarin mais prévoir le transfert d'autres recettes fiscales pour favoriser cette éventuelle prise en charge. Pourquoi ne pas faire ce choix, nécessaire au retour à l'équilibre budgétaire, dès 2010 ? Pourquoi ne pas affecter la Tipp à un fonds d'investissement écologique ? La création de la taxe carbone semble avoir pour seul but de compenser la réforme de la taxe professionnelle et pour seule conséquence l'augmentation du prix de l'essence et du chauffage, qui pénalisera les plus modestes.
L'état des lieux est particulièrement préoccupant avec un déficit de 125 à 130 milliards en 2009 et, selon le document annexé à ce texte, de 7 à 7,5 points de PIB en 2010 et de 5,5 % en 2012, soit un déficit bien supérieur aux limites autorisées et une dette publique proche des 90 % du PIB ! Une telle situation justifie le lancement d'un emprunt obligatoire pour les entreprises comme pour les ménages les plus aisés, à l'instar de l'emprunt obligatoire lancé parle gouvernement Mauroy en 1983 en soumettant un projet de loi d'habilitation, dont le rapporteur, Maurice Blin, avait obtenu le rejet par le Sénat de l'époque, à la différence près que cet emprunt serait assorti d'un taux actuariel quasi nul et non de 11 % comme cela avait le cas en 1983 pour tenir compte de l'inflation. La question de la dette des entreprises publiques, de nouveau d'actualité avec la controverse sur EDF, mérite également réflexion. Pour qu'elles puissent développer leur activité, pourquoi ne pas engager une vaste opération d'échange de titres de dette, transformant la dette des entreprises publiques en dette complémentaire de l'État ? Enfin, il est plus que temps que la Banque centrale européenne, plutôt que de délivrer des bons et des mauvais points aux élèves de la classe euro, souscrive un emprunt pour aider les États à financer les dépenses d'infrastructure et d'équipement nécessaires à la cohésion du projet européen -je pense, notamment, au ferroviaire et à l'économie numérique. Que M. Trichet mette enfin au service des États de l'Union les moyens d'un développement économique peu coûteux !
Revue générale de la dépense fiscale, mise en question des choix opérés depuis 2007, emprunt obligatoire et gestion active de la dette publique, voici quelques-unes des orientations que nous préconisons. En matière de sécurité sociale, plutôt que de gloser sur l'allongement de la durée nécessaire pour ouvrir droit à la retraite ou sur la faiblesse du taux d'emploi des seniors, reconnaissons que les comptes sociaux sont dans le rouge. Ils souffrent, particulièrement ceux de l'assurance chômage, de l'insuffisance des recettes liée à la dégradation économique. Quelles réponses le Gouvernement a-t-il apportées ? Il a fait adopter une loi sur l'hôpital qui entraînera la dégradation du service rendu pour des économies de bout de chandelle et tente, via le texte sur la formation professionnelle, de faire main basse sur l'argent des salariés pour financer son propre désengagement en matière de préservation de l'emploi productif ! Il faut s'attendre au pire avec un gouvernement qui a créé un fonds de soutien au secteur automobile qui paie les plans sociaux et un fonds stratégique d'investissement qui alimente les opérations spéculatives sur quelques entreprises ! Dans le champ de la protection sociale, il est temps de s'interroger une bonne fois pour toutes sur les effets pervers des politiques d'allégement de cotisations sociales et de sanctionner les médecins qui refusent les bénéficiaires de la CMU.
Par avance, nous regrettons que les choix désastreux faits depuis 2007 soient maintenus ! (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG et sur quelques bancs socialistes)
M. Aymeri de Montesquiou. - Les finances publiques, sujet complexe et technique, prennent, avec la crise économique, une dimension politique internationale. Depuis plus de six mois, les débats budgétaires se succèdent et pas moins de quatre collectifs ont été adoptés. Difficile de bâtir le budget pour 2010 alors que les comptes n'ont jamais été aussi dégradés et que nous avons une faible visibilité à court, moyen et long termes.
Pour la première fois depuis 1945, notre pays devrait connaître cette année une croissance négative de 3 %. Espérons qu'elle se hissera à 0,5 % en 2010. Les marges de manoeuvre du prochain exercice budgétaire seront donc quasi inexistantes. De plus, à la crise conjoncturelle se juxtapose une crise structurelle où un État boursouflé est incapable de s'adapter au contexte mondial tout en gérant une société conservatrice.
La cause principale de la crise, c'est un endettement accéléré sur les dix dernières années. Notre rapporteur général a employé l'image poétique d'un « monde étrange des déficits sans pleurs ». Troisième État le plus endetté de la zone euro, avec une dette publique qui risque de se stabiliser à près de 100 points de PIB et un déficit public supérieur à 7 points de PIB, voilà ce qui me semble plus approprié pour décrire la réalité...
Le plan de relance est judicieusement axé sur les investissements mais quand bénéficierons-nous d'un retour sur ceux-ci ? Ce plan est essentiellement orienté sur l'année 2009 : les résultats en seront-ils plus rapidement perceptibles ? Nous connaissons, monsieur le ministre, la difficulté de votre tâche. Votre choix de privilégier l'investissement fut de toute évidence le bon. La consommation se tient en raison des garde-fous sociaux et des allocations allouées aux ménages les plus fragiles, qui ont permis à une majorité d'entre eux de ne pas sombrer dans un découragement contagieux. Les ménages font face à la crise car, avec un taux d'épargne de 15 %, la France constitue une exception dans l'économie mondiale. La TVA de la consommation, qui représente 61 % de cette recette, résiste donc bien.
Il n'en est pas de même pour les recettes générées par l'activité économique. Pour maintenir celle-ci, vous avez garanti les dépôts des ménages et incité les banques à maintenir des lignes de crédit aux entreprises. Mais ces dernières perdent leur compétitivité et suppriment des emplois. L'impôt sur les sociétés a baissé de plus de 50 % en un an et les investissements de 9,4 % en 2009. L'achat d'un logement neuf par les ménages a diminué d'un tiers.
La situation financière des collectivités est en dégradation constante : fin 2008, leur déficit a atteint 7,5 milliards d'euros avec un endettement global de 113 milliards, qui augmente d'autant l'endettement de la France. Selon le premier président de la Cour des comptes, la dette des administrations publiques locales représente environ 10 % de la dette publique. En 2008, les dépenses des collectivités territoriales ont augmenté et les recettes de fonctionnement se sont tassées. Les pertes sont d'autant plus importantes que le ralentissement de l'activité immobilière a fortement réduit les droits de mutation, de 30 à 40 % dans certains départements. Quelle sera la situation en 2009 ? L'activité sur le marché immobilier restant faible, les droits de mutation le seront tout autant. Les dépenses sociales, qui concernent au premier plan les départements, exploseront. La prochaine réforme de la taxe professionnelle doit impérativement être compensée pour les collectivités territoriales. Le Sénat doit jouer son rôle en ce sens. L'État se chargera de la compensation mais cela implique de trouver de nouvelles ressources évolutives.
Dans ce contexte, la question centrale reste donc celle des recettes fiscales dont il faut relancer la dynamique sans alourdir l'impôt. Les gisements de ressources sont peu nombreux et le plus important reste celui des niches fiscales, qui sont plus de 400 et génèrent un manque à gagner de 50 à 70 milliards. Un grand pas a été franchi dans la loi de finances pour 2009 en en plafonnant certaines. Cette piste doit être poursuivie : peut-on imaginer que d'ici la fin de la législature, on en récupère 50 % ?
Pour ce qui est de la fonction publique, l'économie estimée du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux est d'environ un milliard d'euros par an. Selon le Président de la République, l'État en France dépense à ce titre 150 milliards de plus que l'Allemagne sans que les citoyens s'en trouvent mieux servis.
Toutefois, nous ne sommes pas un îlot de déficit dans un monde prospère : les déficits publics aux États-Unis s'élèvent à 10 et 13 % de leur PIB et l'épargne des ménages y est nulle, comme en Grande-Bretagne où l'épargne des entreprises est souvent négative. Avec La Fontaine, je dirai : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Ce paysage cataclysmique touche tous les acteurs économiques mais demain, ces chiffres peuvent être inversés. Soyons optimistes : imaginons qu'en 2012 la crise soit derrière nous. Les carnets de commandes des entreprises sont remplis, l'immobilier est relancé, les Français consomment. Mais qu'en est-il de l'État ? Comment fera-t-il face à une dette qui dépassera sans doute 80 % du PIB et une charge induite augmentant en proportion ?
