Politique en faveur des jeunes (Mission commune d'information - Suite)
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse. - Je remercie les présidents Larcher, Legendre et About d'avoir permis que soit consacrée à la jeunesse une des premières séances publiques de contrôle parlementaire issues de la réforme constitutionnelle. La Haute assemblée affirme ainsi une priorité. Je remercie également les orateurs, dont je mesure l'investissement pour aboutir, en deux mois, à formuler autant de propositions. Dans la même période, et avec quelques semaines de plus, notre commission a travaillé de son côté : cela nous permet de potentialiser nos orientations, dont beaucoup trouvent un écho dans celles de la mission.
Il y a six mois, vous avez voté à l'unanimité, dans la loi sur le RSA, un amendement qui amorçait un fonds d'expérimentation pour la jeunesse, doté de 10, puis de 150 millions d'euros. Nous nous sommes alors engagés à ne pas laisser tomber les 16-25 ans. Le moment est venu de passer à l'acte.
Tout d'abord, il faut se donner des objectifs politiques quantifiés pour augmenter le taux d'emploi et de qualification, réduire le décrochage et la pauvreté des jeunes. A leur acharnement à entrer dans la vie active, on ne peut répondre par l'indifférence. A leur demande de respect, nous ne pouvons répondre par le mépris.
Deuxièmement, nous devons garantir la continuité des parcours. On ne peut attendre deux ou trois ans avant de récupérer un jeune sorti du système scolaire à 16 ans. Pour créer une chaîne de responsabilité au sein des acteurs publics, peut-être faudra-t-il créer une obligation continue de formation, d'alternance et d'emploi jusqu'à 18 ans.
Troisièmement, il faut dédramatiser l'orientation. Cela suppose sans doute la formalisation d'un service public de l'orientation, la création d'un droit à la réorientation et la systématisation de la deuxième chance, pas forcément dans le cadre des écoles de la deuxième chance. Afin de prévenir l'échec, il est nécessaire de pouvoir changer de filière sans décrochage ni rupture. Ce décloisonnement doit également permettre de poursuivre des études à l'issue d'une formation courte. Ainsi, nous avons vu hier, au Sénat, qu'un excellent apprenti en boucherie ou en céramique peut ensuite suivre un enseignement général, voire supérieur. Le service public de l'orientation devra également rapprocher les jeunes et les entreprises, afin que le réseau familial ne constitue plus l'unique point de contact. Il faut mettre en place une organisation éclairée et non plus aveugle, sélective, fondée sur l'échec.
Quatrième orientation, l'insertion dans l'emploi. Nous ne pouvons plus admettre que six ou sept ans s'écoulent entre l'obtention du diplôme et celle d'un contrat à durée indéterminée. Beaucoup d'orateurs l'ont noté, il faut utiliser les leviers que constituent les emplois aidés. Je rassure Martial Bourquin : nous ne renonçons pas à ces contrats dans le secteur non marchand. Le 24 avril dernier, le Président de la République a annoncé 30 000 emplois de ce type. Toutefois, nous savons qu'à la fin de ces contrats, le risque de chômage est élevé. Il faut donc privilégier l'alternance entre le secteur public, les associations, la fonction publique hospitalière, les collectivités territoriales, et prévoir une formation -ce qui manque depuis vingt-cinq ans. Ainsi, tous les secteurs donneront aux jeunes les mêmes ouvertures que l'apprentissage, soit 80 % de chances de trouver un contrat à durée déterminée dans l'année qui suit.
Le cinquième point concerne les ressources, sur lesquelles la mission compte revenir. La commission prévoit une augmentation des ressources liée à l'acquisition d'une qualification, conformément à la démarche adoptée pour le RSA. Nous privilégierons le véritable emploi ou l'alternance, et non les stages hors cursus. Grâce à un capital ou à une dotation, nous éviterons que des jeunes ne se retrouvent sans aucune ressources, en violation de la Constitution. Il faudra certainement également compléter les revenus de ceux qui travaillent déjà afin de ne pas créer une inégalité entre deux jeunes occupant le même travail, selon qu'ils ont 24 ou 26 ans.
