Accord avec la Guinée sur la promotion et la protection des investissements
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Guinée sur la promotion et la protection réciproques des investissements.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. - (Applaudissements à droite) Cet accord s'inscrit dans un contexte à la fois national et international. Au plan international, la crise financière mondiale conduit à une diminution des flux d'investissements vers les pays du sud, qui constituent pourtant pour ces derniers une ressource importante. La crise rappelle également l'impératif d'une régulation financière mondiale. En matière d'aide au développement, la réunion du G20 a permis de réaffirmer l'attachement aux objectifs du millénaire et d'accroître les facilités financières accordées notamment par le FMI aux pays les plus pauvres.
Au plan national, cet accord apporte des garanties pour nos entreprises et les investisseurs en Guinée.
Tout d'abord, l'accord garantit nos entreprises contre le risque politique : il interdit les expropriations arbitraires et assure l'indemnisation de toute dépossession. Ensuite, il comporte la clause de traitement de la nation la plus favorisée et la clause de traitement national, gages d'une compétition économique équitable. Il comprend en outre la clause de libre transfert, essentielle pour que les entreprises françaises en Guinée tirent tous les bénéfices possibles de leur implantation. Enfin, cet accord ouvre des voies de recours juridique, y compris devant l'arbitrage international, aux investisseurs français en cas de différend avec la Guinée.
La période récente a été marquée par des changements politiques importants dans ce pays. Le Président Lansana Conté est décédé le 22 décembre 2008, après vingt-quatre années à la tête de ce pays. Dès le lendemain, le capitaine Moussa Dadis Camara a annoncé la suspension des institutions et de la Constitution ainsi que la création du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD). II s'est engagé à organiser des élections avant la fin de l'année 2009 et il a assuré que ni lui, ni les autres membres du CNDD, ni le Premier ministre ne s'y présenteraient. Il a ensuite nommé M. Kabiné Komara, un civil, Premier ministre et, le 14 janvier, un gouvernement a été mis en place. Comme le réclamaient les forces vives de la nation et la communauté internationale, les restrictions aux libertés politiques et syndicales ont été levées.
Un retour vers la démocratie semble donc se profiler à l'heure actuelle en Guinée et il s'accompagnera d'une intensification des flux commerciaux et d'investissements entre la Guinée et ses partenaires. Or, la France compte parmi les premiers investisseurs en Guinée : troisième fournisseur commercial de la Guinée, après la Chine et la Côte-d'Ivoire, elle est également le deuxième client de la Guinée. Nos ventes vers la Guinée représentaient 160 millions sur les dix premiers mois de 2008 contre 115 en 2007 tandis que nos achats se montaient à 50 millions sur les dix premiers mois 2008. Les implantations françaises comptent une trentaine de filiales et une quarantaine d'entreprises locales créées par des Français. L'importance de nos échanges rend donc plus que nécessaire la mise en place d'un cadre juridique à même de sécuriser ces échanges.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande de bien vouloir approuver ce projet de loi. (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre)
M. Jacques Berthou, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - La France et la Guinée ont signé à Conakry, le 10 juillet 2007, un accord sur la promotion et la protection réciproques des investissements. Il s'agit d'un accord type, conçu pour pallier l'absence de système multilatéral de protection des investissements en dehors de la zone OCDE. Notre pays a signé de tels accords avec plus de quatre-vingt-dix pays et, récemment, avec une quinzaine d'États africains. Votre commission souscrit bien évidemment à l'objectif de protection des intérêts de nos investisseurs à l'étranger, singulièrement en Guinée, pays dont le potentiel économique est considérable. Elle s'interroge cependant, madame la ministre, sur le signal que ne manquerait pas d'envoyer la ratification par la France de cet accord aux autorités de fait actuellement au pouvoir à Conakry.