Le budget prépare l'avenir, mais pas uniquement à court terme. Monsieur le ministre, comment préparez-vous la sortie de crise ? Quand pouvons-nous escompter réintégrer les critères de Maastricht ? Y aura-t-il une action concertée des pays de la zone euro ? Une initiative européenne ? Les décisions actuelles ne peuvent se résumer à un sauve-qui-peut, elles s'inscrivent dans le temps. Suivons le conseil de Raymond Barre : « Un avenir, cela se façonne, un avenir, cela se veut. » Demain se prépare aujourd'hui : cette certitude est partagée par les membres du groupe RDSE. (Applaudissements à droite et au centre)
M. François Marc. - Que nous réserve l'année 2010 sur le plan économique et financier ? Vos pronostics, monsieur le ministre, ne sont pas faits pour nous rassurer. Vous avez évoqué un taux de croissance terriblement comprimé, et nous serions moins réactifs que l'Allemagne. Le déficit serait de 130 milliards en 2009 et 2010, auxquels il faut ajouter les 30 milliards manquant aux comptes sociaux. La dette publique s'élèverait aujourd'hui à 70 % du PIB, pour atteindre bientôt 80 %, voire 100 %, et même 130 % en 2020. Le président de la commission des finances nous a parlé de vertige, d'asphyxie, et a remarqué combien le Gouvernement anesthésie l'opinion. Nous partageons cette façon de voir, même si nous voulons aller plus loin dans l'analyse des responsabilités politiques.
La crise systémique apparue dans la sphère bancaire frappe désormais tous les secteurs économiques, et notre inquiétude porte particulièrement sur le pouvoir d'achat et le chômage. Sans oublier la question vitale de l'environnement et du climat qui impose de placer les politiques publiques sous le signe du développement durable, mais peut-on parler de développement durable lorsqu'on laisse filer l'endettement comme le fait le Gouvernement ?
C'est donc dans une situation tendue à l'extrême que s'inscrit la préparation du budget 2010. Le rapporteur général du budget parle d'une « France en état d'apesanteur financière ». Or, malgré les risques qui pèsent sur l'avenir, le Gouvernement lance des réformes hasardeuses dont l'impréparation le dispute à la démagogie. Ainsi de la réforme territoriale, qui doit renforcer le poids du parti présidentiel, et de la suppression de la taxe professionnelle, qui conduira à l'étouffement financier des collectivités locales. Désarçonné par la crise, le Gouvernement abuse des effets d'annonce, tel le « grand emprunt » annoncé à Versailles par le chef de l'État sans réflexion préalable. Faute d'en avoir clairement expliqué le sens, le Gouvernement l'a déjà rendu impopulaire pour 82 % de nos concitoyens.
La situation économique et financière sera très difficile en France en 2010, comme dans la plupart des autres grands pays... Les marges de manoeuvre seront très étroites : raison de plus pour appliquer la bonne politique au bon moment. Et je suis inquiet, comme beaucoup de mes collègues sénateurs de tous bords, car la politique de recettes conduite en France depuis 2002 mène le pays à la catastrophe ! Monsieur le ministre, vous vous trompez lourdement dans votre politique fiscale. J'aimerais vous convaincre d'en changer car l'état calamiteux de nos finances publiques n'est pas fondamentalement dû à la crise mais à votre mauvaise politique des recettes. La Cour des comptes ne dit pas autre chose. Selon son rapport sur l'exécution du budget 2008, la dégradation des comptes publics n'a été provoquée qu'à la marge par la crise, qui représente seulement 4 milliards de moins-values fiscales alors que le Gouvernement a accordé 7,8 milliards de nouveaux cadeaux fiscaux.
Cumulés à ceux des années précédentes, cela porte le total des divers cadeaux fiscaux à 92,2 milliards : un chiffre qui donne froid dans le dos !
Cette stratégie était déjà celle des gouvernements Raffarin et Villepin. A peine nommée, Mme Lagarde appelait de ses voeux un plan de rigueur -avant d'être tancée par l'Élysée. M. Fillon eût beau indiquer que les caisses étaient vides et la France « en faillite », il applique les consignes de l'Élysée, accentuant les choix de ses prédécesseurs. La loi Tepa et son paquet fiscal ont coûté 3,3 milliards en 2008, avec leurs mesures dispendieuses qui méprisent le principe de progressivité de l'impôt. Ajoutez des restitutions d'impôt sur les sociétés et de TVA, pour 9,5 milliards, et vous obtenez une situation explosive.
Dans son rapport de juin 2009, la Cour des comptes évoque « un mouvement ancien d'allégements fiscaux ». La baisse des impôts de l'État, depuis quatre ans, a coûté 39 milliards en 2009. Quant à la baisse de la TVA sur la restauration, elle coûtera 2,5 milliards.
M. Michel Sergent. - Et oui !
M. François Marc. - M. Séguin estimait urgent de trouver 70 milliards d'économies pour endiguer le déficit structurel. Ces 39 milliards y contribueraient utilement ! Au nombre de 483, les niches fiscales représentent 73 milliards et entraînent une perte de recettes de 3,8 % du PIB. Malgré des critiques unanimes, une quinzaine de nouvelles niches sont créées chaque année. Le total est de 112 milliards : effrayant !
Si encore cette politique était efficace, et non pas purement idéologique... Et pourtant, que de discours ! Il fallait moderniser l'État impotent, baisser les prélèvements pour « libérer les énergies », attirer les investisseurs... La politique fiscale et sociale de la France était un fardeau, il fallait mettre fin à l'exode des capitaux par une fiscalité attrayante... Cette promesse de M. Sarkozy devant l'université d'été du Medef en 2007 est le péché originel ! Les baisses d'impôt devaient relancer la croissance ; aujourd'hui, notre taux de croissance est passé sous la moyenne européenne. Les « contribuables à fort potentiel économique » -les riches- préfèrent la rente à l'investissement productif. Comme le titrait un journal économique, même les riches ont le blues ! Vous prétendiez rendre à la France sa compétitivité, retenir les investisseurs mais, selon le cabinet Ernst & Young, la fiscalité ne dissuade pas les investisseurs dans leur choix de lieu d'implantation ! Pourtant, malgré la situation catastrophique, le Gouvernement poursuit sa politique...
En vingt-cinq ans, la dette n'a cessé de croître -à l'exception d'une courte embellie de 1997 à 2002. Elle devrait atteindre 90 % du PIB en 2010, 130 % en 2020. Le remboursement des intérêts équivaut au produit de l'impôt sur le revenu. Ce n'est plus un effet boule de neige mais un risque d'avalanche ! D'autant que cet endettement ne s'est pas traduit par des investissements dans les secteurs stratégiques... Enfin, l'État est obligé de se financer sur les marchés.
Cette situation est intenable. Il faudra tôt ou tard relever les prélèvements obligatoires et réduire les dépenses. Deux scenarii s'offrent à vous : abroger les privilèges consentis à quelques-uns ou lancer un plan de rigueur en cassant le service public et la protection sociale. A nos yeux, il est urgent de revenir à l'idéal républicain de solidarité en réhabilitant l'impôt progressif. Monsieur le ministre, vous devez immédiatement changer de cap pour ne pas entrer dans l'histoire comme le ministre de la banqueroute ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Fourcade. - En cette période de crise profonde, il est d'autant plus nécessaire de définir une ligne claire pour nos finances publiques que 2009 verra un recul historique du PNB, un déficit frôlant les 7 % et un endettement record. Le ministre a précisé les perspectives pour l'année prochaine. N'en déplaise à M. Marc, le Président de la République a reconnu à Versailles que la France avait un problème de finances publiques.
Mme Nicole Bricq. - Il était temps !
M. Jean-Pierre Fourcade. - Il a distingué le mauvais déficit, le déficit conjoncturel auquel il faudra consacrer l'intégralité des recettes de la croissance, et celui qui finance les dépenses d'avenir. L'emprunt annoncé ne pourra simplement s'additionner à la dette existante : il devra marquer une rupture.