La notion de citoyenneté et de service civique représente la sixième orientation. On ne peut avoir un projet pour les jeunes sans leur permettre de s'engager, quels que soient leur condition et leur niveau de diplôme. Et nous ne devons pas oublier la dimension artistique et culturelle. Il ne s'agit pas de faire entrer les jeunes dans un moule -on voit comment, en période de crise, ce dernier peut être fissuré- mais de les inciter à mettre leur créativité au service de la transformation de la société.
Enfin, pour ce qui est des moyens, vous avez souhaité que l'on prévoie une loi de programmation pour la jeunesse, comme il en existe pour la police ou l'armée. Nous nous ferons vos interprètes afin que cette politique puisse être continue et solide et que nous ne nous trouvions plus parmi les derniers pays de l'OCDE dans ce domaine, mais dans le peloton de tête. (Applaudissements à droite et au centre)
Débat interactif et spontané
M. Antoine Lefèvre. - L'apprentissage, qui devrait être une disposition centrale pour la qualification des jeunes, est dévalorisé et délaissé par les entreprises. Ne pourrait-on le relancer afin de redorer l'image des métiers manuels et regagner la confiance des artisans et des entreprises ?
Une partie des jeunes se trouve en situation de survie : problèmes d'hébergement, besoins alimentaires, etc. Du fait de cette instabilité, ils sont plus rétifs à l'accompagnement. Les adultes, dans ce cas, bénéficient du RMI ou du RSA. Ne pourrait-on imaginer un système d'aides ou de bourses gérées par les structures d'accueil ?
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - En cette période de crise, nous avons réduit le coût de l'apprentissage pour les employeurs : au lieu d'une baisse, nous devrions donc assister à une hausse du nombre d'apprentis à la rentrée.
J'attends que les branches professionnelles s'engagent à développer la formation en alternance, et notamment l'apprentissage : la Fédération du bâtiment, qui emploie un tiers des apprentis, doit bientôt promettre d'embaucher davantage d'apprentis cette année qu'en 2008.
Il faut continuer à marteler l'idée selon laquelle l'apprentissage concerne tous les métiers, celui de journaliste, de balayeur, de manager ou d'infirmier.
Mme Gisèle Gautier. - Et même de sénateur !
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - S'agissant des jeunes en difficulté, nous réfléchissons aux suites à donner au Civis et au contrat d'autonomie. Peut-être faudrait-il mettre en place un soutien plus important et plus individualisé, un vrai contrat énonçant des droits et des devoirs. Je suis sûr que les parties prenantes à ce débat parviendront à un accord.
M. Jacques Mahéas. - On lit dans le rapport que le taux de chômage des jeunes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville est presque deux fois élevé que la moyenne nationale et qu'il a récemment explosé dans les zones urbaines sensibles, progressant de 57,2 % entre janvier 2008 et janvier 2009 et doublant chez les jeunes qui disposent d'un diplôme à bac plus trois.
Pourquoi être jeune et habiter en banlieue constitue-t--il un double handicap ? Sans doute parce que l'expression « jeune de banlieue » est source d'amalgames insupportables et diffuse une représentation négative. Sans doute parce que le Gouvernement instrumentalise le moindre fait divers à des fins sécuritaires. Inutile d'encombrer l'agenda parlementaire avec une énième loi répressive aussi inefficace que les précédentes ! Dans quelques quartiers se développe une sorte de guérilla entre les jeunes et les forces de l'ordre ; il serait plus utile de recréer une police de proximité pour atténuer les tensions. Non, les jeunes de banlieue ne sont pas des délinquants en puissance ! Ils sont un vivier et une chance, pas une menace à contenir ! Pour les côtoyer chaque jour, je connais leur inventivité, mais je sais aussi quelle peut être la désespérance de ceux qui, à 16 ans, passent sans transition de l'école au chômage. Cette situation, intolérable dans un pays civilisé, est source de graves tensions.
Plus d'un jeune sur deux est aujourd'hui au chômage dans les quartiers difficiles : c'est le résultat d'une politique aveugle. Vous avez mis fin aux emplois-jeunes. Vous vous faites gloire de supprimer chaque année des postes dans la fonction publique : 34 000 nouveaux postes disparaîtront en 2010. En mars, vous avez réduit de 100 millions d'euros les cotisations sociales en faveur des entreprises installées en zone franche urbaine, alors que ces entreprises embauchent. Où est le plan Marshall pour les banlieues ? Se réduit-il au contrat d'autonomie, cette mesurette dont le rapport souligne le « démarrage laborieux » ? Pas moins de 600 000 jeunes arriveront sur le marché du travail en septembre : c'est extrêmement préoccupant.