A la suite du décès du président Lansana Conté le 22 décembre 2008, après vingt-quatre ans de pouvoir, le pays a connu un coup d'État militaire, certes sans effusion de sang ni beaucoup de nostalgie de la part des Guinéens pour le régime précédent, mais sans que se dessine non plus, pour le moment, une transition démocratique rapide. La Guinée dispose d'un potentiel économique indéniable du fait des richesses de son sol et de son sous-sol. Ses différentes ressources en font potentiellement un des pays les plus riches d'Afrique. Cette richesse potentielle contraste pourtant avec l'état calamiteux du pays, résultat de décennies de gestion désastreuse sur fond de violences sociales : croissance faible, forte inflation, assèchement des réserves de change, dépréciation de la monnaie, dette publique totalement insoutenable, tous les indicateurs sont au rouge. Cette situation s'est traduite par un fort mécontentement social. Au cours des dernières années, le pays a été paralysé à plusieurs reprises par des grèves et des manifestations. La répression particulièrement brutale des hommes de troupe, qui constituaient l'assise du régime, a fait plus de 200 morts au début de 2007. La gravité de la situation a conduit le président Conté à nommer, le 26 février 2007, un premier ministre dit de consensus, M. Lansana Kouyaté. C'est à la suite de cette nomination que l'accord, aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat, a été signé. Il avait alors pour objectif de conforter le gouvernement de consensus en affirmant la confiance de la France dans le processus engagé. M. Kouyaté n'a pas été en mesure d'imposer son autorité ni de répondre aux attentes concrètes de la population et il a été limogé le 20 mars 2008. La transition démocratique n'a pas eu lieu, même si la confiance des bailleurs a été restaurée. Le 22 décembre, la mort du président Lansana Conté, qui aurait dû se traduire par l'intérim du président de l'Assemblée nationale, a été suivie par la prise du pouvoir du capitaine Dadis Camarra qui s'est autoproclamé Président de la République. Il a nommé un Premier ministre et un gouvernement au sein duquel les militaires tiennent les postes clés. Sous la pression de la communauté internationale, le CNDD a pris un certain nombre d'engagements, parmi lesquels celui d'organiser des élections au cours de cette année.
Trois mois après le coup d'État, la situation reste très incertaine. Les signaux envoyés par le nouveau pouvoir ne semblent pas très encourageants, même s'il est encore trop tôt pour se prononcer. Dans ce contexte, notre commission s'interroge sur le signal que ne manquera pas de donner la ratification de cet accord par la France au pouvoir en place à Conakry.
Si le sort de la Guinée préoccupe notre commission, c'est que l'évolution de l'Afrique de l'Ouest, fragilisée par les conflits successifs du Liberia, de la Sierra Leone et de la Côte-d'Ivoire, nous paraît mériter une attention particulière. Les événements récents de Guinée-Bissau en attestent. Aussi, tout en suggérant au Sénat d'adopter ce projet de loi, la commission demande au Gouvernement d'en retarder la notification aux autorités guinéennes jusqu'à ce que des garanties suffisantes aient été obtenues quant au retour à l'ordre constitutionnel dans ce pays. La Guinée n'ayant pas, pour sa part, encore procédé à la ratification de ce texte, un tel retard ne serait pas de nature à nuire aux intérêts de nos investisseurs. Notre commission souhaite donc recueillir votre appréciation, madame la ministre, sur les perspectives politiques en Guinée et sur le sort que le Gouvernement réserve à cet accord. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Robert Hue. - S'il est équitable, c'est-à-dire s'il est réalisé dans le cadre d'accords préservant les intérêts réciproques des investisseurs et du pays d'accueil, l'investissement privé peut contribuer, aux côtés de l'aide publique, au développement économique d'un pays, mais c'est, hélas, rarement le cas.
Je ne me prononcerai donc pas sur la nature des investissements dont il est ici question, mais plutôt sur l'opportunité de ratifier cet accord dans le contexte politique actuel que connait la Guinée. Cette convention est identique à celles signées avec une centaine d'autres pays, dont vingt-trois pays africains. Toutefois, elle démontre l'importance de ce type d'accords bilatéraux qui garantissent un cadre juridique stable aux investisseurs, même en cas de troubles politiques.
L'article 5 de l'accord exclut toute possibilité de nationalisation ou d'expropriation par des personnes publiques. Il faut certes prévoir des indemnisations en cas de nationalisation, mais pourquoi interdire à un État souverain d'y procéder ?