On ne peut laisser dériver plus longtemps nos finances publiques. Il faut un signal fort dès 2010.
Pourquoi réduire le déficit des finances publiques ? D'abord, les déficits de l'État et de la sécurité sociale entraînent un endettement dont la charge financière atteint 50 milliards. Déjà lourde quand les taux de crédit sont faibles, cette charge devient insupportable s'ils augmentent. En outre, près de 10 % de la dette de l'État est portée par des obligations du Trésor indexées sur l'inflation. Nous en avons mesuré les conséquences en 2008...
Ensuite, ce déficit chronique détériore nos relations avec nos partenaires de l'euro et risque de remettre en cause l'euro lui-même. Pour l'heure, le marché financier international accueille nos emprunts, mais la Cour des comptes souligne le risque d'explosion de la dette : on a vu que les marchés peuvent se fermer sans préavis !
Enfin, cette situation crée un décalage avec l'Allemagne alors que le couple franco-allemand est le moteur de l'Europe. Le gouvernement allemand vient de s'engager courageusement, à la veille des élections, dans une réduction programmée de son déficit budgétaire. Nous ne pouvons ajouter un grand emprunt national à la dette actuelle sans entamer, nous aussi, une telle démarche, préalable à une stabilisation de l'endettement.
Comment amorcer la réduction du déficit budgétaire dès 2010 ? Je ne sous-estime pas les efforts entrepris depuis le début de la crise : réduction courageuse des effectifs de la fonction publique, maîtrise de la croissance des dépenses de l'État, révision générale des politiques publiques, diversification des modalités de financement du Trésor.
Je n'aurai garde de proposer des impôts supplémentaires, à l'exception de la contribution climat énergie. Mais je suis quelque peu perturbé, alors que l'on nous dit que tout le monde doit participer à l'effort, que seuls les travailleurs privés d'emploi et les jeunes, qui sont dans l'impossibilité d'en trouver, supportent les conséquences de la crise. Leurs concitoyens se contentent de les observer, parfois avec compassion, souvent avec indifférence. Comme si le retour attendu de la croissance en 2011 devait les dispenser de tout effort.
Le déficit public dépassera 6 % du PIB en 2012. Il faut engager dès à présent le processus qui permettra de le réduire, en s'inspirant de ce qu'ont fait nos voisins d'outre-Rhin qui entendent passer de 7 % en 2009 à 4 % en 2012, en taillant dans les dépenses inutiles.
Trois secteurs doivent faire l'objet d'une attention particulière. Les dégrèvements, qui représentent 90 milliards, dont 73 pour l'État et 17 pour les collectivités locales ; les dépenses fiscales, qui atteignent 69 milliards, auxquels s'ajoutent les quelque 40 milliards d'allégement de charges sociales. Voilà qui représente au total une masse de l'ordre de 200 milliards, à mettre en regard de l'objectif d'économie de 20 milliards en 2010, soit un point de PIB.
Les exemples sont nombreux. On peut suspendre certains programmes d'allégements fiscaux. (Mme Nicole Bricq manifeste son intérêt) Je pense au programme épargne, qui représente une moins-value de 5,8 milliards en 2008. Je pense à un relèvement des exonérations de cotisations sociales à 1,4 ou 1,3 Smic, qui représenterait une économie de 6,7 milliards. Je ne reviens pas sur la question du financement de la dette par l'emprunt à court terme, que nous avons abordée avec la loi de règlement. (M. Jean Arthuis, président de la commission, approuve) On pourrait également songer à faire porter l'emprunt nouveau par la Caisse de la dette publique, qui s'en trouverait utilement occupée, en assurant son amortissement par la nouvelle contribution énergie climat.
Dégrèvements, niches fiscales, niches sociales : c'est un point de PIB gagné en 2011, alors que les ressources fiscales retrouveront plus de solidité. Bien entendu, monsieur le ministre, et vous nous avez rassurés, si vous persévérez en matière de dépenses, avec des plafonds pour chaque administration, nous gagnerons un point en 2011, un point en 2012, et reviendrons peut-être, bien que nul ne puisse préjuger de la conjoncture, aux 3 % en 2013. Nous devons cet effort, qui donnera un signal à nos partenaires et engagera notre endettement sur la voie de la stabilité.
Croyez bien qu'avec le président de la commission des finances et ses membres, nous apporterons notre contribution en regardant de près toutes les sources d'économie possibles. (M. Jean Arthuis, président de la commission, le confirme)
J'ai été, ainsi que le président Arthuis a bien voulu le rappeler, le dernier ministre des finances à présenter un budget en équilibre, en 1975. La dette publique était alors passée de 9 % à 13 % du PIB, et je me suis fait vertement tancer par le président de la commission des finances d'alors, Fernand Icart, qui trouvait cela inacceptable. Les temps ont bien changé !
Sans vouloir sous-estimer la qualité de votre travail ni l'honnêteté avec laquelle vous vous attelez au sujet, je vous dis clairement que je ne pourrai pas voter le budget 2010 s'il ne marque pas le début de la réduction du déficit. D'autres collègues pensent comme moi, le moment est venu d'agir, nous ne pouvons plus nous laisser dériver ! (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Nicole Bricq. - Chiche ! On vous le rappellera !
M. François Rebsamen. - En écoutant M. Fourcade, j'avais envie de lui dire : cessez donc, alors, de voter chaque jour des mesures qui diminuent nos recettes fiscales...
Nous débattons de l'avenir de nos finances publiques, en cette session extraordinaire qui est devenue notre ordinaire, sans connaître les conséquences budgétaires des décisions des conseillers du Président de la République -et peut-être vous-même, monsieur le ministre, ne les connaissez pas encore. C'est le tonneau des Danaïdes.
Il y a à peine sept mois, alors que nous élaborions un projet de loi de finances pour 2009, le Président de la République annonçait un plan de relance aux conséquences forcément bien réelles pour les finances publiques. Aujourd'hui, nous débattons des orientations à donner aux finances publiques pour l'année 2010 alors même que les modalités de la révision de la fiscalité locale ne sont pas actées et que l'on ne sait rien du projet de grand emprunt annoncé en grande pompe, à Versailles, par Nicolas Sarkozy. Le président de la Cour des comptes lui-même, lors de son audition le 24 juin, avouait manquer de toute information quant au montant, aux modalités ou à la destination de cet emprunt, dont le Président de la République, là n'est pas le moindre des paradoxes, avait vigoureusement écarté l'idée quelques mois seulement auparavant...
Les Français, et cela réjouira le président Arthuis, sont beaucoup plus informés qu'on ne le pense, si l'on en croit le baromètre BVA-Les-Échos, sur l'état de nos finances publiques : 55 % d'entre eux ne soutiennent pas le lancement d'un grand emprunt en 2010 pour financer les dépenses dites d'avenir.
Mme Nicole Bricq. - Diversion !
M. François Rebsamen. - La communication politique du Président de la République et du Gouvernement a beau se déployer comme jamais, nous savons bien que depuis plusieurs années, la baisse de la fiscalité au profit des ménages les plus aisés -grâce à la multiplication des niches fiscales-, conjuguée à de nouvelles mesures comme le taux réduit de TVA pour la restauration ou la suppression annoncée de la taxe professionnelle, diminue les ressources fiscales de l'État, accentuant l'effet de ciseau entre recettes et dépenses. Le premier président de la Cour des comptes estimait ainsi que les ressources publiques ont été diminuées de près de 10 milliards d'euros avec la loi Tepa et le dégrèvement de la taxe professionnelle.
Aujourd'hui, alors même que la crise sévit et que le taux de chômage enfle, les collectivités locales assument, aux côtés de l'État, un double rôle d'investisseur public et d'amortisseur social. Il y a un an à peine, le Gouvernement ne cessait de montrer du doigt les collectivités pour leurs dépenses, les accusant d'être responsables des déficits. Et voilà qu'avec la crise, il redécouvre le caractère vertueux de leurs dépenses d'investissement -73 % de l'investissement public - et signe avec près de 20 000 d'entre elles un pacte de relance. On peut regretter, d'ailleurs, qu'aucune mesure d'encouragement n'ait bénéficié aux EPCI, qui sont bien souvent les relais de l'investissement public local de nos communes. Pire, nos EPCI à taxe professionnelle unique, nos départements et nos régions apprennent de la bouche du Président de la République que la taxe professionnelle sera supprimée fin 2009, sans que l'on sache en rien par quoi elle sera remplacée. Avouez qu'il y a de quoi inquiéter les excellents gestionnaires que sont souvent les élus locaux.