Monsieur le Haut-commissaire, quelles mesures comptez-vous prendre en faveur des jeunes des quartiers sensibles ? Je souhaite sincèrement que vous nous remettiez bientôt un rapport enthousiasmant, détaillant un ensemble de mesures concrètes. Étonnez-nous ! (Applaudissements à gauche)
M. Christian Demuynck, rapporteur de la mission - Je n'appartiens pas au Gouvernement mais je vous répondrai en tant que rapporteur de la mission. Je suis aussi votre voisin, monsieur Mahéas, puisque vous êtes maire de Neuilly-sur-Marne et moi de Neuilly-Plaisance. Je partage votre opinion sur les difficultés que connaissent les banlieues et les grandes qualités des jeunes qu'il faut mieux mettre en valeur, comme nous le faisons chacun dans nos communes respectives. Des opérations comme « Talents des cités » peuvent y contribuer. Il serait également souhaitable que les médias véhiculent une image moins négative des banlieues !
Pour ma part, je crois beaucoup en l'utilité des contrats aidés dans les collectivités publiques.
M. Jacques Mahéas. - Six mois, c'est trop court !
M. Christian Demuynck, rapporteur de la mission. - Nous accueillons des jeunes en très grandes difficultés, dont aucune entreprise ne voudrait ; nous leur offrons une formation minimale en lecture et en calcul, avant de les intégrer dans les services municipaux et de payer pour eux des formations de CFA. C'est un moyen parmi d'autres d'intégrer les jeunes.
M. Jacques Mahéas. - Rétablissez plutôt les emplois-jeunes !
Mme Éliane Assassi. - Vous dites, monsieur le rapporteur, qu'il faut éviter de stigmatiser les jeunes des banlieues. Commencez donc par vous adresser à la ministre de l'intérieur, qui a récemment déclaré que certaines villes de banlieue sont des « supermarchés de la drogue » !
Je tiens à saluer le travail de grande qualité accompli par la mission. Un consensus s'est dégagé sur l'objectif de créer une allocation d'autonomie destinée aux jeunes. Il s'agit d'une avancée importante : notre groupe soutient cette idée depuis de longues années mais jamais elle n'avait été reprise à son compte par aucune majorité.
Cependant, le Gouvernement reporte cette mesure en insistant sur son coût. J'aimerais donc savoir quel est le montant des différentes aides fiscales et budgétaires en faveur des jeunes. Le nouveau revenu pourrait consister en une part fixe, destinée à tous, et en une part variable, en fonction des revenus de chacun -c'est-à-dire de chaque jeune et non de ses parents. Le total des deux allocations devrait dépasser au moins le seuil de pauvreté. Enfin, comme l'a suggéré M. Voguet, ne pourrait-on pas dégager les sommes nécessaires en supprimant les niches fiscales et le bouclier fiscal ? (Applaudissements à gauche)
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - Le montant total des aides destinées aux jeunes est de 30 milliards d'euros. Le problème du revenu d'autonomie n'est pas seulement financier -je parle sous le contrôle de Mme Klès, qui copréside le groupe de travail consacré à ce sujet. Si depuis dix ans, cette mesure figure dans les programmes des partis politiques sans avoir jamais vu le jour, c'est parce qu'elle pose une question de principe : il faut éviter de créer une allocation qui n'entraînerait pas une augmentation du taux d'activité ou du taux de formation des jeunes. Si le revenu d'autonomie venait se substituer aux revenus du travail, vous seriez les premiers à vous en plaindre ! Il faut donc être imaginatif. Il n'est pas acceptable que 15 % des jeunes ne soient ni employés, ni en formation.
Donc, la démarche n'est pas uniquement comptable, elle vise surtout à enclencher une dynamique d'accès à l'emploi.
Autre question : sommes-nous capables -et la représentation nationale l'acceptera-t-elle- de verser aux jeunes des aides qui vont actuellement à leurs familles et dont ils ne bénéficient qu'indirectement, telles que le quotient familial ou les allocations familiales après 18 ans ? J'espère que le réalisme politique ne s'y opposera pas...