Cet accord a été signé au début de l'année 2007, alors que l'on pouvait espérer voir la fin de la corruption et la démocratisation du régime du président Lansana Conté. La nomination d'un nouveau Premier ministre semblait pouvoir rendre confiance aux bailleurs de fonds internationaux et permettre la reprise de l'aide du FMI qui avait été suspendue pour cause de détournement. Cet espoir a été balayé par la mort du président Conté et par le coup d'État militaire de décembre 2008. Or, le peuple guinéen doit à nouveau bénéficier des crédits internationaux sans que cette aide soit détournée ni gaspillée, et il faut que la dette publique de ce pays soit annulée. En raison de liens historiques étroits noués depuis plus d'un siècle avec la Guinée, pays francophone, la France doit jouer un rôle de premier plan en ce sens.
Dans l'immédiat, en liaison avec la communauté internationale et les organisations régionales comme l'Union africaine et la Communauté de développement économique de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), il nous faut agir pour permettre le rétablissement d'un ordre constitutionnel et démocratique normal.
Ces accords portant sur des investissements privés ne sauraient en aucun cas pallier les insuffisances de l'aide publique au développement. Ils ne doivent pas non plus faire oublier que la France se classait en 2008 au onzième rang des contributeurs mondiaux avec 0,39 % de son produit national brut, en net recul par rapport aux années antérieures. Nous sommes loin de l'objectif des 0,7 % fixé en 2005 par le G8. Lors de son récent voyage en Afrique, le Président de la République a déclaré vouloir refonder nos relations avec ce continent. Nous veillerons donc à ce que la signature des prochains accords avec d'autres pays soit conforme aux engagements pris.
Les investissements privés en Guinée se concentrent sur le secteur bancaire, le bâtiment, les services portuaires ou aéroportuaires et la téléphonie mobile, des activités certes utiles au développement économique mais que l'exigence de rentabilité financière immédiate ne rend guère compatible avec les besoins de la population. Pour sa part, notre aide publique tend à développer l'appui à la société civile, la culture, l'enseignement supérieur et la recherche, l'agriculture et la sécurité alimentaire, toutes activités qui bénéficient directement aux Guinéens.
J'espère que notre pays mettra tout en oeuvre pour contribuer à stabiliser la situation politique, ce qui permettra de reprendre le partenariat et l'aide budgétaire interrompus par les récents événements.
L'efficacité de notre politique d'aide publique reste à démontrer. Mon groupe votera donc ce projet de loi, mais il partage les réserves émises par notre rapporteur et il invite le Gouvernement à en différer la notification aux autorités guinéennes tant qu'elles ne relèveront pas d'un régime démocratique. (Applaudissements à gauche)
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. - La France a pris une position claire sur l'évolution du régime guinéen, puisque M. Joyandet s'est rendu sur place les 3 et 4 janvier pour rappeler nos exigences à la junte : l'organisation d'élections dans les plus brefs délais, la non-participation à celles-ci du chef de la junte, la formation d'un gouvernement civil de transition. L'Union européenne a fait siennes ces exigences dans une déclaration du 31 décembre.
De son côté, l'Union africaine a pris, en janvier, des initiatives en faveur d'une transition démocratique lors du sommet d'Addis Abeba. Un groupe de contact international a été constitué, qui s'est réuni à Conakry les 16 et 17 février. A cette occasion, le chef de la junte a annoncé un calendrier de transition. Le capitaine Camara a confié aux forces vives le soin de programmer les élections. Le 16 février, le groupe de contact international a rencontré la coalition des partis politiques et des forces vives. Après avoir écarté l'hypothèse d'un référendum, il a été décidé le 29 mars que les élections législatives auraient lieu le 11 octobre, le scrutin présidentiel étant prévu le 13 décembre. La coalition a appelé le CNDD à respecter ce calendrier et à mettre en place un conseil de transition chargé de toiletter la loi fondamentale.
Des garanties ont donc été obtenues sous la pression de l'Union européenne, en particulier de la France, de la communauté internationale et de l'Union africaine. Nous suivons de près l'évolution de la situation.
S'agissant des instruments de ratification, nous pouvons attendre les instruments guinéens. Cela devrait vous donner satisfaction. (Applaudissements à droite)
L'article unique est adopté.