Alors que les collectivités locales ont besoin de visibilité pour poursuivre des investissements utiles aux Français, c'est risquer la rupture du pacte de confiance qui doit les unir à l'État. Et je ne parle pas de la volonté présidentielle de diviser par deux le nombre d'élus départementaux et régionaux, qui ajoute à la confusion.
Quand on sait l'excellente opinion que nos concitoyens ont de leurs élus, on souhaite bien du plaisir à ceux qui porteront une réforme dictée par un électoralisme teinté de populisme. Les collectivités gèrent mieux que l'État. Elles investissent davantage qu'il ne l'avait fait dans les compétences transférées -songeons aux lycées, aux TER. C'est vers elles que se tournent, en dernier recours, les Français quand tout va mal. Les fonds d'aide des conseils généraux, les secours des centres communaux d'action sociale jouent bien ce rôle d'amortisseur social.
Comment peut-on songer à supprimer la taxe professionnelle sans jeter les bases d'une fiscalité locale plus juste, d'une véritable autonomie fiscale ? La croissance des dépenses locales, plus forte que celles de l'État en raison de transferts mal compensés, déplace la pression fiscale de l'État vers les collectivités. Se pose donc la question de la réforme des impôts locaux attendue depuis des années.
Lorsque je vous avais interrogé sur la réforme des bases, vous m'aviez renvoyé à la suppression de la taxe professionnelle. Où on est la concertation engagée sur ces sujets ?
Le Gouvernement impose une norme de croissance de l'enveloppe globale qui pèse lourdement sur la dotation globale de financement (DGF), mais se défausse de ses responsabilités en matière de péréquation, en accordant à celle-ci une attention dérisoire par rapport à celle dont a bénéficié la baisse de la TVA sur la restauration.
Les collectivités territoriales ont besoin de recettes dynamiques et de prévisibilité financière. Il est donc temps que le Gouvernement cesse de considérer leur budget comme variable d'ajustement du budget de l'État. A défaut, nous devons choisir entre augmenter les impôts locaux et mettre en panne les investissements. Dans ces conditions, comment rétablir la confiance ?
Ne pas aggraver la situation pour 2009 relève du bon sens ; l'améliorer serait conforme à l'intérêt national.
Le Gouvernement devrait comprendre que la concertation est un bienfait car au lieu de travailler plus pour gagner plus, les Français devront bientôt payer plus pour rembourser plus ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. le président. - Le groupe socialiste ne dispose plus que de neuf minutes.
M. Jean-Jacques Jégou. - Le premier président de la Cour des comptes a présenté devant la commission des finances des perspectives inquiétantes pour les finances publiques, les finances sociales, la croissance de demain et la sortie de crise.
Ce débat permet de nous assurer que la politique budgétaire prépare la sortie de crise, la croissance et la situation à long terme de nos finances publiques.
Nous vivons certes la pire crise économique depuis la Libération mais la situation des comptes publics était déjà dégradée. La Cour des comptes a constaté une accélération des déficits depuis 2007. Celui de l'État s'est aggravé en 2007 malgré une croissance de 2,3 % ; il a augmenté de 47 % en 2008. Nous devrions donc regarder courageusement nos insuffisances : nous payons aujourd'hui le laxisme budgétaire des gouvernements successifs depuis des années. Entrant dans la crise avec des comptes dégradés, la France n'a pu consacrer au plan de relance autant de moyens que ses voisins.
Nul ne sait aujourd'hui ce que sera l'économie mondiale en 2010 mais je pense à une sortie de crise lente. L'hypothèse de 0,5 % retenue par le Gouvernement pour le budget de 2010 doit inciter à la prudence quant aux recettes fiscales de l'année prochaine, sachant qu'elles ont déjà reculé de 20 % au 30 avril par rapport à la même période en 2008. En revanche, le niveau des dépenses reste stable en volume.
Notre débat se déroule dans un contexte incertain : où en est la suppression de la taxe professionnelle, qu'il faudra bien compenser ? Quid de la taxe carbone, qu'un membre éminent du Gouvernement veut déjà rembourser aux Français sous forme de « chèques verts » ? Avec de telles incertitudes, il est illusoire d'imaginer réduire le déficit.
En effet, Philippe Séguin a fait une description alarmiste, mais réaliste, des comptes de l'État, avec un déficit budgétaire frisant les 140 milliards d'euros, soit 7,5 % du PIB, et une dette de 1 327 milliards, soit 80 % du PIB, fin 2010.
La situation des comptes sociaux est tout aussi préoccupante, avec 25 à 30 milliards de déficits prévus pour 2009, alors que l'aggravation du chômage réduira les recettes et augmentera les dépenses. Il ne s'agit malheureusement pas d'un déficit conjoncturel mais bien d'une insuffisance structurelle de recettes. Mme Dini et le rapporteur général de la commission des affaires sociales, M. Vasselle, l'ont clairement montré.
Mme Nathalie Goulet. - Hélas !
M. Jean-Jacques Jégou. - En 2008, la dette publique brute de la France a progressé de 10 %, pour culminer à 1 327 milliards, soit 20 600 euros par habitant et 47 400 par actif. La charge d'intérêts atteint 54,6 milliards d'euros, soit 850 euros par habitant et 1 950 euros par actif.
En matière de déficit, la France fait moins bien que ses partenaires européens avec 3,4 % du PIB contre 1,5 %. Elle est aussi le seul pays de la zone euro dont les dépenses publiques aient excédé 50 % du PIB en 2008. Enfin, elle est devenue le quatrième État le plus endetté de la zone euro par rapport à son PIB, alors que nous occupions la huitième place en 2004. A ce stade, on abandonne toute idée de retour à l'équilibre en 2012. Même l'objectif des 3 % est hors d'atteinte. La crise transforme l'économie française en machine à fabriquer de l'endettement : avec une dette publique totale atteignant 1 413 milliards d'euros, soit 72,9 % du PIB, l'endettement atteint des proportions abyssales. Hormis en temps de guerre, nos finances publiques n'ont jamais été aussi dégradées.
Mais la situation pourrait vite devenir catastrophique, puisque l'endettement pourrait atteindre 100 % du PIB en 2018 à en croire la Cour des comptes.
A ce rythme, nous devrons peut-être examiner dans quelques années un projet de loi tendant à combattre le surendettement de l'État...
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Jean-Jacques Jégou. - En outre, le recours à l'endettement de court terme rend la France très vulnérable à une hausse des taux d'intérêt. Notre pays pourrait alors perdre sa crédibilité. Gardons ces chiffres à l'esprit en examinant le grand emprunt.
Comment ne pas être inquiet en entendant le Président de la République préconiser devant le Congrès réuni à Versailles de s'endetter davantage pour résoudre le problème de la dette, c'est-à-dire de combler le trou en le creusant davantage ? On nous dit que le grand emprunt financera « les priorités nationales », mais il aura pour effet mécanique d'augmenter immédiatement la dette et la charge de ses intérêts.
Le chef de l'État a évoqué la « grave question des déficits de nos finances publiques » mais son discours à Versailles a donné le sentiment que le désendettement n'était plus une priorité du Gouvernement et que la crise autorisait à rouvrir les vannes de la dépense. Je crains que l'idée de grand emprunt national n'ait fait sauter un verrou psychologique. C'est très dommageable car nombre de nos concitoyens pensent qu'on peut dépenser sans compter. En submergeant la digue des 3 % de déficit, la crise a accrédité cette idée.
J'avais pourtant eu le sentiment, notamment depuis la dernière campagne présidentielle, que plusieurs candidats -un en particulier- avaient placé l'envolée de la dette publique au premier rang des préoccupations nationales. Beaucoup de nos concitoyens avaient pris conscience de la situation. Sans parler d'un « parti de la dette », chacun prenait conscience que les générations futures hériteraient d'une ardoise de plus en plus lourde. J'ai peur que la crise et le grand emprunt n'anéantissent nos efforts en ce sens.