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - La crise amplifie le chômage des jeunes car la flexibilité accrue du marché du travail repose pour une large part sur leurs épaules, dans le secteur privé comme dans la fonction publique : ils servent souvent de variable d'ajustement. Au-delà de cet aspect conjoncturel, il convient de ne pas négliger un aspect déterminant : la perte du sens même de notre culture dans laquelle, depuis le siècle dernier, le travail s'impose comme une valeur centrale et où l'épanouissement de l'individu est lié à son activité professionnelle. Sa formation doit déboucher sur un emploi, lequel assure son autonomie. Mais aujourd'hui, la réalité économique détruit toute perspective d'épanouissement : en 2008, seulement 26 % des jeunes Français jugeaient leur avenir prometteur, contre 60 % au Danemark et 54 % aux États Unis.
C'est dans ce contexte que s'effectue le précieux travail des missions locales. Précieux parce qu'il consiste à accompagner des publics auxquels on ne cesse de promettre des solutions qui tardent à venir et auxquelles on ne croit plus depuis longtemps. Une fois de plus, en 2007, grâce aux missions locales, 600 000 jeunes ont trouvé un emploi stable bien qu'ils n'aient pas été inscrits à l'ANPE et n'étaient donc pas répertoriés dans vos statistiques. Ces résultats attestent du savoir-faire de ces missions qui ont ainsi contribué à restaurer le sens et la valeur du travail dans notre société, comme l'ont fait, en leur temps, les emplois-jeunes.
L'actuel gouvernement considère ouvertement que l'insertion des jeunes coûte cher, conception étriquée qui ne prend pas en compte le coût évité. Ce rapport valorise les missions locales, mais sans préconiser d'augmenter leurs moyens alors que le nombre de jeunes concernés ne cesse de croître. Le budget des missions locales reste désespérément stable depuis 2005. A l'heure actuelle, un conseiller peut y suivre jusqu'à 400 jeunes sur l'année ! Incompréhensible et inadmissible ! Comment concevoir un accompagnement personnalisé réaliste dans ces conditions ? Je souhaite donc savoir quelles mesures budgétaires vous entendez prendre en faveur de missions locales qui n'ont plus à faire la preuve de leur efficacité.
Je ne saurais trop vous recommander le rapport de 1990 de M. Alphandéry sur « les coûts évités » des dépenses sociales... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - La création en 1982 des missions locales a été une des innovations les plus intéressantes en ce domaine. Ce n'est pas un hasard si elles ont ensuite essaimé -avec des réussites variables certes- et il ne viendrait maintenant à l'esprit de personne de les remettre en cause. Un million de jeunes y passent chaque année et 42 % d'entre eux y trouvent un emploi. Malheureusement, beaucoup de jeunes ne prennent pas le chemin de ces missions locales et celles-ci n'ont pas beaucoup de liens avec les établissements d'enseignement, qui n'aiment pas s'appesantir sur les conséquences de l'échec scolaire...
Son directeur général me l'a annoncé il y a trois jours : le Pôle emploi va augmenter de 20 à 25 % sa dotation aux missions locales.
M. Jacques Mahéas. - Comment ?
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - En augmentant le nombre de forfaits qu'il leur verse.
Mme Maryvonne Blondin. - Le leitmotiv de nos travaux, c'est le manque de confiance dans la jeunesse. Nous vivons le paradoxe d'une société dont l'objectif est d'émanciper l'individu mais qui, en même temps, dresse des obstacles à son autonomie. Il s'agit de réconcilier la société avec ses jeunes, c'est-à-dire de croire en leur potentiel et de faciliter leur prise d'autonomie.
Dans le domaine du logement, le déficit de confiance est flagrant. On le mesure notamment au nombre d'attestations que les jeunes doivent fournir à un bailleur : caution parentale, fiche de paie, attestation de loyers précédents, avance de loyers, frais d'agence. Notre rapport préconise de développer les garanties locatives, le dispositif Locapass, ou d'étendre les garanties des risques locatifs.
Deux dispositifs paraissent particulièrement prometteurs. D'abord le rapprochement intergénérationnel entre des étudiants qui peinent à se loger et des personnes âgées qui souffrent de solitude. C'est un procédé gagnant-gagnant qui fait réapparaître la confiance, disparaître les a priori des uns sur les autres, qui réhabilite le rôle des jeunes et réaffirme leur utilité.