L'idée que leurs enfants et petits-enfants devront régler nos dépenses inquiète beaucoup de Français, mais le Président de la République propose qu'un emprunt prépare l'avenir du pays. Je ne suis pas sûr que les générations futures aient à s'en réjouir, car elles devront rembourser. Cette fuite en avant finit par devenir anxiogène : plusieurs économistes ont montré que la hausse de la dette incitait les gens à mettre de l'argent de côté en vue d'inéluctables hausses d'impôts. Si c'était le cas, que resterait-il à la France pour alimenter sa croissance, notre balance commerciale étant déséquilibrée ?
Pour justifier le recours à l'emprunt, le chef de l'État explique : « Chaque fois que l'on a fait la politique de la rigueur, on s'est retrouvé à la sortie avec moins de croissance, plus d'impôts, plus de déficits, plus de dépenses ». Mais si les déficits et la dette créaient de la croissance et permettaient de combattre le chômage, on le saurait ! La France est le seul de tous les pays industrialisés à ne pas avoir connu un seul excédent budgétaire depuis le milieu des années 1970. Son addiction au déficit ne lui a pas épargné une croissance nettement plus faible et un chômage bien plus élevé que la moyenne.
Et puis, il faut rappeler une réalité qui semble oubliée depuis le discours de Versailles : avec plus de 150 milliards d'euros levés par an sur les marchés, la France fait le grand emprunt tous les jours !
Je ne suis pas sûr qu'un nouvel emprunt prépare l'avenir. Cette idée est politiquement habile, mais est-elle économiquement raisonnable dans un État chroniquement surendetté ? L'État peut emprunter à un coût très faible des montants très élevés sur les marchés financiers, alors que l'emprunt auprès du public est coûteux sauf s'il est proposé à des conditions moins bonnes, ce qui ne le rendrait guère attractif. Bref, cet emprunt coûtera cher aux finances publiques et aux contribuables, tout en reportant une partie du financement sur les générations futures.
Je crains que cette opération ne nous fasse passer du « travailler plus pour gagner plus » à la deuxième phase du quinquennat : « emprunter plus pour dépenser plus ».
En effet, malgré votre rigueur que je salue, monsieur le ministre, je m'interroge sur l'affectation des sommes empruntées -on parle de 80 à 100 milliards. Il est particulièrement délicat de définir les dépenses d'avenir, ce « bon déficit » selon la distinction désormais établie. Pour moi, qu'il soit bon ou mauvais, le déficit s'aggrave et la dette augmente ! Aujourd'hui, le chef de l'État, le Premier ministre, le conseiller du président inspirateur du grand emprunt, la ministre de l'économie et vous-même essayez d'en établir une liste exhaustive et limitative. N'est-il pas surprenant de décider un emprunt avant de savoir à quoi il servira ?
Surtout, les finances publiques sont indivisibles et l'emprunt, comme les autres ressources de l'État, contribuera à financer l'ensemble des dépenses publiques, sauf à instituer un suivi spécifique.
On ne peut qu'approuver la volonté d'investir dans l'innovation, la recherche et développement qui prépare l'économie de demain, surtout quand on sait que l'État, du fait de son appauvrissement, n'investit que 20 milliards. Mais je ne suis pas sûr que les sommes empruntées iront spécifiquement à ces investissements d'avenir. J'en veux pour preuve le récent rapport de l'OCDE sur la part de l'innovation dans les plans de relance face à la crise. II montre que le plan de relance français ne consacre que 46 millions à la recherche et développement et 4,7 milliards aux ponts et aux routes. La France fait figure de mauvais élève là où la Finlande et la Corée du sud sont en haut du classement. Ne risque-t-on pas de poursuivre dans la même voie ?
Je serai donc particulièrement attentif, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative début 2010, sur les conditions de l'emprunt, et notamment sur son coût pour les finances publiques.
C'est pourquoi plusieurs de nos collègues, et non des moindres, les deux rapporteurs généraux notamment, doutant de l'opportunité de ce grand emprunt, proposent un emprunt obligatoire. Un tel projet devrait faire au moins l'objet d'un examen attentif. Peut-être est-ce de leur part une façon habile de contourner le bouclier fiscal ? Si c'était l'objectif, la proposition me paraîtrait alors intéressante.
On ne peut accepter l'idée de grand emprunt que dans une seule perspective : le financement des réformes structurelles qui seront nécessaires pour enrayer le dérapage chronique des finances publiques. Les réformes structurelles apportent des gains à long terme, même si leur coût budgétaire est initialement élevé. Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, un tel emprunt permettrait d'annoncer des priorités claires, d'en estimer les coûts et les bénéfices attendus et d'ancrer ainsi les réformes. Nous ne pourrons accepter cet emprunt que si les réformes et les investissements sont identifiés, chiffrés et s'ils sont créateurs de richesses.
Dans ce contexte, un tel niveau de déficit public n'est pas rattrapable par le seul effet de la reprise de la croissance économique en 2011 : même avec un rythme annuel de 2 à 2,5 % par an, le déficit public en 2012 serait encore de 5,5 % du PIB, soit toujours un niveau très élevé au regard des engagements européens et de la capacité de financement de notre pays. Nous devons donc engager le redressement durable de nos finances publiques, comme le demande le FMI. Cela nécessite des efforts d'une tout autre ampleur, notamment en matière de réforme de l'État, que ceux réalisés jusqu'à présent. Nous devons tous en avoir conscience.
Tout d'abord, nous devrons maîtriser et réduire nos dépenses publiques. Nous devrons tenir en 2010 les dépenses courantes, dont certaines augmenteront du fait de la crise, comme les dépenses sociales et les dépenses de la mission « Emploi ». Cependant, cette politique n'est pas suffisante car la RGPP ne permettra d'économiser que 7 milliards alors que l'objectif initial était de 20 milliards. Ensuite, parce que même en serrant à fond la vis des économies budgétaires, jamais l'État ne pourra réduire en deux ans ses dépenses en volume de 60 milliards alors que les charges financières de la dette vont grossir chaque année de 4 à 5 milliards, sous l'effet de la remontée inévitable des taux.
Il me semble enfin inutile de maîtriser les dépenses publiques si dans le même temps, on multiplie les dispositifs d'exonérations fiscales. Si nos comptes publics se dégradent, c'est aussi parce que les ressources de l'État diminuent.
Mme Nicole Bricq. - Eh oui !
M. Jean-Jacques Jégou. - Le rapport Pébereau préconisait de ne pas diminuer le niveau global des prélèvements obligatoires pendant la phase de retour à l'équilibre.
Ensuite, nous devons sécuriser nos recettes. S'il faut éviter d'augmenter les prélèvements obligatoires, au moins ne réduisons pas les ressources fiscales ! La conjoncture ne nous permet pas des allégements d'impôts. Il convient donc de garantir pendant cette période nos recettes, c'est-à-dire éviter de nouvelles baisses d'impôts, comme celles de 2007 du paquet fiscal que nous payons très cher aujourd'hui, ainsi que de nouvelles dépenses fiscales ou crédits d'impôts comme nous l'avons malheureusement fait ces dernières années. Sans les allégements de ces dernières années, les recettes fiscales auraient progressé de 2,7 % alors qu'elles ont diminué de 0,5 %. En moyenne, chaque année depuis 2003, ce sont quatorze mesures supplémentaires de dépenses fiscales qui ont été créées. En 2008, elles représentaient 27 % des dépenses du budget et atteignaient 73 milliards. Cette politique est à la longue suicidaire pour nos finances publiques. C'est pourquoi j'ai refusé d'approuver la baisse de la TVA sur la restauration et je reviendrai à la charge lors du projet de loi de finances pour 2010 car elle est économiquement inefficace et purement électoraliste.
Toute nouvelle dépense fiscale devra être compensée à due proportion par la réduction d'autres dépenses, ce qui n'a malheureusement pas été fait pour la baisse de la TVA dans la restauration ou la réforme de la taxe professionnelle. De nombreux progrès restent donc à accomplir dans ce domaine.
Nous devrons aussi revoir l'ensemble des niches fiscales et sociales qui se sont accumulées ces dernières années. On en compte aujourd'hui 400 qui représentent un manque à gagner estimé entre 50 et 70 milliards. Lors de la loi de finances de l'année dernière, nous avons commencé à travailler sur le plafonnement des niches fiscales, mais nous devons aller plus loin. Il faut examiner l'ensemble des dispositifs, évaluer leur efficacité et leur pertinence.
En ne réduisant pas son déficit structurel et en multipliant les dettes de crise et les emprunts, la France ne prépare pas la sortie de crise. C'est le devoir du Gouvernement et du Parlement que de la préparer.
On peut effectivement retarder le moment de la facture, mais on ne saurait la faire disparaître. Pour les Français, le réveil risque d'être douloureux après 2012 car ce sont eux qui paieront. Comme l'a dit le premier président de la Cour des comptes, le report des réformes indispensables impliquerait des ajustements encore plus douloureux. Il leur faudrait alors « payer plus pour rembourser plus » ! (Applaudissements au centre et sur certains bancs socialistes)
M. Dominique Leclerc. - En tant que rapporteur du projet de loi de financement pour la branche vieillesse, le débat d'orientation des finances publiques m'offre l'occasion de faire le point. Or, la situation financière de cette branche est très préoccupante. En dépit de la réforme de 2003, son déficit n'a en effet cessé de se creuser depuis quatre ans, passant de 1,9 milliard en 2005 à 5,6 milliards en 2008. La branche vieillesse est aujourd'hui la plus déficitaire des quatre branches de la sécurité sociale.
Cette dégradation continue des comptes ne s'explique pas seulement par les facteurs démographiques tels que l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom et l'augmentation de l'espérance de vie. Elle résulte aussi de la montée en charge du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue, instauré par la loi du 21 août 2003. Depuis sa mise en oeuvre, 560 000 retraites anticipées ont été accordées par le régime général. Cette mesure a coûté sans cesse davantage à la Cnav pour atteindre 2,4 milliards en 2008, soit trois fois plus qu'on ne le prévoyait il y cinq ans. Fort heureusement, l'année 2009 devrait marquer une diminution des départs anticipés en raison des nouvelles conditions d'éligibilité au dispositif. Pour la première fois, le coût du dispositif pour le régime général diminuerait, ce qui expliquerait pour une modeste part le ralentissement de la croissance des charges de la Cnav. Pour autant, cette tendance n'empêcherait pas le déficit de la branche vieillesse de continuer à se creuser, puisqu'il atteindrait 7,7 milliards cette année.
L'aggravation des comptes est d'autant plus inquiétante que les projections font état d'une dégradation financière accrue des régimes de retraite à l'horizon 2020-2050, principalement due au choc démographique. Notre système de retraite devra donc faire face à un besoin de financement croissant, estimé à 25 milliards en 2020 et à plus de 68 milliards en 2050.
Malgré la nécessité et l'urgence du retour à l'équilibre des comptes de la branche vieillesse, le rendez-vous 2008 n'a absolument pas résolu le problème du financement des retraites. Certes, il y a bien eu quelques avancées sur l'emploi des seniors ou la solidarité envers les retraités les plus modestes, mais des questions essentielles restent en suspens : le dossier de la pénibilité est bloqué et la hausse des cotisations vieillesse qui devait être compensée par une baisse des cotisations chômage a été reportée sine die.
Comme le Président de la République s'y est engagé devant le Congrès, le bilan d'étape 2010 devra absolument déboucher sur des solutions pérennes à même de garantir la viabilité financière des régimes de retraite. Il ne doit pas être un rendez-vous manqué comme l'a été celui de 2008.
Les différents instruments de pilotage sont bien connus. Jusqu'à présent, le levier privilégié a été l'augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Celle-ci sera portée à 41 annuités en 2012. Ne faudra-t-il pas la porter à 42 ans, voire plus ? Une telle réforme nécessite cependant de surmonter l'obstacle du dossier de la pénibilité. Les syndicats n'accepteront pas l'augmentation de la durée de cotisation si, parallèlement, la pénibilité au travail n'est pas prise en compte.
Une autre piste, de plus en plus évoquée, est le report de l'âge légal de départ en retraite qui, en France, a été abaissé à 60 ans en 1983. Ce qui, à l'époque, a été vécu comme un progrès social entre aujourd'hui en contradiction avec les évolutions démographiques. Alors que l'espérance de vie ne cesse d'augmenter, la période consacrée au travail au cours d'une vie est de moins en moins longue ! La logique voudrait donc que l'âge légal de départ en retraite soit repoussé, comme l'ont fait plusieurs de nos voisins. Mais l'utilisation de ce levier se heurte, en France, à un obstacle de taille : le taux d'emploi des seniors, l'un des plus bas des pays développés puisqu'il se situe à 38 %. Retarder l'âge de la retraite sans favoriser le maintien dans l'emploi des seniors aboutirait en effet à créer des demandeurs d'emplois supplémentaires.
En outre, l'augmentation de l'âge de la retraite ne peut, à elle seule, résoudre le problème du financement des régimes de retraite. Pour le régime général, le report à 62 ans n'apporterait que 6,6 milliards en 2020 alors que 13 milliards sont nécessaires et seulement 5,7 milliards alors que 46 milliards seront indispensables en 2050. Il s'agirait en définitive d'une mesure de court terme.
C'est pourquoi nous devons réfléchir à d'autres modes de gestion de l'assurance vieillesse. Le pilotage actuel des régimes de retraite ne pourra en effet enrayer le mouvement de dégradation de la situation financière de la branche vieillesse ni proposer de solution solide face au défi démographique à l'échéance des années 2020-2050.
Une réforme de type structurel ou systémique, seule à même d'assurer la survie de notre système de retraite, est donc indispensable. Un rapport du COR sur ce sujet, commandé par le Parlement à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, sera rendu au début de l'année prochaine. Il sera l'occasion d'engager enfin un vaste débat public sur l'avenir des retraites.
Si ce soir, je n'ai évoqué que la branche vieillesse, l'évolution des pensions civiles et militaires connaît depuis quelques années une dérive d'environ 6 à 8 %. Leur poids devient aussi très lourd pour le budget de l'État, mais nous aurons l'occasion d'en parler dans les prochains mois. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Christiane Demontès. - Il y a quelques jours à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous avez affirmé que tous les efforts du Gouvernement avaient un seul but, préparer l'avenir. Mais la situation actuelle est catastrophique, « dramatique » estime notre rapporteur aux comptes sociaux. Il ne s'agit plus d'une aggravation du trou de la sécurité sociale, il y a un changement d'échelle. Or cet état de fait préexistait à la crise. Tout n'est pas « la faute à la crise ». Du reste, M. Vasselle l'a dit également, sans un déficit structurel de 10 milliards d'euros, la sécurité sociale aurait fait face dans de meilleures conditions.
M. François Marc. - Eh oui.
Mme Christiane Demontès. - La Cour des comptes évalue à 4 milliards sur 14 la part de la dégradation liée à la crise économique. Le reste est dû à vos mesures fiscales et sociales. Lorsque vous avez défiscalisé les heures supplémentaires, j'avais pronostiqué un déficit de 20 milliards d'euros en 2009. Le secrétaire d'État à l'emploi était dubitatif, mais nous y sommes. Le déficit est historique, par son volume comme par la façon dont il a été organisé et programmé. Il en va des comptes sociaux comme des comptes de l'État. Le Gouvernement prévoyait une hausse de la masse salariale de 3,5 % cette année, 4,6 % les années suivantes. Nous en sommes bien loin. En revanche, le nombre des demandeurs d'emploi a augmenté de 18 %.
Le Gouvernement n'a pas voulu relever le taux de la CRDS et c'est donc l'Acoss qui portera la dette -et les générations futures qui seront pénalisées. Mais la majorité persiste à s'en remettre au seul viatique qui vaille à ses yeux : la réduction des dépenses. Augmentation du forfait hospitalier, déremboursements massifs, franchise médicale... Et vous avez culpabilisé les assurés sociaux, puis les malades, notamment les plus modestes. Tout ceci aura des conséquences lourdes sur la santé publique. Voyez l'évolution du « panier de soins » de l'Aide médicale d'État ! Comment s'étonner que notre pays soit descendu de la première à la onzième place mondiale pour la qualité de son système de santé ? Voilà votre bilan !