Les agences immobilières à vocation sociale (AIVS) peuvent aussi favoriser l'autonomie des jeunes grâce, notamment, au mécanisme de garantie locative. Elles jouent le rôle de tiers de confiance en dissipant la crainte du bailleur et permettent aux jeunes d'entamer un parcours résidentiel.
Mais le plus grave, c'est la pénurie de logements sociaux : la priorité des priorités, c'est d'en construire, y compris pour les jeunes. Là, les collectivités locales ont leur rôle à jouer mais encore faudrait-il qu'elles en aient les moyens. J'espère que les IVe Rencontres parlementaires du logement social, le 11 juin, aborderont ce problème. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - J'ai beaucoup apprécié les initiatives du Finistère en faveur du logement des jeunes...
Sur la colocation intergénérationnelle, il y a un paradoxe : tout le monde en dit du bien et, en même temps, cela ne se répand pas. Nous comptons sur les Assises du logement intergénérationnel, en septembre, pour mieux diffuser cette pratique qui pose certains problèmes juridiques vis-à-vis du droit du travail lorsque le jeune effectue quelques heures de travail en échange de son hébergement.
Les baux des colocations posent aussi des problèmes juridiques. La nouvelle réglementation sortira en juin.
Le risque d'impayé n'est pas plus grand pour les jeunes que pour le reste de la population mais ils souffrent d'une présomption de non-fiabilité. Leur demander davantage de garanties qu'aux autres est donc une discrimination dont je vais saisir la Halde afin qu'elle fasse pratiquer des testings.
Vous pourriez évoquer le problème foncier avec le maire de Courcouronnes. La première stratégie consiste à mettre un peu d'argent sur quinze à vingt mesures. La seconde est de mobiliser le foncier et de faire tous ses efforts pour construire. Le Livre vert soumettra ces questions à votre sagacité.
M. Christian Demuynck, rapporteur de la mission. - Nous avons travaillé sur le logement intergénérationnel et évoqué l'idée de distinguer le bail et l'éventuelle rémunération des services que la personne âgée pourrait souhaiter.
Mme Catherine Troendle. - Je salue le remarquable travail de notre mission et j'espère que des mesures pragmatiques interviendront bientôt pour nos jeunes. Plusieurs de nos collègues l'ont dit, les problèmes naissent souvent avant 16 ans.
L'apprentissage doit retrouver ses lettres de noblesse. Or il n'est accessible qu'à partir de 16 ans et des jeunes, qui s'ennuient parfois dans le système classique, où ils risquent de décrocher, comme le disent les adolescents en rupture, aimeraient pouvoir y entrer plus tôt. Comptez-vous prendre des mesures en faveur de cet « apprentissage junior » ?
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - Il me semble qu'on a dit que c'était une bonne chose de permettre à des jeunes de reprendre confiance en découvrant le milieu professionnel et en y testant leurs aptitudes, à condition d'éviter la subordination du contrat de travail qui pose problème avant 16 ans. On peut encourager le passage à quelque chose qui ressemble à l'alternance, sans rouvrir le débat sur l'apprentissage précoce.
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission - Ne faisons pas trop vite l'impasse sur les raison de l'échec scolaire : pourquoi tant de jeunes ne réussissent-ils pas dans le circuit classique ? Peut-être parce qu'on oblige les enfants à s'adapter à un système uniforme. Quand on propose, avec Luc Ferry, de dédoubler les modules de lecture en CP, je suggérerais volontiers de dédoubler les CP... La ville sensible dont je suis l'élue compte vingt-et-un groupes scolaires, le taux de réussite y est de 43 %. Les recettes, on les connaît : douze élèves par classe au lieu de trente, un enseignant plus un adulte. Oui, cela a un coût mais cela évite que des milliers de jeunes n'aient pas le brevet. Les recettes, on les a expérimentées aux États-Unis et Edgar Morin les a parfaitement décrites. Cela coûte de l'argent...
M. Jacques Legendre. - Démagogie !
M. Patrice Gélard. - On peut faire autrement.
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission - Je le dis devant le Haut-commissaire, la situation devient ingérable dans ces villes, qui concentrent tous les problèmes. La mixité sociale n'existe plus. Ne vous faites pas plaisir en l'évoquant alors qu'on fabrique des ghettos, de l'apartheid. Le Haut-commissaire ne me répondra pas en évoquant l'Anru. De fait, il ne suffit pas de restructurer les quartiers ; il faut aussi s'interroger sur les causes de cette situation. Vous ne voulez pas payer pour les solutions, cela nous coûtera cher, et encore plus à ces jeunes.