Pour 2009, le déficit prévu de la branche vieillesse était de 5 milliards d'euros. Il sera en fait de 7,7 milliards, avec un FSV déficitaire de 2,1 milliards. Cela traduit l'échec de la réforme Fillon de 2003. Peu vous importe, vous maintenez le cap... Vous évoquez un départ à la retraite à 67 ans puis rectifiez le tir en parlant de 43 années de cotisations. Mais le taux d'emploi des 55-64 ans n'est que de 38 %, contre 70 % en Suède par exemple ! Si le comportement des employeurs ne se modifie pas, vos propositions aboutiront à une chute brutale du montant des retraites !
L'Unedic se retrouve dans le rouge et sa situation empirera l'an prochain. Vous affirmiez, il y a un an, que la baisse du nombre de demandeurs d'emploi autoriserait une baisse des cotisations chômage et une hausse des cotisations retraite. N'est-il pas temps de reconsidérer tout cela et au moins de conclure les négociations sur la pénibilité, que le patronat bloque avec votre assentiment depuis 2003 ? Il ne suffit pas de rappeler à Versailles que le programme du Conseil national de la Résistance entendait « assurer une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ». Il faut passer aux actes.
La branche maladie devrait atteindre un déficit record de 9,4 milliards pour 2009, en augmentation de 120 % par rapport à 2008. Que prévoyez-vous ? Ferez-vous de nouvelles coupes budgétaires sur des critères purement comptables, sans tenir compte des besoins sanitaires ? Allez-vous choisir de nouveaux boucs émissaires, comme les sont ces jours-ci les salariés en arrêt de travail ? Vous instaurez le culte de la défiance au plus haut niveau de l'État. Mieux aurait valu augmenter le numerus clausus et le nombre de médecins du travail. Mais vous n'avez que faire des conditions de travail... Les référentiels de la Cnam montreront cependant quelles sont les pathologies les plus fréquentes dans le monde du travail. Les transports sanitaires représentent une dépense en croissance rapide : ne voyez-vous là aucun lien avec les fermetures d'hôpitaux et de services ?
Cette situation appelle un sursaut, d'autant que, comme le souligne notre rapporteur général des comptes sociaux, « le retour de la croissance au niveau d'avant la crise permettrait seulement de stabiliser le déficit à son niveau d'après crise, soit 30 milliards d'euros ». On ne résorbera pas facilement les déficits massifs, sinon « par une croissance des recettes durablement plus forte que la croissance des dépenses ». Or, vous ne dites rien d'une augmentation des salaires qui améliorerait les recettes de la sécurité sociale, vous n'envisagez aucune hausse de la taxation sur les stock-options. Rien sur les fonds spéculatifs, rien sur les 6 milliards de la défiscalisation des heures supplémentaires. Et surtout, aucune réorientation de votre sacro-sainte politique d'exonération de cotisations sociales.
Pourtant, la Cour des comptes a souvent dénoncé le manque d'efficacité des exonérations pour la création d'emplois. Liez-les directement à la politique salariale et de l'emploi des entreprises ! Les sommes en jeu sont colossales, plus du double du déficit de notre sécurité sociale. Pourquoi ne vous attaquez-vous pas aux niches fiscales, « obsolètes, injustes et inefficaces » selon la Cour des comptes ? Appliquez aussi le principe d'universalité de la CSG ! Et modifiez enfin l'assiette de cotisations afin de refléter plus justement le rapport capital-travail car aujourd'hui, le financement de la protection sociale repose aux deux tiers sur les revenus du travail.
La dépense publique devrait être utilisée pour atténuer les conséquences des décisions prises par le secteur privé. Malheureusement, le Gouvernement réduit l'effort. C'est une faute politique, qui sera lourde de conséquences. Il faut redéfinir et réorienter la politique fiscale, la politique de l'emploi. La justice sociale et l'efficience économique le commandent. (Applaudissements à gauche)
M. Serge Dassault. - Je veux m'interroger sur les raisons de la crise. Certes, il y a la crise mondiale, la faillite de nombreuses banques, sur laquelle nous n'avons pas de prise. Mais il y a aussi les contraintes que les divers gouvernements, en particulier socialistes, nous ont imposées et qui paralysent les entreprises et la vie économique. La hausse des coûts de production n'est pas seulement due à la raréfaction du crédit, mais aussi à la chute de compétitivité qui résulte de politiques démagogiques. Que de mesures sociales décidées sans souci de leur financement ni de leur impact sur l'économie ! Il faudrait tout de même tenir compte des recettes avant d'envisager des dépenses. Certes, il est agréable de partir à la retraite, de travailler moins. Mais finalement, il en résulte une aggravation considérable de la situation des comptes publics car on finance ces opérations sociales par le déficit budgétaire. C'est un jeu dangereux. Les 35 heures demeurent la durée légale du travail, les coûts de production s'en ressentent. On ne peut travailler moins que ceux qui font beaucoup plus que nous et à des prix beaucoup moins élevés.
Il est agréable de partir en vacances et d'avoir des jours fériés, mais les charges sur les salaires sont trop lourdes. Il faut surtout qu'il y ait des gens en activité pour financer les retraites, car nous sommes incapables de payer les retraites à 60 ans : il y a de moins en moins d'actifs et de plus en plus d'inactifs.
Les conflits sociaux, trop nombreux, paralysent la production et nuisent autant aux salariés qu'aux entreprises qui perdent leurs clients. Compte tenu de l'évolution très préoccupante de nos finances, il conviendrait de rendre leur compétitivité aux entreprises dès maintenant et de réunir pour cela un consensus social en mettant à égalité la réserve de participation et les dividendes.
M. François Marc. - La règle des trois tiers ?
M. Serge Dassault. - Il faut que les syndicats cessent de pousser les salariés à des grèves qui n'ont jamais rien résolu : pas plus qu'une procession religieuse a jamais fait tomber la pluie, une grève n'a fait tomber les euros. (Rires)
Le bon sens voudrait aussi qu'on limite dans le temps les dépenses de fonctionnement. Elles s'additionnent parce qu'on en décide de nouvelles sans s'interroger sur les précédentes. Or seule leur diminution permettra de réduire le déficit. Il faudrait commencer tout de suite, mais on ne le fait pas, et réserver les emprunts nouveaux aux investissements d'avenir qui accroissent la production de richesses.
Notre système capitaliste a montré ses limites avec la spéculation des détenteurs d'actions de sociétés anonymes sans noyau dur, qui revendent les titres pour encaisser leur plus-value sans se soucier de l'avenir de la société. Pour éviter cela, il faudrait obliger les acquéreurs d'actions à les conserver pendant cinq ans -et cela ne coûterait rien. Évitons de pénaliser les actionnaires des sociétés familiales : ils sont de moins en moins nombreux et quand ils s'expatrient, ils privent la France de leurs capitaux et de leurs talents.
Voilà des propositions de réformes pour aller plus loin dans l'action courageuse du Président de la République. Rien n'est simple, des résistances se manifestent car la France est conservatrice. Il ne faut pas renoncer. Rien ne peut se faire sans consensus, sans union. Ne masquons pas la gravité de la situation et ne laissons pas croire que tout va bien, que cela s'arrangera. Le Canada a su le faire il y a quinze ans et il a retrouvé un budget en équilibre, voire bénéficiaire.
M. François Marc. - Sans diminuer les impôts !
M. Serge Dassault. - Rien ne nous empêche d'en faire autant. A condition de savoir ce que nous voulons ! (Applaudissements à droite)
M. Eric Woerth, ministre. - Non, monsieur Dassault, nous n'embellissons pas la situation : nous ne la sous-estimons nullement. M. Arthuis nous a désigné les défis qui nous attendent. Je souscris à son appel à voir au-delà du court terme. Oui, il faut ajouter de la transparence dans la levée de l'emprunt et je partage vos préoccupations sur la dette mais il est inexact de dire que l'impôt sur le revenu ne couvre plus la charge de la dette : la différence reste de 8 milliards. C'est vrai dès que l'on considère l'ensemble de la dette publique, mais pas pour l'État.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Vous êtes le ministre des comptes publics.