Mme Catherine Troendle. - Je suis un peu choquée par ces propos car j'ai bien dit qu'il s'agissait de rendre ses lettres de noblesse à l'apprentissage. Je ne propose en aucun cas que l'apprentissage soit une voie de garage pour des 14-15 ans, mais de permettre à des jeunes parfois très doués et que l'on encourage à persévérer dans la filière générale d'entrer en apprentissage s'ils en manifestent le souhait. Ce sont eux qui manquent aujourd'hui au monde de l'apprentissage : qu'on leur permette d'y accéder s'ils en ont envie, même s'ils poursuivent ensuite leur parcours à l'université.
Mme Virginie Klès. - Puisque Le Haut-commissaire a affirmé sa volonté de développer le service civil volontaire, je veux dire mon espoir que l'histoire ne soit pas un éternel recommencement : j'ai, dans mon expérience d'élue, mesuré les difficultés nées de l'écart entre les annonces et les réalités. J'ai cru dès l'origine au service civil volontaire et j'ai essayé de le mettre en place sur mon territoire. Je me suis parfois sentie comme la boule du bilboquet, chacun me renvoyant sur l'autre...
En politique pas plus qu'en médecine, on ne guérit en mettant un pansement sur une plaie non soignée. L'idée de donner une deuxième chance aux plus défavorisés était pourtant bonne, et si le taux d'abandon était fort dans le premier mois, surtout en cas d'éloignement du domicile, les taux de réussite et d'insertion professionnelle atteignent ensuite 60, voire 80 % selon les centres. L'autre volet concernait des jeunes moins en difficulté et voulant se mettre au service de la collectivité. Tous ces jeunes avaient en commun la volonté de s'en sortir et de servir les autres.
J'évoquerai la période de 2006 à 2009. À l'origine, il était prévu que l'Etablissement public d'insertion professionnelle de la défense (EPIDe) accueille 20 000 volontaires par an dans une quarantaine de centres. Une forte montée en puissance avait donc été retenue, avec un budget de 100 millions pour vingt-deux centres. En 2009, le contrat d'objectifs et de moyens a été signé mais il prévoit 2 000 jeunes dans vingt centres, pour un budget de 85 millions ...
Cette logique d'ouverture et de fermeture m'échappe. Mme Amara vient d'annoncer l'ouverture d'un centre au Mans, dans une région qui ne m'en semblait pas dépourvue avec ceux d'Alençon et d'Angers, et ce, pas très loin de Paris. À l'inverse, un centre a été fermé en Bretagne et aucune ouverture n'est annoncée.
Pour le service civil volontaire dans les associations et dans les collectivités, depuis 2005, et encore très récemment, on annonçait la signature de 50 000 agréments. Or il n'y a aujourd'hui que 3 000 conventions dont 2 000 seulement sont pourvues. C'est très peu !
Dans notre collectivité, après dix-huit mois de travail, nous avons obtenu sept agréments ! Dans une première fournée, nous avons recruté sept jeunes ; six mois plus tard, on nous annonce : deuxième fournée, zéro ; puis six mois après, d'accord pour un autre recrutement mais ensuite, on se rétracte.... Aujourd'hui nous avons recruté deux jeunes supplémentaires, avec permission d'en engager un autre dans quelques mois !
Comment organiser quelque chose de sérieux dans lequel les jeunes pourraient avoir confiance, quand leurs candidatures vont se retrouver sans suite ? Cette politique de bilboquet et de yoyo doit absolument cesser !
Quelles sont les réelles intentions du Gouvernement en la matière ? Je ne parle pas des annonces mais de ce qui sera concrétisé. Envisagez-vous un véritable encadrement national qui rétablira la confiance en stabilisant le système ?
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - Vous nous aviez alertés sur de telles situations avant même d'être élue au Sénat. (Sourires) Je reconnais la ténacité dont vous faites preuve à juste titre. Comme vous, je déteste faire miroiter des projets qui ne se concrétiseront pas.
Après une montée soutenue en puissance du dispositif Epid, on s'est interrogé sur son financement. D'où une disproportion entre les moyens disponibles et l'action engagée, du moins jusqu'à la signature récente d'un contrat d'objectifs et de moyens. Je ne peux vous répondre précisément à propos du Mans, mais il est certain qu'une programmation aura lieu.
L'école de la deuxième chance est expérimentale depuis quinze ans, sans que l'État n'ait jamais payé. Maintenant évaluée, cette action bénéficie d'un financement pérenne et d'une stratégie de développement sur le territoire. Notre objectif est d'atteindre une centaine d'établissements, avec une école régionale disposant d'antennes départementales. La capacité totale devrait avoisiner 15 000 places. J'observe à ce propos que l'évaluation d'une montée en charge progressive offre le meilleur moyen de pérenniser financièrement une action. En l'occurrence, il fallait voir si les jeunes passés par ce dispositif s'en sortaient mieux ultérieurement.
Le service civique proprement dit n'est pas une forme d'emploi, c'est un engagement, qui peut être indemnisé. Nous avons neuf chances sur dix de le faire véritablement décoller cette année, avec le financement mais aussi le souffle qui convient. Il ne faut pas gâcher ce magnifique projet ! Je souhaite qu'il y ait plus de volontaires que de places disponibles et que le dispositif attire à la fois des jeunes en difficulté et d'autres très diplômés. Je constate un consensus en sa faveur.
Mme Gisèle Gautier. - Accueillir dans la Haute assemblée des apprentis provenant de divers départements où ils exercent de nombreuses activités fut hier un moment privilégié pour échanger avec les responsables des chambres des métiers, les maîtres d'apprentissage, les représentants de PME, de TPE et des artisans.
Le Président de la République est animé par la ferme volonté d'accroître le nombre d'apprentis grâce à l'embauche de 320 000 d'entre eux entre juin 2009 et juin 2010 : les entreprises employant moins de dix salariés ne paieront aucune charge pour les apprentis recrutés pendant cette période. Or, l'apprentissage s'étale souvent sur trois ans et suppose un fort investissement personnel. Limiter le dispositif à un an est donc restrictif.
D'autre part, peut-on imaginer que cette mesure sera reconduite pour les embauches postérieures au 30 juin 2010 ?
Enfin, les collectivités territoriales sont-elles incitées à entrer dans ce mouvement ? Leur participation au dispositif constituerait un symbole très fort ! L'apprentissage est un passeport pour l'avenir.
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - Le dispositif de crise annoncé le 24 avril attribue 1,3 milliard d'euros en faveur des jeunes. Ces mesures massives ont un caractère conjoncturel et sont destinées à renverser la tendance, notamment pour accroître le nombre d'apprentis à la rentrée prochaine alors que l'on prévoyait une baisse de 30 %. Il en va de même pour les contrats de professionnalisation, qui tendent à diminuer de 40 %.
Chaque semestre, nous ferons le point sur ce dispositif qui doit aider à franchir une mauvaise passe. Au demeurant, nos interlocuteurs disent que, même limitée à un an, l'incitation suffit à faire prendre quelqu'un en apprentissage pendant deux à trois ans. D'autre part, nous voulons éviter l'écueil d'une main-d'oeuvre trop bon marché.
Je partage nombre de propositions formulées par la mission, mais il me semble que le dédoublement des classes destiné à faciliter l'apprentissage de la lecture ne soit pas très concluant. Lorsque Luc Ferry avait lancé cette initiative, il avait envisagé une évaluation ultérieure.
A propos de la fonction publique, le député Laurent Hénart a été missionné par le Premier ministre pour effectuer une enquête auprès de toutes les administrations. Quelques 6 000 fonctionnaires de l'État, des collectivités territoriales ou de la fonction publique hospitalière suivent une formation en alternance. Dans les hôpitaux, des élèves-infirmiers suivent une pseudo-alternance en percevant 90 euros par mois. Ce n'est pas normal. Il faut une véritable alternance, rémunérée dans le cadre d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation.
Mme Bernadette Bourzai. - Je souhaite attirer votre attention sur la situation des jeunes en milieu rural.
Maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales, Mme Cécile Van de Velde a déclaré devant la mission que l'on pouvait établir un parallèle entre les jeunes isolés en zone rurale et ceux qui se sentent piégés dans les cités.