Mme Christiane Demontès. - Tout va bien...
M. Eric Woerth, ministre. - Pour maîtriser la dette, nous devons mettre l'accent sur la maîtrise de la dépense, il n'y a pas d'autre solution. Les recettes augmenteront avec la reprise et les dépenses doivent être réversibles. S'il n'y a pas rupture totale, c'est que nous devons accompagner la sortie de crise, ce qui passe par la formation professionnelle, par l'aide à l'emploi et par le Fiso.
Certains estiment que les 7 à 8 milliards dégagés par la RGPP ne sont pas suffisants. Mais ce n'est qu'une évaluation à court terme car la RGPP, c'est beaucoup plus : cette politique ne transforme-t-elle pas en profondeur les appréciations des administrations ? Elle doit maintenant rebondir. Nous lançons une deuxième phase qui englobera les politiques d'intervention. La RGPP, c'est la qualité du service par une plus juste affectation des moyens de l'État : on est tout près d'une logique d'évaluation.
Vous préconisez de passer au zéro valeur. On n'en est pas très loin hors charge de la dette et des retraites. Il est compliqué d'atteindre le zéro valeur pour l'ensemble de la dépense publique en raison du rythme d'évolution des dépenses sur les organismes de sécurité sociale, qui reste important quoique maîtrisé.
La réforme territoriale est indispensable. Les structures de l'État suivront le mouvement. Nous devons donner vie au comité Balladur. Nous sommes là au coeur des préoccupations des Français.
Je sais votre préoccupation constante pour le financement de la sécurité sociale. Quoique rapporteur général, M. Vasselle n'a pas changé de conceptions. Une bonne information du Parlement sur les finances sociales est un point essentiel. Ne nous racontons pas d'histoires ; ayons un débat responsable et constatons que le niveau d'information a été sensiblement rehaussé. Mme la présidente Dini regrette, si j'ai bien compris, l'absence de projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative. Cependant, on ne vote pas sur un budget mais sur un objectif de dépenses ; on n'a pas besoin de le modifier, il suffit de constater. On remet d'ailleurs les choses à l'équerre et une partie de chaque projet est consacrée à l'exercice en cours. La démarche est construite et cohérente. Nous aurons l'occasion d'en débattre de nouveau. Nous donnons une information sur la trajectoire des dépenses et la loi de programmation pluriannuelle ne concerne pas que l'État.
La loi de programmation pluriannuelle concerne bien l'ensemble des finances publiques puisqu'elle est l'occasion de chiffrer l'Ondam, l'évolution des risques concernés ainsi que les sous-objectifs de l'Ondam, le secteur médico-social, l'hôpital et la médecine de ville. Certes, ces indications sont exprimées en pourcentage mais elles permettent une utile information.
Concernant le financement de la dette de la sécurité sociale, sujet longuement évoqué par M. Jégou ainsi que par M. Vasselle...
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Sujet important !
M. Eric Woerth, ministre. - Pour 2009, votre commission a été saisie pour information d'un projet de décret en conseil des ministres qui relève le plafond d'emprunt de l'Acoss de 18,9 à 29 milliards. En outre, l'Acoss a conclu avec la Caisse des dépôts et consignations un avenant à la convention financière qui redéfinit les conditions tarifaires des emprunts auprès de la Caisse. Pour 2010, la pire solution serait de faire reprendre la dette sociale par l'État parce qu'il n'y aurait pas de retour en arrière possible.
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Tout à fait d'accord !
M. Eric Woerth, ministre. - Ce serait contraire à toutes les orientations qui se sont dégagés des débats de ces dernières années.
Augmenter la durée de vie de la Cades serait également irresponsable car cela signifierait que l'on pourrait la prolonger indéfiniment. Augmenter la CRDS ou toute autre forme de taxe n'est pas la politique du Gouvernement, cette option est exclue.
M. Alain Vasselle, rapporteur général. - Ah !
M. Eric Woerth, ministre. - Quant à créer une caisse particulière, monsieur Fourcade, alimentée par la contribution climat énergie, je n'y suis pas favorable. Je me bats pour que les revenus de cette contribution, dans un premier temps, finance tout ou partie de la réforme de cette taxe absurde qu'est la taxe professionnelle.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Impossible !
M. Eric Woerth, ministre. - Il faudra faire des choix. Nous proposons de laisser à l'Acoss une quarantaine de milliards en moyenne à financer. D'accord, c'est transitoire, cela ne peut pas durer. Une mission de l'inspection générale des finances examine les différentes modalités de cette opération -augmenter les billets de trésorerie sur les marchés, laisser d'autres acteurs publics acheter des billets de trésorerie de l'Acoss à condition que la dette soit cantonnée- modalités qui seront soumises au Parlement le moment venu. Cette proposition, quoique transitoire, a le mérite de la clarté. Nous trouverons d'autres sources de financement après la sortie de crise. Aujourd'hui, un financement spécifique via l'Acoss présente l'avantage de constituer une opération neutre pour l'État et, de surcroît, à des taux inférieurs au financement de la Cades.
J'en viens à la préservation des recettes fiscales, messieurs Fourcade et Dassault, il est difficile de réduire les 23 milliards d'aides à l'emploi. Madame Demontès, 10 des 23 niches sociales sont le résultat des 35 heures, il faut l'assumer ! (Murmures à gauche) Ensuite, réduire les niches sociales, cela signifie augmenter mécaniquement les charges sociales et réduire notre capacité à créer de l'emploi. Prenons garde à la cohérence de notre politique.
Concernant les retraites, évoquées par MM. Vasselle et Leclerc, le Président de la République a annoncé une réforme structurelle dès 2010. Madame Demontès, l'exercice de la dénonciation est certes intéressant, mais où sont vos propositions ? Le parti socialiste est un parti démocratique de gouvernement, qu'il soumette ses idées !
Mme Michèle André. - En l'occurrence, c'est vous qui polémiquez !
M. Eric Woerth, ministre. - Nous explorerons toutes les solutions.
Monsieur Legendre, votre intervention détonait quelque peu.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Certes !
M. Eric Woerth, ministre. - Personne n'oserait affirmer dans cet hémicycle que les affaires culturelles ne sont pas importantes mais notre logique de la moindre dépense se fait sentir dans tous les domaines, y compris ceux de notre politique culturelle à l'étranger, de l'entretien du patrimoine monumental et du financement de l'archéologie préventive. Certes, 20 millions avaient été dégagés, mais à titre exceptionnel. J'appelle chacun à mesurer que la diminution du rythme des dépenses concerne tous les domaines. Si l'on avait retenu une évolution nulle en valeur, le niveau de réduction serait même supérieur.
Monsieur Foucaud, sans partager votre analyse sur le système fiscal, je pense que nous nous attaquons à ses défauts. Pour preuve, la réforme de la taxe professionnelle, dont on parle depuis vingt ans, et la fiscalité verte.
Monsieur Montesquiou, pour façonner l'avenir, il faut avoir confiance, rester lucide et, sans raconter des histoires aux Français, leur dire que notre pays a de l'avenir. Nous aurons un débat sur les dépenses d'avenir à partir des propositions de MM. Rocard et Juppé, dépenses d'avenir qui méritent un emprunt à condition de ne pas oublier, monsieur Fourcade l'a souligné, l'équilibre des dépenses de fonctionnement et l'affectation des ressources supplémentaires au remboursement de la dette.
Monsieur Marc, vos préconisations sont parfois artificielles et vos solutions contreproductives. La loi Tepa et le dispositif sur les heures supplémentaires produisent de la valeur, j'en suis intimement convaincu.
Monsieur Rebsamen, en temps de crise, les collectivités territoriales comme l'État et les acteurs privés doivent faire avec une certaine imprévisibilité budgétaire. Je sais la difficulté en tant que maire.
Monsieur Jégou, il ne s'agit pas d'un grand emprunt mais d'une modalité de financement des dépenses d'avenir. Nous serons rigoureux sur la définition des dépenses d'avenir.
Madame Demontès, surtout concernant les retraites, mieux vaut être dans la proposition que dans la dénonciation. (Applaudissements à droite)