Tous ces jeunes ont d'autant plus de problèmes d'insertion professionnelle qu'ils sont attachés à un milieu ou un quartier où ils ont peu d'opportunités. Il est impossible en milieu rural de trouver un logement de petite taille et à un loyer convenable ; une offre d'emploi peut ne pas trouver preneur pour cette simple raison. Il faut donc créer des foyers et des résidences sociales mixtes et intergénérationnelles : ils enclencheraient un cercle vertueux pour le monde rural et son économie. Comment un apprenti pourrait-il payer un loyer sur son lieu de travail et un autre sur son lieu de formation ? Généralisons les internats et l'hébergement en CFA.
La mission locale de Tulle, que vous avez visitée il y a peu, monsieur le Haut-commissaire, a calculé que 54 % des jeunes de moyenne Corrèze ne possèdent pas le permis de conduire ; et tous ceux qui l'ont ne disposent pas d'un véhicule... Or les transports collectifs sont limités, surtout à certaines heures. Et l'on ne saurait se reposer entièrement sur les collectivités, déjà très sollicitées. Je regrette par conséquent que les moyens alloués aux missions locales stagnent, voire diminuent, alors que la mobilisation de tous est impérative !
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - Il existe des difficultés propres au milieu rural. Nous devons unir nos efforts pour que l'aide au logement suive les apprentis dans leur mobilité géographique, afin qu'ils ne perdent pas la raison s'ils sont contraints d'avoir deux maisons. (Sourires) La difficile mobilité est l'obstacle numéro un à l'emploi. J'ai mobilisé de l'argent de l'État mais aussi de l'argent privé : une grande compagnie pétrolière a versé 50 millions d'euros au fonds d'investissement des expérimentations pour les jeunes, une partie sera utilisée pour aider à passer 10 000 permis de conduire. La mission locale de Tulle, qui mène un travail de grande qualité, pourra en profiter : les vannes seront ouvertes !
Mme Françoise Laborde. - Nous n'avons pas évoqué les jeunes détenus : le milieu carcéral n'est guère propice à la formation. Il faudra nous pencher sur ce problème.
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission. - Nous avons laissé provisoirement de côté cette importante question : notre sujet était tellement vaste ! Nous y reviendrons car nous ne comptons pas nous démobiliser mais continuer au contraire à travailler, sans a priori et en nous gardant des conflits stériles. Je remercie notre rapporteur, tous les membres de la mission ainsi que le Haut-commissaire dont les réponses précises alimentent notre détermination et nous rendent un peu de pêche, quand nous pourrions être guettés par le découragement. Une volonté partagée a raison des obstacles. Nous devons nous battre sans lâcher prise. Le Livre vert nous y aidera. Nous allons poursuivre en juin sur des sujets que nous n'avons pas encore évoqués ou sur lesquels nous piétinons -je n'y insiste pas.
M. Christian Demuynck, rapporteur de la mission. - Une partie du rapport sera en ligne demain. Une dizaine de points restent à étudier, qu'il faut cibler. Ainsi M. Lecerf a-t-il réalisé sur le milieu carcéral un travail de grande qualité, nous devrions nous en imprégner pour ensuite le poursuivre, au lieu de reprendre tout à zéro. Merci, monsieur Hirsch, de vous être prêté avec nous à ce débat interactif -qui était pour vous le premier.
M. Martin Hirsch, Haut-commissaire. - La formation des jeunes sous main de justice est en quelque sorte une question orpheline. Elle a cependant été au coeur du Grenelle de l'insertion. Des programmes ont démarré, dans le sud-ouest par exemple, où les entreprises et les travailleurs sociaux apprennent à collaborer. J'ai débloqué des fonds supplémentaires au profit de ces programmes de la deuxième chance... Les employeurs, à l'issue d'une première expérience, en deviennent le plus souvent d'ardents défenseurs, contre les préjugés.
Merci de vos propositions, merci de ce débat. Nous vivons un moment de bascule de l'état d'esprit général, parce que des jeunes qui ont toujours tout fait comme il faut rencontrent eux aussi des difficultés : cela donne à réfléchir et à infléchir les points de vue. Il y a là une opportunité pour poser les fondements de quelque chose de nouveau. Si nous le faisons ensemble, j'en serai très honoré. (Applaudissements à droite)
Procédure accélérée
Mme la présidente. - En application de l'article 45-2 de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2008, déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale.
La séance est suspendue à 18 heures.
présidence de M. Bernard Frimat,vice-président
La séance reprend à 21 h 30.